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samedi, 31 août 2013

BRAVO SAN ANTONIO !

 

NEGRE TAMPON.jpg

"LES ESCLAVES AU BRESIL : IL SE FIT ECRASER LA TÊTE ENTRE DEUX TAMPONS".

LE COMMISSAIRE BOUGRET VERRAIT ÇA, IL CONCLURAIT QUE LE GARS N'EST PEUT-journal des voyages,littérature,frédéric dard,san antonio,bérurierÊTRE PAS VENU LÀ DE SON PLEIN GRÉ, ET QUE CE N'EST PEUT-ÊTRE PAS UN SUICIDE.

"AH PATRON, C'QUE VOUS ÊTES FORT !", S'ECRIERAIT ALORS L'INSPECTEUR CHAROLLES.

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SA2 BERURIER AU SERAIL.jpgCar c’est sûr, les meilleurs San Antonio sont ceux où Frédéric Dard y va joyeusement du calembour minable, de la niaiserie délicieuse, de la blague de bistrot, de la brève de comptoir à deux balles, bref, quand il lâche les chevaux-vapeur à l’inspiration, à l’imagination. Dans le registre minable ou dérisoire si possible. Quand il débride le moteur de Ferrari qu’il a sous le capot de son bolide verbal. Quand il lâche la bonde au fleuve puissant de l’invention lexicale. C’est là, je le dis, qu’il est le meilleur. 

 

Un bon San Antonio, c’est celui où la langue jubile. Que dis-je, effervesce, érupte, éructe, turgesce, éjacule et surrectionne. Certes, on est dans le registre populo, familier, argotique, mais je n'y peux rien : l'argot entre dans le corpus des langues, vivantes ou mortes, que je pratique avec délectation, chaque fois que l'occasion m'en est fournie. Sans l'argot, la langue française ne se mâcherait pas avec autant de gourmandise.

 

Et il me faut bien reconnaître que, dans Du Mouron à se faire, elle estSA2 FAUT ÊTRE LOGIQUE.jpg obligée de se faire reluire elle-même, la langue, parce que personne ne lui fait rien, à la pauvrette, qu’elle fait tapisserie (comme on ne dit plus) et que, réduite à se palucher elle-même, la « joie » qui en résulte n’a rien à voir avec les étoiles, les planètes et les galaxies qui l’illuminent quand quelqu’un d’assez doué la chatouille et l’entreprend comme il faut, là où il faut et en profondeur. Dans ce volume, la langue doit se contenter de l’orgasme du pauvre. Si on peut appeler ça un orgasme. 

 

Certes Karl Marx disait : « A chacun selon ses besoins. De chacun selon ses moyens », mais on n'est pas obligé de le croire. Cela veut dire qu'on ne peut pas toujours être au top. Enfin, je crois : on ne m'a jamais demandé de faire le traducteur, ce qui fait que je n'ai jamais essayé de transcrire de langue charabiesque en langue galimatiesque.

 

C'est vrai aussi qu'à l'opposé, il arrive à Dard d'en faire trop. Quand il est trop Dard, en quelque sorte. Pardon. Dans J'ai essayé : on peut ! (le titre est excellent et, pour une fois, justifié et expliqué, mais il ne faut rien exagérer), il en fait des tonnes, il en rajoute dans la sanantoniaiserie, dans la digression parasite, dans le méandre sinueux (« Pléonasme, sortez des rangs ! », braillait l'adjudant de Fernand Raynaud), dans le détour filandreux, dans le festonnement ornemental, dans le plissement associatif des idées, que le lecteur en perd totalement de vue l'argument, l'intrigue et la dramaturgie. C'est dommage. Comme si San Antonio virait à la littérature expérimentale.

 

Non, Frédéric Dard n'est pas James Joyce : un seul suffit amplement (moi qui ai lu Ulysse, parfaitement, oui monsieur, je ne sais pas trop, d'ailleurs, ce que les thuriféraires de l'Irlandais lui trouvent de si génial. Ah si, c'est vrai, il paraît qu'il a cassé les (attention les yeux !) « codes narratifs »). Je salue bien bas, mais je n'en pense pas moins : qu'est-ce qu'on en a à faire, franchement, des codes narratifs ? Frédéric Dard brille de tous ses feux quand il a trouvé l'équilibre de son déséquilibre. Je ne sais pas si vous suivez.

SA1 LA VERITE EN SALADE.jpg

SA2 LES ANGES SE FONT PLUMER.jpgEt cet équilibre, il peut le trouver. La preuve, si vous ouvrez La Vérité en salade, vous vous rendez tout de suite compte que vous avez tiré un bon numéro. D’abord à cause des « témoignages » affichés à la porte d’entrée, tous plus « san antoniesques » les uns que les autres, comme celui de Monsieur Vermot, profession Almanach : « Vos San-Antoniaiseries nous font beaucoup de tort ». Ou celui-ci : « Les bras m’en tombent », signé La Vénus de Milo. C’est idiot, mais c’est sympa. Ça met en confiance. Ça se met à la hauteur du lecteur. Je veux dire que ça accepte de descendre jusqu’au lecteur. Ça con-descend, même, on pourrait dire.

 

Je n’y peux rien, quand je lis ça à l’entrée de laSA2 SALUT MON POPE.jpg boutique, j’ai envie d’aller voir de plus près ce qu’il y a en magasin. Ça me coupe les vacances agréablement, parce que ça me fait oublier un moment l’ennui qui accompagne presque toujours ces parenthèses de vacuité existentielle, aussi vides que les dimanches après-midi des enfances mornes et familiales. Autrefois. C’en est curieux : comment se fait-il que les vacances soient devenues synonymes de bain de jouvence, de compensations bénéfiques et de réparations salutaires de tout le mal que représente la vie normale pour une foule invraisemblable de gens ?

 

SA2 SAN ANTONIO POLKA.jpgMoi qui demeure, quoi qu’il arrive, d’une courtoisie de qualité nippone (ni mauvaise), j’imagine bien ce que dirait San Antonio en pareille circonstance : « Mais bande de loquedus, si la vie normale vous stresse, pourquoi acceptez-vous sans barguigner de la mener, fidèlement et obstinément, jour après jour ? Alors ça, ça me les coupe, ça me les brise, ça me les menu ! Je ne sais pas, moi, ma vie normale me semble normale. Je veux dire qu’elle me contente à peu près. Individuellement, je veux dire. Et je dis bien « à peu près ». Mais enfin, vous rêvez à quoi, vous ? C’est quoi, cette caricature d’existence : onze mois de labeur chiant, un mois d’éclate ? Ça rime à quoi, ce cinéma ? ».

 

Bon, au lieu de s’exciter bêtement, on va fermer le clapoir duSA2 TU VAS TRINQUER SAN ANTONIO.jpg commissaire, bien qu’on ne puisse pas dire qu’il ait entièrement tort. C’est vrai que l’obsession vacancière, qui consiste en réalité à fuir sa propre maison en espérant se fuir soi-même, pour aller à grands frais s’entasser dans des boîtes de conserve de masse, pourvu que la conserverie soit en bord de mer, tout ça me semble assez épileptique, sudoripare et pestilentiel.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 30 août 2013

FREDERIC DARD ECRIVAIN

 

MAIN CLOUEE.jpg

"LE SECRET DU NAVIRE : J'AI VU CLOUER SUR LA TABLE LA MAIN GRAISSEUSE DU MEXICAIN"

JOURNAL DES VOYAGES

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J’ai donc lu récemment La Mort de Virgile, de Hermann Broch : les Grandes Jorasses par la face nord, sans assurance, en hivernale, en maillot de bain et en apnée. Ensuite j’ai lu Tante Martine, de Henri Bosco. Déjà, ça fait un choc, le passage de l’un à l’autre. Je devrais dire le basculement de l’un dans l’autre : du haut de la très haute montagne inhospitalière à l'oxygène raréfié, on descend dans les vallées parfumées de la Provence. Encore que, du moins me semble-t-il, l’esprit de Bosco et celui de Broch ne soient pas si étrangers l’un à l’autre qu’on pourrait le croire, en matière de quête spirituelle et de plongée dans l’insu.

 

Tout de même, à lire Bosco, on se sent presque en vacances par rapport à la contention radicale et verticale qu’exige Broch de son lecteur, tout au moins dans La Mort de Virgile. Tante Martine fait donc un peu figure de délassement, quand sa lecture intervient après. Mais Paul Valéry l’avait bien dit : « Ô récompense après une pensée / Qu’un long regard sur le calme des dieux ». C’est là qu’on se sent en vacances : Henri Bosco, c’est les vacances après Hermann Broch.

 

Les doigts de pied se mettent d’eux-mêmes en éventail, on est sur l’herbe douce, on commence à regarder les feuilles par en dessous et, de fil en anguille, après avoir apporté sa modeste contribution à l’augmentation de capital du contentement de la copine étendue à côté, sans se demander si l’appel d’offre était réglementaire, légal, ou même moralement défendable, on sombre dans cette délicieuse somnolence de l’être procurée par le farniente. La Cérigoule murmure pas loin, gardant au frais le reste de rosé de Provence. Même les oiseaux piquent un roupillon. On était venus pour ça.

 

Alors maintenant, essayez d’imaginer, à l’intérieur même de ces vacances, somme toute encore un peu studieuses, des sortes de vacances au carré. Car qui passe authentiquement ses vacances à ne rien faire ? Et ça se comprend. Ne faire strictement rien, rester étendu au soleil comme la limace sur la feuille de laitue, c’est s’exposer au pire risque qui menace l’humanité souffrante : se mettre soudain à penser. Qui aurait la témérité d’affronter le monstre ?

 

C’est là, au milieu des après-midi torrides, dans la touffeur des étés où déjà pointe à l’horizon l’horreur de la rentrée, que vous vous accrochez à la planche de salut : un livre ! Vous avez bien lu. Mais pas n’importe lequel. Les vacances au carré ne peuvent décemment se passer ailleurs que dans un volume édité par les éditions Fleuve Noir, dans la collection « Spécial Police », et plus précisément dans la série passée à la postérité sous l’appellation générique de SAN ANTONIO. Voilà, c’est dit.

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Maintenant, ce n’est pas parce que le nom magique est lâché qu’il faut se précipiter à l’aveuglette. Dans les cent soixante quinze titres parus, on dira ce qu’on voudra, mais il y a du bon et du moins bon, il y a à boire et à manger, il y a de la chèvre et du chou, du haut et du bas, de la poire et du fromage, du ziste et du zeste, du chien et du loup. Entre nous et le pont de l’Alma, ma petite sœur n’irait pas plus y mettre la main que dans la culotte du zouave. Il y faut un minimum de prudence, de circonspection et de discernement.

