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mardi, 21 février 2017

QUEL PRÉSIDENT ?

Qui sera le prochain président de la République française ? Sera-ce une présidente ? Les politologues se perdent en conjectures ? Un brouillard épais bouche l’horizon du paysage politique de la France ? Il faut bien reconnaître que tout ce qui structurait le paysage jusqu’à maintenant a atteint les limites de la décomposition cadavérique : les mouches et les vers s’en donnent à cœur-joie et s’empiffrent à qui mieux-mieux (« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,/ D'où sortaient de noirs bataillons/ De larves, qui coulaient comme un épais liquide/ Le long de ces vivants haillons », Une charogne, Charles B.). Il y aurait lieu de s’en réjouir, si les conséquences ne risquaient pas d’être aussi néfastes pour le pays.

Non, il n’y a pas lieu de se réjouir de l’infâme merdier dans lequel patauge la politique en France depuis quarante ans. Ce qu’on peut dire, c’est que le merdier actuel marque le dernier stade d’un processus qui n’a pas cessé. Parmi les ferments qui l’ont provoqué, je citerai en premier lieu l’homogénéité sans cesse plus grande du personnel politique : peu à peu il s’est composé de gens conformes à un seul et unique modèle, à cause (soit dit pour simplifier) de la prégnance de l’ENA dans leur formation intellectuelle, qui en fait moins des politiques que des directeurs d’administration. Car l'ENA forme exclusivement des gens en vue de la "préparation à la décision". L'ENA, à la base, ne forme pas des décideurs.

Car un homme politique n’est pas un gestionnaire : il laisse ce soin à des techniciens de la chose. Le premier métier du politique n’est pas de faire des budgets prévisionnels, des bilans ou des inventaires des moyens à disposition : le comptable et le technicien feront ça très bien. Son premier métier est de porter un regard sur son pays, d'imaginer comment améliorer sa situation, et avoir une idée de la place qu’il peut ou doit occuper dans le monde. L'homme politique, au sens le plus noble, doit être un inventeur, un bâtisseur, un architecte, en aucun cas un administrateur de l'existant. En un mot, il se fixe un objectif, puis il s’efforce de convaincre tout le monde que c’est là qu’il faut aller. La présidence Hollande est une illustration parfaite de tout ce que n'est pas un chef politique.

A cet égard, on peut dire que le cancer qui ronge la vie politique française s’appelle l’ENA (et équivalents), qui sert de marchepied à un nombre invraisemblable de nos actuels politiciens qui, très logiquement, sont imprégnés de la même façon de voir les choses et d’aborder les problèmes : une façon administrative. L'ENA instaure et perpétue une conception purement bureaucratique et technocratique de la politique. C’est moins la volonté, le caractère et la personnalité qui fait l’homme politique aujourd’hui, que la compétence (réelle ou supposée) apportée dans le traitement bureaucratique de dossiers. Le politicien d'aujourd'hui semble devoir être obligatoirement un intello (je n'ai pas dit "intellectuel") capable de pondre des "synthèses" (suivez mon regard). A noter que ce n'est pas parce qu'on se proclame anti-intello que les choses vont mieux (Sarkozy).

S’ajoute à cela que le recrutement du personnel politique s’opère de plus en plus en circuit fermé, selon une trajectoire de plus en plus uniformément balisée, qui fait de la France une république, non de gens qui l'aiment et qui ont envie de la servir, mais une république de premiers-de-la-classe, où les plus anciens, au fur et à mesure qu’ils s’élèvent, recrutent et adoubent de plus jeunes désireux de se lancer dans la carrière, jugés dignes de leur succéder parce qu’ils sont aptes, dociles et qu’ils ont fait allégeance et prêté serment de loyauté.

Et toutes les troupes de ce petit monde trouvent depuis quarante ans dans le Front National l'épouvantail magique qui a servi jusqu'à maintenant à légitimer leurs petits manèges et leurs petits calculs. Tous ces beaux messieurs de la droite et de la gauche (républicaines) se sont mis d'accord pour brandir l'étendard de la « lutte contre le Front National », pour étendre le beau rideau de fumée qui leur a évité de faire diminuer la taille de leurs fromages (cumul des mandats, indemnités diverses, petits honneurs, renvois d'ascenseurs, services rendus, ...). Ils tirent de leur statut très particulier un incroyable privilège, car il leur confère une aura voisine de celle qui nimbait les nobles d'Ancien régime. Pas un pour cracher dans la soupe.

Le Front National ne vaut pas tripette. Son succès apparent est un succès par défaut : c'est la médiocrité de tous les autres qui l'a en quelque sorte fabriqué tel qu'il est aujourd'hui. Donnez-moi des hommes politiques dignes et efficaces, et vous verrez le Front National rentrer dans son trou de souris. Les bonnes âmes qui prêchent la croisade contre le Front National ne me font même pas rire : ils me mettent en rage, car ils sonnent une charge contre un moulin à vent qui constitue en réalité une excellente manœuvre de diversion et qui fait oublier les véritables responsabilités.

