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mardi, 20 septembre 2022

TINTIN ET LES "BIG FIVE"

Je dédie ce petit billet à Albert Algoud [s'il veut bien l'agréer], maître en tintinologie, tintinophilie, voire tintinopathie, dont je ne me lasse pas de me régaler du Dictionnaire amoureux de Tintin (Plon, 2016).

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Les amateurs de chasses exotiques — vous savez, les Tartarins à casque colonial et peau blanche qui, en arborant leur Francotte 600 Nitro express,

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posaient fièrement la botte sur le buffle terrassé devant l'objectif du photographe, couronnement du safari africain — savent ce que sont les "big five" : les cinq grands animaux, enfin, je veux dire leurs "trophées", dont il était bon de décorer les murs du salon, comme on le voit à la page 19 des Sept boules de cristal, chez Monsieur Marc Charlet, baroudeur et homme d'action, et l'un des explorateurs de la malheureuse expédition Sanders-Hardmuth.

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Les Big Five, ils sont cinq, comme leur nom l'indique : l'éléphant, le buffle, le rhinocéros, le lion et le guépard (certains disent le léopard).

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Page 39.

Dans le si décrié et controversé album Tintin au Congo, de multiples plumes ont relevé la désormais honteuse (hou-hou-hooooouuuuu ! Vous entendez déjà, dans l'assistance, les huées des moralistes et des bonnes âmes rétrospectifs) ambiance colonialiste (« Li missié blanc li boula-matari ! ») dans laquelle toute l'histoire nous est racontée par un Hergé pas très vieux (1931). Même que l'excellent Philippe Goddin, dans son excellent ouvrage Les Tribulations de Tintin au Congo (Casterman, 2018), ne cesse, jusqu'à s'en meurtrir le sternum, de battre la coulpe d'Hergé et de l'Occident réunis, dans l'espoir de faire pardonner la collection des avanies et crimes commis par les Blancs à l'encontre des Noirs au cours de l'Histoire. 

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Page 58.

C'en est au point que les "mea culpa" finiraient par occuper tout le terrain, occultant d'autres manières d'aborder le célèbre volume. D'autres thèmes devraient pourtant être en mesure de retenir l'attention des lecteurs, à commencer par la relation que Tintin entretient avec un certain nombre d'espèces animales proprement africaines. Et ce n'est pas cela qui manque.

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Page 56.

Cela commence par le crocodile (« Zut ! plus de cartouches ! ») dont le héros bloque la mâchoire au moyen de son fusil, continue avec l'étrange extermination d'un troupeau d'antilopes, se poursuit avec le déguisement de Tintin en chimpanzé. Défilent ensuite un boa (fusillé à bout portant), une escadrille de crocodiles à l'appétit féroce, un autre boa (?) qui s'apprête à digérer Milou (qui lui apprend à marcher), un léopard apprivoisé qui vient déranger un cours d'arithmétique, un éléphant adroitement trucidé par un singe, un hippopotame à ressort, d'autres crocodiles qui règlent son compte au bandit, un autre léopard, sauvage celui-ci, des girafes que le reporter parvient à filmer de près en se déguisant en l'une d'elles par effraction, un rhinocéros dont Tintin éparpille la masse façon puzzle et un buffle aux cornes duquel il échappera en s'agrippant à une échelle opportunément descendue du ciel. Je crois que c'est tout, si l'on excepte le flamant rose et les deux petits cabots qui ornent l'ultime et géante vignette.

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Page 22.

On voit donc qu'il n'y a pas que le colonialisme : Tintin se rend aussi coupable de graves atteintes à la faune. Dit plus simplement, si son héros ne croise pas la route d'une faune africaine exhaustive, Hergé tient à familiariser son lecteur avec un nombre non négligeable d'espèces. On ne s'étonnera pas que, parmi elles, figurent au complet les cinq divinités peuplant le panthéon des safaristes et autres chasseurs : les fameux "Big Five". Je n'insiste pas sur le sort en général peu enviable qui guette ces superbes grosses bêtes, que ce soit dans la B.D. ou dans la réalité réelle..

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Page 54.

Alors, guépard ou léopard ? Même le Grand Robert est flou.

On ne demande pas, en 1931, à un héros de bande dessinée de militer pour la biodiversité et la protection des espèces menacées. Pas parce qu'on ne veut pas, mais parce qu'on ne sait pas. Pas plus qu'on n'exige de sa part qu'il échappe au contexte éminemment colonial et colonialiste dans lequel baignait l'entière époque dans laquelle il a vu le jour (la dernière "Exposition Coloniale" eut lieu en 1948).