 

Il faut bien dire que le bon Frédéric Dard ne l’était pas tout le temps, et il lui est arrivé plus d’une fois d’avoir des coups de mou dans le porte-plume. C’est forcé, c’est humain, c'est normal et c'est comme ça : le meilleur chroniqueur de presse, qui sue sang et eau pour fournir avant le bouclage les 1500 signes quotidiens qui font bouillir sa marmite, il y a forcément du déchet dans sa production. On ne peut pas toujours être au top, c’est l’évidence. Même chez Alexandre Vialatte, on trouve parfois que l'auteur ne s'est pas donné trop de mal. Un frustration, certes légère, mais indéniable, s'ensuit fatalement. On dira que c'est la vie.

SA1 DU MOURON A SE FAIRE.jpg

Les deux numéros de « San Antonio » que je viens de lire en sont l’illustration éclatante. Prenez Du Mouron à se faire, je vais vous dire, c’est laborieux, ça se traîne, on n’y croit qu’à moitié, et surtout, pas une seule page de bravoure. Quelques petites crottes de formules sont tombées sur le macadam pour faire plaisir, mais on sent bien que le cœur n’y est pas.

 

On dira, pourquoi le commissaire est-il allé se planquer à Liège, je vous demande un peu ? D’abord c’est la Belgique, et rien que pour ça, l’auteur aurait dû y réfléchir à deux fois. Ensuite, c’est la ville natale d’André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813), passé à la postérité pour un seul air de bravoure et de baryton, c’est dans Richard Cœur-de-Lion : « Ô Richard, ô mon roi, L’univers t’abandonne … » (pour les amateurs, cliquez ci-contre). Un baryton plus un richard : deux raisons d’éviter, non ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 29 août 2013

HERMANN BROCH ECRIVAIN

LA MORT DE VIRGILE 3 

Qu’est-ce qui fait céder Virgile à la colère de son empereur ? Je crois que le poète se rend compte que, lui comme son illustre souverain, ils sont chacun engagés dans une impasse, et qu’Auguste, en se mettant en colère, laisse entrevoir un défaut dans sa cuirasse (puisque sa raison souveraine n’a pas su venir à bout de celle de Virgile), agit comme jadis Alexandre le Grand quand il fut mis, face au « nœud gordien », de dénouer celui-ci, qu’il trancha simplement de son épée.

 

Un aveu de faiblesse, mais en même temps, l'affirmation d'une certitude et d'un pouvoir. Si la volonté de détruire l'Enéide est inaccessible aux arguments de la raison, autant en finir au plus vite avec les arguments, et autant le décréter du haut de la souveraine autorité du Maître.

 

Toujours est-il que Virgile consent à abandonner son précieux manuscrit aux mains d’Auguste, et que ce consentement le plonge dans un bain de félicité qui illumine toute la dernière partie. Il n’est ni dieu ni animal, et comme il est homme, il est à mi-chemin, comme tout le monde. Or le mi-chemin est somme toute l’espace impur, l’espace des dissonances entre les aspirations, les désirs et la réalité.

 

L’absolu n’est pas de ce monde, il faut que l’homme se résolve à l’idée d’être dans la dissonance, d’être lui-même une dissonance : « Il n’y a de dissonance, ni dans l’acte du dieu, ni dans celui de l’animal », écrit Hermann Broch. A croire qu’il a lu Sur le Théâtre de marionnettes, de Kleist : « De même aussi retrouve-t-on la grâce, après que la connaissance ait semblablement passé par, et à travers un infini. C’est ainsi qu’elle apparaît le plus pure dans la forme de l’homme, ou bien qui n’a aucune conscience, ou bien qui possède une conscience infinie : c’est-à-dire, et tout aussi bien, chez la marionnette et chez le Dieu ».

 

Dès lors, Virgile peut être en paix avec le monde et avec lui-même, ayant atteint le point de l’existence depuis lequel il n’est plus possible de percevoir des contradictions, le point à partir duquel l’individu saisit l’Unité de tout. C’est, au fond, ce que recherche le narrateur de L’Aleph, de Jorge Luis Borges, et qu’il découvre, stupéfait, dans l’escalier d’une simple cave, « à la partie inférieure de la marche, vers la droite ».

 

C’est aussi ce que recherche André Breton, quand il proclame : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçu contradictoirement » (Second manifeste du Surréalisme). Pour Virgile, cet instant de l’Unité retrouvée, on comprend que c’est l’instant qui précède la restitution de son âme à l’univers.

 

Il faut aussi parler du message ultime que Virgile adresse à son empereur (p. 351) : « La profondeur de ton œuvre est souvent énigmatique Virgile, mais maintenant tu parles également par énigmes.

 – Pour l’amour des hommes, pour l’amour de l’humanité, le Dispensateur du salut s’offrira lui-même en sacrifice ; par sa mort, il fera de sa personne un acte de connaissance, un acte qu’il lancera à l’univers, pour qu’à partir de cette suprême réalité symbolique du secours charitable, la création commence à se développer ».

 

Je crois qu’il n’y a pas besoin d’expliciter l’identité du « Dispensateur du salut ». C’est une prophétie, si l’on se souvient qu’on est, au moment de cet échange, jour de la mort du poète romain, 19 ans avant l’ère chrétienne. Virgile prophète, maintenant ! Remarquez, Dante Alighieri (« Nel mezzo del camin di nostra vita / mi ritrovai per una selva oscura, / ché la diritta via era smarrita ») l’a bien désigné et choisi pour le guider à travers l’enfer, le purgatoire et le paradis, pour le conduire jusqu’à Béatrice. D’ailleurs, Broch, à la suite de Dante, embauche à son tour le personnage de Virgile : « Il n’y a jamais eu qu’un seul guide, c’était toi ; toujours tu seras destiné à nous guider » (p. 243). On n’est pas plus clair.

 

Hermann Broch aime sans doute, dans la symétrie, la force symbolique : de même que, dans Le Tentateur, les douze chapitres (tiens, le même nombre que dans Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry), comme des chiffres sur le cadran d’une horloge, accompagnent et signifient l’écoulement du temps et l’accomplissement de l’action, de même, dans La Mort de Virgile, il borne les deux lourds chapitres où se concentre le sens au moyen de deux autres beaucoup plus brefs, où la respiration est plus facile.

 

Dans le premier chapitre (« l’eau – l’arrivée »), on suit les vacillements, hésitations et difficultés du cortège de la litière où gît le poète, depuis le navire jusqu’au palais, avec un détour par les bas-fonds abjects de la ville. Le deuxième chapitre (« le feu – la descente ») développe dans un long monologue intérieur les ruminations qui l’amènent à sa décision de brûler l’œuvre.

 

Le troisième (« la terre – l’attente ») voit le poète se confronter à des amis, qui sont aussi des admirateurs, qui sont incapables de comprendre à la suite de quel cheminement intérieur, il en est arrivé à cette décision. Le dernier chapitre (« l’éther – le retour ») se situe entre le moment du consentement (la soumission à la volonté d’Auguste) et celui de l’adieu. C’est le plus léger, le plus aérien. C’est le chapitre de la réconciliation de Virgile avec le monde et avec les limites humaines.  

 

Je l’ai dit, l’intrigue (un roman, c’est une intrigue) est plus que mince et tient à pas grand-chose : un poète décide de brûler son œuvre, puis y renonce. Pour entrer dans ce livre absolument sans équivalent, il faut accepter de suivre le même itinéraire, il faut se faire un peu Virgile soi-même, il faut accepter de se laisser guider par l’âme du poète dans les méandres de son itinéraire complexe et subtil. Il faut renoncer au récit linéaire, et se laisser porter par le souffle d’une écriture ample comme l’espace. Je dirai qu’il faut accepter de se laisser perdre dans cette forêt profonde, ténébreuse et inspirée.

 

C’est le manuscrit de La Mort de Virgile que Hermann Broch emportait, quand il a quitté l’Allemagne nazie. En 1938, je crois. Il a bien fait, nom de Zeus !

 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 28 août 2013

HERMANN BROCH ECRIVAIN

LA MORT DE VIRGILE 2

 

Virgile se demande, au cours d’un très long monologue intérieur, ce qui est le plus nécessaire et vital à l’homme. Or, depuis le port jusqu’au palais impérial, sa litière, miraculeusement guidée par un jeune garçon inconnu (Lysanias ?), a traversé les bas quartiers de la ville, où croupit la lie de la population, dans des taudis puants, où des mégères vaguement prostituées lui font un cortège des pires insultes possibles.

 

Cette traversée de la fange humaine, jointe au curieux spectacle auquel il assiste au milieu de la nuit de trois épaves humaines, obèses ou squelettiques, qui vont on ne sait où en se disputant, dans des agressions verbales et physiques et en se chamaillant à propos d’argent, tout cela suscite en lui une sorte de dégoût de ses prétentions littéraires et poétiques : qui est-il en vérité pour s’être cru au-dessus du lot et d’avoir été célébré comme le plus grand poète romain vivant ?

 

Qu’est-ce qui prouve, en dernier ressort, « la non-vanité de l’effort humain » ? Si le langage sert à quelque chose, Virgile est saisi par l’impression, presque la certitude, de s’être parjuré, d’avoir souillé le serment qu’il avait fait en embrassant le métier de poète. Qu’est-ce que le langage, s’il est incapable de restaurer la communion essentielle entre les hommes ? A quoi bon, dès lors, écrire des chefs d’œuvre esthétique ?

 

Le poète devient un simple « porteur d’ivresse mais non un porteur de salut de l’humanité ». On le voit, l’ambition qui se fait jour dans Virgile mourant, c’est de sauver l’humanité. Or que peut son Enéide ? Rien, ou si peu. Une exigence morale absolue mène inéluctablement toute œuvre d’art à l’échec. Et Broch ne se fait pas faute de brocarder la figure de « l’homme de lettres », esthète dérisoire en regard de l’immensité de l’enjeu lié à l’acte créateur, esthète tout juste occupé à « idolâtrer son moi avide d’hommages » (cité en substance).

 

Si l’artiste s’avère incapable d’opérer la « mise à nu du divin par la connaissance introspective de l’âme », il n’est utile à personne. Car l’œuvre d’art, aussi ambitieuse soit-elle, est incapable de créer de la réalité. Elle crée du joli, du beau si l’on veut, c’est-à-dire les éléments à même d’orner le cadre de vie des hommes, mais définitivement incapable de modifier les conditions mêmes de cette vie : « Incapable de retrouver la communion de l’amour, il est forcé de se réfugier dans la beauté ».

 

Et qu’a-t-il peint, Virgile, dans son Enéide ? Des guerriers, des héros, des êtres d’exception, passant leur temps à combattre. Mais il le sait bien : « Il n’avait jamais réussi à figurer véritablement des hommes, des hommes qui mangent et qui boivent, qui aiment et peuvent être aimés, et encore moins ceux qui passent par les rues en boitant et jurant (…) et, à plus forte raison, [à] figurer le miracle d’humanité dont cette bestialité elle-même a reçu la grâce ». Il s’est borné à magnifier des êtres qui n’existent pas. Il est passé à des années-lumière de l’humanité réelle.