Cette pratique quasi-féodale de la politique ne risque pas de laisser émerger des personnalités nouvelles, voire originales, ni un sang neuf irriguer les artères de la France. Ce système de recrutement des élites a littéralement stérilisé le terrain des possibles. Il suffit de regarder ce qui se trouve actuellement sur la ligne de départ dans le championnat présidentiel d’avril-mai. Je fais abstraction de tous les 0,5% incompressibles qui s'alignent à chaque fois.

A l’extrême-gauche (faisons semblant d’admettre l’appellation), avec La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, charrette sur laquelle les derniers survivants du PCF ont été obligés de monter, on a un bon tribun qui aime la boursouflure oratoire (il cite Victor Hugo sans s'attirer de tomates), mais un vieux cheval de retour qui, entré au PS en 1976, essaie de nous faire croire qu’il peut tout régénérer. Un histrion, quoi. Un olibrius si vous préférez.

A gauche (là encore, faisons semblant), Benoît Hamon, freluquet émané pur sucre du PS (pour Pédalo Socialiste), est le seul à présenter une idée nouvelle dans le paysage : le désormais célèbre « revenu universel », énorme fumisterie à la viabilité de laquelle lui-même fait semblant de croire, et dont seuls des gogos peuvent acheter le produit miracle vendu par ce camelot. Et ce n'est pas la rescousse écolo venue de Yannick Jadot (alias Jadot-lapin, à cause des carottes bio) et de son groupuscule gonflé à l'hélium qui convaincra les foules.

A droite, François Fillon l’ultralibéral doctrinaire, l'incarnation même de notre système politique agonisant, choisi triomphalement par son camp pour en porter les couleurs, a réussi à le couvrir d'immondices, compromettant ses chances d’élection, mais compte sur le temps qui passe pour que le dégoût s’affaiblisse et disparaisse, et que la raison calculatrice finisse par lui permettre, malgré tout, de l’emporter.

A l’extrême droite (républicaine, dit-on), Marine Le Pen actionne le vieux levier des fantasmes idéologiques légués par son papa (retour au franc, halte à l’immigration, …), dans l’espoir de faire passer au second plan la folie proprement délirante de son programme économique : baisse de plusieurs impôts, des tarifs de l’énergie, des droits de succession, et augmentation des effectifs de la police, de la gendarmerie, de l’armée, des salaires des fonctionnaires, des allocations, des pensions. Bref, d’un côté elle veut assécher les ressources de l’Etat, et de l’autre accroître démesurément ses dépenses. Autrement dit, Mme Le Pen nous refait le vieux coup du "demain on rase gratis". C’est la recette exacte de quelqu’un qui proposerait aux Français de faire faillite le plus tôt possible. Un suicide. 

N’ai-je pas oublié quelqu’un ? Ma foi, si vous y tenez. C’est quoi, Emmanuel Macron ? Franchement, vous y croyez ? Ce n’est pas sérieux. Véritable auberge espagnole de la politique, il a inscrit sur son enseigne : "On peut apporter son manger". Il n’a ni main gauche ni main droite : il ne se situe nulle part (sens exact du mot « utopie »). Lui, il est carrément « au-dessus des nuées », comme dit Baudelaire. Il n’est pas en communication, il est en communion. Là, il « se meut avec agilité » (du même Baudelaire). Capable de dire au public de ses meetings : « Je vous aime », cet ancien banquier très propre sur lui ose un jour parler de « mystique » en politique, et le lendemain manier le « crime contre l’humanité », quand il s’agit de draguer l’électorat issu de l’immigration. Voilà, Macron n’est rien d’autre qu’un vulgaire dragueur : il veut plaire, il veut séduire, tous les moyens sont bons. Il dit à tout le monde : « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? ». Je dis juste : non merci, sans façon. En résumé : c'est une baudruche.

Qu’est-ce qui ressort de ce panorama ? Un diagnostic pas brillant du tout. Pour la première fois, le Front National a une petite chance d’arriver au pouvoir. Si cela advient, gare au cataclysme. Mais ce ne serait que le résultat mécanique du dépérissement de la vie politique française, asphyxiée, étouffée, étranglée par la détention exclusive des pouvoirs par deux mafias complices pour arracher les places et les centres de décision à la délibération démocratique. Deux mafias tout aussi impuissantes l’une que l’autre à modifier un réel qui se dégrade inexorablement pour un nombre sans cesse grossissant de pauvres (c'est ce mécanisme qui a porté Trump au pouvoir aux USA).

La « colère de la population à l’égard des élites » (refrain aimablement colporté par les élites elles-mêmes, qui ont plus d’un tour dans leur sac pour embrouiller, voir dans Le Figaro l’éditorial du jeudi 10 novembre 2016, signé Alexis Brézet, et intitulé « La colère des peuples », suite à l’élection de Donald Trump) est principalement due à cette confiscation des voies d’accès démocratiques à la décision politique.

Si Marine Le Pen l’emporte à la présidentielle, les Français le devront à l’institutionnalisation d’une forme de pourriture morale qui touche structurellement l’ensemble du personnel politique, qui fait de chaque responsable et de chaque élu un pourri par fonction, quelle que soit par ailleurs l’authenticité de son intégrité personnelle, et un complice forcé de la décrépitude, car ce n’est pas la probité individuelle des individus qui empêche la décomposition d’un système qui tourne principalement dans l’intérêt de sa propre conservation.

