Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 31 mai 2017

VARIANTE

Tout le monde connaît le refrain que serinent à nos oreilles les commentateurs, celui du "verre à moitié truc, à moitié machin". J'ai entendu hier fredonner la rengaine, mais habillée de façon originale. C'était dans la bouche de M. Ivan Krastev, Bulgare par nature et intellectuel à la retraite. Pour une fois, je ne le qualifie pas d'intello, mais d'intellectuel, et de qualité. C'est normal : je me retrouve assez bien dans les analyses qu'il propose d'un phénomène qui angoisse nos chères élites. Nous avons de l'estime pour les gens qui pensent comme nous, c'est humain.

Ce phénomène, c'est la "Montée-des-Populismes", dont les figures obligées que les "chères-élites" énumèrent complaisamment sont toujours Orban, La Pologne, Erdogan, Trump et, bien sûr, pour ce qui nous concerne, Le Pen. Soit dit en passant, je suis toujours ébaubi du bout de la lorgnette par lequel les "autorités" médiatiques et politologiques abordent la question. Tétanisées comme la grenouille devant la couleuvre, elles tiennent un discours incantatoire sur le danger que fait courir le populisme à la démocratie, haranguent les foules à ce sujet, et poussent un grand "ouf" de soulagement plein de lâcheté quand le pire a été évité.

Il ne leur viendrait surtout pas à l'esprit de s'interroger sur les causes de cette "Montée-des-Populismes" dont ils ont plein la bouche. Quant à moi, pour aller vite, j'attribue ces causes à la façon dont le monde est conduit, sur les plans tant économique que politique, par des aveugles et des irresponsables, fort peu soucieux du sort du plus grand nombre.

Laissées sans perspectives et de plus en plus exposées aux difficultés de l'existence, des masses de gens ne savent plus vers qui se tourner pour trouver un peu d'espoir. Les camelots de la politique qui, eux, connaissent très bien la clientèle qui peut leur donner le pouvoir, enquêtes marketing à l'appui, savent à merveille, pour les appâter, agiter devant elle gris-gris, colifichets et sornettes (le programme de Marine Le Pen à la présidentielle en était bourré). Je reviens à ma variante.

La personne anodine qui interroge l'estimable M. Ivan Krastev termine l'entretien sur le pont-aux-ânes de la question du pronostic à poser sur l'avenir qui nous guette. Le monsieur répond ceci : « En Bulgarie, nous disons la chose suivante : les optimistes voient le verre à moitié plein, les pessimistes le voient à moitié vide. Nous les Bulgares le voyons à moitié cassé ». Un verre "à moitié cassé" ? C'est joli, non ?

mardi, 30 mai 2017

IL EST INTERDIT DE NOMMER

Je devrais me raisonner, penser à autre chose, me détendre, me divertir comme tout le monde, mais je n'arrive pas à m'y faire. Il y en a assez de ces discours qui, sous prétexte qu'on milite, les uns contre le racisme ou la xénophobie, les autres pour la tolérance ou le "droit à la différence", d'autres encore contre le sexisme ou l'homophobie (j'arrête là l'énumération des "causes à défendre"), répandent entre les individus le venin du soupçon généralisé, en même temps qu'ils font régner une sorte à la fois dure et molle de terreur intellectuelle à l'encontre de ceux qui ont le très grand tort de ne pas croire dans cette nouvelle religion punitive, de ne pas se lancer dans le même combat ou de ne pas défendre la seule cause qui vaille : celle des policiers de la pensée. Il est interdit de commenter le comportement et les discours des "minorités".

Pendant que se poursuivent tranquillement, méthodiquement, les destructions de toutes sortes, sous les coups de l'industrie, de la chimie, de l'économie financiarisée, de la compétition technologique forcenée, de la robotisation, de la privatisation de tout (en ce moment, c'est Véolia qui met la main sur la plage "familiale" de La Baule), etc. ; les mêmes bonnes âmes, qui ont forcément tout compris, qui savent donc forcément poser les questions essentielles et les problèmes cruciaux, et qui tiennent le haut du pavé médiatique (autrement dit qui tiennent solidement la machine à mouliner la propagande et l'air du temps), braquent leurs regards, surtout pas sur les causes des malheurs du monde, mais sur leurs seuls effets dans la société, je veux dire l'adorable nombril sociétal du "vivre-ensemble" et des "valeurs qui sont les nôtres" : elles sont donc à l'affût des moindres pets de travers et des plus petites infractions au Dogme, pour sceller la bouche de leurs méchants adversaires.

Car il est bien entendu qu'ils sont les Bons, qu'ils se tiennent sur l'Axe du Bien, et que, comme disait George W. Bush en son temps : « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». Tous les autres ont interdiction de dire quoi que ce soit : ils sont l'Axe du Mal, contre lequel ils sont partis en croisade (mais, contrairement à celui provoqué par Bush, le chaos qu'ils installent est dans les esprits, ce qui n'est pas mieux), et tous les moyens sont bons pour les faire taire. Le Code Pénal fourmille d'ailleurs, aujourd'hui, de tels moyens ad hoc, grâce à l'action de longue haleine d'une foule de gens discrets et adroits auprès de ceux qui font les lois, qui pensent acheter ainsi leur réélection.

Beaucoup de ces gens "bien intentionnés", qui ont, à les en croire, le cœur sur la main, ressortent, à la moindre occasion, cette phrase d'Albert Camus : « Mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde ». Mais ce sont les mêmes grandes âmes qui s'empressent de poser les scellés des interdits sur les mots, et sous peine de correctionnelle, dès qu'il s'agit de leur sacré à eux. 

Ma mauvaise humeur (c'est un euphémisme !) est motivée cette fois par un nouvelle preuve qui vient d'être donnée qu'il est interdit de toucher à certains tabous : une pétition a obtenu 20.000 signatures en peu de temps, par toutes les personnes qui ont quelque chose à voir ou à faire dans le quartier de La Chapelle à Paris (18°). Origine de l'affaire : les femmes et les filles qui passent dans le quartier en ont eu ras-le-bol des commentaires, des insultes, voire des gestes dont elles sont l'objet. Ce sont bien sûr presque exclusivement des hommes qui peuplent la rue. Je devrais dire : qui y stationnent.

Pour quelle raison, ces commentaires, insultes, etc. ? La tenue vestimentaire de la gent féminine passant à portée du regard des mâles présents. Les seules femmes qui ne risquent rien sont évidemment les plus couvertes, et si possible de la tête aux pieds. Quant aux autres, inutile de dire que plus elles donnent à voir de leur surface de peau, plus elles doivent s'attendre au pire. L'une d'entre elles raconte même, par temps de forte chaleur, que, pour être tranquille, elle préfère passer là vêtue d'un vaste pull en laine. Cela se passe dans le nord-est de Paris, capitale de la France.

Qui sont ces hommes ? Chut, il est interdit de le dire : les sentinelles vous écoutent. Car il est interdit de "stigmatiser" toute une "communauté". Bon, on a compris quand même. Au fait, comment s'appelle-t-il, l'auteur du livre Les Territoires perdus de la république, au point que des gens très sérieux en sont venus à parler de véritable "sécession" de toute cette partie de la population ? Quelque chose en France semble s'être définitivement rompu. Mais ce quelque chose, il est interdit de le nommer. Disons-le malgré tout : la mentalité et la culture arabo-musulmanes sont profondément sexistes, homophobes (voir la Tchétchénie ces derniers temps) et antisémites.

On se souvient de la Saint-Sylvestre 2016 sur la place de la gare de Cologne. L'étonnant de l'affaire avait été que les premières à se scandaliser de ce qui s'était passé étaient, presque naturellement, les féministes, mais bientôt combattues par les antiracistes, qui voyaient dans cette dénonciation une intolérable atteinte aux droits de l'homme. Je n'aurais pas voulu être dans la peau et dans le dilemme de celles qui étaient à la fois féministes et antiracistes.