 

Il est saisi par cette illumination qu’il y a en lui « quelque chose de plus grand que lui », qu’il a échoué à traduire en langue humaine. Une seule issue à cet échec fatal et tragique : détruire L’Enéide. Hermann Broch place dans Virgile, le poète qui va mourir, l’aspiration à quelque chose qui le dépasse, et fait de lui davantage un « voyant » qu’un « annonciateur » (= prophète).

 

A la suite de la nuit épouvantable qu’il vient de passer, à peser le poids de sa propre vie par rapport à la masse de ce qu’il se rend compte qu’il n’a pas fait, longue épreuve métaphysique dont il sort transformé, Virgile estime que plus personne n’est capable de comprendre le point de vue où il se situe. Ses amis, Plotius et Lucius, sont immergés dans la socialité. Charondas, le médecin de cour qui l’examine, est plein de certitudes.

 

Le seul qui s’approche au plus près des scrupules de Virgile, c’est Auguste en personne, qui ne veut pas que le chef d’œuvre de la littérature romaine parte en cendres. Le dialogue entre les deux hommes occupe l’essentiel de la troisième partie (« la terre – l’attente »). Dans ce dialogue, aucun des deux (l’empereur et le poète) ne fait de concession sur ses convictions : l’un comme l’autre passe en revue ses arguments, et chacun va au bout de sa logique.

 

On arrive à la fin et, constatant que leurs deux logiques sont résolument incompatibles, César se met en colère. Et en vérité, c’est la colère d’Auguste face à l’intention désespérée de Virgile qui fait changer celui-ci d’avis. Cette colère a quelque chose de magnifique, car elle marque, d’une certaine manière, la victoire du poète sur l’homme le plus puissant du monde. Quoi, cet homme redouté de tous et devant lequel tous se prosternent, s’abaisser à se mettre en colère devant le caprice d’un histrion ! Tout ça parce que monsieur Virgile a des états d’âme !

 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 27 août 2013

LA MORT DE VIRGILE

La Mort de Virgile. Ce livre de Hermann Broch est présenté comme un roman, c’est marqué sur la couverture. Après l’avoir refermé, autant le dire tout de suite, je dis : « Roman mon œil ! ». Mon ami Yves me l’a rendu juste après l’avoir commencé (je ne sais pas s'il a lu vingt pages), en le qualifiant de « roman philosophique ». Je ne peux pas dire qu’il ait complètement tort, mais ce n’est encore pas ça. Les trois ingrédients principaux d’un roman sont, d’après ce que j’en sais, des personnages, des situations et des péripéties.

 

J’en oublie : écriture, composition, etc. Certes, il y a des personnages, dans La Mort de Virgile, et pas des moindres : Virgile bien sûr, mais aussi l’empereur Auguste en personne, et puis quelques autres : les amis proches du poète, Plotius Tucca et Lucius Varius, le médecin Charondas. Mais il y a aussi un jeune garçon, Lysanias, dont on ne sait à la fin s’il a vraiment existé ou s'il n'était qu'une rétroprojection du poète jusqu'aux temps de sa jeunesse. De même, Plotia, la femme aimée mais échappée. Et puis un esclave. Ces trois personnages à l’existence fantomatique parlent-ils en réalité dans la chambre de Virgile ? Ou lui parlent-ils dans sa tête seule ? Aucune certitude.

 

La situation est très simple et restera la même du début à la fin : Virgile était à Athènes, mais Auguste lui a demandé impérieusement de rentrer avec lui en Italie, au motif que l’écrivain est malade et qu’il lui faut se faire soigner. Le livre commence un soir avec l’arrivée du convoi majestueux des navires impériaux dans le port de Brundisium (écrit parfois Brindisium). Il se termine le lendemain matin.

 

Dans ce laps de temps on ne peut plus court, que s’est-il passé ? Quelles péripéties ? Il s’est passé que Virgile, après mûre réflexion – mais on pourrait dire aussi « en proie aux pensées les plus noires » –, a décidé de descendre sur la plage et de brûler le manuscrit de L’Enéide, son manuscrit presque achevé, mais pas tout à fait. Il le conserve précieusement dans un coffre en cuir.

 

Cette décision horrifie évidemment ses amis Plotius et Varius, puis le médecin Charondas, et pour finir, Auguste lui-même. Quoi, l’auteur brûlerait son pur chef d’œuvre ? C’est non seulement impensable, mais inacceptable. Après une longue entrevue avec l’empereur, Virgile renoncera à son funeste projet. Voilà l’intrigue. Un peu « ledge », non ? Oui, vraiment léger. Hermann Broch écrit pourtant un livre de plus de 400 pages.

 

La première question qui vient à l’esprit est : comment fait-il ? Et nous voici au cœur du problème. Car ce livre est un problème pour le lecteur que je suis. J’avais tenté une première fois d’en venir à bout, en vain, je m’étais arrêté à la première centaine de pages. Et puis j’ai lu Le Tentateur, dont j’ai un peu parlé ici, et auquel je crois qu’il faudra que je revienne. Alors je me suis dit que c’est trop bête de reculer devant la difficulté.

 

Qu’on se le dise, parmi les sommets littéraires, si celui-ci n’est pas le plus haut, c’est celui dont la paroi est la plus raide qu’il m’ait été donné de gravir. Broch ne fait aucun cadeau au lecteur, aucune concession, aucune gentillesse. Ce livre met le lecteur au défi, à l’épreuve, ce que vous voulez : il faut le mériter, il faut le conquérir. A aucun moment, il ne se laisse amadouer. Aucun encouragement en cours de route. Ce n’est pas un livre dédaigneux, c’est un livre hautain, au meilleur sens du terme. Hautain et sûr de lui, il va son chemin, sans se préoccuper du reste.

 

S’il me fallait dire, au fond du fond, ce qu’il y a dans ce bouquin, je commencerais par dire ma perplexité. C’est un livre qui me dépasse, et je n’en ai pas perçu tous les enjeux avec la netteté suffisante. Le plus simple est de dire ce qui m’en reste. Comme le Docteur, le narrateur dans Le Tentateur, mais de façon incommensurable, Virgile, quelques heures avant de mourir, se sent transpercé par deux flèches, l’une verticale, l’autre horizontale. L’espace et le temps, tous deux infinis.

 

La première lui fait prendre conscience de l’infini de l’espace au-dessus et au-dessous de lui, ainsi que des confins les plus lointains qui se présentent à sa vue, au-devant et en arrière. La seconde figure la trajectoire de sa propre vie à travers les temps, depuis la première enfance, toute rurale, à Andes, jusqu’à cette heure dernière, en passant par Mantoue, puis par tous les êtres qu’il a croisés en chemin, en particulier Plotia, mais aussi Alexis, le bel adolescent dont il n’est pas dit grand-chose, mais dont on devine les traits sensuels, et Cébès, le jeune garçon qui devient son élève en poésie.

 

Hermann Broch se débrouille pour que, à aucun moment du récit, le lecteur ne perde de vue l’immensité de l'espace qui entoure le personnage, mais aussi qu'il n’oublie jamais que chacun s’inscrit (se circonscrit), à chaque instant, dans une durée immémoriale, au-devant et en arrière. Pour l’auteur, l’homme a besoin de ces deux infinis.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 26 août 2013

HENRI BOSCO : SABINUS 2

C’est entendu, donc, le personnage de Sabinus écrase et fait taire tout le monde. Qui oserait se frotter à ce surhomme bardé de deux balafres au visage et qui a remplacé une de ses jambes par un pilon de bois soigneusement clouté d’or. Un homme que défie pourtant en duel le voisin Réneguiche, fier de sa noblesse de sang, après que son petit Guy se fut fait gifler par Christine, la petite fille de Sabinus, ce dont le père se sent offensé et humilié, dont il demande donc réparation. 

1957 SABINUS.jpg

Le combat est très curieux : Sabinus comme un roc oppose ses parades infaillibles à tous les coups et à toutes les feintes du comte, qui finit par reconnaître de la noblesse « de fait » au grand-père de Christine.

 

Je pense, évidemment et de nouveau, à l’ours de Heinrich von Kleist dans Sur le Théâtre de marionnettes, où l'un des plus habiles manieurs d'épée de l'époque, mis au défi de toucher l'animal ne serait-ce que de la pointe de sa lame, est obligé de se reconnaître impuissant à percer sa défense, qui consiste exclusivement à parer les coups et les fentes d'un modeste (mais instantané) mouvement de sa patte, et à rester immobile comme le marbre quand l'escrimeur entreprend une feinte. Moralité : « [La grâce] apparaît le plus pure dans la forme corporelle de l'homme, ou bien qui n'a aucune conscience infinie : c'est-à-dire, et tout aussi bien, chez la marionnette et chez le Dieu ». En l'occurrence : une marionnette de plantigrade.

 

L’amitié clôt, conclut et couronne l’incident. Mais une nouvelle fois, la rencontre de Kleist est curieuse, voire incroyable : Henri Bosco s'est-il inspiré de la scène pour raconter ce combat ? J'en garde l'impression très nette. Après tout, Sabinus a quelque chose d'un ours.

 

Sabinus est splendide, Sabinus rayonne, Sabinus est l’incarnation de la puissance à l’état brut. Heureusement que Méjemirande, un sage, un artiste de la ruse, de la stratégie et de la manipulation, est là pour calmer ses ardeurs impulsives, sans ça, il irait tout casser quand se présente une contrariété. Avec Sabinus, on comprend ce que veut dire « entier ».

 

Il ne faut pas toutefois le mésestimer pour ce qui est de la ruse : quand il en comprend la nécessité, il a le pouvoir de se rendre patient, et même retors, par exemple à l’égard de l’infernale et diabolique Ameline Amelande, qui a réussi à s’accaparer une part des biens Balesta en épousant Melchior qui l'a, très tôt (allez savoir pourquoi), laissée veuve. Sabinus, tout en douceur et subtilité, mais d'une fermeté marmoréenne (allez comprendre), réussira à en débarrasser la surface de la Terre avec une efficacité implacable. Vengeant ainsi la mémoire des Balesta, qu'Ameline avait un instant souillée.

 

Les autres personnages, maintenant. Et d’abord la tante Philomène, qui règne sur la tribu des Balesta de Pierrelousse. Elle est infirme, mais elle tient à suivre chaque été la transhumance. Elle y va à dos de mulet. Elle est intraitable de volonté. Quelque chose de la Tante Martine, mais qui serait dotée d'un vrai pouvoir. Entre Sabinus et Philomène, c’est-à-dire entre souverains, cousins qui plus est, le courant passe immédiatement, c’est le moins qu’on puisse dire. Ils sont visiblement heureux de s'être trouvés. Et doublement parents : cousins par le sang, mais frère et sœur par tempérament.

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LA MAISON DES CAVALIERS

(CARTE EDITEE PAR "L'AMITIÉ HENRI BOSCO", PHOTO DE J.-P. BAREA)

Sabinus est arrivé à Pierrelousse avec une tribu invraisemblable, bigarrée, collectée sur tous les rivages du monde. Bachiche est le serviteur qui dort par terre (mais jamais que d’un œil). Pulchérie est la gardienne de Christine, impavide et imperméable aux cruautés de la petite, mais elle a une faiblesse : quand elle dort, elle dort. Vu son poids, on pourrait même dire qu’elle en écrase. Et Christine la dupe quand elle veut.

