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mercredi, 31 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 17

J’avais préparé une note où l’Islam était mise en scène, en pièces et en question. Une fausse manoeuvre l'a fait disparaître. En voici les traces.

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J'en tirais des conclusions sur les carpettes. Surtout en regardant ce fidèle musulman qui se relève après le passage du cheval caparaçonnné du prophète.

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Qui me faisait penser (j'ai mauvais esprit) à cette vignette de Tintin au pays de l'or noir, où Dupont laisse libre cours à sa fantaisie primesautière. De toute façon, il s'en prenait à un mauvais mahométant, puisqu'il n'officiait pas sur un tapis de prière digne de ce nom. Je citais ensuite Bérénice, à cause de l' « Orient désert» décrit par Antiochus (je crois que c'est à l'acte I.

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Je concluais sur la supériorité génétique du menhir et de l'esprit gaulois sur le sable du désert, ajoutant, pour justifier la présence d'Obélix et d'Abraracourcix, que la soeur aînée de Cléopâtre se nommait précisément Bérénice.

 

« Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,

Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?

Que le jour recommence et que le jour finisse,

Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,

Sans que, de tout le jour, je puisse voir Titus ? »

 

Mais c'était après avoir cité quelques répliques géniales que Racine a placées dans la bouche de Bérénice elle-même, dans la pièce éponyme.

 

 

 

mardi, 30 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 16

Je suis en vacances, mais ... l'écuelle du chien est bien remplie jusqu'au 16 août : je n'aurais voulu à aucun prix qu'il crevât de faim. Les amis des bêtes m'en auraient voulu, si j'avais mis un subjonctif présent.

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyagesétait parfaitement idoine, à cause du caractère absolument délicieux de ses illustrations. 

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ELLE EST PAS BELLE, MA MYGALE ?

Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal.

 

Nous en étions hier aux vautours d'Amérique. Bonne nouvelle : nous y restons.

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"UN COMBAT ENTRE CIEL ET TERRE : IL REÇUT UN COUP DE SABRE EN PLEIN CORPS"

(On appréciera la taille du "sabre", et l'insondable du précipice)

Quelles sales bêtes, quand même, les condors. Est-ce dans Tintin que je l'ai appris, ou dans le Journal des Voyages ? Dans le doute, je m'abstiens.

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Je remarque quand même que les griffes du condor (ça se passe aux pages 29 et 30 du Temple du soleil) devaient avoir été sacrément limées pour n'infliger au héros que des blessures vénielles, très vite disparues.

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DEUX PETITS PANSEMENTS, ET ON N'EN PARLE PLUS

Je me souviens d'une image de L'Ogre de Worm, de François Craenhals, où les griffes et le bec de l'aigle royal ne se contentent pas d'effleurer les chairs du géant. Au contraire, le dessinateur s'en donne à coeur joie pour faire comprendre que les chairs sont labourées en profondeur, et que les yeux en particulier sont les victimes de l'acharnement du volatile. 

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"DEUX MILLE LIEUES A TRAVERS L'AMERIQUE DU SUD : IL FRAPPE A TOUTE VOLEE LE CONDOR"

Comme je n'arrive plus à mettre la main sur l'album, c'est dommage, mais tant pis ... je propose un autre condor, tiré, celui-ci, du Journal des Voyages.

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Quand on ajoute ce vautour de l'Himalaya, on est à peu près sûr.

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 Après tout, peut-être que c'est de celui-ci qu'Hergé s'est inspiré ? Allez savoir.

 

 

lundi, 29 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 15

Je suis en vacances jusqu'au 16 août, mais, pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal, à moins qu'on en verse l'eau du poisson dans le verre de pastis (ou le pastis dans l'eau du poisson, pourquoi pas ?). Il paraît que ça donne un goût intéressant. 

 

Aujourd'hui un saut jusque dans les Amériques, avec les urubus au travail.

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Malheureusement pour le Journal des Voyages, il se fait que les urubus sont des charognards à peu près exclusifs, or il faudra attendre un peu pour que le bonhomme soit passé à trépas, même si son acuité visuelle semble avoir brusquement baissé (c'était la même chose au gibet de Montfaucon, à l'époque de François Villon : « Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés » (Ballade des pendus). Et vu l'état de sa rotule, son kiné a du boulot sur la planche.

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LES VRAIS URUBUS DANS LEUR VRAI TRAVAIL

Soit dit en passant, je tremble encore qu'un ancien premier ministre,

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lui-même un peu vautour, aurait pu porter le même prénom et le même nom que notre poète national : rendez-vous compte, il s'en est fallu d'une lettre, autrement dit, d'un cheveu. La poésie l'a échappé belle. Vous imaginez, vous, le premier des grands poètes français, s'il s'était appelé François Fillon ? Quelle honte hexagonale ! 

 

« Ma dernière parole soit

Quelques vers de Maître François !

Pardonnez-moi, Prince, si je

Suis foutrement moyenâgeux. »

 

Quelle injure pour François Villon, qui n'eût jamais envisagé de devenir un jour ministre ! Que le ciel et Georges Brassens réunis l'en préservent à jamais !

 

 

dimanche, 28 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 14

Je suis en vacances jusqu'au 16 août, mais j'ai laissé Médor dans sa niche, avec des provisions de pâtées et d'os à ronger pour accueillir le visiteur éventuel, pour qu'il ne trouve pas porte close. Je précise qu'il ne mord pas (je parle du chien et du visiteur, cela va de soi).

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Pour ne pas laisser vacant tant d’espace pendant les vacances, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal.

 

Un petit tour au pays du hara-kiri. On va me dire : « Encore des têtes coupées ! ». Eh oui, mais ici, c'est inscrit dans le rituel, et les samouraïs se sentiraient déshonorés si aucun ami serviable ne consentait, à la fin de la cérémonie, à leur décoller la tête du reste du corps.

 

On est presque chagriné de savoir que l'immense (et prix Nobel de littérature 1968, s'il vous plaît) Kawabata Yasunari ait choisi le moderne et vulgaire gaz pour en finir avec cette civilisation vulgaire et sans honneur qui avait déjà fait disparaître le Japon auquel il se rattachait comme par des racines, et qui seul était capable de lui rendre l'air respirable.

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L'AUTEUR DE LIVRES TRES BEAUX : LE LAC, PAYS DE NEIGE, LE MAÎTRE OU LE TOURNOI DE GO, KYÔTO, ETC.

Mishima Yukio, en revanche, ce romancier exalté et nostalgique du Japon des samouraïs et de l'honneur, a décidé d'en finir dans la grandeur et la dignité de la tradition. Il est vrai que sa harangue belliqueuse adressée à des jeunes troupiers médusés, rassemblés dans la cour de la caserne, fit un flop magistral. Mais ceux-ci étaient déjà contaminés jusqu'au coeur par la civilisation du hot dog, du gadget et du technicolor. Son ami lui coupa toutefois la tête selon le rite antique. Je trouve que ça conserve une certaine gueule, même dans le dérisoire.

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ENCORE UNE FOIS, C'EST VRAIMENT "L'IMAGINATION AU POUVOIR"

On sait maintenant qu'il ne faut pas dire « hara kiri », mais « seppuku», parce que ça fait tout de suite plus "informé". Je signale en passant que l'opération du seppuku consiste à entailler la bedaine d'abord verticalement en partant du bas, puis à compléter la figure du T horizontalement, en partant de la gauche, sous les côtes. Et que ce n'est qu'au moment où l'opérateur aperçoit le « Torii » (ce portail sacré du shinto qui lui annonce son entrée dans le monde spirituel) que, d'un geste, il fait signe à son ami de lui trancher le cou. Ce genre de chose réclame une précision qui fait défaut à bon nombre, hélas !

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LE TORII DE MIYAJIMA

Il restera au dessinateur du Journal des Voyages à se documenter un peu mieux sur l'exactitude du rituel : essayez de saisir par la poignée (au-dessus de la "tsuba", = la "garde") une lame de plus d'un mètre de long, et de vous la planter dans l'abdomen, comme on le voit sur l'image ci-dessus. Un enfant de cinq ans sait différencier un "katana" (105 cm.) d'un "wakizashi" (72) et d'un "tanto" (43). « Amenez-moi un enfant de cinq ans», disait Groucho Marx. 

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Je mentionne seulement pour le plaisir (« only for fun ») et en guise de conclusion le délit de fantaisie que fut à l'égard de cette haute tradition japonaise la fondation de la revue Hara-Kiri, par une bande de joyeux fouteurs de merde,

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ET PATRIOTES AVEC ÇA ! EN L'HONNEUR DES JO DE 1976.

au centre de laquelle oeuvra et se dépensa sans compter le regretté Georges Bernier, alias Professeur Choron, qui prit ce nom par respect envers le personnage sûrement respectable dont avait été baptisée (en 1868) la rue où l'équipe avait son local.

 

Pour les amateurs de précisions plus érudites, il est bon de situer dans le IXème arrondissement de Paris cette rue longue de 230 mètres et large de 12 (entre le 11 de la rue de Maubeuge et le 18 de la rue des Martyrs). Alexandre Choron (1771 ou 1772 [selon les sources] -1834) fut professeur de musique, mais surtout un théoricien reconnu, auteur d'un remarqué Dictionnaire historique des musiciens, et autres oeuvres notables. Je doute que Georges Bernier savait tout ça, quand il allait sodomiser la vieille qui finançait la revue. J'affirme qu'aucun terme de ce paragraphe n'est le fruit de mon invention.

 

 

samedi, 27 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 13

Je suis en vacances jusqu'au 16 août, mais j'ai laissé un gardien fidèle dans la niche, avec assez de provisions pour tenir jusque-là. Et je lui apporte même de temps en temps une friandise, comme cette belle et facile contrepèterie parue le 25 juillet en "Une" de Libération :

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IL S'AGIT DE DOPAGE, MAIS UN JEU DE MOTS EST PLACÉ DANS LA DERNIERE LIGNE

 Est-ce la facétie volontaire d'une rédaction mise à l'heure d'été, qui trouve ainsi le moyen d'agrémenter les heures de travail et de fournir à l'air ambiant un peu de la ventilation qui lui ferait autrement défaut ? Est-ce l'inconscient qui a parlé ? Mystère. En tout cas, je ne pense pas qu'elle aura échappé à l'Album de la Comtesse, en page 7 du Canard enchaîné. A vérifier mercredi prochain.

 

***

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyagesétait parfaitement idoine. 

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Toujours quelque part en Afrique. 

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UNE RAVE PARTY AFRICAINE EN 1878

Dans la rubrique "Moeurs nègres", cette fête s'intitule : « Le Bamboula». C'est bien écrit "le", je n'y peux rien. Constatons, quoi qu'il en soit, que les "Moeurs nègres" décrites en 1878 ont été scrupuleusement importées et reproduites dans ce qu'on n'ose plus nommer  "Moeurs des Blancs",

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UN BAMBOULA EUROPEEN DANS LES ANNEES 2000

au cours des modernes, hypnotiques « rave parties », chargées de toutes sortes de substances "énergisantes" permettant de tenir le coup face aux énormes décibels d'une musique réduite aux "bpm" d'une percussion toute-puissante, venue en ligne assez directe des traditions africaines (bpm : battements par minute, si possible autour de 140, pour ne pas se faire traiter d'avachi).

 

Qui est le colonisateur ? Qui est le colonisé ?

 

Et ce sera qui, le libérateur des Blancs hypnotisés ? Toussaint Louverture ou François Hollande ? Je rigole, mais je ne devrais pas : j'ai les lèvres gercées. Il y a quelque chose qui saigne.

 

On en pense ce qu'on veut.

 

 

vendredi, 26 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 12

Je suis en vacances jusqu'au 16 août, mais pour aller jusque-là, je me suis débrouillé pour laisser un gardien dans la niche. On peut y aller : il ne mord pas.

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Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal. Si le poisson fait des bulles, c'est le moment d'écouter : il est en train de répondre.

 

On reste quelque part en Afrique.

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Chacun sait que les blancs sont définitivement le modèle indépassable des infâmes esclavagistes, comme le montre la photo de notre reporter sur place. Et que les noirs entre eux ne sont animés que par des sentiments profondément humains et par des règles strictes de courtoisie, d'aménité, et même d'humanité, comme le démontrent encore tous les jours sur les femmes les diverses milices (dont le "M23") en action dans les environs du Kivu (témoignage du docteur Mukwege). Mais que fait Caroline Fourest ? Elle a peut-être sa propre hiérarchie personnelle des valeurs ?