Oui, je suis en colère contre tous les postulants aux suffrages et aux places : je vois comme tout le monde le délitement à l’œuvre. Simplement, si j’étais un Américain, je n’aurais pas voté Trump, malgré tout le dégoût que pouvait m’inspirer la défunte Hillary. Je suis un Français. Je ne me vois pas reporter mon choix électoral sur Marine Le Pen, qui préfère nous proposer un suicide national rapide, de préférence à une lente agonie (peut-être pas si lente que ça, après tout).

Voilà le choix qui nous sera prochainement offert : un vieux poisson boursouflé de soi-même qui sent la marée du siècle dernier, un freluquet dont le seul avantage est de faire semblant de sortir de l’ombre, un cacique d’ancien régime qui avoue la priorité de son amour de l’argent sur tout autre idéal, un paltoquet qui a ouvert sa doctrine à tous les vents dans l’espoir de les voir se rassembler pour gonfler ses voiles, une fille à papa addict au poker et au bluff, qui a misé gros sur le pourrissement général, dans l’intention de tirer les marrons du feu. Plus personne de sensé ne peut y croire un instant.

Dans ces conditions, faut-il voter pour le « moins pire » ? Faut-il voter ? En l’état, je m’y refuse. Je ne ferai pas le déplacement. Arrive ce qui arrive, ce n’est pas mon dérisoire 44 millionième de voix qui changera quoi que ce soit au résultat. Ils n’avaient qu’à être à la hauteur. Je me dis même qu’il faudrait 44 millions d’abstentionnistes. 

Et pourquoi pas un appel à la grève générale des électeurs ? Vous imaginez, zéro bulletin dans l'urne ?

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 16 février 2017

C’EST QUOI, UN « GRAND RÉCIT » ?

2/2

Bon, maintenant on dira que l’impossibilité de voir émerger un quelconque  « Grand Récit », capable de redonner aux Français le désir de se projeter collectivement dans l’avenir n’est pas due seulement à la façon soi-disant neutre de raconter l’histoire aux enfants et aux jeunes. J’abonde évidemment. Parmi les autres causes, on citera par exemple la fragmentation du corps social opérée, entre autres, par le surgissement des revendications particulières de toutes sortes de « minorités », religieuses, ethniques, générationnelles, sexuelles, sans commune mesure avec l’importance numérique de ces groupes.

Comment garderait-on intacts les facteurs d’unification, quand l’époque est dominée par les facteurs de division ? Or la moindre des choses, pour qu’un « Grand Récit » soit clair et convaincant, c’est de présenter une histoire simple et homogène de forme et de contenu. On comprend donc qu’il soit au-dessus des forces des plus puissants « storytellers » actuels de proposer  quelque chose de simple, à la fois assez vague pour que chacun puisse s’identifier, et assez captivant pour entraîner l’adhésion.

On pourra parler aussi du processus de « globalisation », qui a vu les facteurs économiques prendre le pouvoir à l’intérieur des nations et dans les échanges entre elles. Il en découle un monde où le mot d’ordre unique et péremptoire s’appelle « compétition », et où toute substance, matérielle ou symbolique, est vouée à devenir une marchandise.

Or, entrer en compétition, en même temps que cela réduit les buts de l'existence à l'acquisition de produits, a pour effet de raccourcir drastiquement le temps dont on dispose, de rapprocher l’horizon et d'instaurer l’état d’urgence à perpète. On a une illustration politique criante de cet état de faits avec l’enfer électoral permanent où sont plongés des responsables, avant même toute préoccupation noble, obsédés de leur réélection, puisqu’ils y sont condamnés au « court-termisme », qui leur interdit d’élaborer des projets capables de nourrir un « Grand Récit ».

Eh oui, pour cela, il faut du temps. Dans l’urgence, on colmate : pas le temps de raconter des histoires. L'urgence empêche de réfléchir, et peut-être de penser. Et cela d'autant plus que l'urgence est devenue un rythme de croisière pour la marche du monde. Plus l'urgence presse l'humanité, moins l'humanité est en mesure de maîtriser son destin.

Car l’état d’urgence dans lequel la primauté des rapports de forces a plongé le monde se traduit par la multiplication des foyers d’incendie et l'explosion des casernes de pompiers des innombrables ONG et associations humanitaires. Ah, l'humanitaire !... En fait, l'humanitaire ne devrait pas être considéré comme une preuve attendrissante de la persistance de la bonté intrinsèque du cœur humain, mais comme un pressentiment de la course à l'abîme. Comme le thermomètre qui mesure la température de la fièvre qui a saisi le monde : plus il y a d'humanitaire, plus ça veut dire que ça va mal.