 

Il y a aussi le sieur Métivet-Marmolin, énigmatique avec son profil en lame de couteau. Son titre est « subrécargue », mentionné à plusieurs reprises. On ne sait trop ce qu’il signifie (c'est un « agent chargé des intérêts de l'armateur d'un navire », d'après mon dictionnaire). Mais c’est un auxiliaire précieux et efficace : quand le méchant Arrigache, mauvais sujet s’il en est, croise son chemin, le lendemain il a disparu de la surface de la Terre sans que le subrécargue ait rien fait. En apparence au moins. Rien n’est dit. Mentionnons le peureux mais indispensable Trigot, qui fait de son chien son conseiller quasi-humain, mais qui sera le libérateur de la petite que la méchante Ameline a fait enlever.

 

Il y a, au centre de toute l’intrigue, Méjemirande, déjà nommé, un homme qui, seul entre tous, devine mieux que tout le monde ce qui se passe, et qui a l’intelligence et le verbe capables d’aplanir les obstacles. Personne ne se méfie de Méjemirande, capable de ce fait de tirer les vers du nez à n’importe qui, à commencer par le pauvre curé Pelot, qui a remplacé, hélas, le curé Besance, si informé, lui, des courants souterrains qui faisaient vivre et sous-tendaient l’existence de la population de Pierrelousse.

 

Je ne veux pas résumer le livre. Disons que la trame tourne autour d’une lutte impitoyable entre le clan Balesta, emmené par Philomène et Sabinus, et l’espèce de sorcière appelée Ameline. Celle-ci a le projet secret d’anéantir le clan en tissant autour de lui une toile d’araignée aussi indestructible que destructrice, en répandant bruits et rumeurs.

 

Rusée, elle met dans sa poche le curé Pelot, ce gros naïf, puis, arme ultime de la traîtresse, elle révèle à la ville abasourdie, le « don », dont la famille Balesta a bénéficié depuis toujours, un « don » qui fait que, s'en prendre aux Balesta, c'est aller au-devant d'un châtiment impitoyable, pour lequel, mystérieusement, le clan Balesta n'a même pas à lever le petit doigt, comme s'il bénéficiait d'une sorte de vengeance du ciel.

 

Mais Ameline a mis la main sur le secret, imprudemment laissé à sa portée de sa main fouineuse par son défunt mari, un Balesta précisément. Heureusement, cette femme sans âme découvre qu’elle en a une en tentant de circonvenir (séduire) Sabinus en personne, qui se rend, nuit après nuit, à ses rendez-vous au lieu-dit Perlefontaine. Elle voulait le rendre amoureux d'elle (pour le perdre), et c'est elle qui en tombe amoureuse. C’est le coup du boomerang (ou de l’arroseur arrosé). Elle ne s’en remettra pas.

 

Le couple formé par les enfants, Christine de Bruissane et Guy de Réneguiche, fait penser à celui rencontré dans Le Mas Théotime : la même haie d’aubépine trouée de passages sépare les deux jardins familiaux, et la relation est la même : pleine d’épines. Ils ont beau être les héros de plusieurs péripéties, leur présence dans le récit, ainsi que leurs conflits violents puis leur complicité, est à considérer comme un ornement narratif : ce n'est pas eux qui font avancer les choses. Tout au plus sont-ils des enjeux, dans la partie qui se joue entre les ennemis.

 

On n’empêchera pas Henri Bosco de s’intéresser à l’enfance. Henri Bosco fait partie de la cohorte pacifique des promoteurs de l'enfance comme monde entièrement à part, alors que l'enfance ne sera jamais qu'un monde inconsistant, ce n'est pas moi qui le dis. L'enfance ne saurait être un monde en soi, puisqu'elle est provisoire. A proprement parler, l'enfance n'existe pas. Certes, chaque humain a la sienne. Mais c'est une affaire privée, particulière. L'enfance est une histoire individuelle. Elle ne saurait être un problème de société.

 

Encore un mot de Philomène : cette femme, quoiqu’impotente et condamnée au fauteuil, tient mordicus, chaque année, à accompagner le troupeau à l’estive et à y camper. Un fier caractère. Il en faut d’autant plus que, cette année-là, le retour se fait tragique, puisque les bêtes et les hommes ont à faire face au feu : un gigantesque incendie se déclare non loin de leur itinéraire, au point que Sabinus, qui a perçu le danger à la lunette, se précipite en grand arroi au secours de son amie.

 

Même que les Caraques (vingt ou cent, selon la page) se joignent à lui. La moitié du troupeau disparaît, mais Philomène et les hommes sont saufs. L’entrée des bêtes dans la ville est solennelle et spectaculaire, avec à leur tête l'extraordinaire chien Clarimond, qu’on croyait disparu : « Il marchait dix pas en avant, terrible à voir. Le poil roussi, les babines sanglantes, l’oreille droite, il faisait peur ». Ce chien, on le voit ! On retrouve ce chien aussi fort qu'un loup dans Le Mas Théotime, ainsi que son maître, Arnaviel. Henri Bosco sait sculpter de vraies figures.

 

Le livre se clôt après une magnifique cérémonie à l’église Sainte Anne somptueusement illuminée, où toute la ville, enfin réconciliée, manifeste sa joie après l’heureuse issue de l’aventure de Philomène. Mais aussi, pour l’anecdote, après le suicide de la méchante Ameline, finalement « morte d’amour, morte d’amour … Après tout, c’est possible … ».

 

Je me suis laissé prendre par ce livre qui, d’un côté, se rattache au « roman d’aventures » traditionnel (ordinaire), mais en quelque sorte « par défaut », puisqu’en définitive il ne se passe pas de grand événement, si l’on excepte l’incendie, mais qui d’un autre côté, porte la marque de quelques obsessions de l’auteur, à commencer par le côté extrême de certains personnages, voire leur folie, et l’intensité de leur vie intérieure. Et bien entendu, la plupart des actions importantes ont lieu la nuit. Je me demande si toutes les œuvres de Henri Bosco ne pourraient pas s'intituler Un Rameau de la nuit.

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Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 25 août 2013

HENRI BOSCO : SABINUS 1

J’ai donc replongé voilà quelque temps dans les œuvres de Henri Bosco, auteur que j’avais délaissé depuis bien des années. J’ai remis la main sur les volumes oubliés. Ils m'attendaient sagement, bien alignés sur le rayon. Tous Gallimard, évidemment. Collection blanche, évidemment ! Quelques-uns même encore non coupés ! Qui sait encore aujourd’hui ce que furent des livres « non coupés » (comme on lit encore parfois dans les catalogues de ventes, pour signifier que l'ouvrage est en état d'impeccable virginité, puisque personne ne l'a lu, ce qui est censé promettre une plus-value : un livre non lu n'en acquiert que plus de valeur) ?

 

Aujourd’hui, où José Corti lui-même s’est résigné à rogner ses publications, aujourd’hui qu’on ne fabrique plus vraiment des livres, mais des parallélépipèdes consistant en rectangles de papier empilés et  tenant à une feuille de carton pliée, historiée de couleurs vives et de figures accrochantes par une vague couche de colle, feuille à laquelle ces parallélépipèdes consentent à adhérer si on ne les ouvre pas trop fort et trop grand, aujourd’hui, oui, on peut dire que le livre s’est mis au dégoût du jour, à l’image de la société, devenu, lui aussi, « de consommation ».

 

Pour bien des livres ainsi fabriqués, c’est les mettre à la torture, par exemple, que de prétendre les coucher à plat sur une table. La plupart ne le supportent d’ailleurs pas, et décident à cet instant de partir en morceaux pour punir leur bourreau. Chaque page, désormais détachable, décide de prendre l'autonomie à laquelle on lui a dit qu'elle avait droit. A vous de rattraper les morceaux et de les remettre à leur place, si c'est possible. Et de lire les pages dans l'ordre, si elles ont accepté d'y revenir. C'est ce qui m'est arrivé à la lecture du Faust complet édité en 2009 par Bartillat : pauvre Faust ! Il n'avait pas mérité ça. L'éditeur a-t-il le droit de mépriser à ce point ?

 

C’est un usage du livre que les coloniaux français d’Afrique avaient bien compris, c’est Bardamu qui le dit, dans Voyage au bout de la nuit. Ils ne se privent pas de les mettre en pièces lorsque les intestins se liquéfient et que le papier manque. Destin du « livre de poche », mais pas seulement lui : dites-moi quels éditeurs ont l’opiniâtreté de faire coudre les cahiers foliotés des livres qu’ils publient. Je vois encore José Corti, La Différence, Le Temps qu'il fait, quelques autres courageux … Ça ne fait pas beaucoup de monde.

 

Il paraît que ça coûte moins cher à fabriquer … Je n’en doute pas (quoique ...), mais quand même … Maudite soit l’époque où règne la dictature de la « réduction des coûts », dictature à laquelle n’échappe aucune parcelle de ce qui se nomma un jour le « travail humain ». L’humain lui-même n'échappe pas, pour dire où l’on en est arrivé. Tout ou presque est devenu jetable, à se débarrasser après usage. Mais attention : à condition que ce soit dans la bonne poubelle.

 

Ah ça, c’est sûr, notre époque dépense des trésors d’ingéniosité dès qu’il s’agit de la poubelle. Les bureaux d'études et les services de R & D (recherche et développement) rivalisent pour inventer les usages futurs de tous nos restes. On peut le dire : notre mode de vie a la poubelle innovante, l’ordure inventive, l'épluchure astucieuse et le détritus ingénieux ! C'est l'éruption de l'intelligence immondiçolâtre. La civilisation s’avance guillerette vers sa récupération, son propre recyclage : la déchetterie ultime ! Mais une question se pose : en quoi pourra-t-on recycler l’humanité proprement dite ?

 

A cet égard, Henri Bosco apparaît totalement inactuel. Sans doute pour ça qu’il demeure obstinément inaperçu. Qui lit encore Henri Bosco ? Ce n’est plus de la discrétion, ni même de la timidité. C’est de l’effacement de soi qui confine à l’abolition. Anachronique, je vous dis. Excepté dans le cercle pieux de quelques Vestales (l’Amitié Henri Bosco, le Marignan, 36 C avenue Paul Arène, 06000, Nice), peut-être vieillissantes, qui entretiennent la flamme avec le même amour dont l’auteur a fait le foyer central de ses œuvres.

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AU CHÂTEAU DE LOURMARIN

(CARTE EDITEE PAR "L'AMITIÉ HENRI BOSCO", PHOTO J.-P. BAREA)

C’est donc dans cette sorte de grenier des existences désuètes que je suis allé remettre mon nez.  J’ai ouvert Sabinus. L’année de publication (1957) explique le papier jauni. Eh bien Sabinus ne correspond en rien aux quelques commentaires et notations dont j’ai accompagné ici la lecture de Tante Martine et d’Un Rameau de la nuit, qui sont des livres tournés vers l’intérieur (en même temps qu'ouverts sur les infinis), et qui rendent compte de l’expérience pleinement subjective d’un enfant (Pascalet) et d’un narrateur adulte (Frédéric Meyrel) au contact du monde qui les entoure.