On peut quand même s'interroger sur le peu d'empressement montré par les associations animalières, antispécistes, végétariennes, anti-chasses et anti-corridas, qui auraient eu bien des motifs de se porter parties civiles dans les actions intentées en justice par le C.R.A.N. et autres officines semblables contre le deuxième album des aventures de Tintin (après les Soviets).

Je me dis qu'elles ont sans doute préféré s'effacer courtoisement et laisser le champ libre, d'une part aux anti-racistes bien propres sur eux, aux "décolonialistes" revanchards et aux anti-esclavagistes avides de venger leurs ancêtres, et d'autre part aux braconniers professionnels, qui disposent d'un armement moderne et sophistiqué, avec lequel ils écument depuis longtemps les réserves africaines pour procurer à une riche clientèle (asiatique en grande partie) mains de gorilles aphrodisiaques, cornes de rhinocéros aphrodisiaques, défenses d'éléphants ornementales et autres peaux de léopards plus ou moins vestimentaires. Encore un peu de temps et de laisser-faire, et le problème ne se posera plus. 

***

Note : Que les mânes d'Hergé veuillent bien me pardonner : je me suis permis de "nettoyer" ces quelques vignettes de ce que je considère comme divers "scories" et artifices graphiques, pour mieux faire ressortir l'art de ce maître absolu du trait.

vendredi, 19 mai 2017

ARTICLE TINTIN

La collection des Dictionnaires amoureux (éditions Plon) est désormais, et depuis longtemps, confortablement installée dans le paysage de la librairie française. Il en a paru une centaine. Je m'en suis procuré deux, pour la simple raison que le "concept" me rase a priori. Peut-être à tort. Aucun sujet n'est apparemment proscrit. Alain Rey a même confectionné un savoureux Dictionnaire amoureux des dictionnaires. En 2016, Albert Algoud, un fou de BD, ou plutôt tintinophile enragé, ce qui est à la fois plus restrictif et plus ambitieux, a à son tour publié, après son Petit dictionnaire énervé de Tintin (éd. De l’Opportun, 2010) un formidable Dictionnaire amoureux de Tintin : une vraie mine à ciel ouvert.

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On y trouve en effet une foule de pépites. Par exemple, on apprend que le « Caramba » proféré à plusieurs reprises, entre autres, par Ramon Bada dans L’oreille cassée, en dehors de signifier « sapristi », « flûte » ou « zut », a pour étymologie un mot (« carajo ») qui « désigne le membre viril ». Il n’est pas sûr que Hergé se soit avisé de la chose avant d’en faire usage (ni d’ailleurs que dans l’affirmative il aurait choisi autre chose).

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Le ton souvent personnel d’Albert Algoud convient parfaitement au sujet qu’il s’est proposé, et c’est presque naturellement qu’on voit apparaître des sujets dont la connexion à l’univers de Hergé ne saute pas aux yeux. Ainsi voit-il dans certaines vignettes spécialement surchargées de détails un discret hommage au style bien particulier du dessinateur Dubout. Il commence l’article à lui consacré par un souvenir. Ses grands-parents possédaient une gravure de Dubout, intitulée "Fête au village" : « Evidemment, j’avais remarqué tout particulièrement dans l’encadrement d’une fenêtre aux volets entrebâillés cette jeune femme à demi dénudée lutinée par un moustachu apoplectique ». Esprit de Rabelais, es-tu là ?

Albert Algoud ne dédaigne pas, pour s’amuser ou pour remplir le cahier des charges (un respectable volume de 800 pages), de glisser dans ses pages des articles qui font diversion. Par exemple, le nom de Wronzoff, un des méchants de l’Île noire (le seul à être en mesure de se faire obéir du gorille Ranko), sert de prétexte à un délire sur le nom de Voronoff, un chirurgien français célèbre dans les années 1920, qui pratiquait des opérations à partir de testicules de singe sur une clientèle masculine qui pensaient retrouver de la « vigueur », parmi laquelle il se plaît à placer le philosophe fictif Jean-Baptiste Botul (personnage inventé par Frédéric Pagès), célèbre pour avoir « enduit d’erreur » l’imbu et imbuvable Bernard-Henri Lévy en personne. On pardonnera cet excursus à l'auteur.