Voir par exemple les crises migratoires qui placent les Etats plutôt favorisés (et d'autres) dans l’obligation de réagir immédiatement (navires dédiés, camps de réfugiés, etc.). Voir les nombreux conflits africains, les régimes intolérables (Erythrée, …) et les conditions de vie, qui chassent de chez elles des populations nombreuses. Et ne parlons pas de Calais. Les ONG ne cessent de mettre en avant (elles n'ont pas tort) l'urgence des situations : dans le dilemme "faut-il intervenir ou laisser mourir", on n'a pas beaucoup le choix. Les gouvernements courent derrière. Quant au « Grand Récit », il est resté en rade.

Où que l’on regarde, on voit mal dans quel interstice de cette réalité un « Grand Récit » pourrait s’insinuer. Les dirigeants russes veulent restaurer l’ancienne grandeur de l’empire, qu’il soit des tsars ou des soviets. Les Chinois veulent rendre à l’ « Empire du Milieu » la splendeur un temps confisquée par l’Occident. Les Américains ont un seul projet : « make America great again ». Voilà les seuls « Grands Récits » qui mènent le monde aujourd’hui. La Chine se renforce, la Russie avance ses pions, l'Amérique de Trump, assise sur son passé, confond mirage et réalité. Voilà, c'est tout. Pas grand-chose. Tous les autres n’ont qu’un seul souci : préserver ce qu’on pourra des positions acquises dans la grande compétition internationale.

Ah non, pardon, j’en oublie un, et de taille. Car il y a au moins un « Grand Récit » qui a le vent en poupe aujourd’hui : l’islam. La communauté des musulmans (« oumma ») est en effet la seule à raconter une histoire qui soit à même de rameuter les énergies en vue de mener à bien un Grand Projet : la conquête du monde, rien de moins.

Le djihadisme n’est en effet que la forme exacerbée de cette volonté de conquête : toute la communauté musulmane mondiale (Lellouche et Chevènement se posaient la question l'autre jour chez Finkielkraut : 1,2 ou 1,6 milliards ?), y compris et surtout la plus pacifique, est en train de s’implanter tranquillement dans les terres autrefois chrétiennes, dès lors que les « Grands Récits » (le chrétien, puis le républicain) ont cessé d’opérer et d’animer des consciences ferventes. Ainsi seront bientôt lavées les hontes de Poitiers 732 (Charles Martel, "maire du palais") et de Vienne 1683 (Jean III Sobieski, roi de Pologne).

Il est frappant en effet de constater, en l’état actuel des choses, qu’une seule force agissante et efficace s’est élevée pour empêcher la civilisation de la primauté de la technique et de la marchandise d’envahir l’âme des individus : c’est l’islam. Oh oui, ils se tapent sur la gueule entre sunnites et chiites, mais posons-nous la question : comment se fait-il qu’une question qui concerne exclusivement les musulmans ait pu acquérir droit de cité avec tant de clarté et de confusion au sein de sociétés qui n’en avaient rigoureusement rien à foutre ? Et que les musulmans fassent semblant de n'être pas intéressés par le commerce des marchandises (un comble !) ne change rien aux données du problème.

Quel « Grand Récit » ont les sociétés européennes à opposer au déferlement qui vient ? Le christianisme ? Le catholicisme ? La République ? N’en déplaise à mon ami R., il faut arrêter de rêver et cesser de se complaire dans les illusions : l’Occident globalement marchand et matérialiste est, hormis quelques îlots de résistance, spirituellement démuni. Si l’existence consiste pour chacun en « épanouissement personnel », en « acquisition des signes de la jouissance » et en « réalisation de soi », l’Occident est, purement et simplement, foutu. Et sans doute le monde avec lui.

Allons, messieurs les politistes, politologues, éditorialistes, journalistes et autres commentateurs de la chose publique, cessez de jouer les Vestales, de faire croire que la flamme brûle et brille, et de tenter de ressusciter les cadavres. Dites enfin la vérité. Avouez que le « Grand Récit » est définitivement mort, sous les coups de la technique et de la marchandisation de tout. Arrêtez de faire semblant et de nous bourrer le mou.

Ne faites plus semblant : ouvrez les yeux, et puis ouvrez la bouche, non plus pour tenir le crachoir, mais pour dire cette fois ce qu'il en est. 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 08 février 2017

LES DEUX RÉALITÉS

Pour se faire une idée de l'état de santé du monde, il n'y a pas trente-six solutions : soit on regarde la situation qui est faite aux populations et aux individus, soit on se fie aux statistiques.

L'exemple de la Grèce est très parlant. Pour les "responsables" européens (le FMI aussi, quoiqu'il soit plus raisonnable, et demande l'annulation d'une partie de la dette grecque, ce que l'Europe germanisée refuse), la situation s'améliore quand les derniers chiffres publiés de la production et des exportations suivent une courbe ascendante (Brice Couturier sur France Culture) ; côté grec, les innombrables témoignages s’accumulent sur les difficultés de plus en plus insurmontables que des individus à bout de ressources rencontrent dans leur vie quotidienne pour se chauffer, se nourrir, joindre les deux bouts, simplement survivre.

