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mardi, 09 mai 2017

VIALATTE ET L’IDÉE DE L’ALGÉRIE

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« Les Français s’avisèrent, en 1830, qu’il valait mieux gouverner l’Algérie que d’y être vendus sur les marchés d’esclaves. C’était un point de vue. Ils l’adoptèrent. L’Amérique, à l’époque, les en félicita, le monde civilisé les remercia, Abd el-Kader, vaincu, leur apporta son aide, M. Ferhat Abbas apprit la pharmacie. Cent trente ans plus tard, ils trouvèrent qu’une Algérie antifrançaise irait mieux dans "le sens de l’Histoire", et que les Chinois feraient mieux qu’eux. La chose paraissait plus "à gauche". Ce mot de "gauche" emporta tout. Car on accepte à la rigueur d’être accusé d’avoir tué son père, on ne peut pas s’exposer au reproche d’être moins "à gauche" que son voisin. Même s’il faut pour cela soutenir l’assassinat : l’assassinat n’est pas la guerre ; on peut assassiner en restant pacifiste ; l’assassinat ne devient blâmable que pratiqué par des méchants. Et le méchant, c’est l’armée française. Sans armée, en effet, il n’y aurait jamais de guerre. Et puis d’ailleurs, qu’est-ce que ça peut nous faire, puisque ça se passe de l’autre côté de l’eau ? Bref l’idée plut.

Au bout de sept ans d’efforts, de combats, de campagnes de presse, de guillemets déplacés, de citations dirigées, la France a enfin réussi à perdre l’Algérie française. A la suite des victoires d’Oran et de Bab El Oued. Elles furent sanglantes. Aussi la joie régna-t-elle dans le camp des vainqueurs. Les enfants se partageaient le képi du général. Il était lauré de feuilles de chêne. Ils en firent des indigestions. Des harkis furent pelés comme on pèle une carotte, salés comme du jambon et cuits dans une marmite. Ce ne furent plus qu’égorgements, disparitions, espiègleries, accords d’Evian.

Les riches colons rentrèrent en France avec les restes de leur famille. Ils trouvèrent pour les accueillir de vastes terrains vagues où ils plantèrent leurs tentes, de soie et d’or, mal vus par la population qui leur reprochait leurs milliards, l’exploitation des indigènes, plusieurs vols de porte-monnaie, et le cynisme qu’ils avaient eu de naître à Mascara ou Orléansville.

Il ne s’agissait plus que de décoloniser. On sait en quoi la chose consiste : on déboulonne Lesseps, on garde le canal ; on supprime les propriétaires, et on coupe la tête à Jeanne d’Arc.

Il y a neuf millions d’Algériens qui ne doivent la vie qu’à la médecine française. Va-t-on les supprimer aussi ?

Mais à quoi bon donner la vie à tant d’enfants, sans leur offrir avec une situation brillante ? Et c’est pourquoi, devenus grands et nombreux, les enfants battirent leur nourrice. Heureusement, la nourrice entendait merveilleusement la plaisanterie. Elle l’entendit jusqu’à violer la Constitution de son pays pour l’Algérie antifrançaise. Ce qui n’épargna nul massacre. La majorité des députés ne dit mot. Puis renversa le gouvernement, parce qu’elle trouvait qu’il violait la loi sur un autre point. Ce fut en chantant La Marseillaise.

On en est là. Si bien qu’à travers l’événement, la France, aux yeux des députés, apparaît gouvernée, tantôt par un gouvernement légal et par une Constitution factieuse, et tantôt par un chef factieux et par une Constitution légale. Tel est le tableau. J’y mets à peine de mauvaise foi ; et encore, uniquement pour le plaisir de la chose ; pour le principe ; ou pour ne pas être trop sévère : user de la vérité serait un abus de pouvoir.