On se souvient aussi du désormais défunt "ABCD de l'égalité" promu par la Sinistre de l'Education, qui devait apprendre à tous les enfants que les garçons doivent respecter les filles et ne pas se sentir supérieurs. A tous indistinctement, y compris à ceux qui en sont déjà convaincus du fait de l'éducation reçue, et quelle que soit leur origine sociale et culturelle. Inutile d'ajouter à quelle partie spécifique de la population était censé s'adresser ce message. La Sinistre de l'Education en question, c'est celle qui fut capable de clore une interview en lançant au journaliste un « inch Allah » décomplexé. 

Ce tabou qui scelle les bouches (sous peine de) sème et signifie la mort de quelque chose. Quoi exactement ? Difficile de mettre des mots là-dessus. En tout cas, c'est quelque chose d'important, et même de vital pour la vie en collectivité. « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ». C'est bien vrai, Albert. Mais que dirais-tu, aujourd'hui, du refus de nommer les choses pour ce qu'elles sont ? Et de ceux qui interdisent de les appeler par leur nom ? 

lundi, 29 mai 2017

DÉTAIL

004.JPG

************************************

FESTIVAL DE CAME

Alors c'est vrai ? Quelle audace ! Le Festival de Cannes a osé ne pas attribuer la Palme d'Or à Cent vingt battements par minutes, ce « film coup de poing qui a fait autour de lui l'unanimité de la critique » (je cite) ! Scandale ! Injustice ! Grand branle-bas dans le Landerneau intello et consensuel de la "pensée" mainstream et de la gauche élégante et cosmétique.

En commentaire, il me revient en mémoire une deuxième (tout le monde a déjà reconnu la première) chanson de Brassens : 

« C'est injuste et fou,

Mais que voulez-vous

Qu'on y fasse :

L'amour se fait vieux,

Il n'a plus les yeux

Bien en face. »

Mais c'était à l'époque de l'amour d'ancienne manière. Trop ancienne sûrement.

dimanche, 28 mai 2017

DÉTAIL

012.JPG

samedi, 27 mai 2017

DÉTAIL

001 1.JPG

vendredi, 26 mai 2017

DÉTAIL

Mon art abstrait.

002.JPG

Photographie Frédéric Chambe.

jeudi, 25 mai 2017

DÉTAIL

006.JPG

005.JPG

mercredi, 24 mai 2017

DÉTAIL

001.JPG

Photographie Frédéric Chambe.

mardi, 23 mai 2017

IN MEMORIAM

MARIE THERESE 1987.jpg

Marie-Thérèse Meyer, née Koch en 1916. † 21 mai 2017.

Photo prise en 1987, à Oderen, Haut-Rhin. Elle est alors âgée de 70 ans.

PRESIDENTE 10.JPG

Été 2016, on fêtait les 100 ans accomplis.

C'est beau.

lundi, 22 mai 2017

GEORGES PEREC DANS LA PLÉIADE

PLEIADE4.jpgA peine apprends-je que Georges Perec entre dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard) que voilà le coffret de deux volumes installé sur mes rayons. Et qui plus est accompagné de l’Album de l’année de la collection, consacré à Perec par un de ses plus grands connaisseurs, c’est-à-dire par l'excellent et Lyonnais Claude Burgelin.

Je ne dis pas "connaisseur" par hasard : non content d’avoir côtoyéPLEÏADE ALBUM1.jpg l’homme et l’écrivain, il en a donné, en 1988, une biographie littéraire (Georges Perec, Seuil, coll. Les contemporains). On lit même, dans l’extraordinaire biographie que David Bellos a consacrée à Perec (Seuil, 1994), que Burgelin est compté dans le cercle des « vieux amis de Perec » (p.712). On peut compter sur lui pour faire partager au lecteur la connaissance, précise et chaleureuse, qu’il a de l’homme et de l’écrivain, tant par le choix des documents que par le propos qu’il tient.

Les deux volumes (n°623 et 624) sont sobrement présentés sous l’appellation d’ « Œuvres », pour la raison que la diversité des tâches auxquelles s’est livré Perec au cours de sa brève existence (il est mort à quarante-six ans) mettrait la collection de prestige de l’éditeur en infraction à sa vocation presque (il y a quelques exceptions, comme Henri Michaux) exclusivement littéraire. Il a en effet donné des jeux à la revue Ça m’intéresse, des mots croisés, etc.

Et je ne parle pas du – qu’on me pardonne –  fatras des publications posthumes : on dirait que, à l’instar des bouts de nappe en papier signées ou griffonnées par Picasso précieusement conservés dans le restaurant, il fallait absolument immortaliser le moindre brimborion qui porte la trace du grand homme. Je ne suis pas sûr qu’il faille absolument ennoblir par la publication ce que Perec lui-même appelait « l’infra-ordinaire », mais bon. Son œuvre proprement littéraire est déjà assez placée sous le signe du disparate qu’il n’y a peut-être pas à vouloir à tout prix inclure dans d’improbables « Œuvres complètes » jusqu’au plus petit souvenir laissé par l’homme, si grand qu’on puisse le considérer.

Personnellement, si je suis touché par W ou le souvenir d’enfance ou Je me Souviens, intéressé par Les Choses, amusé par les performances lexicales de La Disparition ou la désinvolture osée de Les Revenentes, immergé dans la matière océanique de La Vie mode d’emploi, je reste sceptique devant la virtuosité des « onzains hétérogrammatiques », et la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien me laisse indifférent : inventorier les plus minuscules faits (y compris chaque passage de bus) observés depuis le Café de la Mairie ou le Tabac de la place Saint-Sulpice, pourquoi pas, mais sans moi. Même si je passe à côté d'un aspect (l' « infra-ordinaire ») pour lequel Perec lui-même manifestait un grand intérêt.

1965 LES CHOSES.jpgIl y a, dans Les Choses (1965), une formidable « enquête de motivation » sur une future néo-bourgeoisie, faite de gens instruits et frustrés, Jérôme et Sylvie, qui participent à la naissance et à l’essor des premières entreprises de sondages d'opinion – si ce sont des « instituts », c’est au même titre que ces endroits qu’on appelle « instituts de beauté » –, goûtent à l’extrême les belles choses qu’ils sont hors d’état de s’offrir (mais à la fin, « ils auront leur canapé Chesterfield »). Ce n'est qu'en 1970 que Jean Baudrillard, philosophe quoique pataphysicien, publie La Société de consommation : il y a déjà quelque temps que la fascination des futures « classes moyennes » pour les objets et pour l'habileté diabolique avec laquelle ils sont vantés (la publicité) fait des ravages. 

Il y a, dans La Vie Mode d’emploi, les mille et une aventures d’une foule d’individus2016 1978 LA VIE MODE D'EMPLOI.jpg d’extractions variées, aux trajectoires imprévisibles, plus ou moins rectilignes ou sinusoïdales, et en particulier, en plein centre, la relation si étroite, si distante et si étrange entre le richissime Bartlebooth et Winckler, cet artisan machiavélique qui se vengera d’on ne sait trop quoi en rendant impossible l’achèvement d’un puzzle qui aura raison du cœur du milliardaire. Livre étourdissant et fascinant.

1978 JE ME SOUVIENS.jpgIl y a, dans Je me Souviens, la référence à un monde où je me reconnais en grande partie, un monde qui, pour l’essentiel, fut le mien : question de génération, certainement, mais pas seulement. Roland Brasseur a beau documenter soigneusement (Je me Souviens de Je me Souviens, Le Castor astral, 1998, sous-titré « notes pour Je me souviens de Georges Perec à l’usage des générations oublieuses ») les 479 + 1 souvenirs consignés dans le livre de Georges Perec, qui parmi les jeunes aurait la curiosité d’aller y jeter un œil ?1998 ROLAND BRASSEUR.jpg

Quand j’ai la curiosité d’ouvrir l’album de famille qui rassemble des photos de gens qui m’ont précédé il y a un siècle et demi, j’ai beau savoir que mon existence a quelque chose à voir avec la leur, ma mémoire n'est ici qu'une page blanche. Si le livre de Perec s’était intitulé Traces pour archéologues à venir, Brasseur aurait été le premier de ces derniers. Et peut-être le dernier.