D’un côté, les inflexibles créanciers qui n’imaginent pas ne pas voir revenir le plus minuscule des picaillons prêtés ; de l’autre, des personnes qui n'en peuvent mais, ayant cru pouvoir s’en remettre, pour la gestion des affaires du pays, à des gens responsables et qui, à l’arrivée, sont condamnées à payer les erreurs ou les brigandages de ceux-ci.

Le pire, c’est que dans cette affaire chacun a raison de son point de vue et tout le monde dit, à sa façon, une vérité. Simplement, ce sont deux humanités qui ne se rencontrent pas, qui ne sont pas faites pour se rencontrer, et dont les vies ne reposent pas sur la même expérience de la réalité du monde. A ceci près cependant que l'une de ces deux réalités exerce un pouvoir et que l'autre le subit.

D’un côté, on a en effet ceux qui, étant passés par l’école qui mène au pouvoir en passant par le savoir, interposent entre eux-mêmes et le monde l’écran de l’analyse savante des données chiffrées recueillies par des professionnels de la mise en nombre (cf. Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres) de toutes les choses et de tous les êtres : les statisticiens, sociologues, économistes, politiciens, technocrates, bureaucrates, etc. De l’autre, les populations de chair et d’os dont la seule malchance est d’être immergées dans la réalité et d’en éprouver les aspérités contondantes.

Deux espèces humaines se développent séparément (« développement séparé », sens exact du mot « apartheid »), et s’ignorent. Pour une raison qui peut paraître évidente : suivant le côté où l’on se situe, on ne parle pas de la même réalité. Aux uns une réalité faite d’un ensemble d’abstractions (tableaux, graphiques, courbes de variations, etc.) qui façonnent des images de la réalité en fonction de grilles de lecture, d’analyse, d'objectifs, d'évaluations, de décisions : une réalité construite, synthétique, représentée. Une réalité authentiquement virtuelle. Aux autres une réalité épaisse et consistante, avec laquelle on est bien obligé de se colleter, parce qu’elle est très concrète et qu'on a le nez dessus.

D’un côté une « réalité-à-distance », conceptuelle, distillée, concentrée ; de l’autre une « réalité-qui-est-là », et bien là. D’un côté une réalité-à-température-constante, une réalité de bureau et de dossier, climatisée, inodore et à l’abri des intempéries : une quintessence de réalité, quoi ; de l’autre une réalité de pleine mer, une réalité grouillante avec ses puanteurs, avec ses bruits et ses fureurs, ballottée en tous sens, livrée aux aléas climatiques et météorologiques.

D’un côté, la sécurité intérieure et extérieure en toute circonstance (c’en est au point que la chemise arrachée d’un DRH d’Air France provoque une tsunami aux répercussions mondiales : pensez, oser s’en prendre à la personne physique d'un Directeur des Ressources Humaines qui n'a fait que son boulot !) ; de l’autre, l’insécurité tant physique que morale de tous ceux dont le sort dépend des décisions prises à leur sujet.

Car tout le problème est là : Réalité 2 est façonnée par Réalité 1. Ceux qui y vivent subissent les conséquences des décisions prises par ceux qui en sont les prescripteurs qui, de leur côté, quoi qu’il arrive, ne s’estiment en aucune manière liés aux dites conséquences, au motif qu’ils « connaissent le dossier » et « savent de quoi ils parlent ». Superbement ignares d'un quelconque « principe responsabilité » (Hans Jonas), ils ne voudraient être considérés que comme les rouages consciencieux d'une grande machine nommée Nécessité.

Réalité 2 est devenue tellement virtuelle aux yeux des fonctionnaires au service de Réalité 1, que les décisions qu'ils prennent pour la façonner en fonction des exigences légitimes du service ne sauraient, pensez donc, entraîner de quelconques "dommages collatéraux". Leur action reste parfaitement inoffensive et sans conséquences néfastes : l'Etat grec est mis en demeure de rembourser intégralement ses créanciers, et pour s'en donner les moyens, doit diminuer les salaires, diviser les retraites par deux, en finir avec le système de protection sociale, accepter de privatiser tout ce qui constitue le bien public, bref, l'Etat grec est sommé de "se réformer" ("d'engager des réformes structurelles"). Et tant pis si le nombre de suicides explose, vu les conditions de vie intenables qui sont faites aux individus.

C’est une loi universelle : les décisions du prescripteur sont très rationnelles, et toujours prises pour le bien du plus grand nombre, mais en fin de compte dans l'intérêt de l'entité qui assure le gîte et le couvert aux dites décisions (et à leurs spadassins de signature). Aucune responsabilité ne saurait donc lui être imputée de ce qui arrive une fois que celles-ci sont appliquées.

C’est ainsi que Réalité 1 continue imperturbablement à raconter l’histoire : elle nous dit que, sur le front du chômage, la situation s'améliore aux Etats-Unis (3 ou 5% suivant les sources), en Grande-Bretagne (5,1% en 2016), en Allemagne (4,2% en 2016), à comparer avec la situation en France (9,7% INSEE). Conclusion des tenants de Réalité 1, sachant qu'une part du chômage, structurelle (3 à 5% maximum), est incompressible : tout va bien, sauf en France, mauvais élève. C'est évident, la création d'emploi est repartie à la hausse presque partout dans le monde (sauf dans les pays qui n'ont pas eu le courage de "se réformer"), et pour que cela se confirme dans la durée, pour assurer le bonheur de tous, n'en doutons pas, il faut faire sauter les verrous qui brident la croissance.