Ceux qui firent les frais de l’aventure furent les garçons qu’on envoya vaincre et mourir sur les djebels, au nom d’une Algérie qu’on leur enlève ensuite au mépris des serments qu’ils avaient dû donner. Ce fut d’eux qu’on ne parla jamais. Ce furent eux qui n’eurent jamais droit aux sollicitudes de la presse. Masques maigres de sentinelles, figures de proue de l’armée française, sacrifiés de leur génération, ce furent eux qui ne défilèrent pas, afin que la nation ne pût pas les remercier. Ils revoyaient dans leurs cauchemars le chef de douar ou les harkis qu’on avait torturés quand ils étaient partis, en dépit des promesses qu’ils avaient dû leur faire. Ils s’accusaient de complicité d’assassinat. Tel fut le drame. Comment fut-il compris ? La grande presse annonça un jour que le général Massu, qui avait eu pour eux un mot de pitié dans un discours, était privé de homard par le général de Gaulle. Oui, la chose alla jusque-là. De Gaulle étant venu aux manœuvres, Massu ne fut pas invité à sa table où "l’ordinaire avait été amélioré". Il n’eut pas droit au homard mayonnaise. Et la presse en fit quatre colonnes. Et c’est elle qui fait l’opinion.

Ce furent les morts les plus trahis. On leur retira leur raison d’être devenus des cadavres. Offerts à la nuit des djebels et sacrifiés sur la montagne, tués à la balle, mutilés au couteau, ils n’apprirent que du fond de la tombe que ce n’était pas pour la France, mais d’abord que c’était pour rien, ensuite que c’était pour l’ennemi. C’étaient nos fils, c’étaient nos frères. Voilà, disent les discours de la télévision, "ce que nous avons réalisé à travers tant de sang, avec tant de réussite"… ».

Alexandre Vialatte le dit lui-même : il n’écrit pas cela sans une certaine dose de mauvaise foi. Je me garderai de porter un jugement sur le fond. Je me contenterai d’estimer que ce n’est pas ce qu’il a écrit de meilleur, y compris – en dehors de quelques réussites (dont l'énumération - deux octosyllabes approximatifs - qui aboutit aux "accords d'Evian") – dans le style lui-même. Dans un numéro de la même revue, en janvier 1963, il sera encore plus net, voire violent (« La patrie était une famille ; le général de Gaulle était un paladin. Et tout à coup il nous apprend que la patrie est une épicerie dont on lâche le rayon qui ne rapporte rien. Qui se ferait tuer pour une épicerie ? »). Moins violent, certes, que les réalités de cet épisode de l'histoire de France.

Vialatte poursuit sa chronique en commentant à sa façon Au Lieutenant des Taglaïts, de Philippe Héduy qui livre là, selon lui, « témoignage lyrique d’un militaire, documentaire passionné d’une époque, et pièce à conviction fécondement accablante », puis Désert perdu, de son amie Ferny Besson, « fille d’un médecin des oasis », qui « ne vient en France qu’à seize ans », et qui a perdu un fils dans la guerre d’Algérie.

La chronique s’achève sur la longue citation d’un article de Jean Cau paru dans L’Express, dans lequel son auteur jette une déploration sur les dégâts irrémédiables qu’est en train de faire subir à la terre algérienne le départ massif des Européens. Quand on voit, cinquante-cinq ans après la fin de la guerre, l’état d’esprit d’une majorité de la population face aux élections législatives qui viennent d’avoir lieu en Algérie – jouées d’avance, selon plusieurs journalistes et observateurs algériens – peut-on dire qu’il a complètement tort ? Pouvoir et ressources confisqués par une petite secte de seigneurs militaires, population où grouille une jeunesse (le pays a 27,3 ans d'âge moyen en 2014) désillusionnée, désorientée, autant qu'inemployée. Oui, qu'elle doit paraître belle, aux yeux des Algériens d'aujourd'hui, l'indépendance ....... d'avant l'indépendance !

Ils avaient encore au moins la chance de pouvoir combattre un ennemi.

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 23 juin 2012

LISEZ TOUS LES NOMS, MONSIEUR LE MAIRE !

