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mardi, 21 février 2017

QUEL PRÉSIDENT ?

Qui sera le prochain président de la République française ? Sera-ce une présidente ? Les politologues se perdent en conjectures ? Un brouillard épais bouche l’horizon du paysage politique de la France ? Il faut bien reconnaître que tout ce qui structurait le paysage jusqu’à maintenant a atteint les limites de la décomposition cadavérique : les mouches et les vers s’en donnent à cœur-joie et s’empiffrent à qui mieux-mieux (« Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,/ D'où sortaient de noirs bataillons/ De larves, qui coulaient comme un épais liquide/ Le long de ces vivants haillons », Une charogne, Charles B.). Il y aurait lieu de s’en réjouir, si les conséquences ne risquaient pas d’être aussi néfastes pour le pays.

Non, il n’y a pas lieu de se réjouir de l’infâme merdier dans lequel patauge la politique en France depuis quarante ans. Ce qu’on peut dire, c’est que le merdier actuel marque le dernier stade d’un processus qui n’a pas cessé. Parmi les ferments qui l’ont provoqué, je citerai en premier lieu l’homogénéité sans cesse plus grande du personnel politique : peu à peu il s’est composé de gens conformes à un seul et unique modèle, à cause (soit dit pour simplifier) de la prégnance de l’ENA dans leur formation intellectuelle, qui en fait moins des politiques que des directeurs d’administration. Car l'ENA forme exclusivement des gens en vue de la "préparation à la décision". L'ENA, à la base, ne forme pas des décideurs.

Car un homme politique n’est pas un gestionnaire : il laisse ce soin à des techniciens de la chose. Le premier métier du politique n’est pas de faire des budgets prévisionnels, des bilans ou des inventaires des moyens à disposition : le comptable et le technicien feront ça très bien. Son premier métier est de porter un regard sur son pays, d'imaginer comment améliorer sa situation, et avoir une idée de la place qu’il peut ou doit occuper dans le monde. L'homme politique, au sens le plus noble, doit être un inventeur, un bâtisseur, un architecte, en aucun cas un administrateur de l'existant. En un mot, il se fixe un objectif, puis il s’efforce de convaincre tout le monde que c’est là qu’il faut aller. La présidence Hollande est une illustration parfaite de tout ce que n'est pas un chef politique.

A cet égard, on peut dire que le cancer qui ronge la vie politique française s’appelle l’ENA (et équivalents), qui sert de marchepied à un nombre invraisemblable de nos actuels politiciens qui, très logiquement, sont imprégnés de la même façon de voir les choses et d’aborder les problèmes : une façon administrative. L'ENA instaure et perpétue une conception purement bureaucratique et technocratique de la politique. C’est moins la volonté, le caractère et la personnalité qui fait l’homme politique aujourd’hui, que la compétence (réelle ou supposée) apportée dans le traitement bureaucratique de dossiers. Le politicien d'aujourd'hui semble devoir être obligatoirement un intello (je n'ai pas dit "intellectuel") capable de pondre des "synthèses" (suivez mon regard). A noter que ce n'est pas parce qu'on se proclame anti-intello que les choses vont mieux (Sarkozy).

S’ajoute à cela que le recrutement du personnel politique s’opère de plus en plus en circuit fermé, selon une trajectoire de plus en plus uniformément balisée, qui fait de la France une république, non de gens qui l'aiment et qui ont envie de la servir, mais une république de premiers-de-la-classe, où les plus anciens, au fur et à mesure qu’ils s’élèvent, recrutent et adoubent de plus jeunes désireux de se lancer dans la carrière, jugés dignes de leur succéder parce qu’ils sont aptes, dociles et qu’ils ont fait allégeance et prêté serment de loyauté.