 

Pour commenter la gravure ci-dessus, on pourrait aussi relever qu'elle commente elle-même une partie de l'Exposition Universelle de Paris de 1878 (plus de 16.000.000 de visiteurs quand même, avouez que ça éberlue), qui comportait une section "anthropologie". Et qui donna du travail à quelques talentueux graveurs et fondeurs de médailles.

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Sans atteindre les sommets de bon goût que les visiteurs ont pu contempler à l'Exposition Coloniale de 1931, elle reflète le degré d'estime et de considération dans lequel les Européens tenaient les Africains (et autres peuplades indigènes). Mais que fait Louis-Georges Tin,

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le Caroline Fourest des noirs en France, puisqu'il est président du CRAN, l'inénarrable Conseil « Représentatif » des Associations Noires.

 

 

Représentatif ? MON OEIL !

 

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Pour conclure, on ne sait pas assez que le Code Pénal actuel ne reconnaît pas l'esclavage, au motif qu'aucun individu ne saurait être la propriété d'un autre. Mais le projet de loi voté le 23 juillet va sûrement remédier à ce vide juridique. On respire : l'esclavage moderne existe en France, mais il ne faut pas dire que les cas venus devant la justice ne concernent que des populations à peau foncée. C'est interdit, parce que « ça stigmatise». Du moins Louis-Georges Tin se sent stigmatisé.

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Les angelots du Parti Socialiste l'approuvent en silence.

 

 

jeudi, 25 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 11

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyagesétait parfaitement idoine. Nous sommes donc bien dans la catégorie "dans les journaux", mais il faudrait ajouter "autrefois". Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal. Et comme dans tout bocal, attention aux vagues !

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Ah, l'Afrique sauvage, le charme de ses bureaux de poste ! Ses hôpitaux de Lambaréné ! Pauvres Africains, comme disait le pauvre docteur Schweitzer ! Comme c'est beau, ces gens qui voient la misère chez les autres !

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"LE DAHOMEY : AMAZONES COMBATTANT"

Aujourd'hui, les Amazones du roi du Dahomey. Nous les admirons en pleine manifestation féministe. Observons que ces dames n'hésitent devant rien, et qu'elles n'y vont pas avec le dos de la cuiller à pot de confiture de fraises du jardin du curé de la paroisse. 

 

C'est quand même plus « in » que la Manif pour tous de Frigide Barjot. Et la flamboyante, et surtout si tolérante, Caroline Fourest nous a prévenus, messieurs : à la prochaine manif, elles ne se contenteront pas de la tête, les Amazones du roi du Dahomey ! Reportez-vous pour vous en persuader à ce que les femmes des mineurs font à l'épicier Maigrat, pour se venger de sa façon, précise, immorale et particulière, de se rembourser les crédits qu'il leur faisait, dans le Germinal du désastreux Zola.

 

La cinéaste Claire Denis a heureusement pris le relais de ces femmes castratrices, en faisant jouer à Béatrice Dalle (celle qui « se laisse pousser la bouche», comme dit son charmant camarade Richard Bohringer) le rôle d'une pipeuse forcenée, qui ne trouve rien de plus délectable, quand elle est en pleine action (ayant préalablement bien aiguisé ses incisives), que de pratiquer l'ablation du fruit masculin, jusqu'à le faire tomber de la branche au moyen d'un incision judicieusement placée,

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LE FRUIT MASCULIN, CORRECTEMENT MUNI DE SON COL ROULÉ

au grand dam du monsieur qui, faute d'un garrot posé d'urgence où je pense, se dit qu'il vaut mieux laisser pisser - jusqu'à ce que mort s'en suive, évidemment. C'est dans le film Trouble every day (2001). Le vampirisme nouveau est arrivé. Gare à celui qui tombera sous la dent vengeresse et punitive de Caroline Fourest et de ses acolytes enivrées de l'odeur du mâle agonisant.

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BEATRICE DALLE APRÈS L'ACTION : C'EST SÛR, CLAIRE DENIS DOIT AVOIR UNE SACRÉE DENT (je pèse mes mots) CONTRE LES HOMMES

En attendant la vengeance des Amazones françaises et autres militantes féministes, je signale qu'Abomey était la capitale d'un royaume militaire (le Dahomey est devenu le Bénin) consacré principalement au trafic d'armes et au commerce des esclaves. Il paraît qu'il ne faut pas confondre « commerce » (du côté de l'Empire du Bien) et « trafic » (le côté obscur de la force). Muhamar Khadafi eut en son temps le mérite de ressusciter la tradition des Amazones dahoméennes, lui qui se faisait protéger par une cohorte prétorienne composée de femmes. Amen. 

 

 

mercredi, 24 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 10

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine.

 

Aujourd'hui, la Chine éternelle et sa façon efficace et sans bavure de séparer la tête du reste du corps.

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Presque une banalité. A mon avis, Hergé a potassé le Journal des Voyages. Il a même dû tout réviser avant Le Lotus bleu,

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et réfléchir à la méthode employée, comme le montre l'image ci-dessus, pleinement confirmée par la photographie ci-dessous. A mon avis, le tranchant affûté de la lame ne fait pas tout : il y faut aussi le poids de l'arme. A voir l'exécuteur, il me semble aussi qu'il y faut le geste du professionnel, quasiment athlétique, le geste précis qui réclame un long entraînement. Je me situe exclusivement au niveau technique, et me garde d'émettre quelque jugement de valeur, pensez !

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Nous apprenons ces jours-ci que les exécutions capitales en Chine, pour lesquelles il n'existe pas de données officielles, sont évaluées par « les associations» (catégorie journalistique bien connue), à commencer par la sourcilleuse et chatouilleuse Human Rights Watch (tiens, les Américains aussi, ils font des "observatoires"), à environ 4000 à 6000 par an (marge d'erreur de 50 % quand même).

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Remarquez, il fut un temps où la France pratiquait la chose, mais en beaucoup plus compliqué, puisqu'il fallait la décision d'un tribunal, et surtout il fallait une machine spécialement dédiée. Les Chinois ne s'embarrassaient pas de tels méandres, et en venaient directement au fait, sur simple décision d'un quelconque maître des lieux.

 

 

mardi, 23 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 9

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal. Peut-être qu'il répond, allez savoir.

 

Au pays des ours, tout au moins aux yeux des promoteurs du Journal des Voyages, les animaux en question semblent curieusement soucieux de se ménager avec les hommes, quand le destin les place sur leur route, des scènes de corps à corps ardentes et fiévreuses.

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On sait pourtant, depuis le petit ouvrage de Heinrich von Kleist (Sur le Théâtre de marionnettes), que l'arme la plus efficace de l'ours, dans de telles circonstances, c'est la patte dans son ensemble (son bras si vous voulez), avec au bout l'extrémité griffue.

 

Cela vaut même le coup de lire le petit passage concerné, où le narrateur est mis au défi d'atteindre le corps de l'ours avec son épée : « "Allez-y ! Tirez ! me dit-il ; essayez de le toucher ! essayez de réussir une seule touche !" Me remettant quelque peu de mon étonnement, je me fendis dans sa direction, lançant mon épée ; l'ours fit un tout petit mouvement avec sa patte, et para le coup. Je me fendis à nouveau, exécutant une passe d'une telle promptitude qu'elle eût infailliblement transpercé la poitrine d'un homme ; l'ours fit un tout petit mouvement avec sa patte, et para le coup ». L'ours pousse même le culot jusqu'à rester impassible et sans un mouvement quand le narrateur essaie de le feinter.

 

Moralité : « C'est ainsi que la grâce apparaît le plus pure dans la forme corporelle de l'homme, ou bien qui n'a aucune conscience, ou bien qui possède une conscience infinie : c'est-à-dire, et tout aussi bien, chez la marionnette et chez le Dieu» (dans la traduction de l'immense Armel Guerne; à noter que "le" devant "plus" est parfaitement exact).

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Il faut préciser que l'épisode de l'ours est le troisième et dernier, après celui des marionnettes (dont les mouvements, guidés par l'inertie et la gravité, possèdent l'absolue perfection mathématique) et de l'adolescent (qui perdra toute fraîcheur, innocence et beauté à vouloir retrouver à tout prix la perfection d'un geste qui l'a fait ressembler, aux yeux du narrateur, pendant un minuscule instant, au « Tireur d'épine » visible au Capitole).

 

 

 

lundi, 22 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 8

Je suis en vacances, mais ... je me soigne.

 

Je m'en voudrais de laisser vacant tant d’espace disponible. Pour le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages convenait parfaitement. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du yorkshire quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours lui faire la conversation. Peut-être qu'il répond, allez savoir.

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Aujourd'hui et demain, un petit tour parmi les ours. Glissons pudiquement sur le taux de probabilité de vraisemblance de l'image ci-dessus : je n'ai jamais lutté avec un ours (blanc, noir ou en peluche), mais ce corps à corps semble surtout destiné au lecteur parisien. Ne dit-on pas qu'un ours adulte vous arrache la tête d'un seul petit coup de patte ? Voilà ce qui arrive quand, sous l'influence d'on ne sait quelle substance, on met en application l'un des slogans inventés par M. Daniel Messoissantwitte, je veux parler de : « L'imagination au pouvoir !».

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Il est vrai que le grand Hergé en personne ne voit dans l'ours brun des Andes qu'une sorte de charmant convive qui ne demande qu'à lier conversation et fraternité, comme on le voit ci-dessus, dans Le Temple du Soleil : cette patte amicalement posée sur l'épaule du capitaine Haddock ne laissait rien augurer d'autre que de purement convivial, et ne méritait donc pas la panique d'Archibald Haddock, marin au long cours. Il aurait au moins pu lui serrer la griffe, l'ingrat.

 

 

 

 

dimanche, 21 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 7

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine.

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Nous restons parmi les Gorilles : l'intensité de l'émotion suscitée par le singe dans l'âme du lecteur du Journal des Voyages semble directement proportionnelle à la taille de l'animal, les petits singes prêtant plutôt à sourire.

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Dans l'exemplaire présenté, on appréciera des canines dignes d'un carnassier (ça la fiche mal pour un herbivore-frugivore). Et l'on s'inclinera devant son sens pratique, en même temps que dionysiaque, où l'utile se joint toujours à l'agréable, comme on le voit au dernier plan de l'image ci-dessus (ah, la femme blanche, enlevée par les bras puissant du grand singe, et cela cinquante ans avant King Kong), ...

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... et que Franquin avait confié à Spirou et Fantasio, ainsi qu'au marsupilami, dans un épisode (Le Gorille a bonne mine).

 

samedi, 20 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 6

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal.

 

Aujourd'hui le gorille voleur de femmes :

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« D'autant plus vaine était leur crainte Que le gorille est un luron Supérieur à l'homme dans l'étreinte Bien des femmes vous le diront ». Georges Brassens (mais qui l'ignorait ?). La question qui se pose est de savoir si c'est aujourd'hui qu'il le perd. « Il parlait de son pucelage, vous avez deviné j'espère. » Je sens que les féministes, avec Caroline Fourest à leur tête, vont encore s'insurger : la femme était-elle consentante ? Il est même possible que les gorilles femelles n'aient pas encore le droit de vote, allez savoir.

 

Mais il ne faudrait pas surestimer la puissance du gorille mâle, comme semble le faire Tonton Georges. D'abord, l'organe érectile dont on le laisse abusivement se prévaloir faute d'une information suffisante, ne mesure que 3 ou 4 centimètres quand il est en action. Enfin c'est ce qu'on m'a dit.

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Ensuite, parce que certaines femmes particulièrement énergiques et décidées sont capables de ne faire qu'une bouchée de l'animal et de sa prétendue puissance musculaire, comme le montre ci-dessus Olga Vogelgesang dans Adieu Brindavoine, petit chef d'oeuvre du dessinateur Jacques Tardi.

 

 

 

 

vendredi, 19 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 5

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal.

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Allez, encore une tournée de cannibales. Cette fois, ce sont des Aborigènes d'Australie qui fêtent Noël : ils ont reçu leurs cadeaux, qui viennent visiblement d'être dépaquetés. Alléluïa. Je note qu'ils préfèrent manger tartare. Mais, vu ce qu'ils dépaquettent, on peut dire qu'ils ne sont pas dégoûtés.

 

Les caisses rejetées sur la côte après le naufrage du navire contiennent en effet, comme l'indique l'inscription en bas à gauche (« pièces anatomiques »), des restes humains destinés à quelque hôpital ou quelque salle de dissection. C'est au sens propre (si l'on peut dire) que le héros s'écrierait : « Bon appétit, messieurs ! » (Victor Hugo, Ruy Blas, III, 2).