Merci à Philippe Meyer, centriste multicarte par ailleurs, mais aussi amateur et militant (et chanteur lui-même, et grand connaisseur) de la chanson française, l’autre matin, sur France Culture. A l’occasion de la mort de l’un d’eux, il a égrené les noms des « Compagnons de la Libération » qui sont encore en vie à ce jour. Les très rares (1038 au total, avouez que ça ne fait pas lourd) qui ont rejoint, parfois de façon assez « acrobatique », le Général De Gaulle à Londres, juste après avoir entendu son appel, lancé le 18 juin 1940, sur « Radio Londres ».

 

Voici les noms de ces Compagnons de la Libération survivants : HENRI BAUGE-BERUBE, GUY CHARMOT, DANIEL CORDIER, LOUIS CORTOT, YVES DE DARUVAR, VICTOR DESMET, CONSTANT ENGELS, ALAIN GAYET, HUBERT GERMAIN, CHARLES GONARD, JACQUES HEBERT, PAUL IBOS, FRANÇOIS JACOB, PIERRE LANGLOIS, CLAUDE LEPEU, LOUIS MAGNAT, JEAN-PIERRE MALLET, FRED MOORE, ROLAND DE LA POYPE, CLAUDE RAOUL-DUVAL, ANDRÉ SALVAT, ETIENNE SCHLUMBERGER, PIERRE SIMONET, JEAN TRANAPE, EDGAR TUPÊT-THOMÉ, ANDRÉ VERRIER.

 

Bon, c’est vrai, c’est sans doute héroïque, mais le hasard n’est pas pour rien dans cette affaire, car on se demande combien de Français l’ont entendu, l’Appel du 18 Juin 1940. Ils auraient été combien, si tout le monde en France avait été devant sa radio, allumée sur la bonne longueur d’onde, à la bonne heure ?

 

Et à l'époque, il n’y avait pas de réécoute, de podcast, de téléchargement possibles. Ils ont été 1038 à sauter le pas : je dis bravo, même si je trouve qu’il ne faudrait pas trop en faire autour de ce fait somme toute, au moins concrètement, anecdotique. Mais DE GAULLE avait besoin de faire mousser son mythe. Et pour la propagande, il se posait un peu là, CHARLOT. Reste qu’il fallait avoir le culot de le faire, quoi qu’on dise. Sans lui, on ne serait pas « en Germanie », comme le chantait MICHEL SARDOU (« Si les Ricains n’étaient pas là »), mais en Américanie. Remarquez, l’Américanie, on y est venu ensuite.

 

Quoi qu’il en soit, on ne dira jamais assez combien est important le nom de l’homme qui porte son nom. Les anthropologues ou les zoologues n’ont peut-être pas assez souligné, à ce jour, que ce qui sépare le règne animal du règne humain, c’est la capacité, entre les individus, non seulement de se reconnaître entre eux, mais encore de se nommer les uns les autres. Pourquoi croyez-vous que, dans ce blog, je me donne la peine de mettre des majuscules aux noms des personnes, chaque fois que je parle des personnes, y compris celles que je n'aime pas ? Parce que finalement, c'est du boulot, de mettre les majuscules. Mais je me dis que, non seulement ça vaut le coup, mais c'est essentiel.

 

Les Juifs, au mémorial Yad Vashem, ont compris l’importance qu’il y a à lire les noms. Ils savent que c’est le seul moyen, après leur mort, de continuer à affirmer que des individus ont été vivants. Et il y en a 6.000.000. C’est comme ça, et pas autrement, que nous, Français, devrions procéder, à chaque 11 novembre, devant chacun des 36.000 monuments élevés, dans nos 36.000 communes, à chacun des 1.712.000 individus morts durant les quatre ans de la 1ère guerre mondiale.