Et toutes les troupes de ce petit monde trouvent depuis quarante ans dans le Front National l'épouvantail magique qui a servi jusqu'à maintenant à légitimer leurs petits manèges et leurs petits calculs. Tous ces beaux messieurs de la droite et de la gauche (républicaines) se sont mis d'accord pour brandir l'étendard de la « lutte contre le Front National », pour étendre le beau rideau de fumée qui leur a évité de faire diminuer la taille de leurs fromages (cumul des mandats, indemnités diverses, petits honneurs, renvois d'ascenseurs, services rendus, ...). Ils tirent de leur statut très particulier un incroyable privilège, car il leur confère une aura voisine de celle qui nimbait les nobles d'Ancien régime. Pas un pour cracher dans la soupe.

Le Front National ne vaut pas tripette. Son succès apparent est un succès par défaut : c'est la médiocrité de tous les autres qui l'a en quelque sorte fabriqué tel qu'il est aujourd'hui. Donnez-moi des hommes politiques dignes et efficaces, et vous verrez le Front National rentrer dans son trou de souris. Les bonnes âmes qui prêchent la croisade contre le Front National ne me font même pas rire : ils me mettent en rage, car ils sonnent une charge contre un moulin à vent qui constitue en réalité une excellente manœuvre de diversion et qui fait oublier les véritables responsabilités.

Cette pratique quasi-féodale de la politique ne risque pas de laisser émerger des personnalités nouvelles, voire originales, ni un sang neuf irriguer les artères de la France. Ce système de recrutement des élites a littéralement stérilisé le terrain des possibles. Il suffit de regarder ce qui se trouve actuellement sur la ligne de départ dans le championnat présidentiel d’avril-mai. Je fais abstraction de tous les 0,5% incompressibles qui s'alignent à chaque fois.

A l’extrême-gauche (faisons semblant d’admettre l’appellation), avec La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, charrette sur laquelle les derniers survivants du PCF ont été obligés de monter, on a un bon tribun qui aime la boursouflure oratoire (il cite Victor Hugo sans s'attirer de tomates), mais un vieux cheval de retour qui, entré au PS en 1976, essaie de nous faire croire qu’il peut tout régénérer. Un histrion, quoi. Un olibrius si vous préférez.

A gauche (là encore, faisons semblant), Benoît Hamon, freluquet émané pur sucre du PS (pour Pédalo Socialiste), est le seul à présenter une idée nouvelle dans le paysage : le désormais célèbre « revenu universel », énorme fumisterie à la viabilité de laquelle lui-même fait semblant de croire, et dont seuls des gogos peuvent acheter le produit miracle vendu par ce camelot. Et ce n'est pas la rescousse écolo venue de Yannick Jadot (alias Jadot-lapin, à cause des carottes bio) et de son groupuscule gonflé à l'hélium qui convaincra les foules.

A droite, François Fillon l’ultralibéral doctrinaire, l'incarnation même de notre système politique agonisant, choisi triomphalement par son camp pour en porter les couleurs, a réussi à le couvrir d'immondices, compromettant ses chances d’élection, mais compte sur le temps qui passe pour que le dégoût s’affaiblisse et disparaisse, et que la raison calculatrice finisse par lui permettre, malgré tout, de l’emporter.

A l’extrême droite (républicaine, dit-on), Marine Le Pen actionne le vieux levier des fantasmes idéologiques légués par son papa (retour au franc, halte à l’immigration, …), dans l’espoir de faire passer au second plan la folie proprement délirante de son programme économique : baisse de plusieurs impôts, des tarifs de l’énergie, des droits de succession, et augmentation des effectifs de la police, de la gendarmerie, de l’armée, des salaires des fonctionnaires, des allocations, des pensions. Bref, d’un côté elle veut assécher les ressources de l’Etat, et de l’autre accroître démesurément ses dépenses. Autrement dit, Mme Le Pen nous refait le vieux coup du "demain on rase gratis". C’est la recette exacte de quelqu’un qui proposerait aux Français de faire faillite le plus tôt possible. Un suicide. 