On dira que je cherche vraiment la petite bête, mais je ne peux m’empêcher de signaler à monsieur Algoud une erreur dans l’article Cartoffoli, l’Italien qui roule en « Lancia Aurelia B20 GT coupé de couleur bordeaux » dans L’Affaire Tournesol, et qui possède le nom le plus long de toute l'histoire de la BD (avec la kyrielle des prénoms qu'il débite au gendarme qui l'a arrêté. En effet, parmi ces noms , il cite le vieil Indien d’Oumpah-pah (Goscinny et Uderzo, avant Astérix) N’a-qu’une-dent-mais-elle-est-tombée-alors-maintenant-n’en-a-plus, mais il orthographie mal, comme je le montre ci-dessous, le nom du « chevalier prussien », l’Allemand qui fait face au Français De la Pâte Feuilletée.

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Et non pas Katzen...etc., monsieur Algoud, sauf votre respect. Le nom du "chevalier prussien" vaut celui dont le savant Cosinus baptise son invention cyclable, je parle évidemment de l'anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle (ci-dessous). J'avoue qu'il faut un certain entraînement pour le prononcer d'une seule coulée.

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Cela n’enlève rien à l’inépuisable savoir d’Albert Algoud en matière de tintinologie, qui rassemble, dans ce Dictionnaire amoureux de Tintin, une masse d’informations indispensables. J’ajoute que c’est un ouvrage d’une hospitalité et d’une convivialité hautement recommandables : s’il égratigne tant soit peu les psychanalystes de Tintin (Tisseron, Apostolidès, …), c’est qu’il ne supporte pas la sotte cuistrerie et la fatuité pédante de tous ceux qui affirment détenir le savoir. Face à la sécheresse universitaire (et au Savoir en général), il est indispensable de rester sceptique, voire narquois.

En revanche, l’auteur rend un hommage appuyé à tous les conviviaux qui ont servi humblement et fidèlement la divinité sortie de la plume et du talent de Georges Rémi : Philippe Goddin, Benoît Peeters, … Dans je ne sais plus quel article, il pousse la confraternité jusqu’à citer le nom de Renaud Nattiez, auteur d’un Mystère Tintin (que je n’ai pas lu) et qui vient de faire paraître Le Dictionnaire Tintin aux trop peu connues du grand public éditions Honoré Champion. J’admire évidemment le travail du monsieur, qui reconnaît d'entrée de jeu sa dette envers plusieurs connaisseurs de Tintin, parmi lesquels on trouve les noms de Goddin, Peeters, Algoud et compagnie. L'œuvre de Hergé a beau être vaste, on se dit que le monde est petit.

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Aucun libraire lyonnais n'a été foutu de me procurer ce bouquin : nul ne connaissait en effet les éditions Champion qui, reconnaissons-le, ne sont pas spécialement connues pour être versées dans la Bande Dessinée.

Je me permets cependant de trouver superfétatoire sa manie de la définition dont il estime utile d’en affubler chacune des entrées (exemple : « Drapeaux : Pièces d’étoffe attachées à une hampe, portant l’emblème, les couleurs d’une nation, d’une unité militaire, d’un organisme, d’un groupe »). Il me semble qu’il aurait pu (et dû) s’en passer. Passons.

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Tombe d'Honoré Champion au cimetière du Montparnasse à Paris (2014).

Quoi qu’il en soit, les visées des deux auteurs sont radicalement hétérogènes, et peut-être incompatibles : autant Albert Algoud s’efforce de nous apprendre le maximum de choses que nous ignorons, lecteurs moyens, quoiqu’assidus, autant Renaud Nattiez s’adresse aux néophytes, qui ne connaissent l’univers de Hergé qu’à travers ce que la rumeur publique en colporte. Nattiez se contente de rassembler, sous la double centaine d'entrées de son ouvrage, les données éparses dans les albums. Que peut-il apporter au petit peuple des élus, à la confrérie des initiés, je veux dire à ceux qui savent ?

Pour finir, une remarque tout de même sur la façon dont les deux dictionnaires sont illustrés : la dictature que fait régner Nick Rodwell, administrateur délégué de Moulinsart SA sur l’héritage de Georges Rémi, allant jusqu’à interdire à quiconque d’utiliser quelque vignette que ce soit de l’œuvre du maître a poussé nos deux auteurs à ruser. Nattiez (éditions Champion) en est réduit à confier à un certain Stanislas la couverture de son ouvrage, tandis que celui d’Albert Algoud est parsemé de vignettes signées Alain Bouldouyre.

D’ici que Tintin tombe dans le domaine public (en 2053), on peut compter sur Nick Rodwell, époux de la veuve, pour remplir plus haut que le bord le bas de laine des ayants-droits de Hergé.

Voilà ce que je dis, moi.