 

Des individus, voilà ce que nous sommes. Et la barbarie, pour commencer le 20ème siècle, a été la tentative effectuée par une prétendue civilisation d’effacer la notion d’individu, en inventant le massacre industriel, le massacre de masse d’individus qu’on aurait voulu transformer en machines ou en matière. Un Hiroshima étendu sur quatre ans, quoi. Hiroshima, en somme, a eu le mérite de l'instantanéité. De la rentabilité, si l'on veut. Car quatre ans, ça coûte un prix fou. L'endettement de la France, en 1919, était de 120 % du PIB. A comparer aux 85 % actuels, vendus dans les médias comme déjà catastrophiques.

 

« Il faut saigner l’armée française », disait FALKENHAYN, juste avant l’énorme bataille de Verdun, en 1916, qui fit en 10 mois 715.000 victimes (tout compris : tués, blessés, disparus) allemandes et françaises, avec le léger avantage de 41.000 aux Français. Cela n’a pas empêché FALKENHAYN de croire jusque sur son lit de mort qu’il avait « saigné l’armée française », et pas l’armée allemande par la même occasion. Si ça se trouve, il le croit encore.

 

Ce qui me semble désolant, à chaque 11 novembre, devant le monument aux morts, ou devant la « tombe du Soldat Inconnu », ou à Douaumont ou ailleurs, c’est le côté militaire et anonyme de la commémoration. Il y a le maire du village, certes, mais il y a aussi des drapeaux, et même des Anciens Combattants, souvent coiffés de leur béret rouge, vert ou noir, et arborant leurs décorations. Je suis désolé : l'ancien combattant d'Algérie ou d'Indochine, le 11 novembre, c'est pire qu'une erreur, c'est carrément un contresens.

 

Car ce faisant, ce qu’on oublie, ce sont tout simplement les NOMS des hommes de 14-18 creusés dans la pierre du monument aux morts. Alors même que ce sont eux l’essentiel. C’est parce qu’ils sont gravés là qu’il y a ce rassemblement municipal. Les noms des gars du coin, pour la plupart des paysans, sans doute (en 1896, la France agricole comptait, pour une population globale d’environ 40.000.000, plus de 8.000.000 de personnes actives, dont pas loin de 6.000.000 d’hommes, à comparer aux actuels 400.000 (environ) agriculteurs). 

 

Comment leur rendre hommage ? Comment se souvenir d’eux ? C’est très simple : en prononçant leurs noms, tous leurs noms, à haute et intelligible voix. Et s’il vous plaît, ne vous défaussez pas, ne vous débarrassez pas du poids du fardeau, en déléguant la tâche, en les faisant prononcer par les « enfants des écoles » : montrez-leur, aux enfants, que c’est important pour vous. Les enfants des écoles, c'est juste bon pour amuser la galerie, attendrir la populace. Les gamins, ils ne comprennent pas, ils font ce qu'on leur dit. Cela n'a aucun sens. En plus, à la lecture, ils hésitent, ils estropient, ils bafouillent.

 

 

Monsieur le Maire, prononcez-les vous-même, joignez-y le Conseil Municipal, les pompiers, les gendarmes, je ne sais pas, mais que ce soient les autorités officielles qui disent les noms. RIEN N'EST PLUS IMPORTANT QUE LE NOM.

 

Prouvez-leur, aux enfants, que c’est vous qui vous souvenez, et que ça compte pour vous. Ça, oui, ça aura plus l’air d’une vraie transmission que de l'accomplissement d'une corvée. Alors c’est sûr, ce sera différent dans le tout petit patelin (4 noms) et dans les grandes villes (plusieurs centaines, qui sait, plusieurs milliers). Moi je dis : et alors ? Est-ce qu'on ne leur doit pas quelque chose ?

 

Et ne noyez pas le poisson dans le bouillon de « toutes les guerres », cette espèce de brouillard du sens où tout est dans tout et réciproquement, le « toutes les guerres » des bonnes intentions, des bons sentiments et du n’importe quoi. Le 11 novembre appartient, qu’on se le dise, à la GUERRE DE 1914-1918, et uniquement à celle-ci. Il ne faut pas apporter là la confusion des généralités vagues.

 

Voilà ce que je dis, moi.