 

 

 

jeudi, 18 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 4

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie (et bien en accord avec la période estivale), je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal.

CANNIBALES 2.jpg

On reste chez les cannibales. On est cette fois en Nouvelle-Calédonie. J'avoue que ça m'amuse un peu de lire "crâne", dans « Le vieux chef crevant les yeux du crâne » (légende de l'image, difficile à lire). Je n'en démords pas : il ne faut pas confondre "tête" et "crâne" : la tête appartient au vivant, le crâne est un objet, on en voit un, d'ailleurs, au premier plan (« Alas, poor Yorick !», et tout ce qui s'ensuit, Hamlet, être ou ne pas être, Ophélie, le bataclan, le tintouin, sans oublier le fourbi).

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Le crâne, ça peut aussi se poser, je ne sais pas, moi, sur le bureau du médecin : juste pour mettre en confiance.

 

 

 

mercredi, 17 juillet 2013

JOURNAL DES VOYAGES 3

Je suis en vacances, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal.

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Pour comparer, voici le dessin d'un boucan à la façon des Toupinambaous, dans une édition d'avant 1600 (André Thevet, 1558).

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Ce n'est pas le même genre de viande. Quoique ... La dame à gauche au premier plan, oui, celle qui entame le bras du dernier prisonnier mis à cuire sur le boucan, elle a un appétit qui fait plaisir à voir. Celle qui brandit la jambe en la tenant par le mollet n'est pas mal non plus. Que préférez-vous ? L'aile ? La cuisse ?

 

mardi, 16 juillet 2013

L'ARBRE ANTHROPOPHAGE

 LA GALÉJADE ABSOLUE

 

Le Journal des Voyages est une véritable caverne d’Ali Baba pour l’amateur de curiosités diverses et variées. Pour qui, par exemple, n’a jamais entendu parler de « l’arbre anthropophage », il est plus que temps de combler cette lacune. L’histoire nous est contée sous ce titre dans le N°61 (1878) par Bénédict-Henry Révoil, sous un « chapeau » indiquant « Souvenirs de Madagascar ». Attention, c'est du lourd. 

 

On y trouve quelques pépites qui seraient du plus bel effet sur la cheminée de l’explorateur revenu de partout (car il faut savoir que l'explorateur, par principe, revient forcément de partout), et soucieux de partager avec quelques amis les richesses des découvertes auxquelles ses périples l’ont amené.

 

Les histoires qu'il leur raconte sont façonnées dans l'effervescence d'une horreur savamment calculée, mais aussi dans le marbre incontestable des choses qui ont été vues par celui qui les raconte. Personne ne peut contester, sur un plateau de télévision, la personne qui affirme avoir vu ce qu'elle est en train de raconter. Et pourtant ...

 

L’auteur commence par nous planter dûment le décor. Nous sommes chez les Sakataves, l’une des trois races peuplant l’île de Madagascar, île – soyons toujours précis – mesurant « 132 myriamètres du nord-est au sud-ouest » et « 54 myriamètres de l’est à l’ouest ». La définition du myriamètre donnée par le Nouveau Larousse Illustré de 1903 est : « Mesure itinéraire de 10.000 mètres. Peu usité ». Pour « mesure itinéraire », débrouillez-vous.

 

Vient ensuite un petit morceau de bravoure (je cite à la virgule près, pensez, je n’oserais pas) : « Les Sakataves ont la peau noire et les cheveux crépus : ils ont conservé tous les instincts, tous les errements de la race africaine à laquelle ils doivent leur origine, c’est-à-dire qu’ils sont ignorants, superstitieux et … anthropophages ». Leurs relations avec les autres populations de l’île sont assez « guerrières ». Et « leur seule religion est celle d’un culte abominable qu’ils rendent à un arbre » : le Tépé-Tépé (j'ai placé plus bas la "photo" de la chose).

 

Qu’on se le dise : c’est un « arbre satanique ». Vous ne direz pas que vous n’étiez pas prévenus. Imaginez une énorme pomme de pin de 3 mètres de haut, avec à son sommet un entonnoir (ou « suçoir ») contenant « un liquide visqueux et douceâtre, dont les propriétés sont à la fois morphiques [lisez « morphiniques »] et intoxicantes ». L’entonnoir est entouré de jeunes pousses, longues et souples (les scions), qui s’agitent « dans une sorte de sifflement fait pour donner le frisson au plus courageux ». Des feuilles complètent le tableau, nerveuses et « terminées par des pointes d’une acuité sans pareille et creuses à l’intérieur », et leurs bords sont hérissés de piquants. Une bestiole avenante.

 

Alors maintenant l’histoire. Lambo est un jeune homme adoré de sa mère. Héritier du roi, il doit monter sur le trône dans pas longtemps. Hélas, sa mère, huit mois après son veuvage royal, met au monde un autre garçon, qui non seulement détrône l’aîné, mais en plus le condamne à mort le jour où il sera roi. Ce sont les coutumes, chez ces sauvages. Conseillé par sa mère aimante, Lambo s’enfuit, vit quelque temps à la cour du roi des Howas, mais décide un jour de retourner chez les siens, quels que soient les risques. On ne saurait agir plus crânement.

 

Au bout de quelques jours dans le palais maternel, il est dénoncé par un « vieillard très-superstitieux et d’un fanatisme sans pareil ». Les guerriers s’emparent de Lambo : « Tu vas mourir : ta vie appartient à Tépé-Tépé ». « Tout autour de lui, des femmes demi-nues, des Sakataves enivrés, affolés, poussaient des hurlements sinistres et chantaient des hymnes propitiatoires ». Chacun imagine évidemment le sinistre de ces hymnes propitiatoires. On hisse Lambo jusqu’à l’entonnoir, sur lequel on l’assied « au milieu des scions qui s’agitaient déjà autour de sa tête ». Le plus beau est à venir.

 

On lui fait boire « un peu de ce liquide étrange et sinistre ». « A peine fut-il debout, les deux pieds dans le creux de l’arbre, qu’il se vit entouré par les scions du Tépé-Tépé. Sa tête, son cou, ses bras furent serrés comme dans des étaux de fer ; son corps fut de même enlacé par ces serpents végétaux. » On sent que ça ne rigole ni ne plaisante, y a pas intérêt. Pour le bouquet final, je laisse la parole à M. Bénédict-Henry Révoil.

 

« A ce moment suprême, les grandes feuilles du Tépé-Tépé se redressèrent lentement, comme les tentacules d’une énorme pieuvre ; venant à l’aide des scions placés autour du cœur de l’arbre, elles étreignaient plus fortement la victime si odieusement sacrifiée. Ces grands leviers s’étaient rejoints et s’écrasaient l’un l’autre, et l’on vit bientôt suinter à leur base, par les interstices de l’horrible plante, des coulées d’un liquide visqueux, mêlé au sang et aux entrailles de la victime. » A votre santé et bon appétit. Mais ce n’est pas fini.

photographie,august sander,le journal des voyages

"L'ARBRE ANTHROPOPHAGE : CE FUT UNE EPOUVANTABLE ORGIE"

« A la vue de cet odieux mélange, les sauvages Sakataves se précipitèrent sur l’arbre, l’escaladèrent en hurlant et à l’aide de noix de coco, de leurs mains disposées en creux, recueillirent ce breuvage de l’enfer qu’ils buvaient avec délices. Ce fut alors une épouvantable orgie suivie de convulsions épileptiques et enfin d’une insensibilité absolue. » La crise est passée. Vient la somnolence postprandiale.

 

La conclusion à elle seule est un morceau d'anthologie : « Lorsque l’arbre anthropophage eut achevé son repas, quelques heures après le moment où la victime lui avait été livrée, il ne restait plus du corps de Lambo que des ossements broyés et des nerfs desséchés. Les grandes feuilles s’étaient détendues, les scions voltigeaient toujours et le cône intérieur de l’arbre rejetait sa liqueur visqueuse, âcre et intoxicante ». Voilà les choses passionnantes qu’on apprend en ouvrant le Journal des Voyages. On se croirait dans L'Enigme de l'Atlantide, d'E. P. Jacobs, l'immortel inventeur de Blake et Mortimer.

 

Si l’Académie des Sciences n’a pas récompensé M. Bénédict-Henry Révoil, c’est à désespérer de la soif de connaissances qui attira pendant des siècles les Européens sous les cieux les plus inhospitaliers, au péril de leur vie.

 

Je rappelle ce que je disais au début : l’histoire qui précède est présentée comme faisant partie des « souvenirs » du narrateur. Qui a inventé le proverbe « A beau mentir qui vient de loin » ? Avouez qu’elle est enfoncée, et bien profond, l’histoire de la sardine qui a bouché le port de Marseille (certains susurrent que ce ne serait que Le Sartine qui serait venu mourir juste à l'entrée du chenal qui mène au Vieux-Port).

 

Ce n’est sûrement pas la seule, ce n’est sans doute pas la première, mais il faut le Journal des Voyages pour que monsieur Bénédict-Henry Révoil, en 1878, invente la galéjade absolue.

 

Longue Gloire soit rendue à Bénédict-Henry Révoil !

 

Voilà ce que je dis, moi. 

lundi, 15 juillet 2013

HERMANN BROCH L'INACTUEL

Le Tentateur est organisé en 12 chapitres, et l'action se déroule du mois de mars au mois de novembre : 9 mois, comme s'il fallait attendre qu'Agathe ait son enfant. Hermann Broch met en présence un certain nombre de forces et de personnages. J’ai parlé de la mère Gisson, un peu sorcière (mais au sens de sorcier de la tribu), que tout le monde respecte et/ou craint plus ou moins. Le Docteur, qui sert de narrateur, tient dans la pièce qui se joue le rôle du rationaliste, mais un rationaliste tant soit peu repenti.

 

Médecin-chef dans le grand hôpital d’une grande ville (jamais nommée), il a choisi, dix ans auparavant, de se retirer modestement dans ce petit village de montagne, où la mairie lui loue une villa, à Kuppron-le-haut, son « cabinet de consultations » étant situé à l’étage de l’auberge Sabest, à Kuppron-le-bas. Il voulait vivre autrement. Il est quasiment le seul à faire le lien entre les deux, par ses allées et venues obligées.

 

Quitter la ville a été pour lui un choix : la grande ville symbolise la quintessence de l’artifice technique qui a coupé l’homme de ses racines terrestres et, pour le dire vite, naturelles. Mais le « retour à la nature » qu’il a ainsi opéré n’a rien d’une partie de plaisir ou d’un retour dans un quelconque paradis : la vie est âpre, la nature est âpre, les gens sont âpres.

 

Le Docteur (on ne le connaîtra que sous cette appellation), qui a tissé des liens très différenciés avec tous les personnages importants, est respecté, à la fois comme homme de la science et comme homme de l’art. C’est un sexagénaire, c’est aussi un célibataire : la seule histoire d’amour qu’on découvre s’avéra impossible, et fut sans doute pour quelque chose dans sa conversion en médecin de village.

 

Dans son esprit, le pouvoir de la science a reculé devant on ne sait quoi, comme un besoin de reconnaître quelque chose de plus haut que soi. Est-il croyant pour autant ? Ce n’est pas sûr du tout : « Euh, monsieur le Curé, ne connaissez-vous pas la convention que j’ai faite avec notre Seigneur Dieu ? … A Pâques, à la Pentecôte et à la Noël, je lui rends mes devoirs … et autrement, il fait qu’il prenne la peine de venir chez moi ». Ce qui est sûr, c’est qu’il ne supporte pas cette vision moderne de l’humanité, où l’individu est à lui-même son propre cul-de-sac, juste parce qu’il croit se suffire à lui-même.  

 

Face à lui, l’homme de la foi catholique, le curé ne fait pas le poids. Il ne voit pas Dieu plus loin que les fleurs de son jardin et, quand il s’agit de monter pour la cérémonie de la « Bénédiction de la Pierre », à la chapelle et à l’ancienne galerie de mine, son corps a le plus grand mal à accomplir l’effort nécessaire, contrairement à l’ancien curé Arleth, fameux gaillard dont on devine l’usage qu’il faisait de la « Fiancée de la Mine ». Celui-ci en serait bien incapable.

 

L’appétit matériel et l’intérêt sont personnifiés par Lax, propriétaire d’une scierie située près du village du haut, et qui intrigue pour accroître ses propriétés aux dépens de Joanni et de Krimuss, qu’il domine de toute la hauteur de sa force, de sa ruse et de son culot. Le boucher-aubergiste Sabest est marié à Minna. Suck, l’ami du Docteur, est marié à Ernestine. Wetchy, l’agent d’affaires calviniste, est marié à une petite femme craintive. Wenter est marié (mal) à une fille de la Mère Gisson.