Syllogisme : en vérité, je vous le dis, la croissance est à notre portée. Or c'est la croissance qui sauvera le monde. Donc sainte Croissance doit être notre Graal.

Mais c’est curieux, il ne vient jamais à l’esprit des bons esprits qui répercutent ces chiffres, sur le ton tranquille de la placidité objective (comble de l'arrogance), de les « croiser » avec d’autres chiffres, remontés de Réalité 2, qui nous donnent un autre aperçu sur les choses. Par exemple, il semblerait qu’entre 10 et 15% des enfants (taux non vérifié) dorment dehors aux Etats-Unis et qu’un taux non négligeable d’Américains se nourrit grâce à la distribution de bons d’alimentation. De même, on compterait 13 millions de pauvres en Grande-Bretagne, 12,5 en Allemagne, 9 en France (mais la mondialisation a fait régresser la pauvreté dans les pays du sud, youkaïdi-youkaïda, "merci pour ce moment").

Les premiers de ces chiffres donnent le sourire aux économistes (sauf pour la France), les derniers devraient donner le vertige et la nausée à tous les autres. Ces deux humanités n’ont rien à se dire. Jusqu’à ce qu’un jour, les Américains élisent (soyons fous : imaginons l’inimaginable) Donald Trump.

Il y a donc Réalité 2, vivante et souffrante. En face, incompatible et intransigeante, il y a Réalité 1, ce monde de papier, ce garde-chiourme qui, la cravache des chiffres à la main, s'apprête à cingler le dos du pauvre monde jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 20 janvier 2017

MACRON LE PANACHE BLANC

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Photographie Frédéric Chambe.

Le voile protecteur posé sur l'échafaudage permet de mettre en évidence le rayonnement bleuté qui émane d'un lampadaire  de nouvelle génération et qui, en temps ordinaire, n'est pas perçu comme tel. Dernièrement dans Le Monde, un chirurgien des yeux pestait contre les écologistes aveugles qui, dans leur frénésie d'économies d'énergie, ne tiennent aucun compte des effets de ce rayonnement bleuté produit par les LED sur la rétine humaine, paraît-il dévastateur, et prometteur d'une future épidémie de DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l'Âge). Je livre tel quel cet avis d'un spécialiste. De bons philosophes savent, disent et professent qu'il ne peut y avoir de gain (ce qu'on appelle "Progrès") sans une perte équivalente. En réponse, comme Escartefigue répondant dans le Marius (III,5) de Pagnol, à je ne sais plus qui, « La marine française, elle te dit merde », avé l'assent), le "Progrès" répond, imperturbable et sûr de son bon droit : « Tu sais ce qu'il te dit, le Progrès ? ».

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Tiens, à propos de progrès, voilà ce qu'il nous dit, Le Progrès, mercredi 18 janvier :

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Devinette : quelle est la couleur du panache blanc de Macron ?

Une cinquantaine de socialistes du Rhône, dont le maire de Lyon Gérard Collomb, ont annoncé qu'ils ne participeraient pas à la primaire du Parti Socialiste (Belle Alliance Populaire dans sa version exotique, fleurie et odorante) et qu'il rejoignent en cohorte tous les ralliés qui ont déjà fait leur déclaration d'amour à Emmanuel Macron et à sa candidature.

Pour être franc, Emmanuel Macron, c'est quoi ? Quand des "experts" analysent la "trajectoire fulgurante" de ce type très propre sur lui, ils sont perplexes, ils répondent qu'ils ne savent pas bien, que les contours de sa "doctrine" sont pour l'instant un peu flou, qu'ils attendent de connaître les détails de son programme pour se prononcer.

L'intéressé ne semble pas pressé, c'est le moins qu'on puisse dire, de mettre ses cartes sur la table. Pour mon compte, j'ai tendance à me dire que, quand il estimera que ce jour est venu, il y a des chances qu'on assiste à un drôle de spectacle. Probable en effet que l'on verra la montagne accoucher d'une souris. Mieux, il est même possible qu'on voie ce jour-là, pour la première fois, une élégante mayonnaise accoucher de Mickey mouse.

Ce qui est sûr, c'est que le "petit nouveau" fonctionne à la façon d'un certain "panache blanc", d'illustre mémoire dans l'histoire de France. Aujourd'hui, c'est Macron qui fait le panache blanc.

L'image du miroir aux alouettes était également utilisable, quoique le message qui s'en dégage soit moins amusant. Ce qui est sûr, c'est qu'en ce moment, les dents longues de cette étrange émulsion médiatique croquent sans se gêner dans le gâteau que les enquêtes d'opinions sortent pour lui du four "à pleines pallerées" (Rabelais).