 

Pour le coup, j’ai presque eu l’impression coupable de me laisser aller à un roman qui se contente de raconter une histoire. Presque une littérature de divertissement, comme je m’y adonne parfois, dans mes instants de faiblesse, tout vergogneux et déjà repentant du péché de flemmingite aiguë dont je fus, de très bonne heure, accusé de la tare, parce que j'avais le tort, au lieu de partir pour l'école, de contempler, dans le bol de mon petit déjeuner, la surface enchantée des boissons enfantines, où avaient le tort de se refléter, en nuées insaisissables, les ondulations de maintes hanches féminines dont j'avais déjà le tort d'emplir mes rêveries.

 

C’est vrai qu’aujourd’hui, les gens ont développé de curieux symptômes d’addiction : ils ne peuvent plus se passer de se faire raconter des histoires. Rudimentaires le plus souvent. Leur raconter des histoires est même devenu un moyen de les gouverner. Cela s’appelle « storytelling » (sommes-nous vraiment tous américains, ou pas, monsieur Jean-Marie Colombani ? voir le célèbre n° du Monde après le 11 septembre 2001). Inutile de dire que je tiens cette production industrielle et anesthésiante en piètre estime. Et pourtant ... Je renonce à la digression qui s’offre pour rester un peu sérieux sur mon sujet.

 

Sabinus raconte donc une histoire, une vraie. Une histoire dont l'essentiel se déroule, non pas dans les tréfonds de l'âme tourmentée d'un narrateur inquiet, mais dans l'espace extérieur et objectif. Même si l'auteur ne se prive pas de faire des incursions dans l'esprit de ses personnages. Pour une fois, le lecteur est placé en observateur extérieur. C'est évidemment à la vertu du récit à la troisième personne qu'il le doit.

 

L’action se passe à Pierrelousse, petite ville provençale de 3000 habitants environ, qui entre en effervescence quand la vaste propriété déserte des Bruissane, vieille famille, se prépare à accueillir la dernière héritière du sang et du nom : Christine. L’important n’est pas qu’elle soit âgée de huit ans, mais qu’elle soit accompagnée de son grand-père. Car c’est lui qui donne son titre au livre. Avec raison : c'est lui le centre. Cela donne un livre bizarrement solaire, bien que l'action soit le plus souvent nocturne. Chez Henri Bosco, l'important se passe toujours la nuit.

 

Sabinus est un retraité. Un retraité un peu inhabituel : fut-il pirate ou corsaire ? C’est tantôt l’un, tantôt l’autre. A coup sûr un personnage sulfureux, qui a bourlingué sur toutes les mers, bien souvent tutoyé le diable, et qui commence par indisposer la bonne société de Pierrelousse. La retraite qu’il touche est confortable. Il a en effet amassé (comment ?) une fortune colossale qui lui permet de vivre en grand seigneur.

 

Mais il n’a rien perdu d’un caractère entier, volontiers violent, et qui ne s’embarrasse pas de procédures ou de louvoiement quand il s’agit de régler un problème. Il est servi pour cela par un physique aussi colossal que sa fortune. Et ce qui ajoute encore à la « couleur locale », c’est le pilon de bois qui lui sert de jambe droite. Bref, ça démarre comme un roman d’aventure. Ou plutôt : c'est l'aventure qui fait irruption dans la vie somnolente et confortable de Pierrelousse.

 

Christine est une Bruissane, Sabinus un Balesta. Christine est le fruit de l'union des deux noms, mais ses parents ont disparu dans un naufrage. 

 

Passons sur la différence entre les Balesta de la terre (portés à l’attendrissement, sentiment si cher à Henri Bosco qu’il y revient dans presque toutes ses œuvres, même si on n’a pas une idée très précise de la chose qu’il dissimule sous le mot : c’est au moins un attendrissement qui, loin de partir dans toutes les directions, ne s’applique qu’en des lieux et des circonstances bien précis) et les Balesta de la mer (davantage portés à la flibuste et à l’abordage de front, même si ça n’empêche pas les sentiments).

 

Toujours est-il que, dans ce récit, le narrateur n’apparaît que très rarement à la 1ère personne : c'est le dernier vivant de la lignée Balesta. Péché véniel et habileté de romancier, puisque cela donne un témoin à toute l’histoire qui, dès lors, devient plus véridique. On pourrait dire aussi que le romancier Henri Bosco a du mal à se passer du « je » de narration, qui pourrait apparaître comme une facilité. Mais à bien y regarder, ce n’est jamais si facile.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 24 août 2013

BOSCO : UN RAMEAU DE LA NUIT

Je disais donc qu'on parle peu, dans Un Rameau de la nuit.

 

C’est presque vrai, car il y a des exceptions : il y a Drot, qui expose à Meyrel quelques données à propos de l’Altaïr et de son commandant, Alleluia, marin au long cours (mais la servante laisse entendre au narrateur qu'il lui cache bien des choses) ; il y a Pellichat et Challemol, deux commères malveillantes et bavardes qui, une fois parties de chez Mme Millichel, propriétaire de Grangeon, vont lui apporter quelques lumières sur le mystère qui pèse sur Loselée et tous ceux qui ont à faire avec. Il y a enfin le curé Bourguel, qui sait à peu près tout, mais n’en délivrera que le strict nécessaire. Trop peu. Chez Bosco, il n'y a pas de « transparence », tout juste un peu de translucidité. Les gens sont opaques. Mais ils sont capables de laisser passer la lumière. Seulement quand c'est nécessaire.

 

En dehors des exceptions, on dirait que les gens laissent échapper quelques mots, parfois, mais comme à regret, comme s’ils ne pouvaient faire autrement. Un poids d’inexorable pèse en effet sur Loselée, sur Fontanelle, sur Géneval tout entier. Et sur Frédéric Meyrel en particulier. 

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LA CHAMBRE DE TRAVAIL DE BOSCO DANS LE "BASTIDON" DE LOURMARIN

(CARTE EDITEE PAR "L'AMITIE HENRI BOSCO", PHOTO J.-P. BAREA)

Il a beau dire à Drot : « Je ne suis que moi-même » (p. 129), il est, par la force des choses et des lieux, envahi par un fantôme encombrant : l’ombre de Bernard, l’ancien maître des lieux, auquel l’identifient dans un premier temps ceux qui l’ont connu. Il finit pas ne plus très bien savoir qui il est : doit-il endosser le personnage ? Mais ensuite, ils ont tous l’air de se rétracter. Frédéric Meyrel n’a rien de commun avec lui. Les yeux, peut-être.

 

En plus de littéralement magnétiser les oiseaux, Bernard avait tous les dons. On ne saura pas bien lesquels, mais en lui vivaient des puissances mystérieuses. De toute façon, il est mort depuis environ vingt ans. Enfin, c’est ce que tout le monde dit. C’est depuis ce moment que les oiseaux ne viennent plus à Loselée (le choix du nom ne doit évidemment rien au hasard), ce que note d’ailleurs le narrateur le soir de son installation.

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LE "BASTIDON" DE HENRI BOSCO A LOURMARIN

(PHOTO J.-P. BAREA)

Et pourtant, curieusement, après quelque temps, les oiseaux commencent à revenir. Peut-être qu’après tout, Frédéric … Bernard … Allez savoir. Quelques-uns d’abord, puis des milliers. Et bientôt, tout le monde dans le pays sait que les oiseaux sont revenus. Même Clotilde de Queyrande, nièce et héritière de Bernard, revient occuper un soir la maison de Fontanelle.

 

Frédéric Meyrel est-il seulement lui-même ? Ou alors porte-t-il en lui quelque chose de fantomatique appartenant à ce Bernard, auquel, malgré lui, il fait penser ceux qui l’ont connu ? Marcellin, le neveu de Rose Manet, qui l’appelait auparavant « monsieur Frédéric », se met à ne plus le reconnaître à partir du jour où il est alité avec de la fièvre. Tout se passe comme s’il y avait dédoublement du narrateur. Lui-même finit par se poser la question. Mus, le jardinier bizarre, oscille entre la reconnaissance et le rejet.

 

Le sommet de l’hésitation est atteint quand Clotilde de Queyrande se met à chercher Bernard sous l’écorce de Frédéric Meyrel. Tous deux ont des sortes de débats à trois personnages, où Frédéric est tantôt lui-même, tantôt l’autre, dans un étrange ballet de possession, peut-être diabolique. Frédéric est à la fois l’obstacle qui empêche Clotilde de rejoindre Bernard et le lieu obligatoire de son passage vers ce grand amour perdu.

 

Être soi-même et un autre : Henri Bosco pousse le pari jusqu’au bout. Il faut avouer que c’est assez culotté, finalement, d’essayer de faire vivre ce qui n’est, après tout, qu’une forme de folie. Qui porte un nom bien connu : schizophrénie (l'expression à la mode est : « troubles bipolaires » ; on admettra : « dédoublement de la personnalité », au diable les varices). Le lecteur n’est pas obligé de marcher dans la combine, mais salue quand même l’exploit littéraire.

 

Il est anecdotique ensuite de savoir que le Bernard en question était l’oncle de Clotilde, et que celle-ci, alors âgée de treize ans, s’est éprise pour lui d’un amour absolu, qui a causé grand scandale dans la contrée.  Anecdotique de savoir que Mus le jardinier communique avec le mort en écoutant au moyen d’un roseau ce que lui dit le reflet de Bernard qui monte de la pièce d’eau. Anecdotique de savoir que Valérie, la servante muette, finira par devenir folle. Anecdotique encore de savoir que Frédéric Meyrel, ayant fracturé le coffre menaçant, en apprendra un peu plus sur le mystérieux Bernard dans un gros cahier auquel celui-ci s’est longuement confié.

 

Il est moins anecdotique d’apprendre que le petit Marcellin finira par succomber à la fièvre mystérieuse contre laquelle le médecin, dès le début, a fait aveu d’impuissance. Est-il mort du fait que Frédéric a été incapable de démêler l’écheveau d’énigmes dont son âme fut le théâtre ? Le curé Bourguel ne le suit pas de loin dans la mort.

 

Que me reste-t-il, à l’arrivée, de cette lecture ? J’avoue que je suis resté extérieur aux dialogues de Frédéric et Clotilde. L’amour qui pourrait les lier échoue, faute de savoir, en fin de compte, à qui s’adresse le sentiment éprouvé par la femme. Mais la question posée va droit au cœur du problème de l’amour : qui aime-t-on quand on est amoureux ? Combien sommes-nous, à l'intérieur de nous-même ? Est-on capable de le savoir ? Eternelles questions.