Quant à W ou le Souvenir d’enfance, il touche le lecteur de façon très indirecte, je2016 1975 W OU LE SOUVENIR D'ENFANCE.jpg dirai : par l’effet que produit la cohabitation de deux univers « violemment clivés », pour reprendre des termes de Claude Burgelin, l’un désespérément vide pour cause d’absence à sa propre vie (« Je n’ai pas de souvenirs d’enfance »), mais désespérément et patiemment reconstitué, comme fait Bartlebooth (« I would prefer not to », serine le Bartleby de Herman Melville, un autre grand absent) avec les puzzles de Winckler ; l’autre, concentrationnaire et impitoyable, où l’auteur imagine un ailleurs utopique, mais un ailleurs qui a concrètement existé, et dont sa mère n’est pas revenue.

2016 1994 DAVID BELLOS.jpgPour entrer dans l’univers extraordinairement polymorphe, voire éclaté de l’œuvre créée par Georges Perec, je ne peux cependant que recommander de passer par la biographie de David Bellos (Seuil, sous-titré « une vie dans les mots »). J’en avais parlé ici le 14 février 2016. La lecture de ce monument - un grand roman, pour ainsi dire - avait bouleversé ma perception de l’homme et de l’œuvre, en même temps qu’elle me bouleversait personnellement.

Je garderai mes réticences à l’égard de tout ce qu’il y a eu d’expérimental, voire d’excessivement « cérébral » dans les multiples activités du cerveau fertile de l’auteur, mais je ne peux oublier la substance vivante et vibrante dont est constitué l’ensemble de son œuvre.

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 21 mai 2017

DÉTAIL

002.JPG

samedi, 20 mai 2017

DÉTAIL

011.JPG

vendredi, 19 mai 2017

ARTICLE TINTIN

La collection des Dictionnaires amoureux (éditions Plon) est désormais, et depuis longtemps, confortablement installée dans le paysage de la librairie française. Il en a paru une centaine. Je m'en suis procuré deux, pour la simple raison que le "concept" me rase a priori. Peut-être à tort. Aucun sujet n'est apparemment proscrit. Alain Rey a même confectionné un savoureux Dictionnaire amoureux des dictionnaires. En 2016, Albert Algoud, un fou de BD, ou plutôt tintinophile enragé, ce qui est à la fois plus restrictif et plus ambitieux, a à son tour publié, après son Petit dictionnaire énervé de Tintin (éd. De l’Opportun, 2010) un formidable Dictionnaire amoureux de Tintin : une vraie mine à ciel ouvert.

DICTIONNAIRE AMOUREUX ALGOUD.jpg

On y trouve en effet une foule de pépites. Par exemple, on apprend que le « Caramba » proféré à plusieurs reprises, entre autres, par Ramon Bada dans L’oreille cassée, en dehors de signifier « sapristi », « flûte » ou « zut », a pour étymologie un mot (« carajo ») qui « désigne le membre viril ». Il n’est pas sûr que Hergé se soit avisé de la chose avant d’en faire usage (ni d’ailleurs que dans l’affirmative il aurait choisi autre chose).

bande dessinée,littérature,dictionnaire amoureux plon,dictionnaire amoureux de tintin,dictionnaire amoureux des dictionnaires,alain rey,éditions plon,albert algoud,éditions de l'opportun,petit dictionnaire énervé de tintin,caramba,ramon bada,hergé,tintin,éditions moulinsart,dubout dessinateur,rabelais,jean-baptiste botul,bhl,bernard-henri lévy,frédéric pagès,gorille ranko,oumpah-pah,uderzo goscinny,astérix,serge tisseron,apostolidès,georges rémi,philippe goddin,benoît peeters,renaud nattiez,éditions champion,nattiez le mystère tintin,nattiez dictionnaire tintin,nick rodwell,moulinsart sa,alain bouldouyre,christophe georges colomb,le professeur cosinus

Le ton souvent personnel d’Albert Algoud convient parfaitement au sujet qu’il s’est proposé, et c’est presque naturellement qu’on voit apparaître des sujets dont la connexion à l’univers de Hergé ne saute pas aux yeux. Ainsi voit-il dans certaines vignettes spécialement surchargées de détails un discret hommage au style bien particulier du dessinateur Dubout. Il commence l’article à lui consacré par un souvenir. Ses grands-parents possédaient une gravure de Dubout, intitulée "Fête au village" : « Evidemment, j’avais remarqué tout particulièrement dans l’encadrement d’une fenêtre aux volets entrebâillés cette jeune femme à demi dénudée lutinée par un moustachu apoplectique ». Esprit de Rabelais, es-tu là ?

Albert Algoud ne dédaigne pas, pour s’amuser ou pour remplir le cahier des charges (un respectable volume de 800 pages), de glisser dans ses pages des articles qui font diversion. Par exemple, le nom de Wronzoff, un des méchants de l’Île noire (le seul à être en mesure de se faire obéir du gorille Ranko), sert de prétexte à un délire sur le nom de Voronoff, un chirurgien français célèbre dans les années 1920, qui pratiquait des opérations à partir de testicules de singe sur une clientèle masculine qui pensaient retrouver de la « vigueur », parmi laquelle il se plaît à placer le philosophe fictif Jean-Baptiste Botul (personnage inventé par Frédéric Pagès), célèbre pour avoir « enduit d’erreur » l’imbu et imbuvable Bernard-Henri Lévy en personne. On pardonnera cet excursus à l'auteur.

On dira que je cherche vraiment la petite bête, mais je ne peux m’empêcher de signaler à monsieur Algoud une erreur dans l’article Cartoffoli, l’Italien qui roule en « Lancia Aurelia B20 GT coupé de couleur bordeaux » dans L’Affaire Tournesol, et qui possède le nom le plus long de toute l'histoire de la BD (avec la kyrielle des prénoms qu'il débite au gendarme qui l'a arrêté. En effet, parmi ces noms , il cite le vieil Indien d’Oumpah-pah (Goscinny et Uderzo, avant Astérix) N’a-qu’une-dent-mais-elle-est-tombée-alors-maintenant-n’en-a-plus, mais il orthographie mal, comme je le montre ci-dessous, le nom du « chevalier prussien », l’Allemand qui fait face au Français De la Pâte Feuilletée.

OUMPAH 3 P41.jpg 

Et non pas Katzen...etc., monsieur Algoud, sauf votre respect. Le nom du "chevalier prussien" vaut celui dont le savant Cosinus baptise son invention cyclable, je parle évidemment de l'anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle (ci-dessous). J'avoue qu'il faut un certain entraînement pour le prononcer d'une seule coulée.

bande dessinée,littérature,dictionnaire amoureux plon,dictionnaire amoureux de tintin,dictionnaire amoureux des dictionnaires,alain rey,éditions plon,albert algoud,éditions de l'opportun,petit dictionnaire énervé de tintin,caramba,ramon bada,hergé,tintin,éditions moulinsart,dubout dessinateur,rabelais,jean-baptiste botul,bhl,bernard-henri lévy,frédéric pagès,gorille ranko,oumpah-pah,uderzo goscinny,astérix,serge tisseron,apostolidès,georges rémi,philippe goddin,benoît peeters,renaud nattiez,éditions champion,nattiez le mystère tintin,nattiez dictionnaire tintin,nick rodwell,moulinsart sa,alain bouldouyre

Cela n’enlève rien à l’inépuisable savoir d’Albert Algoud en matière de tintinologie, qui rassemble, dans ce Dictionnaire amoureux de Tintin, une masse d’informations indispensables. J’ajoute que c’est un ouvrage d’une hospitalité et d’une convivialité hautement recommandables : s’il égratigne tant soit peu les psychanalystes de Tintin (Tisseron, Apostolidès, …), c’est qu’il ne supporte pas la sotte cuistrerie et la fatuité pédante de tous ceux qui affirment détenir le savoir. Face à la sécheresse universitaire (et au Savoir en général), il est indispensable de rester sceptique, voire narquois.