Convainquons-nous, au risque de doucher les enthousiastes, que le soufflé ne tardera pas à retomber : Macron est la pièce toute neuve (on dit "fleur de coin" chez les numismates) qui sort d'une machine à bout de souffle. Toutes les pièces qui sont sorties de la même chaîne de fabrication sont aujourd'hui bonnes pour la casse.  C'est la série entière qui doit renvoyée chez l'industriel pour malfaçon.

Dans ces conditions, sur quoi sont fondés les innombrables ralliements que collectionne dans son sillage la candidature de Macron ? Va comprendre ...

Mais il me vient tout à coup une petite idée, que partageront sans doute pas mal d'abstentionnistes endurcis. Derrière le défilé impressionnant des troupes qui emboîtent le pas, jour après jour, à ce premier de la classe à gueule de jeune premier (ça tombe bien), je vois s'allumer sur le mur du fond une enseigne au néon qui illumine la noblesse des intentions de tous ces suiveurs : 

À LA SOUPE !!!!

Les premiers ralliés nourrissant sûrement l'espoir d'être les premiers servis : il y aura des places à prendre au cas où .... Tous ces ralliés sont en train de jouer au loto. En clair : ils croient au père Noël, et ils voudraient très fort que nous fassions de même.

Je réponds à la façon de Donald Trump : NO WAY !!!

Le panache blanc d'Henri IV ("le chemin de la gloire et de l'honneur") avait tout de même une autre gueule.

vendredi, 11 novembre 2016

DE QUOI DONALD TRUMP EST-IL LE SIGNE ?

De quoi l’élection de Donald Trump est-elle le symptôme ? Je n’ai aucune qualification spéciale pour répondre à cette question. Je m’informe, et je tâche, vaille que vaille, de mettre un peu de cohérence dans tout ce que j’engrange en mettant bout à bout les éléments hétéroclites que je picore à droite et à gauche. En un mot : je bricole. Certains appelleraient ça « la quête du sens ». Pourquoi pas ?

Alors Trump ? Alors le « populisme » ? De quoi ce mot est-il le nom ? J’émets une hypothèse : je regarde la situation dans laquelle l’économie et la politique ultralibérales ont plongé une large classe moyenne aux Etats-Unis. Des chiffres hallucinants : cent vingt millions d’Américains sont pauvres. Gabriel Zucman (La Richesse cachée des nations) écrit dans je ne sais plus quel journal qu’en cinq ou dix ans le 1% le plus riche de la population américaine a capté 85% de la hausse du niveau de vie. Etonnez-vous ensuite que ça produise des effets indésirables !

Qu’est-ce qui a produit une telle situation ? Pourquoi les inégalités ont-elles à ce point explosé ? Pour moi, la réponse est claire : le système économique, aveuglément libéralisé et financiarisé, qui règne aujourd’hui sans partage, conduit très logiquement à l’appauvrissement et à la précarisation de la plus grande partie de la population. C’est le refus de voir cette terrible réalité, de la part de tous les gens installés (les politiciens, sondeurs, économistes, journalistes, etc., bref, tous ceux qui ont intérêt à ce qu’un tel système perdure parce qu’ils croquent dans le fromage), qui a produit en toute logique le vote Trump.

Moralité : le populisme ne naît pas (ou pas seulement) tout armé « sponte sua et ex nihilo » du cerveau dérangé de quelque dictateur au petit pied (Kaczinsky en Pologne, Orban en Hongrie, Chavez au Venezuela, ...). Le populisme est le produit logique, quasiment nécessaire, du système tel qu'il fonctionne. Le populisme est une opportunité qui a été rendue possible et électoralement efficace par un système économique qui ravage la planète, et plonge des populations entières dans la précarité, la misère et le désespoir. Trump est une conséquence logique. Une drôle de conséquence quand même : c'est la première fois que le simple fait d'être un milliardaire sert d'argument pour se faire élire. Tout un symbole. Pauvres pauvres qui ont voté pour lui. Ils ne vont pas tarder à déchanter. Pardonnez-leur, parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. S'ils avaient su ce qui les attend à présent ...

Trump, on peut en penser ce qu’on veut, qu’il est vulgaire, sexiste, ignare, raciste, arrogant, antipathique, et tout et tout. Une caricature de clown. Certes, mais il est avant tout le symptôme de l’état pathologique dans lequel l’économisme déchaîné a mis le monde. L'invraisemblable succès de cette invraisemblable personnalité est proportionnel à l'exaspération de beaucoup d'Américains face à la montée des injustices dans la société.

Son succès a une autre explication : la faiblesse morale de son adversaire. Hillary Clinton, largement déconsidérée, incarne à la perfection la pourriture politique dans laquelle baigne l’élite des élus, et les compromis et compromissions dont ils se rendent coupables avec les géants de la finance et de l’économie, dont ils apparaissent les complices. Elle symbolise, aux yeux des gens que 2008 a plongés dans la précarité (subprimes), toutes les causes de leurs problèmes. 

Une autre explication encore : 59 millions d'électeurs ont voté pour lui. Si Clinton bénéficie à peu près du même nombre de suffrages (1 million de plus), ça fait à peu près 120 millions de votants. Or il y a 231 millions d'électeurs aux Etats-Unis. Cela fait une grosse moitié de la population qui s'est déplacée. Trump a été élu avec 25,8% des voix. Cela signifie que ce que représentent les deux principaux candidats est pour quelque chose dans la répugnance des gens à aller voter (quoique l'abstention soit une maladie chronique aux Etats-Unis).