 

Ce qui me touche, dans ce livre, ce sont les particularités géographiques et topographiques du cadre dans lequel elles sont posées. Quel souffle puissant habite les descriptions des bois et des frondaisons traversées de nuit ! Dans les considérations sur l’état du ciel nocturne (tiens, c’est drôle, Bosco porte autant d’attention aux constellations que Hermann Broch dans Le Tentateur ou La Mort de Virgile).

 

Quelle ampleur dans les dimensions ! Henri Bosco, grand maître de l'ambiance, parvient ici à nous faire traverser un improbable paysage d’états d’âme, des états d’âme qui se meuvent sans cesse de l’un à l’autre, dont le lecteur, obligé de les suivre dans leurs hésitations, leurs mues et leurs ambiguïtés, ressent la force et qu’il devine plutôt qu’il ne les perçoit.

 

Les personnages, en effet, non plus que les choses ne donnent lieu à des descriptions en bonne et due forme, façon Balzac ou Zola. L’auteur laisse davantage pressentir par quelle force intérieure ils sont animés, qu’il ne tient à ce qu’on puisse, à partir de ce qu’il en dit, en faire un portrait fidèle et ressemblant.

 

Au-dedans des êtres et des plantes (et même des pierres) court une vie secrète et palpitante dont il s’agit de repérer les signes, et qu’il s’agit d’éprouver. Parfois jusque dans sa violence : lorsqu’il surprend le jardinier en train de « communiquer » avec le mort, Frédéric Meyrel doit se battre avec Mus pour l’empêcher de lui fracasser le crâne à coups de hache.

 

Laissé pour mort, le jardinier s’en tirera avec une simple épaule démise. La leçon de tout ça, si je veux rester prosaïque (ce que n’aimerait pas Bosco, sans doute), c’est qu’il faut s’attendre à tout. Être prêt à tout. La garantie, pour se maintenir dans cet état de vigilance aiguë, c’est une vie intérieure intense, à laquelle il est vital de porter l'attention suffisante.

 

Henri Bosco est vraiment un grand romancier. Et Un Rameau de la nuit est un grand roman.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 23 août 2013

HENRI BOSCO, LA NUIT

L’essentiel d’Un Rameau de la nuit, livre de Henri Bosco, n’est donc pas là. Le premier chapitre est un préambule, qui nous fait découvrir le petit village de Géneval. Village désolé, que ses habitants ont désormais à peu près tous déserté. Le narrateur (Frédéric Meyrel), qui aime marcher dans la campagne provençale, y fait connaissance, à travers l'obligatoire rideau de perles de verre, de Rose Manet, l’aubergiste, et de son neveu, Marcellin, qui a des problèmes avec la réalité prosaïque. On verra qu'il ne l'aime vraiment pas. Jusqu'à se laisser mourir.

 

Une curieuse allégorie (« un vaste paysage qui s’étendait sur toute la paroi »), représentant un pays imaginaire, a été peinte sur un des murs de l’auberge, cent ans auparavant, par un homme de passage qui est reparti en emmenant une fille du pays. Ce fut le début de la désertion, de l’abandon du village par ses habitants. Mais il reste habité d’un charme indéfinissable et persistant, avec sa fontaine à quatre tuyaux de cuivre, son « Café du Souvenir », ses gros platanes, son église, où ne viennent plus que deux vieilles pour assister à  la messe dite par le très vieux (et souffrant) curé Bourguel.

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L'EGLISE DE VAUGINES, BELLE CARTE EDITEE PAR L'AMITIÉ HENRI BOSCO

(PHOTO J.-P. BAREA)

Le deuxième chapitre nous transporte à Marseille, où le narrateur, dans un appartement agréable, vit de travaux savants et de traductions (« Je travaille pour des Sociétés savantes et pour des Universités, la plupart étrangères ») de textes en grec ancien, souvent très difficiles. Meyrel nous parle de son réseau d’amis (les Jumerand, les Hautard, les Labartelade, auxquels il faut ajouter Alleluia, un vieux loup de mer, Travellini, le douanier et Drot, qui a navigué dans le temps), et hop ! le voilà embarqué dans une aventure rocambolesque, qui manque de lui coûter la vie.

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L'AMITIÉ HENRI BOSCO PUBLIAIT DANS LE TEMPS DE BELLES SERIES DE CARTES : ICI, LA "COMMANDERIE", SUR FOND DE LUBERON, DONT LA TOUR FAIT PENSER A CELLE OÙ SE REFUGIE, TRAQUÉ, LE HEROS DE L'ANTIQUAIRE.

(PHOTO J.-P. BAREA)

Trois des amis suivent un soir un Alleluia très mystérieux, qui grimpe à bord de l’Altaïr, vieux navire promis à la démolition. De nuit, évidemment. Après s’être livré à une petite cérémonie bizarre en souvenir d’une certaine Marie-Josépha de Jésus, immergée en mer au larges des Maldives, Alleluia se rend dans la salle des machines et, tout bonnement, ouvre les vannes. Meyrel est sauvé in extremis d’une noyade ignominieuse et tragique par ses amis Labartelade et Travellini.

 

Après un chapitre de rétablissement et de préparation, nous arrivons aux deux clefs de voûte de l’ouvrage. Drot, pour une raison qu’on découvrira, conseille au narrateur de se retirer pour un temps à la campagne. Tiens, par chance, un notaire de ses amis, Me Seigue, loue, pour un prix très accessible, pour ne pas dire bradé, « Une grande maison toute meublée, en bon état ; un parc de quatre hectares, clos ; eau de source, lumière, dépendances, site admirable, contre une colline, vue sur les lointains à travers les chênes, oratoire privé, vaste volière ». Comme par hasard, la maison est sise à Géneval. Le lecteur que je suis est particulièrement sensible à la description d'un cadre assez proche de ce qu’il a lui-même connu.

 

Mais le sortilège (car c’en est un) ne naît pas de la pauvre expérience particulière de ce lecteur, qui est plutôt une coïncidence, n’en doutons pas. La description, non, la visite attentive, au chapitre suivant, de cet immense parc (4 hectares), vous emmène dans une ambiance de perte des repères, d’obscurité : l’auteur a beau nommer (une fois pour toutes) les points cardinaux, comment voulez-vous mémoriser les détails ?

 

Une seule certitude, le parc est trop vaste pour devenir un espace auquel l'individu avide de solitude saurait imposer sa maîtrise. C'est un parc, semble-t-il, prévu pour qu'il s'y perde. Le parc de la propriété « Loselée » existe à part entière, comme un personnage, presque comme une personne.

 

Ce qu’on apprend, c’est l’existence de gigantesques volières, où le narrateur, au tout début de son séjour, voit l’étrange jardinier Mus (qui porte bien son nom, puisqu’il ne profère que très peu de mots) siffler doucement en pleine nuit. Et puis, derrière le haut mur, il y a Fontanelle, vaste bâtisse elle aussi, où la propriétaire ne met plus les pieds depuis son départ il y a trois ans.

 

La maison elle-même semble opulente comme une matrone aux formes fortes, mais obscure comme une volonté mystérieuse. On n’en fera pas le tour (« Ma première pensée fut de la visiter. Mais la lampe était trop lourde, mal commode. L’heure tardive, ma fatigue m’invitaient au repos. J’allai vers la porte-fenêtre pour tirer les volets ») : la terrasse, vaste comme il se doit, le salon de l’entrée, l’escalier, la chambre avec son coffre menaçant comme un grand rapace, heureusement couvert d’un drap.

 

C’est tout ce qu’on en saura, si ce n’est que le ménage et la cuisine sont assurés par Valérie, une fille de dix-sept ans d’abord présentée comme muette, puis comme sourde et muette. Décidément, les gens parlent fort peu, dans Un Rameau de la nuit.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

C'est vrai, je n'ai pas beaucoup parlé de la nuit. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.

 

 

jeudi, 22 août 2013

BOSCO : UN RAMEAU DE LA NUIT

Je suis dans Henri Bosco, j'y reste. A la réflexion, on y est bien accueilli. La table est bonne. Les lieux sont rustiques, mais confortables.

 

Quand on passe par Lourmarin (Vaucluse), il est bon, en dehors de la visite obligatoire au château, de faire un tour au cimetière. Pour une raison qui dépasse un peu l’évidence. LOURMARIN TOMBE A CAMUS.jpgCertes, on peut s’amuser à aller voir par courtoisie la tombe d’Albert Camus, ça ne peut pas faire de mal, avec son inscription rustique dans une pierre mal équarrie (on se veut simple, n’est-ce pas) et son agréable fouillis végétal. 

 

Mais l’essentiel, au cimetière de Lourmarin, si l’on ne veut pas faire comme le troupeau vomi par les cars des touristes branchés « littérature » (je ne suis pas sûr qu'il y en ait tant que ça), est de rendre une vraie visite à la tombe de Henri Bosco (1888-1976). Assurément, des deux, c’est lui, le grand écrivain. L’avantage, c’est que vous y serez seul.

TOMBE HENRI BOSCO.jpg

Je préfère de loin Bosco au « philosophe pour classes de terminale » (je ne sais plus qui disait ça d'Albert Camus), qui se prend très au sérieux, toujours guidé par le devoir de tous les militants du monde, de tous les « défenseurs de causes » : lutter pour des idées, étendard au vent. Insupportable. J’en suis resté à : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ».

 

A son actif, la mémoire de Henri Bosco repose sur une œuvre considérable, et une œuvre, par bonheur, exclusivement littéraire. J’ai déjà dit combien certains aspects, en particulier tout ce qui tourne autour de la spiritualité, avaient quelque chose d’agaçant. Cela étant dit, je le tiens pour un écrivain majeur du 20ème siècle. D’abord parce qu’il possède un ton qui n'appartient qu'à lui, parce que, livre après livre, il a élaboré un univers romanesque profondément original, personnel et particulier.

 

Ensuite, parce que cet univers romanesque se double d’un univers « psychologique » (cela dit faute de mieux) qui ne ressemble à aucun autre, et qui, pour aller vite, se caractérise par une sorte de creusement dans le visible, une obsession sans doute héritée de l’enfant que fut Bosco, qui se décrit comme nerveux, fiévreux, très attiré par le songe, par la nuit, par les mystères dont il dote les choses et les êtres.

 

Tout objet appartenant à la réalité possède un corps, une apparence, mais recèle, pour qui veut la voir, une âme secrète : « Les plus humbles [merveilles] me sont les plus chères. J’y tiens (et cela depuis mon enfance) par un goût que j’ai, inné, obsédant, de la vie secrète des hommes et des choses ». Car dans l’œuvre de Henri Bosco, il y a au moins deux mondes : l’un est d’un prosaïsme laid, plat, bas et brut ; l’autre, le vrai, est nocturne et poétique, mouvant et périlleux.

 

« Poétique » n’est jamais dit comme tel. Bosco semble surtout ne pas vouloir se revendiquer du registre poétique, et pourtant, j’ai envie de dire que sa façon d’écrire a à voir avec une poésie en action. Mais il est surtout ouvert sur les infinis, sur les rêves, les dangers qui guettent la raison lucide quand l’être qui gît tout au fond de chacun se met à guetter avec angoisse et envie ce qui pourrait surgir de l’ordinaire pour le fissurer.