 

Bon, qu’est-ce qui se passe, dans ce bouquin, parce que ça commence à bien faire, les préliminaires ! Eh bien il ne se passe pas grand-chose : le nommé Marius s’installe comme valet chez Wenter et, dès ce jour, la vie dans la vallée de Kuppron est déstabilisée. Comment ? Marius cause, parle, prophétise et, en parlant, subjugue progressivement tous les gens du village d’en bas, puis ceux d’en haut.

 

Son But ? L’or. Mais à la façon des antiques religions terriennes et magiques. L’or au fond de la montagne, produit par le feu du dedans. L’or qu’il se propose de trouver en se servant de sa baguette de sourcier. Il vaticine. Il fait venir Wenzel, sorte de gnome ou de nain difforme, par ailleurs bizarrement costaud.

 

Le couple Marius-Wenzel, joint à la recherche de l’or et de la puissance qu’il donne à celui qui le trouve, me fait penser aux deux personnages de la Tétralogie de Wagner : Loge, le maître du feu, et Alberich, le nain difforme qui déclenche la tragédie en forgeant l’anneau de la toute-puissance avec l’or volé au Rhin (et dont le fils Hagen tuera Siegfried : le magnifique « Hagen, was tuest du ? Hagen, was hast du gemacht ? » vers la fin du Crépuscule des dieux).

 

Marius juge inacceptable, au nom des forces primitives qu’il s’efforce de réactiver, que l’on allume la radio chez Wenter, comme il juge inacceptable qu’on batte le blé à la machine. Il fait tout (y compris le sabotage de la batteuse, par Gilbert interposé)  pour convertir ceux d’en bas au battage à l’ancienne, au fléau (« Docteur, le battage à la machine est un péché »). Bref, le grand retour en arrière, la grande régression vers le primordial.

 

Il paraît que le « salaf » qu'on entend dans "salafiste" veut dire « ancien », pour signifier le retour à l'Islam d'origine, quand il était encore intouché. Monseigneur Lefebvre, lui, voulait revenir à l'authenticité authentique de la messe de Saint Pie V. Hitler voulait revenir à la pureté de la race aryenne.

 

La question posée par Le Tentateur est là : entre l'effort dément pour retrouver la pureté innocente des origines et le lâche abandon de la dignité humaine dans toutes les trouvailles de la modernité, qu'est-ce qui reste à l'homme ? Dans le livre de Hermann Broch, l'homme, c'est le Docteur. Et le Docteur, il ne sait pas répondre à la question. Alors ...

 

Le Tentateur est un livre de l'actualité la plus actuelle.

 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 14 juillet 2013

LE JOURNAL DES VOYAGES 1

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BIZARRE : LA RELIURE INDIQUE 1876, CONTRAIREMENT AU FRONTISPICE CI-DESSOUS

 

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C'EST JUSTE POUR SE METTRE EN APPETIT

 

Je dois m'excuser pour une affirmation hasardeuse récemment proférée ici même au sujet de l'estimable revue fondée en 1876, sobrement intitulée Journal des Voyages : après vérification sur les originaux, il appert sans doute possible que les cahiers ne se composaient pas de 8 pages, mais de 16. Ouf, l'erreur est réparée. « Au diable les varices ! », aurait dit le vendeur de vaisselle en projetant violemment au sol une pile d'assiettes, un mardi, sur le marché de Tence (Haute-Loire).

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ON DIRA QUE C'EST UNE CURIEUSE MANIERE DE PRATIQUER L'EMPALEMENT, MAIS A L'EPOQUE (1877), IL NE FALLAIT PAS EFFAROUCHER LE LECTEUR AU MOYEN D'ILLUSTRATIONS TROP VERIDIQUES.

Pour distraire l’humanité souffrante de ses épreuves quotidiennes aussi bien que coûteuses, j’ai décidé de lui venir en aide, et de soutenir, au moyen des images aussi pieuses que fortes qu’un passé glorieux nous a léguées, le moral d’une population à l’esprit dévasté, prête à changer d’être dès que la moindre innovation technique lui est présentée comme un PROGRÈS, prouvant par là même qu’elle n’existe que sous forme d’une matière éminemment plastique, je veux dire : vide. Seul le vide en effet est malléable à ce point. Qu’on se le dise : les vieilles inventions avaient aussi du bon.

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C'EST ECRIT TEL QUE : CAVALIER BACHI-BOZOUK (sic), AU SERVICE DE LA TURQUIE

SOIT DIT EN PASSANT : DEPOITRAILLEE, LA FEMME, MAIS PAS TROP QUAND MÊME

Quelle femme ne rêverait de se faire ainsi enlever par un authentique Bachi-Bouzouk, attendant le paradis sur terre de sa virilité supposée ? L'éditeur le précise bien dans son avis au lecteur paru dans le n°1 : « Les matières si variées comprises dans le vaste champ de la géographie et des voyages seront tour à tour abordées dans Le Journal des Voyages, dont chaque numéro, de 16 grandes pages in-folio [24x32], contiendra toujours une grande relation de voyage, une aventure de terre ou de mer (récit de naufrage ou de chasse périlleuse, etc.), un article sur l'histoire des voyages, un attachant roman d'aventures, la géographie d'un département de la France, un chapitre du Tour de la Terre en 80 récits, une revue des plus récents ouvrages de voyages, et enfin une chronique des voyages et de la géographie ».

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C'EST JUSTE POUR DIRE QUE, SANS LE CAPITAINE HADDOCK, IL NE RESTERAIT RIEN AUJOURD'HUI DU BACHI-BOUZOUK. CONTRAIREMENT AUX AUTRES MOTS, "JOCRISSE" EST UNE VRAIE INJURE (QUOIQUE "BOIT-SANS-SOIF" ...).   

Le programme de l'éditeur a de quoi attiser les plus diverses des curiosités, comme le montrent les quelques gravures affichées ici.

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CECI SE PASSE EN NOUVELLE-GUINEE, OÙ L'ON TRAITE AINSI LES CRIMINELS

LES SERPENTS SONT EMINEMMENT VRAISEMBLABLES

Je retiens malgré tout, avec la mauvaise foi qui me caractérise, que la géographie départementale de la France sert manifestement d'alibi : ce n'est pas pour rien que la revue publie en "une", le plus souvent, des gravures bien saignantes, bien horribles et bien épouvantables, de préférence aux charmes rustiques et agrestes de tel chef-lieu de canton de nos belles provinces. "Géographie départementale" : mon oeil ! 

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UN "LYNCHAGE" DE "BARBIER NEGRE"

Ce qui revient avec le plus d'insistance, en dehors du voyage proprement dit, ce sont évidemment les aventures, les périls, les dangers courus par ces fous de voyageurs : il faut que ça palpite, le soir dans les chaumières ! 

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C'EST DRÔLE COMME LA PEAU DU CRÂNE RESTE LISSE QUAND ON ARRACHE AU COUTEAU TOUT CE QU'IL Y A DESSUS : C'EST PEUT-ÊTRE UNE PERRUQUE ?

La preuve qu'on est dans l'aventure et que le danger guette à tout instant, c'est que la catégorie "Aventures de terre et de mer" est inaugurée par un reportage de M. Jules Claretie, intitulé « Une course de taureaux à Madrid». Quel goût du risque, M. l'Académicien Français ! Mais qui lit encore les oeuvres de M. Jules Claretie, de l'Académie Française ?

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L'ATTAQUE DU TRAIN DU FAR WEST, TELLE QU'ON SE LA FIGURAIT A LA FIN DU XIXème SIECLE : J'APPRECIE PARTICULIEREMENT LES CHAPEAUX HAUTS DE FORME.

Apollinaire en personne s'est efforcé en vain de maintenir ce nom dans la lumière, en faisant dire à son prince si bien nommé Mony Vibezcu (hospodar héréditaire), de façon fort irrévérencieuse, tant pour la personne nommée que pour le pauvre Corneille qu'il se permet de pasticher (Le Cid) : « L'obscur Monsieur Claretie qui tombe les étoiles » (je ne garantis pas l'article défini devant "étoiles", bien qu'il figure p.92 de l'édition Pauvert). Au fait, j'oubliais de préciser que c'est dans Les Onze mille verges 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

samedi, 13 juillet 2013

HERMANN BROCH ET LE TENTATEUR

De Hermann Broch, j’avais lu Les Somnambules, que j’avais trouvé passionnant quoiqu’un peu compliqué. Cette trilogie de romans (1- Pasenow ou le Romantisme, 2- Esch ou l'Anarchie, 3- Huguenau ou le Réalisme) tirait déjà sur les fils de l’âme humaine comme un archer sur la corde de son arme, mais je dois avouer que les enjeux définitifs de l’œuvre m’ont tant soit peu échappé, sinon qu'elle décrivait le monde un peu à la façon d'un Jacques Ellul (et son copain Bernard Charbonneau) qui, un peu plus tard, allait dénoncer à tout va les méfaits de la technique en tant que telle (Le Système technicien, Le Bluff technologique) et d'un monde fondé exclusivement sur le commerce (activité qu'Elias Canetti haïssait viscéralement).

 

Certes, le dilemme de Pasenow hésitant entre la sensualité rustique et animale de la Polonaise Ruzena et la fadeur aristocratique d'Elisabeth, sa fiancée de toujours, dit quelque chose des forces qui meuvent l’être humain. Qu'il se sente engoncé dans son uniforme (contrairement à Edward von Bertrand, l'homme des grands espaces, du mouvement et de l'action), mais aussi curieusement protégé comme par une cuirasse devenue un deuxième "moi", on le comprend aisément.  

 

Certes, les combinaisons du comptable Esch pour s’enrichir, par exemple en épousant la patronne d’une taverne assez minable, et en projetant d'organiser des matches de catch féminin aux Etats-Unis disent quelque chose de l’avenir radieux de la « gestion » des affaires humaines. Il se contentera de devenir un bourgeois ordinaire, à la solde du même Bertrand.

 

Certes, la victoire finale de Huguenau le commerçant, qui a tué Esch dans un crime parfait, avant de retourner prendre les commandes de son entreprise alsacienne, dit quelque chose de l’injustice de l’ordre d’un monde voué aux marchandises.

 

Mais quel besoin, dans le dernier temps de la valse, d’aller marcher sur les plates-bandes de James Joyce et de ses vaines expérimentations sur les techniques d’écriture (Ulysse) ? Les épisodes de la militante salutiste, moi, je veux bien, mais il y aurait bien d'autres moyens pour en insérer la particularité (je dirais même l'étonnement) dans la trame générale du roman. 

 

Je regrette, en définitive, cette concession d’un immense écrivain aux recherches expérimentales d’une « littérature de la modernité ». Heureusement, dès La Mort de Virgile, puis avec Le Tentateur, il abandonne (pas tout à fait) l’expérimentation moderniste (un snobisme, finalement), pour revenir à une continuité inséparable de l’unité humaine et, pour prendre une comparaison musicale, à la mélodie : des œuvres à hauteur de voix humaine. Mais Les Somnambules, si je me souviens bien, est le premier roman de Hermann Broch (1931). C'est une excuse.

 

C’est une notice lue je ne sais plus où qui m’avait fait retarder la lecture du Tentateur, ce livre incroyable, l’auteur de la notice ayant mis au premier plan les idées de religion et de religiosité. Cela a fait office de répulsif. A tort. Surmontant ma répugnance instinctive à l’encontre de tout ce qui porte soutane, que celle-ci soit ostentatoire, ostensible ou dissimulée, je viens donc de terminer la lecture de Le Tentateur, de Hermann Broch. Je peux le dire : c’est un grand livre. Magistral en tout point. Je tâcherai d’en donner une petite idée, en espérant ne pas trop rabaisser ce chef d'oeuvre.BROCH LE TENTATEUR.jpgLe titre allemand (Der Versucher) pourrait être traduit par « Le Séducteur ». Mais comme le mot est pris dans son sens biblique (il n’en a peut-être pas d’autre), il faut comprendre qu’il s’agit du Démon en personne. Et le livre ne raconte en effet pas autre chose que l’histoire d’une séduction démoniaque.

 

Tout (ou presque, si l’on excepte un flash back) se déroule dans une vallée retirée d’un massif montagneux, dominée par le Kuppron. La route qui monte de la plaine traverse le village de Kuppron-le-bas, puis, après quelques lacets, celui de Kuppron-le-haut, avant de s’élever vers le col et de basculer dans un ailleurs aussi deviné que la plaine d'où elle émane.