En revanche, l’auteur rend un hommage appuyé à tous les conviviaux qui ont servi humblement et fidèlement la divinité sortie de la plume et du talent de Georges Rémi : Philippe Goddin, Benoît Peeters, … Dans je ne sais plus quel article, il pousse la confraternité jusqu’à citer le nom de Renaud Nattiez, auteur d’un Mystère Tintin (que je n’ai pas lu) et qui vient de faire paraître Le Dictionnaire Tintin aux trop peu connues du grand public éditions Honoré Champion. J’admire évidemment le travail du monsieur, qui reconnaît d'entrée de jeu sa dette envers plusieurs connaisseurs de Tintin, parmi lesquels on trouve les noms de Goddin, Peeters, Algoud et compagnie. L'œuvre de Hergé a beau être vaste, on se dit que le monde est petit.

DICTIONNAIRE NATTIEZ CHAMPION.jpg

Aucun libraire lyonnais n'a été foutu de me procurer ce bouquin : nul ne connaissait en effet les éditions Champion qui, reconnaissons-le, ne sont pas spécialement connues pour être versées dans la Bande Dessinée.

Je me permets cependant de trouver superfétatoire sa manie de la définition dont il estime utile d’en affubler chacune des entrées (exemple : « Drapeaux : Pièces d’étoffe attachées à une hampe, portant l’emblème, les couleurs d’une nation, d’une unité militaire, d’un organisme, d’un groupe »). Il me semble qu’il aurait pu (et dû) s’en passer. Passons.

bande dessinée,littérature,dictionnaire amoureux plon,dictionnaire amoureux de tintin,dictionnaire amoureux des dictionnaires,alain rey,éditions plon,albert algoud,éditions de l'opportun,petit dictionnaire énervé de tintin,caramba,ramon bada,hergé,tintin,éditions moulinsart,dubout dessinateur,rabelais,jean-baptiste botul,bhl,bernard-henri lévy,frédéric pagès,gorille ranko,oumpah-pah,uderzo goscinny,astérix,serge tisseron,apostolidès,georges rémi,philippe goddin,benoît peeters,renaud nattiez,éditions champion,nattiez le mystère tintin,nattiez dictionnaire tintin,nick rodwell,moulinsart sa,alain bouldouyre,christophe georges colomb,le professeur cosinus

Tombe d'Honoré Champion au cimetière du Montparnasse à Paris (2014).

Quoi qu’il en soit, les visées des deux auteurs sont radicalement hétérogènes, et peut-être incompatibles : autant Albert Algoud s’efforce de nous apprendre le maximum de choses que nous ignorons, lecteurs moyens, quoiqu’assidus, autant Renaud Nattiez s’adresse aux néophytes, qui ne connaissent l’univers de Hergé qu’à travers ce que la rumeur publique en colporte. Nattiez se contente de rassembler, sous la double centaine d'entrées de son ouvrage, les données éparses dans les albums. Que peut-il apporter au petit peuple des élus, à la confrérie des initiés, je veux dire à ceux qui savent ?

Pour finir, une remarque tout de même sur la façon dont les deux dictionnaires sont illustrés : la dictature que fait régner Nick Rodwell, administrateur délégué de Moulinsart SA sur l’héritage de Georges Rémi, allant jusqu’à interdire à quiconque d’utiliser quelque vignette que ce soit de l’œuvre du maître a poussé nos deux auteurs à ruser. Nattiez (éditions Champion) en est réduit à confier à un certain Stanislas la couverture de son ouvrage, tandis que celui d’Albert Algoud est parsemé de vignettes signées Alain Bouldouyre.

D’ici que Tintin tombe dans le domaine public (en 2053), on peut compter sur Nick Rodwell, époux de la veuve, pour remplir plus haut que le bord le bas de laine des ayants-droits de Hergé.

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 18 mai 2017

DÉCOR

003 1.JPG

mercredi, 17 mai 2017

UN ESPOIR ?

Il est un peu tôt pour se prononcer sur ce que peut donner la présidence Macron, et je me laisse peut-être bercer dans l'écume des apparences, mais enfin, je crois percevoir à la surface de l'actualité comme le friselis d'une brise pas trop malodorante. Ce n'est pas encore de l'optimisme, mais. J'ai envie, à tort ou à raison, de me dire que quelque chose est peut-être en train, je ne dis pas de changer : au moins de bouger un peu. Et je l'avoue, j'ai eu tort de traiter le jeune énarque de "baudruche". Certes, les vieilles forces qui ont congelé la vie politique française depuis bientôt quarante ans n'ont pas dit leur dernier mot. Les fossiles de "droite" et de "gauche" n'ont aucune envie d'être collés au musée de paléontologie : ils se cramponnent de toutes leurs griffes au terrain. Est-ce que le frisson qui semble remuer le rideau de fer sera suffisant pour que le sang politique de la France recommence à circuler dans ses artères ? Ce serait déjà énorme. Il faut attendre le deuxième tour des législatives : combien de vieux crocodiles se retrouveront au Palais Bourbon ? On verra.

De toute façon, même si le système politique français reprend vie sous l'indéniable impulsion donnée par le petit Macron, restera son programme économique, et là, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Et je ne parle pas du réformisme sociétal ("progressiste", évidemment) qui anime le nouveau président. 

En attendant les éventuels jours meilleurs, merci de ne pas me réveiller.

mardi, 16 mai 2017

NATURE PAS MORTE

FRUITS2.JPG

Photographie Frédéric Chambe.

lundi, 15 mai 2017

PAYSAGE

MODEM1.JPG

Photographie Frédéric Chambe.

dimanche, 14 mai 2017

LES BELLES HISTOIRES ...

... DE TONTON BÉROALDE.

BEROALDE 6 1 MICHEL RENAUT.jpg

Allégorie du temps. Marque de l'imprimeur Peter Jordan.

**************************

 Histoire de mademoiselle d'Amélie, qui avait un mari impuissant.

A ce propos, je vous dirai de mademoiselle d'Amélie, qui a beaucoup acquis de réputation, ayant hanté la cour toute sa vie, pour ce qu'elle était mariée à un impuissant et elle l'a enduré sans aller à Notre Dame des Aides ou - pour mieux dire - à la cour des aides. Elle n'a tout ce temps-là point mis dedans et si, on ne s'apercevait point de son désastre, pour ce qu'elle le feignait de bonne grâce. Ce premier mari lui a duré dix ans, il faut que vous sachiez cette vérité. Etant mariée à ce bon personnage, la première nuit de ses noces, il la caressa de baisers et de petites mignotises superficielles, et mit la main à une petite paire d'époussettes de soie qui étaient pendues au chevet du lit et lui épousseta son cas, ce qu'il fit deux ou trois fois. Et ainsi, les passant et repassant par son velu d'entre les deux gros orteils, la contentait sans qu'elle y pensât autre finesse. Le lendemain, ses amies lui demandèrent comment elle se portait et ce qu'elle disait de ce bonhomme : « Vraiment, dit-elle, il m'a épousseté trois fois mon cas. - Ho ! ho ! dirent-elles, vous êtes bien, ma mie ». Ainsi font les dames de Paris, et disent à la nouvelle mariée : « Eh bien ! la jeune femme, comment vous portez-vous ? ». Si d'aventure elle est bien graissée à la charnière, elle dira : « Fort bien, madame, Dieu merci ! J'ai un bon mari. Il me donne tout ce que je demande : si je voulais manger de l'or, il m'en donnerait ». Mais si elle est mal servie : « Ardez ! dit-elle, mon mari est un grincheux. Il est chiche et ne fait que penser à son avarice. - Hélas ! voyez, voilà grand-pitié !». Celle-ci n'était pas si fine. Elle ne savait ce que c'était et s'ébahissaient comment les femmes faisaient si grand cas de si peu de chose, qu'elle estimait moins que rien, encore que, au dire des dames, ce fût beaucoup d'excellence.