C'est un peu la même chose en France, où le Front National ne doit son émergence et sa progression qu'à la médiocrité toujours plus répugnante du personnel politique en place et à la désertion des bureaux de vote par les électeurs que cette médiocrité a provoquée. La médiocrité explique l'abstentionnisme massif, et accessoirement la disqualification de la démocratie représentative. Quand je dis "médiocrité", je veux dire l'absence totale dans le personnel politique de "sens de l'Etat" : tous ces gens ne pensent qu'à leur petite carrière.

Accessoirement, on peut se gausser de la pertinence des « instituts de sondage » en général et américains en particulier, avec leurs statisticiens, leurs questions, leurs calculs de probabilités et leurs « doigts mouillés » (il paraît cependant que les sondages publiés par le Los Angeles Times sont les seuls à avoir donné régulièrement Trump gagnant). Quand ils n’avaient pas vu venir le « Brexit », les journaux s'étaient empressés de faire amende honorable le lendemain, sur l’air de : « Il faut faire preuve d’humilité. Nous ne le ferons plus. Plus jamais ça ». Mon Dieu, que de bonnes intentions les lendemains de plantage ! Et que de rechutes à la première occasion !

L’élection américaine a balayé l’humilité. Les sondeurs, relevant le front et retrouvant leur arrogance de pseudo-scientifiques, ont foncé comme s’il ne s’était rien passé en Angleterre. Résultat, ce matin (jeudi 10), j’entendais aux informations des phrases du genre : « Les sondeurs, les journalistes, les médias ont déclaré qu’il était urgent de procéder à un examen de conscience ». Examen de conscience ! On aura tout entendu ! Gageons que tout ce petit monde, à la prochaine échéance, aura eu le temps de "prendre de bonnes résolutions", avant, le moment venu, de revenir aux méthodes favorites. Dame ! Il faut bien vivre !

Quant aux sondeurs français de 2017, parions qu’ils auront pris bonne note des errements de leurs confrères anglais et américains, et qu'ils auront à cœur de les imiter en tout point. Sondeurs, journalistes, politiciens, politologues, directeurs de journaux, éditorialistes et tutti quanti regardent le monde avec les mêmes lunettes. Ils se sont fabriqué une grille de lecture unique, qu’ils plaquent sur toutes les situations et les réalités qui se présentent, et en tirent infailliblement, après des analyses savantes, des significations, des explications, des conclusions péremptoires, jusqu’au démenti que leur infligeront les dites situations et réalités.

Le principe du sondage (avec la foutaise affabulatrice de ses « échantillons représentatifs » démesurément extrapolés ensuite à la population entière : « Vous êtes 34,3% à penser que … ») est de la même nature que n’importe quels autres arts divinatoires, de la chiromancie à l'oniromancie, en passant par la cartomancie, la rabdomancie, l'ornithomancie et la nécromancie, sans oublier la bonimentomancie et la crapulomancie. Sarkozy lui-même n'a-t-il pas déclaré qu'il ne faut pas leur accorder trop d'attention. Ce disant, il ne voit pas le grotesque de la chose, quand on se souvient de la frénésie sondagière qui avait saisi l'Elysée pendant toute la durée de son mandat.

Je suis toujours effaré de la légèreté avec laquelle des journalistes, qui se disent pourtant sérieux et professionnels par ailleurs, se réfèrent avec le plus grand sérieux apparent à des chiffres obtenus de façon en général fantaisiste, en faisant semblant de citer des données du réel. La vérité sur les sondages est que la grille de lecture qu'ils utilisent ne mesure que le déjà vu, le dûment enregistré. En gros, c'est le passé qui guide les sondages, du fait que la conception des protocoles méthodologiques se fait à partir d'un donné dûment établi. Il est donc tout à fait logique qu'ils soient démunis quand il s'agit de phénomènes radicalement nouveaux.

L’élection de Trump à la présidence américaine révèle de façon hurlante la réalité misérable de l’état matériel, intellectuel et moral dans lequel le système économique et politique des Etats-Unis a plongé une bonne partie des gens ordinaires. La dénégation de ce réel-là par les gens en place (je n'énumère pas les catégories, voir plus haut) a fait le reste. L'élection de Trump est le symptôme des pathologies dont souffre l'Amérique. Le problème, avec les USA, c'est qu'ils ont amplement prouvé par le passé qu'ils avaient le pouvoir d'exporter leurs pathologies et, à eux seuls, de détruire de fragiles équilibres politiques, et de mettre le monde dans une belle panade. Le monde a donc bien raison de s'inquiéter de l'élection de Donald Trump.

L'élection de Trump est un signe inquiétant, un sombre présage, c’est certain. Mais ce n’est pas tant Trump qui me fait peur, que l’état dans lequel est un monde où l'élection d'un tel batteur d'estrade a été rendue possible.

Voilà ce que je dis, moi.