 

Les deux villages sont nettement typés. En bas sont situées les traces de la civilisation, avec l’auberge-boucherie de Sabest, la mairie, l’agence postale, le forgeron. Le haut n’a pas d’existence administrative propre. C’est en bas que la technique moderne a fait son apparition, avec la batteuse mécanique, mais aussi avec le poste de radio acheté par Wenter à Wetchy, le représentant-agent d’affaires, qui habite en haut.

 

En haut, on trouve tout ce qui touche aux anciennes installations minières. Deux villas, situées un peu à l’écart, étaient prévues pour accueillir les ingénieurs et leur famille. Depuis l’abandon de l’exploitation, la municipalité les loue au nommé Wetchy et au « Docteur », qui est aussi le narrateur.

 

En dehors de Suck, l’ami le plus proche du docteur, il y a la mère Gisson, qui occupe l’anciennement nommé « Hôtel de la mine » en compagnie de son fils Mathias, une sorte de géant surnommé « Mathias-de-la-mine » ou « Mathias-le-garde » : il est garde-chasse, et passe ses journées à courir la montagne et la gueuse. On ne sait combien d’enfants il a faits aux femmes de la contrée. Enfin, c’est sa réputation.

 

La mère Gisson, elle, apparaît rapidement, en dehors du narrateur médical, comme le personnage central du roman. Non par les gestes ou actions qu’elle pourrait accomplir, mais parce que c’est elle qui sait. D’abord, elle connaît les plantes, c’est elle qui va cueillir les « simples » dans la montagne, dont elle fabrique tour à tour du schnaps pour le docteur ou des tisanes pour le braconnier Mittis et sa femme, perdus tout là-haut sous le col.

 

D’où tient-elle son savoir ? Mystère, mais c’est sûr, elle en sait autant sur les gens et sur les choses que sur les plantes et sur la vie en général. Elle devine, elle pressent, elle est dans l'odre du monde. Il faut dire que son mari était garde-chasse, et qu’il a été tué, sans doute par un braconnier. Il lui a fallu faire face. C'est peut-être ça qui la fait un peu sorcière.

 

Et la vie continue, jour après jour, normale, rythmée de tout près par la nature, toute la nature, avec ses régularités et ses caprices. Le monde. L’univers.

 

Mais voilà qu’un jour arrive un vagabond, disons un voyageur (« DerWanderer », est le nom de Wotan à partir de Siegfried, chez Wagner). Immédiatement, à la seule vue de cet homme, le docteur, qui le voit débarquer d’un camion, ressent une impression négative, presque déjà hostile. On apprendra que son nom est Marius Ratti, qu’il est originaire des Dolomites, et qu’il n’a pas de racines.

 

C’est le Mal en personne qui vient de s’introduire.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 12 juillet 2013

RECREATION

GRAVURE MODERNE POUR ILLUSTRER UNE OEUVRE D'ANDRÉA DE NERCIAT

(voir plus bas)

***

Comme j’ai un peu travaillé ces derniers temps pour alimenter mon espace de réflexion, je permets à mon petit théâtre de faire relâche. Je laisse la place, la parole ... et le reste à Betty Boop, ainsi qu'à deux ou trois figures connues des « comic strips » qui, avec le jazz, constituent le meilleur de ce qu'a jamais pu nous léguer l'Amérique. Il faut bien dire que, pour tout le reste ...

 

Pour que la source à laquelle les amateurs de ce blog font l'amabilité de venir s'abreuver ne se trouve pas brutalement tarie, comme la cyprine dans les parties autrefois amoureuses de la femme ménopausée (mais je sais qu'à cet égard, il y a des forces de la nature), et, en quelque sorte, pour qu’il n’y ait aucune rupture de ton avec la modeste série hautement ...

 

... philosophique des billets que je viens de consacrer à Michel de Montaigne et à ses Essais, j’ai décidé, pour alimenter mon marécage, de détourner un autre des affluents célestes du fleuve de mon inspiration. J’ai nommé : sa Majesté le CUL. 

 

Remarquez, certains des visiteurs de ce lieu ont-ils pressenti pareille parenthèse de haute abstraction, à la vue, hier, de telle gravure illustrant quelque édition moderne des Ragionamenti de Pierre Arétin, ...

 

... où la dame (consentante, voire frétillante) offrait avec une certaine impatience son orifice le plus ténu à la pénétration judicieuse de l’argument le plus masculin dont un homme puisse espérer faire sa figure de proue. 

 

Soudain, le souffleur apparaît, l'air d'un cadavre qui se meut et éclairé de biais, et s’adresse, sentencieusement, en aparté, au public : « Pour faire de pareilles phrases, il faut vraiment être resté sous l’influence d’Andréa de Nerciat, ou d’un quelconque de ses pairs et contemporains ».

POUR LA SOUPLESSE, RIEN NE VAUT LE YOGA

Le public reste sans réaction, ce nom n’éveillant aucun écho dans sa conscience. 

 

On le comprend : Andréa de Nerciat (1739-1800) n’est en effet plus guère connu aujourd’hui que pour Félicia ou mes fredaines, que l’on ne lit plus guère, même si l’on a bien tort, et que les messieurs atteints de certaine mollesse mal placée au moment fatidique feraient bien de potasser pour redresser leur barre avachie (voir photo incitative en en-tête).

 

Mais on en parlera une autre fois.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 11 juillet 2013

MON ANTHOLOGIE MONTAIGNE (fin)

 

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LE PEINTRE ANTON RÄDERSCHEIDT ET SON EPOUSE, PAR AUGUST SANDER

 

***

Cette fois, promis, c’est la dernière halte chez Montaigne, ses Essais et leur Livre III. Je commence par deux petites gourmandises, dont la première prolonge la note d’hier sur le mariage : « Socrate, à qui on demandait ce qui était le plus commode, de prendre ou ne prendre point de femme : ʺLequel des deux on fasse, dit-il, on s’en repentiraʺ » (III, V, Sur des vers de Virgile). Certains diront que Rabelais avait déjà conclu dans ce sens, quoique de façon moins compendieuse, puisque tout son Tiers Livre, et une partie de son Quart Livre, et même du Cinquième, développent à l’envi l’hésitation inquiète de Panurge quant à savoir s’il doit ou non prendre femme (Pantagruel lui déclare gentiment : « Et je vous vois bien en point, selon ces trois sorts : vous serez cocu, vous serez battu, vous serez volé », Tiers Livre, XII).

 

La deuxième gourmandise se trouve juste quelques pages plus loin, dans le même chapitre : « Zenon, parmi ses lois, réglait aussi les écarquillements et les secousses du dépucelage », Zénon dont Montaigne affirme par ailleurs : « On dit que Zénon n’eut affaire à femme qu’une fois en sa vie : et que ce fut par civilité, pour ne sembler dédaigner trop obstinément le sexe ». On imagine bien la dame, après avoir reçu le coup : « Monsieur, vous daignâtes me baiser et consentîtes à me besogner, mille grâces vous soient rendues, vous êtes fort civil ! ».

 

Toujours à propos des joies du sexe, Montaigne y va de sa sévérité : « Nous mangeons bien et buvons comme les bêtes, mais ce ne sont pas actions qui empêchent les opérations de notre âme. En celle-là nous gardons notre avantage sur elles ; celle-ci met toute autre pensée sous le joug, abrutit et abêtit par son impérieuse autorité toute la théologie et philosophie qui est en Platon ; et même il ne s’en plaint pas. Partout ailleurs vous pouvez garder quelque décence : toutes autres opérations supportent des règles d’honnêteté ; celle-ci ne se peut pas seulement imaginer, si ce n’est vicieuse ou ridicule. Trouvez-y, pour voir, une façon de faire sage et discrète. Alexandre disait qu’il se reconnaissait comme mortel principalement par cette action et le dormir : le sommeil suffoque et supprime les facultés de notre âme ; la besogne les absorbe et dissipe de même ». Pas besoin, je pense, de préciser de quelle « besogne » il s’agit.

 

Le paragraphe qu’il consacre à l’esprit des filles, spécialement averti dès le plus jeune âge des choses de l’amour et du sexe, n’est pas à dédaigner : « Nous les dressons dès l’enfance aux entremises de l’amour : leur grâce, leur attifure, leur science, leur parole, toute leur instruction ne regarde qu’à ce but. Leurs gouvernantes ne leur impriment autre chose que le visage de l’amour, ne fût-ce qu’en le leur représentant continuellement pour les en dégoûter ». Jusque-là, rien de bien épastrouillant, comme dirait Marcel Proust.

 

Vient l’anecdote familiale : « Ma fille (c’est tout ce que j’ai d’enfants) est en l’âge auquel les lois excusent les plus échauffées de se marier [la formule est délectable !] ; elle est d’une complexion tardive, mince et molle, et a été par sa mère élevée de même d’une forme retirée et particulière : elle ne commence encore qu’à se déniaiser de la naïveté de l’enfance. Elle lisait un livre français devant moi. Le mot de fouteau s’y rencontra, nom d’un arbre connu [hêtre] ; la femme qu’elle a pour sa conduite l’arrêta tout court un peu rudement, et la fit passer par-dessus ce mauvais pas. Je la laissai faire pour ne troubler leurs règles, car je ne m’empêche aucunement de ce gouvernement : la police féminine a un train mystérieux, il faut le leur laisser. Mais si je ne me trompe, le commerce de vingt laquais n’aurait su imprimer en sa fantaisie, de six mois, l’intelligence et usage et toutes les conséquences du son de ces syllabes scélérates, comme fit cette bonne vieille par sa réprimande et interdiction ». Encore une histoire qui a échappé à Villeroy et Boch, euh non, Roux et Combaluzier, zut, Boileau et Narcejac, crotte de bique, voilà : Lagardémichar. Ouf, j’y suis arrivé.

 

La fin du passage : « Mon oreille se rencontra un jour en lieu où elle pouvait dérober aucun des discours faits entre plusieurs femmes sans soupçon : que ne puis-je le dire ? Notre Dame ! (fis-je) allons à cette heure étudier des phrases d’Amadis et des registres de Boccace et de l’Arétin pour faire les habiles ! Il n’est ni parole, ni exemple, ni démarche qu’elles ne sachent mieux que nos livres : c’est une discipline qui naît dans leurs veines [citation latine : ʺet Vénus elle-même les a inspiréesʺ, Virgile],que ces bons maîtres d’école que sont nature, jeunesse et santé, leur soufflent continuellement dans l’âme ; elles n’ont que faire de l’apprendre, elles l’engendrent ».

 

Comme j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'entendre ce que se disent entre elles les filles quand elles sont sûres de ne pas être entendues, je ne peux, hélas, que confirmer le propos de l’auteur : les conversations entre garçons, sur ce plan, oscillent de la surenchère frimeuse au propos de sacristain pieux. Quant à Pierre Arétin (1492-1556), on ne peut pas dire que ce soit de la petite bière éventée qu'il fait couler dans ses Ragionamenti, comme on peut le voir ci-dessous, sur la gravure illustrant un des épisodes.

ARETIN SODOMIE.jpg

ELLE AIME VISIBLEMENT ÇA 

Et que pensez-vous de cette sucrerie : « Je trouve plus aisé de porter une cuirasse toute sa vie qu’un pucelage ; et est le vœu de la virginité le plus noble de tous les vœux, comme étant le plus âpre : ʺLa puissance du diable est dans les reinsʺ, dit S. Jérôme » ? Et qu’en pensent messieurs Lagardémichar ?

 

Pour conclure cette trop longue série, je dédie la citation suivante à tous les syndicalistes, à tous les militants de partis, à tous les petits soldats des « associations » qui ont pour noble objectif de faire avancer la cause des « minorités visibles » sur la voie du « progrès » (si vous voyez ce que je veux dire) :

 

« La plupart des choses du monde se font par elles-mêmes ».

 

Oui vraiment, je la dédie à tous ceux qui sont convaincus que, sans leur « lutte », rien n’avancerait, et qui se croient les moteurs sans lesquels l’humanité s’endormirait et régresserait. On va dire que j’exagère, et j’avoue bien volontiers que c’est vrai. Je le fais même exprès.

 

Cela dit, si je regarde l’histoire du mouvement ouvrier, le calendrier rétrospectif de ce que l’on a appelé les « conquêtes sociales », depuis la journée de 15 heures (dimanche compris) jusqu’à celle de 10 heures (loi du 30 mars 1900), puis de 8 heures augmentée des congés payés (Léon Blum, 1936, La Belle équipe, Jean Gabin, …) ; et si je regarde l’inversion de ce processus depuis les années 1970, et l’invraisemblable facilité (rétrospective) avec laquelle les « conquêtes » ont été progressivement grignotées, je finis par me poser des questions.