Mais, après dix ans d' "époussetage de son velu", voilà que le mari tombe malade et finit par mourir. Elle commence par se dire qu'elle n'a pas besoin d'un homme au logis. Mais un beau jeune homme commence à lui tourner autour. Et ce qui la décide à se remarier, c'est qu'il a "un beau chausse-pied de mariage", ce qui veut dire, très concrètement, qu'il est loin d'être pauvre.

Ils furent donc mariés aux us et coutumes du pays, ainsi que le prêtre leur dit (j'y étais) et leur acheva ainsi la benoîte cérémonie : « Vous, Claude, vous promettez bien aimer Marie. Au cas semblable, gouvernerez votre mari, Claude, autant sain que malade, etc. ». Cela promis, la belle emmena son jeune mari en sa maison, où elle lui fit bonne chère, puis ils couchèrent ensemble au lit même où le bonhomme lui avait épousseté son cas. Le jeune homme n'eut pas la patience d'attendre, mais se juche sur elle, qui se trouve toue scandalisée de cette façon : « Quoi ! dit-elle, me voulez-vous outrager ? « Êtes-vous fou ou enragé ? - Je veux vous faire comme votre défunt mari faisait. - Il ne faisait pas ainsi : il prenait ces époussettes et m'en époussetait mon engin. Il ne me foulait pas comme vous faites, il passait et repassait ces époussettes sur le pré de ce petit fossé que j'ai en contrebas. - Vraiment, c'est cela ? Laissez-moi faire : je l'entends mieux que lui. Il n'était pas clerc ! ». Elle s'y accorda et, comme elle sentit l'embrochement entre les hypocondres - chose qui lui était toute nouvelle : « Hélas ! crie-t-elle, mon ami (pensant aux époussettes) je crois que vous avez mis le manche dedans ». Voilà comme il l'accommoda et s'en vanta, et toutefois il n'était pas si bon compagnon qu'il se disait. Je le sus de la femme de chambre qui ouït le discours et les effets. Je lui demandai s'il était vrai qu'il eût frétillenaturé sa femme neuf fois, comme il se vantait. Elle, se moquant, secoua la tête, me disant : « Je voudrais avoir ce qu'il s'en faut ! ». Depuis cette fortune, la demoiselle s'est reconnue et n'a plus été si niaise. De fait, on m'a assuré que, comme les autres, elle aimerait mieux un vit au poing qu'un bourdon sur l'épaule.

Allons, tout est bien qui finit bien.

Note : le "bourdon" est le bâton des pèlerins.

samedi, 13 mai 2017

LES BELLES HISTOIRES ...

BEROALDE 1 POCHE.jpg... DE TONTON BÉROALDE.

Aujourd'hui, une histoire peut-être inspirée des fabliaux du moyen âge.

L’AUTRE : J’en prends à témoin mon compère Livet, procureur au Châtelet de Paris, qui ne laissait jamais son écritoire. Il advint, par malencontre de bas avis, que madame sa femme, voyant un gai, gaillard et jeune Maure, eut envie d’en être couverte. Elle le fit entrer et, pour remédier à un mal d’estomac qu’elle avait, elle le fit coucher sur elle – ce qu’elle en faisait était qu’elle considérait que sa peau, vu sa nation, serait plus chaude que celle d’un Français. Le jeune homme, ayant été là assez longtemps, fut remercié et salarié de son bon office, où il n’y avait point de mal vu que cela tendait à la santé. Mais que c’est des impressions ! Il lui advint que, son mari venant à la copuler, elle, qui se souvint du Maure, en engendra un : ce qui parut quand elle accoucha. Sa commère, voyant à son enfantement cette aventure si noire, l’avisa et la pauvrette lui dit sa friande imagination, à quoi la bonne commère et amie pourvut et s’en alla au Châtelet faire appeler Livet qui, venu, lui dit : « Eh bien ! ma mie, quoi ? Qu’avons-nous ? – Un beau fils, lui dit-elle. Mais, je vous prie, dites-moi en conscience, mon compère, vous n’avez jamais accolé ma commère que vous n’eussiez votre écritoire à votre côté ? – Oh ! que si ai-je ! Plus de trente fois ! – Vraiment, vous avez bien besogné ! Je m’en doutais bien. Voilà ! il est chu de l’encre dedans, si que vous avez fait un enfant noir comme un Maure !

Et pour les vrais amateurs, la fin du chapitre (dans l'édition Lemerre, 1896) : 

BEROALDE 5 CHAPITRE TOME.jpg

J'aurais volontiers rapporté l'histoire de ce "saint personnage" qui se disait sabotier, mais elle est un peu longue. C'est très dommage, car elle est aussi haute en couleur, en odeur et en saveur. Pour résumer, le soir venu, le monsieur demande l'hospitalité chez le Page. La femme, qui est « avaricieuse comme un financier qui a fait ses affaires et n'a point d'enfant », lui ferme la porte au nez, au prétexte de son mari, présenté comme « chiche et grondeur ». Il toque chez la chambrière de Chiquetière, qui lui fait le meilleur accueil. Au matin, en remerciement, il lui déclare : « Je prie le bon Dieu qu'il lui plaise vous bénir, et que la première besogne que vous ferez aujourd'hui lui soit tant agréable que vous ne puissiez tout le jour faire autre chose ». Sa première besogne est de plier du linge, et plus elle en plie, plus il y en a, car il « multipliait au touchement de ses mains ».

La le Page, apprenant cela, se mord les doigts, et essaie de rattraper le coup. Le lendemain, le "saint personnage" lui fait exactement le même compliment. Lui parti, elle fait préparer tout son linge, mais auparavant, elle s'avise « d'aller pisser » pour ne pas être dérangée dans sa tâche. Et que croyez-vous qu'il arriva ? « Mais ce fut ici une efficace terrible, d'autant qu'elle commença pisserie qui continua tout le jour ». Et le soir : « Ses amies, la venant voir et la trouvant ainsi distillant le dissolvant philosophique, lui demandaient : "Hé quoi, ma commère ? - Hélas ! disait-elle, hélas !" ». Le résultat ? « Elle coula force eau, et fit ce ruisseau qui passe au pied des Loges et va jusques aux Indes ».

vendredi, 12 mai 2017

LES BELLES HISTOIRES ...

... DE TONTON BÉROALDE.

Il ne faut pas se formaliser, en lisant Le Moyen de parvenir de Béroalde de Verville (1556-1626), de ce que les noms des personnages qui interviennent dans les joyeux et savants dialogues portent une infinité de noms divers, parmi lesquels on trouve Pétrarque, Paracelse, Erasme, Amyot, Rabelais, Albert le Grand, et tant d’autres plus exotiques ou antiques. A croire que toute l’humanité savante s’est rassemblée ici, pour festoyer et deviser gaiement.

On ne s’étonnera donc pas que l’anecdote qui suit (qu’on pourrait intituler « la dispute de la bouche et du con », comme il y eut, dans des temps plus obscurs, à ce qu'on raconte, des "disputationes" du con et et du cul, travesties en chansons paillardes par la modernité) soit racontée par un certain :

« TITE-LIVE : Par le plus saint faux serment que je fais à la race féminine (qui me nomme "le bonhomme Trompecon") ! j’oubliais mon conte, pensant à la folie que vous faites sur la comparaison du temps passé. Je ne croyais pas que ce qu’il y a mille ans qui est passé et anéanti soit plus vieux que ce qui passe tous les jours et qui va dans le sac de vieillesse, dans l’écrin de l’oubli, et ce qu’on propose de plus ou moins vieux est d’aussi bonne grâce que la question de Martin Chabert, qui aimait trois filles, auxquelles il dit pour arrêt un jour : "Mes fillettes mignonnes, je ne puis vous épouser toutes trois, bien que je vous aime de toute ma loyale fressure [de toutes mes tripes] et plus chacune l’une que l’autre. Je ne sais comme faire, sinon qu’il faut que j’aie à choisir et, pour nous ôter de cette peine, je vous dirai, si vous voulez, un moyen : c’est que j’épouserai celle qui me dira la plus naïve vérité de ce que je lui demanderai". Elles s’y accordèrent. "Or çà ! dit-il, lequel est le plus vieux de votre chose ou de votre bouche ?" J’ai quasi bronché des mâchoires, mais pourquoi dit-on "confiture" ? Que ne dit-on "ficontures" ou "fiturescon" ? Et tant d’autres mots qui commencent ainsi : comme congrégation, conscience …

ELPIS : C’est bien entendu par un philosophe ! Ne savez-vous pas bien qu’il est devant et jamais derrière ? Et pourtant il faut le colloquer en la tête.

