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jeudi, 31 octobre 2019

L'ART DE CABU

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Cabu par lui-même. Dessin publié par Le Canard enchaîné le 14 janvier 2015. Janvier 2015, ça vous dit quelque chose ?

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QU'UNE CHOSE SOIT D'ABORD BIEN ENTENDUE :

POUR MOI, en plus d'être un reporter accompli, CABU EST UN ARTISTE !

Me replongeant dans ma collection des premiers numéros de La Gueule ouverte, je suis (re)tombé sur la série que Cabu avait publiée dans les sept ou huit premiers numéros. J'ai veillé comme une vestale sur cette relique d'un temps où l'on pouvait encore espérer que les hauts responsables politiques et économiques avaient assez de bon sens pour arrêter le massacre. On est fondé à se dire aujourd'hui qu'il était alors encore temps d'agir. C'étaient les temps héroïques si vous voulez, bien que je n'aie jamais aperçu à l'époque la moindre silhouette de l'ombre d'un héros. 

bande dessinée,la gueule ouverte,lyon,chalons-sur-marne,jean degraeve maire de chalons sur marne,louis pradel maire de lyonIl me reste 23 numéros sur les 24 alors achetés, dont deux fois le n°13 avec une femme à poil en couverture : on me dira ce qu'on voudra, mais j'avais déjà trouvé l'image d'un goût très douteux, et aggravé par les légendes qui se voudraient "clin d’œil". J'ai acheté plusieurs fois le n°1 : je ne sais pourquoi il a persisté dans l'absence. C'est dommage : c'était un saisissant profil de bébé au trait par Maître Pierre Fournier (mort avant la parution du n°5) en personne, qui savait diablement dessiner.

On ne peut pas "stricto sensu" prétendre que la Gueule ouverte était une revue de BD, certes non. Seulement il se trouve que trois grands maîtres donnaient à Fournier une page entière, parfois deux, dans ce qui était alors un mensuel. J'ai nommé Gébé, Jean-Marc Reiser et Cabu.

Les pages de Gébé étaient, disons, les plus ... cérébrales. Celles de Reiser décrivaient au lecteur, en long et en large, les bienfaits de l'énergie solaire ainsi que quelques idées toutes bêtes et toutes simples pour la mettre en œuvre dans sa propre maison. En plus et comme d'habitude, Reiser poussait le plus loin possible le bouchon de la drôlerie

Cabu avait intitulé sa série "Mut-Mut" : il croquait avec précision et percussion les mutations de Chalons-sur-Marne sous les coups du bétonneur, modernisateur (en réalité : le destructeur) Jean Degraeve, maire de la ville. Bon, ça n'avait pas grand-chose d'original : nous, à Lyon, nous avions Louis Pradel, et la taille de la ville lui donnait des moyens de destruction bien supérieurs. J'ai publié ici deux billets rendant compte du reportage assez pointu que Cabu avait consacré à notre belle ville dans La France des beaufs (2 et 3 mars 2016).

Ci-dessous, les "dégâts" de la "modernisation" à la Jean Degraeve sur la gare de Chalons (La Gueule ouverte, n°13, nov.1973).

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Il y a même, tout en haut, un cavalier qui fait du jumping  sur le passage à niveau.

Le voilà, l'art de Cabu. D'un certain côté, ça me fait penser à Dubout : un dessin de dimension humaine, mais avec toutes sortes d'exemplaires de l'humanité vaillante, vacillante, variante et débordante. En un mot : ça grouille de vies. Survoler un pareil dessin, c'est n'avoir rien compris et gâcher la marchandise. Je regrette que le format du blog ne permette pas de rendre à Cabu la justice qui lui est due.

Les quatre petits bouts d'image grossies (disons quatre saynètes) qu'on voit ci-dessous viennent tous du bord haut gauche du dessin. Il aurait fallu donner le même coup de projecteur sur chaque partie : le "pal" installé dans la salle d'attente pour dissuader les voyageurs, la fille du chef de gare donnant son corps à un militaire dans l'espoir de faire classer la ligne comme "stratégique", l'employé SNCF qui a transformé le ballast entre les rails en jardin potager, le député du coin posant l'oreille sur un rail dans l'espoir de communiquer avec le directeur de la SNCF, etc..

Il faut avoir de meilleurs yeux ici que dans le format original : La Gueule ouverte avait, aux origines, un format invraisemblable, incompatible avec le format A4, impossible donc à reproduire de façon confortable. Oui, je sais que Charlie Hebdo, c'est pareil : on doit couper pour partager, et c'est un crime de couper. Décidément, l'équipe (Hara Kiri, Charlie et compagnie) n'était pas aux normes. 

Dans l'ensemble du dessin, je compte plus de vingt de ces saynètes, plus ou moins marrantes ou scandaleuses, plus ou moins déchirantes ou poilantes, plus ou moins politiques aussi. Cabu bourre son dessin de la foule de ces petits croquis qu'il avait l'art d'exécuter « de chic » (comme on ne dit plus). Cela fait, si je compte bien, plus de vingt véritables trouvailles, je dirais "vingt regards" si l'expression n'était pas déjà prise par un grand maître de la musique du vingtième siècle (Messiaen, évidemment). 

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Mais Cabu, avec toute la tendresse naturelle qui est la sienne, peut être, quand il s'y met, d'une férocité et d'une violence sans limite, comme le montre l'insecte humain dessiné ci-dessous, paru dans le n°23 de La Gueule ouverte en septembre 1974, inspiré par les propos entendus dans une conférence "mondiale" sur la surpopulation, tenue à Bucarest. Suivent quelques images piquées dans les mêmes circonstances. 

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Pour la férocité, Cabu n'a rien à envier à Reiser.

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