 

Les « luttes », parfois violentes, la combattivité des militants et des syndicats ont eu beau s’y opposer, les bastions ouvriers (Renault Vilvoorde, les « Conti », Pétroplus, Peugeot Aulnay, la liste est interminable) sont tombés. Et « pendant le combat, la chute continue ». Le résultat est là : précarisation, chômage, baisse du pouvoir d’achat, etc. On est visiblement en bout de course du processus d’embourgeoisement relatif de la « classe ouvrière ». Et je dirais presque, avec Montaigne, que personne n’y peut rien.  

 

Je me demande en effet, pour illustrer la phrase de Montaigne, si les progrès sociaux ne se sont pas contentés d’accompagner, grosso modo – et en fin de compte assez régulièrement –, les progrès des techniques, qui, au rythme des « gains de productivité », permettaient aux responsables de laisser tomber (sans que leur portefeuille eût trop à en souffrir), du haut de la table où ils n’ont jamais cessé de festoyer, les miettes capables de calmer les ardeurs revendicatives.

 

N’est-ce pas l’abbé Félicité Robert de Lamennais (mort en 1854) qui disait : « Donnez au malheureux les bribes tombées de votre table » ? L'ouvrier armé d'un couteau face au patron armé de son gros cigare ne seraient-ils finalement que des personnages en train de jouer des rôles sur des scènes de théâtre ?

 

Ce petit raisonnement, qui vaut évidemment ce qu’il vaut, je l’envoie pacifiquement dans les gencives de DB, qui me disait avec une sorte de jubilation masticatoire : « Je suis en lutte », alors que, tout en se déclarant communiste, elle venait toujours dans des tenues recherchées et qu’elle était propriétaire d’un bel appartement au cœur bourgeois du 6ème arrondissement de Lyon, à proximité immédiate du Parc de la Tête d’Or.

 

Bourgeoise et communiste, j’attends encore qu’elle me donne une explication qui ne soit pas complètement tire-bouchonnée.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 10 juillet 2013

MON ANTHOLOGIE MONTAIGNE

 

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COUPLE D'HÔTELIERS, PAR AUGUST SANDER

 

***

Allez, pour achever ma petite déambulation nonchalante dans les Essais de Montaigne (Livre III), en remettant en bouche les bribes du festin qu’en avait été la lecture voici quelques années (close un matin à 8 h.03), je vais me rouvrir l’appétit avec un paragraphe que je trouve plein de sel : « Me demandez-vous d’où vient cette coutume de bénir ceux qui éternuent ? Nous produisons trois sortes de vent : celui qui sort par en bas est trop sale ; celui qui sort par la bouche porte quelque reproche de gourmandise ; le troisième est l’éternuement ; et parce qu’il vient de la tête et est sans blâme, nous lui faisons cet honnête recueil ». C’est dans III, VI, Des coches.

 

Et j’en profite d’abord pour signaler que, par commodité, je modernise (abusivement) l’orthographe, et parfois le vocabulaire ancien, de toutes les citations. J’en profite ensuite pour m’amuser (comme tout le monde) du rapport très élastique existant entre le contenu des chapitres des Essais et le titre que Montaigne a posé au-dessus, au point que le juriste pointilleux d’aujourd’hui serait en droit d’attaquer l’auteur pour « tromperie sur la marchandise ». « Des coches » en est un exemple exemplaire.

 

Je profite enfin de ce que nous sommes arrêtés à ce chapitre pour m’attarder un peu sur la profondeur et l’intelligence du regard que Montaigne porte sur son temps et sur les grands événements qui s’y produisent : tantôt les guerres de religion, ici les « grandes découvertes ».

 

Attention, le passage est un peu long : « Notre monde vient d’en trouver un autre (et qui nous répond si c’est le dernier de ses frères, puisque les Démons, les Sybilles et nous, avons ignoré celui-ci jusqu’asture [pour « à cette heure »] ?) non moins grand, plein et membru que lui, toutefois si nouveau et si enfant qu’on lui apprend encore son a, b, c : il n’y a pas cinquante ans qu’il ne savait ni lettres, ni poids, ni mesure, ni vêtements, ni blés, ni vignes. Il était encore tout nu au giron, et ne vivait que des moyens de sa mère nourrice. Si nous concluons bien de notre fin, et ce poète [Lucrèce] de la jeunesse de son siècle, cet autre monde ne fera qu’entrer en lumière quand le nôtre en sortira. L’univers tombera en paralysie ; l’un membre sera perclus, l’autre en vigueur ». Quatre siècle et demi après, il pourrait se vanter de la justesse de son pronostic, rien qu’en observant l’état dans lequel est plongé l’Europe.

 

La suite percute assez bien l'essentiel : « Bien crains-je que nous aurons bien fort hâté sa déclinaison et sa ruine par notre contagion, et que nous lui aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts. C’était un monde enfant ; si ne l’avons-nous pas fouetté et soumis à notre discipline par l’avantage de notre valeur et forces naturelles, ni ne l’avons pratiqué par notre justice et bonté, ni subjugué par notre magnanimité. La plupart de leurs réponses et des négociations faites avec eux témoignent qu’ils ne nous devaient rien en clarté d’esprit naturelle et en pertinence ». Je n’ai qu’un mot à dire : admirable !

 

Autrement dit, ce n'est pas par leurs vertus morales et leurs qualités d'âme que les explorateurs européens se sont rendus maîtres du monde. Il ne parlerait pas autrement s’il voulait nous faire comprendre, aux sources de la colonisation du monde, que les conquistadors, puis les colons, ne furent rien d’autre que des brutes, souvent même des gibiers de potence, dont l’Europe voulait se débarrasser. Par exemple, Manon Lescaut, de l'abbé Prévost, met en scène l'envoi (ça se passe autour de 1720) d'un contingent de putains, qui devaient servir à peupler la Louisiane.

 

En ces temps actuels, où tous les points de repère traditionnels se sont dissous dans l’acide individualiste (le plus corrosif à long terme, Tocqueville, dans De la Démocratie en Amérique, disait très justement que l’individualisme débouchait inéluctablement sur l’égoïsme), je ne résiste pas au plaisir de citer ce que Montaigne dit du MARIAGE (tiens tiens).

 

Ces considérations seront jugées forcément obsolètes, hors d’usage, de saison, de raison et de modernité, elles pourraient néanmoins inciter à réfléchir tous les couples anciennement LGBT, et désormais « lesbiens, gay, bi, trans, intersexués et queer ». Nous avons été gâtés : avec le mariage homosexuel, la vendange des appellations de l’année nous promet un cru exceptionnel. Il faut se tenir au courant, même si « intersexués » me reste une énigme. Les autres catégories concernées nous réservent quelques futurs grands millésimes, que nous attendons avec impatience. A déguster avec modération tout de même.

 

Oui, la raison sociale officielle de l’entreprise fondée par les promoteurs des « sexualités autres » s'épelle désormais « LGBTI », la drôlerie étant que le Q est encore facultatif, si j’ose dire. Je me dis que l’industrie pharmaceutique ne procède pas autrement : pour vendre des médicaments, elle invente des maladies. Et le plus fort, c'est que les maladies ainsi inventées finissent par exister ! Le tout est que l’étiquette soit immédiatement identifiable sur l’étalage du supermarché. La créativité lexicale de l'entreprise « LGBTI » est du même ordre, à la différence que je ne vois pas ce qu'ils ont à vendre (même si mon petit doigt ...).

 

« En ce sage marché, les appétits ne se trouvent pas si folâtres ; ils sont sombres et plus émoussés. L’amour hait qu’on se tienne par ailleurs que par lui, et se mêle lâchement aux accointances qui sont dressées et entretenues sous autre titre, comme est le mariage : l’alliance, les moyens y pèsent par raison, autant ou plus que les grâces et la beauté. On ne se marie pas pour soi, quoi qu’on dise ; on se marie autant ou plus pour sa postérité, pour sa famille. L’usage et intérêt du mariage touche notre race bien loin par-delà nous. » On voit bien que Montaigne est totalement inactuel (« On ne se marie pas pour soi » !), quand on regarde ce qu’il reste à ronger au vieux chien passéiste et réactionnaire, de son vieil os tellement usé qu'on lit difficilement le mot « famille » qui y était gravé.

 

D'une manière générale, qui, aujourd'hui, est en mesure de voir « bien loin par-delà » sa petite personne ? Chacun semble devenu son propre cul-de-sac : il n'y a plus rien qui soit plus loin ou plus haut que lui. C'est sans doute pour ça que je lis Montaigne.

 

La suite, après troncation d’une phrase vantant le mariage « arrangé » (vous noterez le mot "inceste") : « Tout ceci, combien à l’opposite des conventions amoureuses ! Aussi est-ce une espèce d’inceste d’aller employer à ce parentage vénérable et sacré les efforts et les extravagances de la licence amoureuse, comme il me semble avoir dit ailleurs [I, XXX]. Il faut, dit Aristote, toucher sa femme prudemment et sévèrement, de peur qu’en la chatouillant trop lascivement le plaisir la fasse sortir hors des gonds de raison ». Et toc pour la civilisation du plaisir permanent à tout prix ! Paul Valéry le dit aussi : « Les cris aigus des filles chatouillées, ... ». Il faut croire les vieux. Surtout quand ils sont morts.

 

La fin, maintenant : « Ce qu’il dit pour la conscience, les médecins le disent pour la santé : qu’un plaisir excessivement chaud, voluptueux et assidu altère la semence et empêche la conception ; disent d’autre part, qu’à une congression languissante, comme celle-là est de sa nature, pour la remplir d’une juste et fertile chaleur, il s’y faut présenter rarement et à notables intervalles. [citation des Géorgiques de Virgile à l’appui] Je ne vois point de mariages qui faillent et se troublent plus tôt que ceux qui s’acheminent par la beauté et désirs amoureux. Il y faut des fondements plus solides et plus constants, et y marcher d’aguet ; cette bouillante allégresse n’y vaut rien ». Le mot « congression » vient du latin voulant dire « accouplement ». Il faut savoir ce qu’on veut, le mariage ou le plaisir. Avons-nous tort de vouloir concilier les deux ? Je pose juste la question. Je précise que la tirade vient du chapitre (III, V) intitulé Sur des vers de Virgile.

 

Quand je regarde le monde actuel, je me demande comment faisaient les gens pour vivre avec leurs désirs intimes aussi férocement réprimés, et comment il se fait qu’il ait pu exister des gens heureux. Je me dis aussi que notre époque, qui a ouvert toutes grandes les portes à tous nos désirs, a du même coup singulièrement asséché les canaux de leur socialisation, sauf entre membres du même club (ou si vous voulez tribu, bande, cercle, ghetto, etc.).

 

« Socialisation », ce mot fétiche vide de sens que brandissent en hurlant, aussi bien les pédagogues « de la maternelle à l’université » que les politiciens assurant qu’ils veulent pacifier les banlieues. Qui ne voit que la société actuelle fait tout pour désocialiser l’individu, sinon elle ne le porterait pas au pinacle, l’individu, faisant de lui une planète à lui tout seul ! Et quoi de plus seul qu'une planète ?

 

L’individu, promu « IndiviDieu » par la consommation et le monde publicitaire et marchand, devenu « Individu Infinitésimal » dans la société de masse, et réduit à la « Citoyenneté Larvaire » par un système politique confisqué. L’individu, du côté du mythe, est sommé d’adhérer de tout son être à des discours dépourvus de vérité (politique, publicité, économie), et du côté de la réalité, est réduit à la solitude vaine, passive et désymbolisée de son bulletin de vote et de sa déclaration d'impôts. Rouage docile dans la machine, il fonctionne.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

mardi, 09 juillet 2013

MON ANTHOLOGIE MONTAIGNE

 

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COUPLE D'INSTITUTEURS, PAR AUGUST SANDER

 

***

Nous disions donc que, depuis que l'homme est libre, il ne sait plus ce qu'il veut. Nous sommes dans le Livre III des Essais de Montaigne. Le libre-arbitre est d'un grand embarras.

 

Les Essais de Montaigne, ce n’est pas pour dire de parler de choses, s'ils étaient un train, ce ne serait sûrement pas, mettons, le TGV. Ils seraient plutôt du genre tortillard, comme la SNCF n’en fait plus depuis longtemps. J'ai connu ça. Tenez, de Lyon, pour arriver à Tence, il fallait changer de train à Saint-Etienne-Châteaucreux. Puis, une fois arrivé à Dunières, on traversait juste quelques rails entre lesquels régnait l’herbe folle, pour monter dans une espèce de boîte de conserve horizontale, garée sur une voie plus étroite. La partie basse était vaguement rouge, la partie haute vaguement jaune clair. Rien n'était tape-à-l'oeil, tout était assez sale.