N’ai-je pas oublié quelqu’un ? Ma foi, si vous y tenez. C’est quoi, Emmanuel Macron ? Franchement, vous y croyez ? Ce n’est pas sérieux. Véritable auberge espagnole de la politique, il a inscrit sur son enseigne : "On peut apporter son manger". Il n’a ni main gauche ni main droite : il ne se situe nulle part (sens exact du mot « utopie »). Lui, il est carrément « au-dessus des nuées », comme dit Baudelaire. Il n’est pas en communication, il est en communion. Là, il « se meut avec agilité » (du même Baudelaire). Capable de dire au public de ses meetings : « Je vous aime », cet ancien banquier très propre sur lui ose un jour parler de « mystique » en politique, et le lendemain manier le « crime contre l’humanité », quand il s’agit de draguer l’électorat issu de l’immigration. Voilà, Macron n’est rien d’autre qu’un vulgaire dragueur : il veut plaire, il veut séduire, tous les moyens sont bons. Il dit à tout le monde : « Voulez-vous coucher avec moi ce soir ? ». Je dis juste : non merci, sans façon. En résumé : c'est une baudruche.

Qu’est-ce qui ressort de ce panorama ? Un diagnostic pas brillant du tout. Pour la première fois, le Front National a une petite chance d’arriver au pouvoir. Si cela advient, gare au cataclysme. Mais ce ne serait que le résultat mécanique du dépérissement de la vie politique française, asphyxiée, étouffée, étranglée par la détention exclusive des pouvoirs par deux mafias complices pour arracher les places et les centres de décision à la délibération démocratique. Deux mafias tout aussi impuissantes l’une que l’autre à modifier un réel qui se dégrade inexorablement pour un nombre sans cesse grossissant de pauvres (c'est ce mécanisme qui a porté Trump au pouvoir aux USA).

La « colère de la population à l’égard des élites » (refrain aimablement colporté par les élites elles-mêmes, qui ont plus d’un tour dans leur sac pour embrouiller, voir dans Le Figaro l’éditorial du jeudi 10 novembre 2016, signé Alexis Brézet, et intitulé « La colère des peuples », suite à l’élection de Donald Trump) est principalement due à cette confiscation des voies d’accès démocratiques à la décision politique.

Si Marine Le Pen l’emporte à la présidentielle, les Français le devront à l’institutionnalisation d’une forme de pourriture morale qui touche structurellement l’ensemble du personnel politique, qui fait de chaque responsable et de chaque élu un pourri par fonction, quelle que soit par ailleurs l’authenticité de son intégrité personnelle, et un complice forcé de la décrépitude, car ce n’est pas la probité individuelle des individus qui empêche la décomposition d’un système qui tourne principalement dans l’intérêt de sa propre conservation.

Oui, je suis en colère contre tous les postulants aux suffrages et aux places : je vois comme tout le monde le délitement à l’œuvre. Simplement, si j’étais un Américain, je n’aurais pas voté Trump, malgré tout le dégoût que pouvait m’inspirer la défunte Hillary. Je suis un Français. Je ne me vois pas reporter mon choix électoral sur Marine Le Pen, qui préfère nous proposer un suicide national rapide, de préférence à une lente agonie (peut-être pas si lente que ça, après tout).

Voilà le choix qui nous sera prochainement offert : un vieux poisson boursouflé de soi-même qui sent la marée du siècle dernier, un freluquet dont le seul avantage est de faire semblant de sortir de l’ombre, un cacique d’ancien régime qui avoue la priorité de son amour de l’argent sur tout autre idéal, un paltoquet qui a ouvert sa doctrine à tous les vents dans l’espoir de les voir se rassembler pour gonfler ses voiles, une fille à papa addict au poker et au bluff, qui a misé gros sur le pourrissement général, dans l’intention de tirer les marrons du feu. Plus personne de sensé ne peut y croire un instant.

Dans ces conditions, faut-il voter pour le « moins pire » ? Faut-il voter ? En l’état, je m’y refuse. Je ne ferai pas le déplacement. Arrive ce qui arrive, ce n’est pas mon dérisoire 44 millionième de voix qui changera quoi que ce soit au résultat. Ils n’avaient qu’à être à la hauteur. Je me dis même qu’il faudrait 44 millions d’abstentionnistes. 

Et pourquoi pas un appel à la grève générale des électeurs ? Vous imaginez, zéro bulletin dans l'urne ?

Voilà ce que je dis, moi.