– … le charpentier qui demanda au curé : "Pourquoi dites-vous "dominus vobiscum" ? Que ne dites-vous "dominus vobiscul" ? Le curé lui dite : "Pourquoi dites-vous "un compas" ? Que ne dites-vous "un culpas" ?

– Sainte Marande ! vous avez raison, mais faites parler ces filles.

– L’aînée répondit "C’est mon cela qui est le plus vieux, d’autant qu’il a de la barbe et ma bouche n’en a point". La seconde : "C’est ma bouche qui est la plus vieille, parce qu’elle a des dents et mon petit n’en a point". La petite dit : "Je dis comme ma sœur. – Dites donc, mignonne, une belle raison comme nous". Elle pétillait et frétillait comme une marmotte déchaînée : "C’est, dit-elle, ma bouche qui est la plus vieille, pour autant qu’elle est sevrée et mon con tète tous les jours".

– Ha ! ha ! hé !

– Or, devinez, vous autres, et jugez laquelle a le mieux dit, afin que Martin soit le marié comme les autres.

– Jean ! par la certe Dieu ! dit Copeau – aussi était-il tout réformé –, alors, j’aimerais autant ma chambrière qui, nous oyant ainsi discourir, me reprocha que, si ce n’était leur cas, que je ne saurions que dire ! Et là-dessus ma dit : "Vous qui en savez tant, si vous aviez trouvé un con tout seul, que lui diriez-vous ?" ».

Note : Elpis est un mot grec signifiant "espoir". Tous ceux qui ont un jour appris le grec ont croisé cette très vieille blague (qui date forcément d'après l'invention du chemin de fer) : 

"ουκ έλαβον πόλιν αλλα γαρ ελπις εφη κακα"

Phrase qui peut se traduire phonétiquement : "Où qu'est la bonne Pauline ? A la gare, elle pisse et fait caca", et sémantiquement : "Je n'ai pas pris la ville, mais l'espoir a dit des choses fausses".               

jeudi, 11 mai 2017

LA HULOTTE ÉTERNELLE

La Hulotte n'a pas besoin qu'on lui tresse des couronnes de lauriers, ni que l'on fasse son éloge : son existence à elle seule constitue un éloge.

N°6 CRECERELLE.jpg

N°6 (1972, rééd.) : la crécerelle, capable entre autres du vol sur place.

Je ne connais pas Pierre Déom, qui en est le fondateur admirable, le promoteur, l'animateur, le rédacteur, le dessinateur (son dessin à la plume de la martre !!!). Je dirai juste que je ne pourrais pas imaginer de ne pas en recevoir les numéros, aujourd'hui deux fois par an, c'est-à-dire à une cadence plus faible que celle qui fut longtemps la sienne.

N°41 BELETTE HERMINE.jpg

N°41 : la belette et l'hermine.

C'est en 1977 que j'ai pris mon premier abonnement (prix d'une modicité à inspirer pitié) à cette revue, qui reste absolument unique, par son mode d'édition et de fabrication comme par la haute qualité de son contenu.

revue la hulotte,pierre déom,la hulotte des ardennes

N°30 : le héron et le brochet, "pirates d'eau douce".

Ma collection commençait au n°6 (sous le titre de La Hulotte des Ardennes, déjà sise à Boult-au-Bois, 08240), jusqu'à ce que Déom décide de republier les cinq premiers, qui étaient à l'origine au format A4 (et ronéotés, je crois, mais la ronéo est sortie d'usage et de vocabulaire). On arrive au n°105.

N°79 MARTINET.jpg

N°79 : le martinet.

Je n'ai jamais été déçu : au contraire, au fil du temps, j'ai vu s'accentuer le soin apporté par Pierre Déom à la rédaction, à l'illustration, au contenu scientifique et au style, très particulier, jusqu'à faire de la revue une splendide référence de documentation.

N°93 VAUTOUR FAUVE.jpg

N°93 : le vautour fauve.

J'y ai toujours appris énormément de choses, que ce soit sur l'aulne, le faucon pèlerin, le muscardin, le gui, les mustélidés ou le scolyte (alias ips typographe).

N°51 AULNE 1.jpg

N°51 : l'aulne.

Le numéro 105, qui vient d'arriver, est consacré à la chouette chevêche : le plaisir est intact.

N°105 CHEVÊCHE.jpg

N°105 : la chouette chevêche.

Par exemple, le lecteur n'ignorera rien de l'alimentation (tout ce qui est ci-dessous en ombre chinoise) de ce petit oiseau, jusqu'au poussin de chouette chevêche !

N°105.jpg

 

Longue vie à La Hulotte.

mercredi, 10 mai 2017

L’HÉRITIER ?

EMMANUEL HOLLANDE OU FRANÇOIS MACRON ?

HOLLANDE MACRON.jpg

Photo de une du Progrès du 9 mai 2017.

 

Je ne sais pas si je délire ou non, mais je trouve cette photo tout à fait extraordinaire, à cause de la drôle de réflexion qu'elle m'inspire. Elle me donne l'impression qu'un masque tombe : celui de la brouille irrémédiable. On y voit en effet l'ancien et le nouveau se regardant et se souriant, en train d'éprouver un contentement qui m'a semblé authentique. Ce regard et ce sourire m'ont sauté aux yeux à cause de cet air de complète satisfaction mutuelle que j'y ai vu (à tort ou à raison). Si j'avais à imaginer une légende à cette photo (AFP), ce serait un dialogue du genre : « Tu vois, papa, j'y suis arrivé. Je l'ai fait ! - Bravo, fiston, ça a marché. Je savais que je pouvais compter sur toi ! ». Ils sont visiblement satisfaits l'un de l'autre, et pas seulement parce qu'ils commémorent la capitulation allemande en 1945.

Si je n'ai pas les pieds à côté de mes pompes, cela signifie que le capitaine de pédalo, se sentant définitivement (et à raison) grillé, à décidé de faire ce qu'il considère comme un "beau geste", et de transmettre la fonction à un héritier jugé à même de la faire fructifier et prospérer. Mais surtout, si tel était vraiment le cas, cela voudrait dire que les deux compères ont joué devant toute la France un chef d'œuvre de scénario de dissimulation. Alors, comédie, la "trahison" du poulain du président bombardé ministre ? Comédie, l'émotion du président annonçant en décembre qu'il ne se présenterait pas à l'élection ? Si ce n'est pas pure hallucination, alors là, je dis : bien joué ! Et chapeau, les artistes ! Et merci au photographe de l'AFP.