 

Dans le wagon, il n'y avait que des trognes de par là-bas, des visages rudes et plissés, aux joues et au nez rouge vif : le mardi, c’était jour de marché, il ne fallait pas manquer ça. Le vaste espace du Chatiague, avec ses barrières métalliques tubulaires pour attacher les animaux, était couvert de veaux qui changeaient de mains après un « tope-là », au bas duquel un verre de rouge, pris au café Gouit, apposait la signature, précédant ou suivant le passage des billets de banque de la main à la main. C'était la seule paperasse administrative. C'était le marché aux veaux. Les grimaces du Père Digonnet présidaient au pesage, en vous menaçant de casser votre appareil photo si vous aviez le malheur de déclencher. Il n'entendait pas le déclencheur.

 

La boîte de conserve automotrice avait son terminus au Chambon-sur-Lignon. La voie était entretenue un minimum, juste pour que le wagon ne verse pas. La vitesse laissait le temps de contempler le paysage, et les rails étaient juste assez pas droits pour vous empêcher de lire le journal acheté en gare de Perrache. C’était un bon moyen de vous obliger à savourer les vallons et les collines, la vue des champs, des arbres, des vaches et de leurs bouses. Et les compagnons de voyage : une idée globale, puissante et immédiate du monde rural.

 

On traversait quelques rivières, dans lesquelles, pieds nus sur les cailloux, en compagnie de quelques garnements, il m’est souvent arrivé de traquer la truite sans permis. Cela s'appelait parfois un ruisseau, tel celui de Chaumargeais. Parfois la Cérigoule. La truite, pour la mettre en confiance, il faut avoir appris à lui caresser le ventre avec le gras des doigts. Ce sont des choses qui se sentent, plus qu'elles ne se savent. Une extrême douceur qui ressemble à la peau que les femmes ont en haut des cuisses, à l'intérieur. C’est après, quand elle se débat et tressaute dans l’herbe, qu’elle se rend compte qu’elle a eu tort de vous croire. Mais c’est trop tard pour elle.

 

On peut abréger son asphyxie en lui cassant la nuque, mais en faisant attention aux dents, qu'elle a aiguisées. Il m’est souvent arrivé de rentrer à la maison (en vélo) les poches bourrées d’herbe pour emballer mon butin. Mais il paraît qu’il faut quand même laver le vêtement, à cause de l’odeur. Il y a des nez hypersensibles. Qui n'empêchaient personne de se régaler des poissons roulés dans la farine et poêlés. C’est fou, les détours et méandres que ça prend, un tortillard. Je reviens à Montaigne.

 

Une particularité des Essais, qui ne saute aux yeux qu’une fois achevée la lecture de l’ensemble, c’est sa composition. Sans regarder les dates de publication de chacun des trois Livres, on comprend que du premier au dernier, il se passe quelque chose. C’est très facile à saisir : le Livre I (330 pages) comporte 57 chapitres, le II (350 pages) 37, et le III (276 pages) 13. On passe de 57 à 13 chapitres, pour un nombre de pages moindre, certes, mais pas de façon fracassante.

 

C’est évidemment le III le plus important, si l’on ne tient pas compte de l’Apologie de Raymond Sebond qui allonge sérieusement la sauce dans le II, et qui, au bout du compte, consiste en une longue énumération. C’est dans le III que Montaigne développe le plus et creuse le plus profond. En témoigne la longueur des chapitres. Je n’ai prélevé aucune citation dans 18 des chapitres du Livre I, auquel mon anthologie consacre 8 pages. Le Livre III, plus mince, en occupe 18 pages serrées. Je pense que ça veut dire quelque chose. 

 

Je sais, ce n’est pas une preuve, à peine une indication, peut-être sur l'arbitraire de mes choix. Mais que voulez-vous tirer d’un chapitre intitulé De la bataille de Dreux (I, XLV), franchement ? Le Livre I reste globalement dans l'anecdotique. Mais vous devez quand même impérativement en passer par là, sinon vous risquez de perdre, entre autres, ce bijou de chapitre I, XXVI (De l'institution des enfants), où Montaigne recommande d'étrangler purement et simplement les cancres endurcis (ou de les mettre boulangers), ce que lagardémichar se garde bien de rapporter.

 

Montaigne a été obligé de commencer au Livre I, sinon il ne serait pas arrivé au Livre III. Les Essais sont une oeuvre qui résulte d'un très long cheminement. Je me dis que c’est la même chose avec Proust : vous ne ressentirez un ébranlement vertébral à la lecture du Temps retrouvé que si vous avez gravi toute la pente des six titres qui précèdent.

 

Bien sûr, on peut se faire déposer en hélicoptère à proximité du sommet, mais c’est tirer un trait sur tous les efforts que le pur piéton a fournis pour y parvenir, et renoncer du même coup à la jouissance qui accompagne le moment où il sait enfin qu'il ne peut pas aller plus haut. Le moment de la délivrance et de l'accomplissement.

 

Qui dira le charme profond de ce moment : ne pas pouvoir aller plus haut, à condition que ce soit par ses propres moyens ? Quand tu es obligé de redescendre parce qu’il n’y a plus rien au-dessus, et si tu ne le dois qu’à toi-même, il y a de l’ineffable, il y a quelque chose en toi qui te dépasse et qui t’emporte quand même dans un au-dessus qui n'existe pas. D’une certaine manière, tu es au sommet de toi-même. Pas pour longtemps : tu n'habites pas là, il faut bien redescendre, homme à jamais inaccompli. Mais c'est ainsi que s'immisce en nous le sentiment de l'infini.

 

Le Livre III, je dirais volontiers : « Ô récompense après une pensée qu’un long regard sur le calme des dieux ! ». Ces mots qui viennent à Paul Valéry face à la mer, on peut les dire en arrivant au sommet de l’aiguille d’Argentière, du Chardonnet ou du Mont Blanc, on peut les dire en arrivant au sommet de La Recherche du temps perdu, et donc, pour ce qui nous occupe, au Livre III des Essais

M CHARDONNET AIGUILLE ARGENTIERE.jpg

LA PHOTO EST PRISE DEPUIS L'AIGUILLE DU TOUR, OU PAS LOIN

(L'ARÊTE FORBES DU CHARDONNET EST ROCHEUSE, ARGENTIERE, C'EST L'ARÊTE DE NEIGE)

 

 

La lecture est un alpinisme. Ce qu’on en reçoit est incommensurable avec ce qu’on a mis en jeu. Mais on ne peut s'engager vers les plus hauts sommets sans un méticuleux entraînement préalable. Il faut le temps de s'accoutumer aux altitudes. Il faut aussi que l'organisme soit en mesure de supporter les plus grands efforts. Quand l'héroïsme physiologique est devenu le quotidien, tous les espoirs sont permis. A condition de s'entraîner à la solitude.

 

Le but de tout ça, ce n'est pas de « se dépasser », comme le crachotent les moindres « sportifs de haut niveau » (« Ouais, on est à 200 % ! », graillonne l'équipier motivé, payé à coups de 100 SMIC par mois) dans les micros tendus vers eux le dimanche soir par la renommée promise pour le dimanche suivant. Personne ne peut se dépasser. Le Besoin de grandeur, dont parle Charles-Ferdinand Ramuz, ne saurait être un besoin de dépassement de soi. Il faut se résoudre à sa propre altitude.

 

Alors le but ? C'est d'arriver - par ses propres moyens - au sommet de soi-même. Ce n'est déjà pas si mal. J'essaie.

 

La lecture est un alpinisme. L'écriture aussi.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 08 juillet 2013

MON ANTHOLOGIE MONTAIGNE

Je continue ma petite promenade dans les Essais de Montaigne, en empruntant non l’autoroute « lagardémichar », mais en flânant par les chemins buissonniers que j’y ai tracés pour mon propre compte, et par les « ronds de sorcière » (les ramasseurs de mousserons me comprendront) où je me suis arrêté pour cueillir.

 

Parlant de l’attitude de certains hommes face à la mort (De juger de la mort d’autrui, II, XIII) et, ayant cité le cas d’un homme trop faible pour se poignarder : « Au rebours, Ostorius, lequel, ne se pouvant servir de son bras, dédaigna de n’employer celui de son serviteur à autre chose qu’à tenir le poignard droit et ferme, et, se donnant le branle, porta lui-même sa gorge à l’encontre, et la transperça ». La conclusion vaut son pesant d’épices, tournée magistralement par la plume de l’auteur : « C’est une viande, à la vérité, qu’il faut engloutir sans mâcher, si l’on n’a le gosier ferré à glace ». Il a pas le sens de l’image, Montaigne ? Et peut-être une terrible jubilation devant cet héroïsme.

 

Tiens, revenons aux femmes : « Nous avons appris aux Dames de rougir oyant seulement nommer ce qu’elles ne craignent aucunement à faire ; nous n’osons appeler directement nos membres, et ne craignons pas de les employer à toute sorte de débauche ». Les « Dames » d’aujourd’hui, en société, n’ont plus de ces pudeurs désuètes. La femme d'aujourd'hui, normale, je veux dire, normalement féministe, c'est-à-dire férue d'égalité des sexes, c'est-à-dire devenue aussi machiste que le macho, la femme d'aujourd'hui, dis-je, ne rougit plus, ou alors elle a honte.

 

Et cette autre anecdote, absolument délicieuse, dans le même chapitre (De la présomption, II, XVII), au sujet d’un homme qui a longtemps mené une « vie de bâton de chaise » et qui finit par se marier (« faire une fin » ?) : « Il se maria bien avant en l’âge, ayant passé en compagnon sa jeunesse : grand diseur, grand gaudisseur. Se souvenant combien la matière de cornardise lui avait donné de quoi parler et se moquer des autres, pour se mettre à couvert, il épousa une femme qu’il prit au lieu où chacun en trouve pour son argent, et dressa avec elle ses alliances : ʺBonjour, putain ! – Bonjour, cocu !ʺ ». Y a-t-il besoin d’expliquer « gaudisseur » et « cornardise » ?

 

J’aime énormément (même chapitre, je n’y peux rien) ce propos qui, après un début d’apparence laborieuse, débouche sur un magnifique hommage : « Le monde regarde toujours vis-à-vis ; moi je replie ma vue au-dedans, je la plante, je l’amuse là. Chacun regarde devant soi ; moi, je regarde dedans moi, je me considère sans cesse, je me contrôle, je me goûte. Je connais des hommes assez, qui ont diverses parties belles : qui, l’esprit ; qui, le cœur ; qui l’adresse ; qui, la conscience ; qui, le langage ; qui, une science ; qui, une autre. Mais de grand homme en général, et ayant de telles pièces ensemble, ou une en tel degré d’excellence qu’on s’en doive étonner, ou le comparer à ceux que nous honorons du temps passé, ma fortune ne m’en a fait voir nul. Et le plus grand que j’aie connu au vif, je dis des parties naturelles de l’âme, et le mieux né, c’était Etienne de la Boétie : c’était vraiment une âme pleine et qui montrait un beau visage à tout sens ; une âme à la vieille marque et qui eût produit de grands effets, si sa fortune l’eût voulu, ayant beaucoup ajouté à ce riche naturel par science et étude ».

 

Pour moi, c’est une des plus belles pages que Montaigne ait écrites. Une « âme à la vieille marque », quelle formule magnifique. Il est regrettable que le poncif en la matière se résume à la « lagardémichardise » : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » (De l’amitié, I, XXVIII). Nous sommes tous plus ou moins lagardémichardisés. Qui ferait révérence, aujourd'hui, aux « âmes à la vieille marque » ? Et qu'on n'aille pas, pour me contredire, exhumer le cadavre de Stéphane Hessel.

 

Au sujet de La Boétie, on trouve encore quelques remarques dans III, IV : « Je fus autrefois touché d'un puissant chagrin, selon ma complexion, et encore plus juste que puissant : je m'y fusse perdu à l'aventure si je m'en fusse simplement fié à mes forces. Ayant besoin d'une véhémente diversion pour m'en distraire, je me fis, par art, amoureux, et par estude, à quoi l'âge m'aidait. L'amour me soulagea et retira du mal qui m'était causé par l'amitié ». Si l'on ajoute le chapitre XXIX du Livre I (Vingt et neuf sonnets d'Estienne de la Boetie, que Montaigne supprima à l'époque pour ne pas faire double emploi avec la publication en volume de ces poèmes), c'est tout, je crois, ce qu'on trouve au sujet de ce parangon de l'amitié que formèrent Montaigne et La Boétie.