1950 UN RAMEAU DE LA NUIT.jpg

Pourquoi je reparle de Henri Bosco ? Parce que je viens juste de lire Un Rameau de la nuit. Publié en 1950, c’est donc un livre de la maturité. L’auteur connaît et maîtrise son univers, sa langue est au sommet, ses hantises pourraient presque paraître naturelles. Ici, les reproches que je lui faisais dernièrement n’ont pas lieu d’être. Certes, il parle de la « lymphe » qui monte du fond de la terre dans le corps des arbres. Certes, il décrit comme une agression le grand coffre aux aigles sculptés qui meuble sa chambre dans la vaste maison qu’il loue. Certes.

 

Mais l’essentiel n’est pas là. Et selon moi, l’essentiel a quelque chose d’extraordinaire. Le préambule laisse craindre le pire (« Mais déjà le sentier s’acheminait vers elle. Il marchait devant moi. Confiant, sans se retourner, filant tout droit, il me montrait cette crête pierreuse, et, certain de se faire suivre, il grimpait dans les cailloux. Il était content. Je le sentais bien. C’était un pauvre et vieux sentier qui avait dû attendre »). Autant le dire, cette façon de s’exprimer me rase très vite. Je la tiens pour un simple formalisme, et purement esthétique.

 

Heureusement, l’auteur laisse bientôt de côté ce ton pénétré d’animisme qui m’écœure tant soit peu, pour en venir à plus de concret. BEETHOVEN 3.jpgCe n’est pas que j’éprouve quoi que ce soit d’hostile à ce qui vient du plus intime de l’homme : le 2ème mouvement (« andante molto cantabile ed espressivo ») de la sonate opus 109 (ci-contre le compositeur, juste après le 26 mars 1827, jour de sa mort)  marqué « gesangvoll, mit innigster Empfindung » me fait tomber à la renverse. Mit innigster Empfindung ! Mais les quelques phrases citées ci-dessus m’apparaissent factices et maniérées, comme un excès d’artifice dont l’auteur aurait pu se passer aisément, tout en arrivant au résultat souhaité. Pas besoin d’en rajouter.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 21 août 2013

HENRI BOSCO : TANTE MARTINE

Revenons à Henri Bosco. Finalement, ce qui agace, dans Tante Martine, c’est d’abord l’esprit dans lequel il a été écrit : c’est la façon dont Pascalet perçoit le monde, les choses et les gens, s'efforçant toujours de les animer de forces secrètes. Dans l’imaginaire du narrateur, il faut absolument que de l’obscur soit caché au sein de la réalité.

 

Il faut que quelque chose de magique se fasse pressentir, mieux, se manifeste concrètement parmi les témoins et les acteurs. Je n'oublie pas, cependant, que c'est un vieil homme qui se revoit dans un garçon de 10 ans, et que l'enfance de Pascalet est, dès lors, une enfance reconstituée a posteriori. Longtemps après. On imagine bien que l'eau de cette enfance a été longuement filtrée par le sable de la mémoire de l'homme qui écrit.

 

Ainsi, lorsque Tante Martine décide qu’on participera à la messe, voici ce que déclare Pascalet, qui se souvient, devenu vieux, de celles qui l’ont marqué dans sa vie : « Ainsi celle que j’entendis, en grec, sur un appontement dans l’île de Lemnos, face à la mer. Mais aucune n’a touché mon cœur comme celle de ʺLa Moulinelleʺ, célébrée un jour de septembre pour la fête des Saints Archanges dans le petit jardin de Frère Théopiste ». C’est au cours de cette messe que les quatre assistants et le prêtre entendent une étrange voix qui récite la prière. Tous tombent à genoux : « Mais de temps à autre à nos voix se mêlait, plus haute et plus claire, inexplicablement cette voix inconnue ». Pascalet, pendant toute la messe, a senti derrière lui la présence des trois archanges, sans pour autant oser se retourner.

 

Même scène mystérieuse devant le mas de ʺLa Sirèneʺ. La jeune Mâche, rousse de quinze ans qui n'est pas la fille de ses parents (« Ah bon !? »), entraîne Pascalet, un soir, à assister à un spectacle d’une étrangeté effrayante : une vingtaine de gens inconnus se rassemblent devant la façade, de l’autre côté de l’étang où sont blottis les deux gamins. Hommes et femmes séparés encadrent un vieillard aveugle. L’âme d’une personne est enfermée dans un arbre de la forêt, et le cœur d’hommes et de femmes pousse une plainte lamentable, censée demander aux arbres de répondre : lequel recèle l’âme perdue ?

 

On le voit, Tante Martine est plein à craquer. Au-delà des motifs d'agacement, ce qui me touche, c'est que j’ai l’impression que Henri Bosco a voulu, avec ce livre, faire ce que fait Jean-Sébastien Bach au moment où la fugue va s’achever : on appelle ça une « strette », qui récapitule, en le concentrant, tout ce qui précède. Et là, tout ce qui précède, c’est l’œuvre entière de l’écrivain. Autant dire toute sa vie.

 

On y voit apparaître en effet, plus ou moins fugitivement, bien des personnages qui forment les compagnons du narrateur depuis le début de sa carrière : le chien Barboche, Bargabot le braconnier, Saladin le jardinier, Jéricho le Juif (errant, bien sûr, puisque c’est le colporteur), Béranger de Sivergues, le berger.

 

Même Gatzo le Caraque (Bohémien) est nommé. Même un âne qui porte des culottes (on peut se reporter aux titres des oeuvres) ! On entend aussi des échos d'Hyacinthe. Comme si l’auteur, sentant qu’il arrivait au bout, avait tenu à faire une dernière fois le tour de son univers. A cet égard, le livre a un côté émouvant. Il y a ici quelque chose de testamentaire, voire de funèbre.

 

Le personnage de Tante Martine lui-même est le point focal de l’ouvrage : sans raconter toute l’histoire, disons qu’elle vient tenir le « Mas du Gage » au moment où les parents de Pascalet doivent s’absenter pour longtemps, et que le garçon de dix ans découvre une personnalité rude quant aux manières, mais plus tendre que la tendresse à l’intérieur, et qui s'en veut pour cela même. L’action commence en septembre et se termine au repas de Noël : un espace de temps assez inoubliable pour que l’auteur, au soir de sa vie, éprouve le besoin d’y revenir avant de s’en aller.

 

Tante Martine me fait penser (dans une certaine mesure, il ne faut pas exagérer) à la Mère Gisson que Hermann Broch a mis au centre de son livre Le Tentateur : c’est une femme qui « sait ». Elle perçoit ce qui est au-delà des apparences. Elle en diffère parce qu’elle-même a une faiblesse : quelqu’un l’attend quelque part, une fille la demande, des courriers s’échangent, une blessure mystérieuse reste ouverte.

 

Alors, résultat des courses, demanderez-vous ? Disons-le nettement : malgré le mal que j’ai pu en dire, j’ai lu ce livre avec grand plaisir, car c’est un livre d’écrivain authentique. On est dans la littérature au sens fort, et c’est ce qu’il me faut. Mais si j’avais à situer les réserves que j’ai à faire, je dirais les choses de la manière suivante : je ne suis pas de la « tribu » de Henri Bosco. Ce n'est pas ma famille de pensée. Cela ne m'empêche aucunement de goûter sa façon d'être écrivain. Mieux : d'être un véritable auteur.

 

Passons sur son catholicisme fervent. Passons sur l’omniprésence de la campagne et de la nature (de la « ruralité »). Passons même sur le spiritualisme, sur l'animisme. Je crois qu’au centre de la littérature d’Henri Bosco, il y a la certitude et la volonté de faire apparaître, dans les choses et dans les gens, la dimension qui les dépasse. Choses, plantes et individus ne sont pas seulement ce qu’ils sont : ils sont plus qu’eux-mêmes, et quelque chose parle au-dedans d’eux, à travers eux, au-dessus d'eux, une part cachée que ne voient et n’entendent que ceux dont le « cœur » est prêt.

 

Ce n’est pas ma famille d’esprit, mais je respecte. D’abord parce que c’est une littérature honnête. Ensuite parce que, de livre en livre, l’univers qu’elle propose présente un visage d’une grande cohérence : Henri Bosco ne triche pas avec lui-même. Enfin, parce que c'est écrit dans un langue travaillée à la petite scie, découpée et chantournée en artiste. Quand un écrivain parvient à ce point de fidélité à ses aspirations, et qu’il y arrive en se servant de l’écriture comme d’un moyen proprement artistique, il n’y a plus qu’à s’incliner. Ce que je fais ici même, séance tenante.

 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 20 août 2013

HENRI BOSCO ECRIVAIN

Eh bien voilà, c'est la rentrée. La vie va pouvoir recommencer. Les gens vont recommencer à mourir, recommencer à naître, recommencer à s'ennuyer au travail. Il va y avoir de nouveau des accidents, des assassinats, des suicides. L'ordinaire, quoi. L'ordinaire politique, l'ordinaire économique, l'ordinaire social. Pendant la durée légale, c'est vrai que le monde semble tout entier avoir plongé en apnée dans le bonheur bronzé. Le problème, avec l'apnée, c'est qu'il faut retourner à la surface. Si possible pas trop tard. 

 

C'est donc la rentrée. Les événements de l'actualité mondiale vont recommencer à se produire. Les journaux vont retrouver une épaisseur justifiant à grand-peine leur prix exorbitant. Nous voici de nouveau à pied d'oeuvre. Certains auront peut-être accompli quelques devoirs de vacances.

 

C'est mon cas. Je sais, je suis incorrigible. Et je commence dans le sérieux. Je veux parler aujourd'hui d'un auteur connu pour quelques volumes de littérature "enfantine" (L'Ane Culotte, L'Enfant et la rivière, ...) : Henri Bosco. A peu près oublié comme auteur pour les grands. Et là, je dis tout simplement que c'est injuste. Je vous explique ça, mais après le principe de précautions oratoires.

 

***

 

Henri Bosco fait partie dans ma mémoire d’un patrimoine involontaire. J’ai en effet lu plusieurs livres de cet auteur (pas seulement un écrivain : un véritable auteur, pour le coup) incité par un homme que j’ai pris pendant trop longtemps pour un ami, et dont j’ai – bien tardivement selon moi, il faut le dire – rejeté brutalement l’emprise, et renié l’influence. Je l'ai chassé de chez moi. Il avait fait des dégâts.

 

Je lui dois pourtant d'avoir connu L'Amitié Henri Bosco, association dont je fus longtemps adhérent (dans les années 1980), et d'avoir été en contact avec sa secrétaire d'alors, Monique Baréa, qui habitait Les Oliviers III, Nice (si je me souviens bien). Une dame à la correspondance délicieuse, pour ce dont je me souviens. Je ne sais dans quel déménagement ont disparu les savants cahiers que j'avais en ma possession, et que publiait cette association fervente et savante.