Merci de me dire si je me trompe.

mardi, 09 mai 2017

VIALATTE ET L’IDÉE DE L’ALGÉRIE

littérature,alexandre vialatte,revue le spectacle du monde,vialatte résumons-nous,guerre d'algérie,algérie française,oas,robert bourgine,jean cau,ferhat abbas,abd el kader,bab el oued,france,politique,société,la marseillaise,général de gaulle,général massu,harkis,philippe héduy,lieutenant des taglaïts,ferny besson désert perdu,rapatriés d'algérie,littérature françaiseToujours dans la revue Le Spectacle du monde, en novembre 1962, voici ce qu'Alexandre Vialatte écrit au sujet de l’Algérie (il dit quelque part que sa contribution à la revue s'inscrit dans la rubrique  littéraire : on voit ici que le champ du littéraire est singulièrement élastique) :

« Les Français s’avisèrent, en 1830, qu’il valait mieux gouverner l’Algérie que d’y être vendus sur les marchés d’esclaves. C’était un point de vue. Ils l’adoptèrent. L’Amérique, à l’époque, les en félicita, le monde civilisé les remercia, Abd el-Kader, vaincu, leur apporta son aide, M. Ferhat Abbas apprit la pharmacie. Cent trente ans plus tard, ils trouvèrent qu’une Algérie antifrançaise irait mieux dans "le sens de l’Histoire", et que les Chinois feraient mieux qu’eux. La chose paraissait plus "à gauche". Ce mot de "gauche" emporta tout. Car on accepte à la rigueur d’être accusé d’avoir tué son père, on ne peut pas s’exposer au reproche d’être moins "à gauche" que son voisin. Même s’il faut pour cela soutenir l’assassinat : l’assassinat n’est pas la guerre ; on peut assassiner en restant pacifiste ; l’assassinat ne devient blâmable que pratiqué par des méchants. Et le méchant, c’est l’armée française. Sans armée, en effet, il n’y aurait jamais de guerre. Et puis d’ailleurs, qu’est-ce que ça peut nous faire, puisque ça se passe de l’autre côté de l’eau ? Bref l’idée plut.

Au bout de sept ans d’efforts, de combats, de campagnes de presse, de guillemets déplacés, de citations dirigées, la France a enfin réussi à perdre l’Algérie française. A la suite des victoires d’Oran et de Bab El Oued. Elles furent sanglantes. Aussi la joie régna-t-elle dans le camp des vainqueurs. Les enfants se partageaient le képi du général. Il était lauré de feuilles de chêne. Ils en firent des indigestions. Des harkis furent pelés comme on pèle une carotte, salés comme du jambon et cuits dans une marmite. Ce ne furent plus qu’égorgements, disparitions, espiègleries, accords d’Evian.

Les riches colons rentrèrent en France avec les restes de leur famille. Ils trouvèrent pour les accueillir de vastes terrains vagues où ils plantèrent leurs tentes, de soie et d’or, mal vus par la population qui leur reprochait leurs milliards, l’exploitation des indigènes, plusieurs vols de porte-monnaie, et le cynisme qu’ils avaient eu de naître à Mascara ou Orléansville.

Il ne s’agissait plus que de décoloniser. On sait en quoi la chose consiste : on déboulonne Lesseps, on garde le canal ; on supprime les propriétaires, et on coupe la tête à Jeanne d’Arc.

Il y a neuf millions d’Algériens qui ne doivent la vie qu’à la médecine française. Va-t-on les supprimer aussi ?

Mais à quoi bon donner la vie à tant d’enfants, sans leur offrir avec une situation brillante ? Et c’est pourquoi, devenus grands et nombreux, les enfants battirent leur nourrice. Heureusement, la nourrice entendait merveilleusement la plaisanterie. Elle l’entendit jusqu’à violer la Constitution de son pays pour l’Algérie antifrançaise. Ce qui n’épargna nul massacre. La majorité des députés ne dit mot. Puis renversa le gouvernement, parce qu’elle trouvait qu’il violait la loi sur un autre point. Ce fut en chantant La Marseillaise.

On en est là. Si bien qu’à travers l’événement, la France, aux yeux des députés, apparaît gouvernée, tantôt par un gouvernement légal et par une Constitution factieuse, et tantôt par un chef factieux et par une Constitution légale. Tel est le tableau. J’y mets à peine de mauvaise foi ; et encore, uniquement pour le plaisir de la chose ; pour le principe ; ou pour ne pas être trop sévère : user de la vérité serait un abus de pouvoir.

Ceux qui firent les frais de l’aventure furent les garçons qu’on envoya vaincre et mourir sur les djebels, au nom d’une Algérie qu’on leur enlève ensuite au mépris des serments qu’ils avaient dû donner. Ce fut d’eux qu’on ne parla jamais. Ce furent eux qui n’eurent jamais droit aux sollicitudes de la presse. Masques maigres de sentinelles, figures de proue de l’armée française, sacrifiés de leur génération, ce furent eux qui ne défilèrent pas, afin que la nation ne pût pas les remercier. Ils revoyaient dans leurs cauchemars le chef de douar ou les harkis qu’on avait torturés quand ils étaient partis, en dépit des promesses qu’ils avaient dû leur faire. Ils s’accusaient de complicité d’assassinat. Tel fut le drame. Comment fut-il compris ? La grande presse annonça un jour que le général Massu, qui avait eu pour eux un mot de pitié dans un discours, était privé de homard par le général de Gaulle. Oui, la chose alla jusque-là. De Gaulle étant venu aux manœuvres, Massu ne fut pas invité à sa table où "l’ordinaire avait été amélioré". Il n’eut pas droit au homard mayonnaise. Et la presse en fit quatre colonnes. Et c’est elle qui fait l’opinion.

Ce furent les morts les plus trahis. On leur retira leur raison d’être devenus des cadavres. Offerts à la nuit des djebels et sacrifiés sur la montagne, tués à la balle, mutilés au couteau, ils n’apprirent que du fond de la tombe que ce n’était pas pour la France, mais d’abord que c’était pour rien, ensuite que c’était pour l’ennemi. C’étaient nos fils, c’étaient nos frères. Voilà, disent les discours de la télévision, "ce que nous avons réalisé à travers tant de sang, avec tant de réussite"… ».

Alexandre Vialatte le dit lui-même : il n’écrit pas cela sans une certaine dose de mauvaise foi. Je me garderai de porter un jugement sur le fond. Je me contenterai d’estimer que ce n’est pas ce qu’il a écrit de meilleur, y compris – en dehors de quelques réussites (dont l'énumération - deux octosyllabes approximatifs - qui aboutit aux "accords d'Evian") – dans le style lui-même. Dans un numéro de la même revue, en janvier 1963, il sera encore plus net, voire violent (« La patrie était une famille ; le général de Gaulle était un paladin. Et tout à coup il nous apprend que la patrie est une épicerie dont on lâche le rayon qui ne rapporte rien. Qui se ferait tuer pour une épicerie ? »). Moins violent, certes, que les réalités de cet épisode de l'histoire de France.

Vialatte poursuit sa chronique en commentant à sa façon Au Lieutenant des Taglaïts, de Philippe Héduy qui livre là, selon lui, « témoignage lyrique d’un militaire, documentaire passionné d’une époque, et pièce à conviction fécondement accablante », puis Désert perdu, de son amie Ferny Besson, « fille d’un médecin des oasis », qui « ne vient en France qu’à seize ans », et qui a perdu un fils dans la guerre d’Algérie.

La chronique s’achève sur la longue citation d’un article de Jean Cau paru dans L’Express, dans lequel son auteur jette une déploration sur les dégâts irrémédiables qu’est en train de faire subir à la terre algérienne le départ massif des Européens. Quand on voit, cinquante-cinq ans après la fin de la guerre, l’état d’esprit d’une majorité de la population face aux élections législatives qui viennent d’avoir lieu en Algérie – jouées d’avance, selon plusieurs journalistes et observateurs algériens – peut-on dire qu’il a complètement tort ? Pouvoir et ressources confisqués par une petite secte de seigneurs militaires, population où grouille une jeunesse (le pays a 27,3 ans d'âge moyen en 2014) désillusionnée, désorientée, autant qu'inemployée. Oui, qu'elle doit paraître belle, aux yeux des Algériens d'aujourd'hui, l'indépendance ....... d'avant l'indépendance !

Ils avaient encore au moins la chance de pouvoir combattre un ennemi.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 08 mai 2017

ALORS QUOI, MAINTENANT ?