 

Vous voulez savoir ce que Montaigne a de commun avec Molière ? C’est la haine de la médecine et des médecins : « Que les médecins excusent un peu ma liberté, car, par cette même infusion et insinuation fatale, j’ai reçu la haine et le mépris de leur doctrine : cette antipathie que j’ai à leur art m’est héréditaire. Mon père a vécu soixante-quatorze ans, mon aïeul soixante et neuf, mon bisaïeul près de quatre-vingts, sans avoir goûté aucune sorte de médecine. La médecine se forme par exemples et expérience ; aussi fait mon opinion.

         En premier lieu, l’expérience me la fait craindre : car, de ce que j’ai de connaissance, je ne vois nulle race de gens si tôt malade et si tard guérie que celle qui est sous la juridiction de la médecine. Leur santé même est altérée et corrompue par la contrainte des régimes. Les médecins ne se contentent point d’avoir la maladie en leur gouvernement, ils rendent la santé malade, pour garder qu’on ne puisse en aucune saison échapper à leur autorité ». Excusez la longueur des citations dans la présente note, c’est un peu commandé par le texte lui-même. Et goûtez « si tôt malade et si tard guérie ».

 

A propos de la médecine, certains diront peut-être qu’elle n’a plus rien à voir aujourd’hui avec celle du temps de Montaigne. Je répondrai seulement que, certes, les progrès dans le diagnostic, dans le traitement des maladies sont incontestables, mais que ce dont parle Montaigne a moins à voir avec une quelconque efficacité technique de la médecine qu’avec la relation, d’une part, entre le médecin et son malade (il exerce son autorité sur lui), et d’autre part, entre la personne et son propre corps, comme si Montaigne voyait une insupportable démission, un abandon de souveraineté personnelle, dans le fait de s’en remettre à quelqu’un supposé savoir, juste pour aller mieux. Et, si possible, guérir.

 

Philippe Muray parle très bien (Le XIXème siècle à travers les âges) de cette volonté de guérir les autres qui anime par exemple George Sand, et de cette obsession d'aller mieux, qui pousse les gens à s'en remettre à des guérisseurs qui, tout bien pesé, s'avèrent être de vulgaires charlatans, gourous et autres escrocs du coeur, de l'esprit et de l'âme, pour soulager le portefeuille de ceux qui attendent un peu de soulagement. Tartuffe était peut-être l'hypocrisie personnifiée, mais il était surtout et avant tout un escroc convoitant le bien d'Orgon, et y serait parvenu si Molière n'avait placé la pirouette finale pour que ça finisse bien tout en flattant le roi.

 

Ce qui choque Montaigne, dans le rapport des gens avec les médecins, c’est l’abandon de leur liberté entre les mains des « spécialistes » et des « experts », un peu comme, dans le discours du Grand Inquisiteur de Karamazov, les chrétiens qui n’ont rien de plus pressé que de se soumettre à une autorité au lieu de vivre la liberté apportée par le Christ. Comme il le dit ailleurs (II, XVII) : « Mes conditions corporelles sont en somme très bien accordantes à celles de l’âme. Il n’y a rien d’allègre : il y a seulement une vigueur pleine et ferme ». Ce qui m’amuse beaucoup (disons : jusqu’à un certain point), c’est ce qu’il dit des « coliques » dont il a gravement souffert.

 

Moi qui ai comme lui croisé la route de ces « coliques frénétiques », j’approuve ses railleries à l’encontre des « crottes de rat pulvérisées, et telles autres singeries qui ont plus le visage d’un enchantement magicien que de science solide ». Il est vrai que le lithotriteur n’existait pas, mais que dois-je penser, quand j’entends tel homme de l’art – bien vivant – me déconseiller formellement le lait et le chocolat, tandis que tel autre m’ordonne des infusions et décoctions de je ne sais plus quelles plantes, et qu’un troisième voit dans l’oseille, l’asperge et la rhubarbe les causes certaines de mes problèmes de concrétions calcaires dans les rognons ? Que savent-ils exactement ?

 

Notre rapport à la science a fait de celle-ci une autorité supérieure, mais mettez en présence et écoutez, je ne sais pas moi, trois économistes proposant leurs solutions pour sortir de la crise, trois politiciens soucieux de restaurer la France dans sa grandeur, ou trois climatologues (dont un climatosceptique) discutant du réchauffement anthropique de la planète, moi je vous le dis : on n’est pas sortis de l’auberge rouge.

 

Parce que l’autorité supérieure en question, elle est pulvérisée en une multitude d’options diverses et contradictoires. Les experts eux-mêmes ont l'embarras du choix. Allez vous y retrouver, dans ces conditions. Plus personne ne sait, et l’on croule sous les boussoles qui se contredisent.

 

Nous savons à la fois trop de choses pour ne pas donner aux optimistes cet air de confiance niaise et sans limite qui s'épanouit sur le groin de leur suffisance, et trop peu de choses pour comprendre l'infinité des interactions qui forment le vivant, et pour avoir conscience des conséquences de nos actes (OGM, gaz de schiste et tout le bataclan). Dès lors, ces conséquences nous échappent pour l'essentiel, y compris aux experts et autres spécialistes.  Marchand de boussoles, tiens, peut-être un créneau porteur, vous ne croyez pas ?

 

Montaigne m’a au moins appris quelque chose de tout à fait actuel : que sait-on de source sûre ? Qui sait quelque chose ? A quoi doit servir ce que l'on sait ? Il m’a appris que l’homme d’aujourd’hui est finalement d’une arrogance imbécile, alors qu’un minimum de modestie, je dirais même d'humilité devant le monde devrait être la règle unique. La vraie faiblesse qui est la nôtre, c’est que nous possédons les moyens irrésistibles (parce que techniques) de faire passer notre arrogance dans la réalité, au risque de la détruire. L'arrogance de l'homme d'aujourd'hui, elle est dans la puissance technique qu'il est en mesure de mettre en oeuvre. L'ivresse de toute-puissance qui caractérise la psychologie infantile.

 

Il est certain que Montaigne était pénétré de la même idée que les Grecs de l’antiquité classique, qui appelaient cette infraction, ce péché d’orgueil si vous voulez, du nom d’βρις (hybris, tout ce qui dépasse la mesure). Et peut-être est-ce un symptôme révélateur que l’adverbe « trop » soit mis à toutes les sauces dans le langage actuel (« C’est trop cool, trop bon, trop fort ! »). En occident (et grâce à lui, partout ailleurs), le viol de la juste mesure est consommé depuis longtemps. 

 

On s’en est mis plein la lampe. Mais qui a déjà vu une cuite carabinée sans gueule de bois carabinée consécutive ? L’humanité l’attend encore, sa gueule de bois consécutive. Selon toute probabilité, elle sera sévère. A mon avis, la cellule de dégrisement est déjà en vue.

 

Jacques Lacan, qui n'a pas dit que des conneries, disait : « Le réel, c'est quand on s'y cogne ».

 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 07 juillet 2013

MON ANTHOLOGIE MONTAIGNE

 

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COUPLE BOURGEOIS, PAR AUGUST SANDER

 

***

Montaigne fut le premier écologiste. Je ne l’affirme pas, je le prouve : « Mais, quand je rencontre, parmi les opinions les plus modérées, les discours qui essaient à montrer la prochaine ressemblance de nous aux animaux, et combien ils ont de part à nos plus grands privilèges, et avec combien de vraisemblance on nous les apparie, certes, j’en rabats beaucoup de notre présomption, et me démets volontiers de cette royauté imaginaire qu’on nous donne sur les autres créatures. Quand tout cela en serait à dire, si y a-t-il un certain respect qui nous attache, et un général devoir d’humanité, non aux bêtes seulement qui ont vie et sentiment, mais aux arbres même et aux plantes. Nous devons la justice aux hommes, et la grâce et la bénignité aux autres créatures qui en peuvent être capables. Il y a quelque commerce entre elles et nous, et quelque obligation mutuelle ». Qui y trouverait à redire ?

 

Peut-être Carolyn Christov-Bakargiev, responsable d’une foireuse foire d’art contemporain (« arcon » en abrégé, opposé à l’ « art temporain », je crois que la dame sévit à la Documenta de Kassel), qui a par ailleurs rédigé une Déclaration des Droits des plantes (elle travaille même sérieusement à leur faire accorder le droit de vote, des élections locales jusqu'à l'ONU) : elle trouverait Montaigne d’une insupportable pusillanimité. Une femme tonique, une merveilleuse éradicatrice de civilisation, à l'image exacte des canons de l'époque où elle a été condamnée, hélas, à exister.

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ELLE A POURTANT L'AIR NORMAL, MADAME CAROLYN CHRYSTOV-BAKARGIEV

Dans l’Apologie de Raymond Sebond (II, XII), Montaigne tourne dans tous les sens la question de ce qui différencie l’homme de l’animal. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas convaincu que l’homme est un animal si différent que ça des autres animaux : « ceux qui entretiennent les bêtes se doivent dire plutôt les servir qu’en être servis ».

 

On n’est pas plus net, ce me semble, et la hiérarchie établie par la doxa biblique, le Vatican et la Sorbonne latinisante entre les êtres vivants n’est, aux yeux de Montaigne, qu’une manifestation d’arrogance dérisoire. Pascal Picq et tous ses copains de l’abolition des frontières entre l’homme et l’animal doivent hoqueter de bonheur en voyant se profiler à l'horizon la tombe à venir de l’humanité. Et toc ! Pascal Picq voit une amorce du politique dans les rituels tribaux des groupes de chimpanzés, c'est vous dire ce qui nous pend au nez. Moi je dis à Pascal Picq : « Ben mon pote, on n'est pas sortis de l'auberge espagnole ». Remarquez que Sarkozy en chimpanzé (avec Hollande en Cheetah ?), ça n'aurait rien de bien défrisant. Notez que "cheetah" veut dire "guépard" (d'après mon dictionnaire).

 

Marcel Gauchet, dans Le désenchantement du monde (1985), rappelle que « le christianisme est la religion de la sortie de la religion ». Je soupçonne quant à moi le sieur Michel de Montaigne d’y être pour quelque chose. Vous voulez une preuve ? Prenez le chapitre XVI du Livre II des Essais (De la gloire) : « Le marinier ancien disait ainsi à Neptune en une grande tempête : Ô Dieu, tu me sauveras si tu veux ; tu me perdras si tu veux. En attendant, je tiendrai mon timon toujours ferme et droit ».

 

La Fontaine, au siècle suivant, a dit la même chose autrement : « Aide-toi, le ciel t’aidera ». Eh oui, l’homme chrétien n’attend plus passivement le bon vouloir de la providence : il fait quelque chose pour faire advenir la providence. L'action humaine entre en action. C'est une révolution, car c’est le début de la fin du christianisme. Si l’homme doit agir pour que le Ciel l’aide, c’est que le Ciel n’est pas tout-puissant, et que l’homme est devenu impatient, et il s'agace de cette bizarre impuissance du Ciel à combattre le Mal qui le menace. La remarque de Montaigne, comme celle de La Fontaine, c’est une marque du slogan futur : « Deviens ce que tu fais ». Dit autrement : agis, et tu seras sauvé. Tout le monde actuel, quoi, à part le "sauvé", vu la façon dont tourne ce qui reste de la nature. Mais comme dit l'autre (c'est toujours "l'autre") : il suffit d'y croire.

 

Et l'on se demande pourquoi nous sommes déchristianisés !!! Je le disais : avec Montaigne, le ver est dans le fruit : il voit l'homme non plus comme l'exclusive créature de Dieu, mais comme l'une parmi toutes les autres. Une sorte de « primus inter pares ». Avec Montaigne, le vrai n'est plus légitime. Tout simplement parce que, avec Montaigne, il n'y a plus de vrai de vrai.

 

Montaigne n'est peut-être qu'un symptôme de la montée en puissance qui attend l'Occident au tournant, mais ce ver dans le fruit que j'y vois, cette démission de légitimité du vrai, c'est exactement au même rythme qu'il croque dans la pomme que nous sommes. Le « canard du doute », qu'on trouve dans Les Chants de Maldoror, d'Isidore Ducasse, alias Comte de Lautréamont. Comme dit Maldoror : « Je te salue, vieil océan ! ».

 

Voilà : je te salue, vieil océan.

 

Voilà ce que je dis, moi.