Ben oui, c'est Macron. Et alors ? C'est bien ce qui était attendu, non ?

Le merveilleux dans l'histoire, c'est que certains osent considérer ce choix comme une victoire, alors même que les électeurs français n'ont jamais autant voté CONTRE. Une VICTOIRE, vraiment, battre Marine Le Pen ? Allons donc. Admettons que bien des gens puissent se sentir aujourd'hui soulagés et rassurés. Mais une victoire ? Franchement, qu'est-ce qui a changé ? En tout cas, sûrement pas la situation, je veux dire l'état général du pays, avec sa masse de pauvres et ses régions désindustrialisées. Ce qui n'a pas changé, ce sont donc en effet tous les facteurs qui ont favorisé la montée du Front National. Marine Le Pen n'a pas eu tort, hier soir, de se féliciter de son résultat : elle a cinq ans devant elle pour préparer son accès au pouvoir. Si la Machine à fabriquer le Front National continue sur sa lancée, on peut déjà prévoir l'issue de 2022. On se souviendra alors de Soumission, le roman de Michel Houellebecq paru en 2015.

Je veux bien croire qu'Emmanuel Macron est plein de bonne volonté. J'espère qu'il a l'intention de changer quelque chose aux causes qui ont produit Le Pen au second tour, mais d'abord, dans quelle direction ? Et puis surtout, le pourra-t-il ? Avec qui va-t-il travailler ? S'il le fait avec les vieux crocodiles qui peuplent le marigot français depuis quarante ans, on peut déjà dire que les jeux sont faits. Il y a une chance, du côté du nouveau président, s'il arrive à faire élire des députés en nombre suffisant qui ne traînent pas le lourd passé des Fillon, Mélenchon, Valls, Le Drian, Lemaire et compagnie. S'il arrive à constituer une Chambre entièrement neuve. Et ça, c'est loin d'être gagné : les grandes manœuvres ont déjà commencé pour circonvenir et circonscrire le petit nouveau. Les résistances sont déjà en place, et bien enracinées dans le paysage. Les vieux crocodiles et autres grands prédateurs politiques ne vont pas se laisser tanner le cuir sans réagir : ils ont encore des crocs. Ce qu'il reste du Parti Socialiste et de l'ex-UMP (je ne digère pas "les républicains") a encore des structures et des réseaux. Et ça, ça ne s'efface pas d'un coup d'éponge. 

Attendons de voir ce dont est capable ce petit jeune, brillant pianiste paraît-il. Je suis prêt à tout, y compris à être DÉÇU EN BIEN. Ce sera le cas s'il parvient à mettre en panne la Machine à fabriquer Le Pen, et si, grâce à lui, s'ouvre une perspective d'avenir un peu désirable. S'il y arrive, ce sera un véritable grand exploit sportif, que je serai tout prêt à saluer très très bas.

Sans préjuger de l'avenir et du possible, je souhaite à Emmanuel Macron bien du courage, de l'énergie, de la justesse dans le jugement et du pouvoir de persuasion.

dimanche, 07 mai 2017

HISTOIRE DE LA BELLE IMPERIA

Où il est traité des "pets" d'une Italienne. 

Un autre épisode aujourd’hui tiré du Moyen de parvenir, ce réservoir inépuisable de gai savoir. Ce n’est pas par hasard que son auteur, Béroalde de Verville, ce bon vivant et savant homme, le place sous le haut patronage d’un maître illustrissime : « Pour le prouver, j’ai le père Rabelais, le docte, qui fut médecin de monsieur le cardinal du Bellay ».

Cette révérence lui donne l’occasion de raconter comment Rabelais s’y prend pour ridiculiser un collège de savants Diafoirus médicastres, dont il prend au pied de la lettre le conseil de donner au cardinal une médecine qui soit apéritive, c’est-à-dire, au sens propre, destinée à ouvrir (l’appétit). Or, selon lui, rien n’est plus à même d’ouvrir qu’une clé. Pour ce motif, il rassemble une ample collection de clés qu'il met à bouillir dans une marmite en touillant cérémonieusement avec un bâton "jusqu'à la cuisson". On sait combien Rabelais aimait jouer sur et avec les mots. Que l'anecdote soit authentique ou non, elle donne un aperçu de l’esprit qui gouverne cette littérature : bien savoir ne va pas sans bien vivre, et se comporter avec sérieux ne veut pas dire se prendre au sérieux, qui confine parfois au crétinisme de l'intelligence. La vraie science est certes rationnelle, mais aussi et d'abord conviviale. On dit aussi "humaniste".

Le présent extrait, inutile de dire qu’on ne le trouve pas dans les Lagarde-et-Michard anciens ou nouveaux. C’est dommage : ce serait peut-être un moyen d’amener les adolescents à mettre le nez (voir ci-dessous !) dans la haute littérature. On m’excusera j'espère d’avoir cru préférable de moderniser le vocabulaire propre à l’époque ("embouche", "bagonisier", "momentaire", etc. : le livre fut publié en 1616) pour le rendre directement intelligible.

« Et, afin que je vous en informe, je vous mets devant le nez cette belle fleur, la couronne impériale, qui naquit d’une vesse que fit une grand-dame, étant fille et belle : après avoir mangé des confitures musquées, elle fit un cabriole qui causa ce bel accident. L’original en est sorti du cabinet de notre Ambroise Paré.

Je le vous prouverai par le sieur de Lierne, gentilhomme français, lequel étant couché avec une courtisane à Rome, y fut pris. Elle, comme les chastes courtisanes le savent pratiquer, avait amassé de petites pellicules, légère comme celle des poules, fines et délicates, les avait emplies de vent musqué selon l’artifice des parfumeurs. La belle Impéria ayant quantité de telles ballottes, tenant le gentilhomme entre ses bras, se laissait aimer. Ainsi que ces deux amants temporels pigeonnaient la mignotise d’amour, affilant le bandage, la dame, détournant sa main, mit une petite vessie en état et, d’un coup de fesse, la fit éclater, de sorte que la petite ballotte se résolut en la figure auditive d’un pet. Le gentilhomme, l’ayant ouï, voulut retirer son nez du lit pour lui donner air. "Ce n’est pas ce que vous pensez, dit-elle : il faut savoir avant que craindre". A cette persuasion, il reçut une odeur agréable et contraire à celle qu’il présumait : ainsi, il reçut ce parfum avec délectation. Ce qu’ayant reçu d’abondant plusieurs fois, il s’enquit de la dame si tels vent procédaient d’elle, qui sentaient si bon, vu que celui qui glissait des parties inférieures des dames françaises était assez puant et abominable. A quoi elle répondit, avec un frétillement philosophique, que le naturel du pays et de la nourriture aromatique faisait que les dames italiennes – qui usent de délices odoriférantes – en rendaient la quintessence par le cul, ainsi que par le bec d’une cornue. "Vraiment, répondit-il, nos dames ont bien un autre naturel de pets !". Il vint qu’après quelques musquetades [jeu de mots sur "mousquet" et "musqué"], par circonstance de vent trop enfermé, Impéria fit un pet au naturel – non seulement, mais vrai et substantiel. Le Français accoutumé par le nez à la chasse des pets – de là vient le proverbe "mené par le nez" –, oyant ce corps sensuel et momentané, jeta en diligence le nez sous le linceul afin d’appréhender la benoîte odeur, pour laquelle envahir il eût voulu être tout de nez. Mais il fut trompé : il en recueillit avec le nez plus que vous n’en feriez avec quatorze pelles de bois telles qu’on mesure le blé à Orléans. Et quoi ? une odeur tant infecte, venue du plus fin endroit de l’établissement de la merde, que vesse ne fut jamais si puante : "Ô Dame, qu’avez-vous fait ? ". Encore, en ouvrant la bouche, il y entra une halenée humide qui lui parfuma merdeusement tout le palais. Elle répondit : "Seigneur, c’est une petite galantise pour vous remettre en goût de votre pays" ».