 

Il est résulté de la brouille évoquée plus haut un long désamour pour les œuvres de Henri Bosco, qui m'étaient advenues par l'entremise de ce personnage louche. Je crois effectivement que ce désamour est injuste. Car c’est sur ses instigations que j’ai lu des œuvres de Henri Bosco. Et j'ai délaissé les œuvres en même temps que j'ai condamné la personne. J'avais pourtant aimé les lire. D’abord Le Mas Théotime. Ensuite Malicroix. Quelques autres, parmi lesquels Le Sanglier, Bargabot, Pascalet, etc. Il m'en est resté quelque chose.

 

Je n’ai rien retenu du Mas Théotime, je ne sais pourquoi. De Malicroix, en revanche, il m’est resté quelques images très fortes, à commencer par la silhouette puissante et maléfique de Maître Dromiols, le notaire. Et puis aussi un jour de mistral dément, qui encercle et transperce jusqu'aux os, de part en part, une maison construite sur une île au milieu du Rhône.

 

Et puis cette nuit où le héros sauve la vie du vieux Balandran en soutenant de sa main la nuque, seul endroit de son corps recélant encore quelque chaleur, foyer que le jeune héritier s'est efforcé, des heures durant, d'entretenir, jusqu'à la résurrection. Il y a aussi, je crois, cet improbable exploit fluvial (peut-être une histoire de bac à traille) que l'héritier doit accomplir pour imiter ce que fit un aïeul. Je n'ai jamais relu ce livre. La folie nocturne qui s'y déployait m'en est restée.

 

Il m’est globalement resté de ces lectures une impression d’âpreté, de senteurs fortes, de rocaille et de violence nocturne. L’ample stature du notaire de Malicroix me fait penser à celle du père du héros, dans Le Roi Bohusch, de Rainer Maria Rilke : des épaules et une poitrine puissantes, véritable cuirasse que le père a été incapable de transmettre à son fils contrefait et bossu, et dont un rêve obsédant de celui-ci ne lui permet pas de se revêtir (« Je ne retrouvais pas la poitrine de mon père ! », cité de mémoire).

 

Du Sanglier, en dehors de l'incendie qui ravage la campagne, je me souviens de l’étreinte clandestine et sauvage, muette et affolée, qu’une fille mystérieuse fait subir dans le noir au narrateur, avant de s'éclipser brusquement, toujours ombrageuse. Dans les romans de Bosco que j'ai lus, me semble-t-il, demeure toujours présente une sourde et invisible menace.

 

Pascalet, deuxième partie d'un volume intitulé Bargabot, m’est resté, parce que l’auteur y a placé une scène mémorable entre toutes, donnant naissance à ce phénomène professoral appelé Aristide de Cabridolles. Le narrateur, lui-même double de l’auteur, s’ennuie ferme au collège où il est pensionnaire. Il est même malheureux, il dépérit. Il juge tous ses professeurs d’insupportables épouvantails sentencieux. Soudain jaillit la silhouette improbable d'Aristide de Cabridolles, et l’enchantement se produit : Pascalet revit, et l'enthousiasme ne tarde pas à le soulever dans les hautes sphères.

 

Rien que le portrait de ce maître vaut le poids d’or d’une belle pépite : « Plantez devant vous un grand diable, maigre comme un clou, à bec d’aigle. Les cheveux drus, l’œil petit, bleu, perçant, une tête de rapide rapace, tout nerfs. Les lèvres minces, les moustaches grises, très courtes, le front bas mais solide, net, le menton énergique. Un grand air cavalier et galant. Et toute l’âme frémissante. Âme et corps fastueusement enveloppés, été comme hiver, dans une vaste cape aux ondulations gracieuses. Cette cape valait toute l’éloquence du monde. Elle parlait. C’était une cape oratoire, non parfois sans emphase, mais de haute envolée. Ses plis pouvaient se dérouler soudain et toucher au lyrisme. On l’avait conçue pour le mouvement. Elle suivait et, à l’occasion, précédait le pas, le geste, comme une aile gonflée par la brise ou le vent des tempêtes ».  Le « tout nerfs » me ravit. Tout l'épisode est à lire.   

 

Suivent de grandioses leçons de latin ineffaçables, et des scènes burlesques, à coups d’Inspecteur intraitable (ah, cet ahurissant « momamomaï », que Cabridolles demande à Pascalet de traduire, à la grande fureur de monsieur l'Inspecteur), dont la dignité s’offense de la brusque apparition de Rapax, le rat qui loge sous l’estrade et qui a bondi effrayé, quand le maître a donné d’exaltation un grand coup de pied.

 

Après sa suspension administrative (logique), Aristide de Cabridolles réunit en un dernier, frugal et splendide festin (pain rustique, olives, fromage de chèvre, eau claire) en pleine nature, ses élèves, unanimement acquis à sa cause, puis est bien obligé de les quitter : « Rejetant sur l’épaule avec grandeur la cape inoubliable, il s’éloigne à grands pas ». Je garde une affection indélébile à ce professeur que je n'ai pas eu : sa silhouette garde dans la mémoire de l'enfant imaginaire qu'on a été le prestige des heures d'enseignement vécues en état d'émerveillement, surtout si on ne les a pas vécues. C'est une prouesse littéraire.

 

Après des années de délaissement, j’ai donc eu la curiosité récemment de retourner faire un tour du côté de Henri Bosco. Plusieurs œuvres acquises jadis sont restées en déshérence, délaissées, mais, je ne sais pourquoi, jamais abandonnées. Prenant au hasard, j’ai ouvert Tante Martine. C’est un des derniers livres qu’il ait écrits (il est mort en 1976).

 

Je ne sais pas si c’est moi qui ai changé (sans doute …), mais il y a des aspects de cette littérature qui me sont devenus insupportables. Cette façon que l’auteur a de faire vivre, voire de donner une âme aux choses, aux arbres, aux animaux, ça finit par porter sur les nerfs. C’est peut-être cette tendance au spiritualisme, à l’animisme, voire au sentimentalisme qui m’énerve.

 

Un exemple : « La porte était entrebâillée. Elle paraissait triste. Pourtant c’était une porte de bon accueil, du moins dans la journée. Certes grave, solide, autoritaire et d’une inébranlable certitude, et tout à coup pour la première fois j’en découvrais l’inquiétude et la méfiance. Elle avait pris cet air équivoque des portes qu’on a laissées entrebâillées soit par inadvertance, en s’en allant, soit à dessein, et cela se devine. L’être de la maison en est modifié » (p. 239). Moi je veux bien, mais bon. Je commence à lâcher dès que la porte devient triste. Je suis affreusement prosaïque.

 

Autre chose : le lexique. On dirait que l’écrivain est pris de tics. Ce ne sont, tout au long du récit (le livre se présente comme tel), que des considérations tournant autour du cœur (façon : "si on t'engueule, c'est qu'on t'aime"), mais aussi autour de la peur, de la curiosité et du mystère, thèmes habituels, mais ici, Henri Bosco les met au premier plan, de façon insistante, presque démonstrative. Or quand l’auteur éprouve le besoin de préciser et d’expliquer, c’est toujours mauvais signe : un romancier qui échoue à montrer et à faire vivre et qui se fait pédagogique ne fait pas, au moins a priori, de la bonne littérature.

 

Et pourtant, malgré tout ça, Tante Martine est à ranger dans la bonne littérature. J'y ai été pris. Et serré. Si ce n'est pas une preuve ! Cela mérite réflexion.

 

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 19 août 2013

ON RANGE L'ALBUM DE VOYAGES

 Ça y est, je replace les 20 gros volumes rouges in-folio sur leur rayon. On a bien voyagé sans bouger de chez soi, dans l'espace et dans le temps. Histoire de voir que, d'une part, le monde a changé, et d'autre part, la façon dont nous le voyons. Pour s'en faire un idée plus nette, il faudrait creuser, mais baste !

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A qui était destiné le Journal des Voyages , cette revue bourrée de gorilles monstrueux, de requins épouvantables et voraces, de serpents à la circonférence et à la longueur colossales ? Cette revue farcie d'aventures terrifiantes, de précipices insondables, de tempêtes inhumaines ? Cette revue jalonnée des coutumes les plus ignobles mises en oeuvre par les populations les plus cruelles qu'on puisse imaginer ?

 

Si l’on regarde la déclaration d’intention de l’éditeur parue dans le n°1, la revue ne se propose que de distraire et de dépayser le lecteur, tout en l’instruisant. Un peu ce que fait la revue Géo actuelle, avec les moyens techniques de l’époque, bien entendu. Mêler l’utile à l’agréable, quoi.

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CES SALAUDS DE REQUINS ATTAQUENT SUR LE DOS, PEUT-ÊTRE POUR QU'ON VOIE MIEUX LEURS DENTS ?

Au programme, chaque semaine : « … une grande relation de voyage, une aventure de terre ou de mer (récit de naufrage ou de chasse périlleuse, etc.), un article sur l'histoire des voyages, un attachant roman d'aventures, la géographie d'un département de la France, un chapitre du Tour de la Terre en 80 récits, une revue des plus récents ouvrages de voyages, et enfin une chronique des voyages et de la géographie ». De quoi plaire à tout le monde, en somme.

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"LES KROUMIRS [DES TUNISIENS CHARMANTS] : ILS LUI AVAIENT COUPÉ LE NEZ ET LES OREILLES"

On prend soin de faire parcourir la France au lecteur, département par département, ça, c’est pour les racines. Le roman d’aventures, c’est pour l’imagination pure. Entre les deux, vous avez tous les intermédiaires, de la documentation géographique la plus pédagogique à la révélation des pires turpitudes commises dans les contrées les plus lointaines par les peuples les plus barbares. Surtout, vous avez quelque chose qui n’est pas annoncé dans le programme : l’émotion, le drame, la tragédie. 

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"LE ROYAUME DE KHIVA : LA FEMME ETAIT ENTERREE VIVANTE"

Le Journal des Voyages n’est quand même pas Le Petit Parisien, qui se repaît des faits divers sordides, dont il propose régulièrement en « une » des mises en scènes dessinées en hyperboles boursouflées, et qui flatte les « bas instincts » des lecteurs, comme fait le Sun en Grande Bretagne ou, à une moindre échelle, Détective en France. Mais enfin, disons que le spectaculaire bien saignant n'est pas un argument de vente à négliger.

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"UNE QUADRUPLE PENDAISON A L'ÎLE MAURICE : LE BOURREAU SE SUSPENDIT AUX JAMBES DE CHACUN D'ENTRE EUX"

Disons-le : le Journal des Voyages est fait pour les petits bourgeois, qui se flattent d’être tant soit peu « éclairés », mais qui se contentent sagement de percevoir en pantoufles les tribulations des héros plus ou moins volontaires dont la revue narre les aventures au bout du monde. Et qui sont soucieux de donner à leur goût du sensationnel l'alibi présentable de la culture générale. Histoire aussi de conforter sa certitude d'être, mieux, d'incarner le civilisé.

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"LE CAMBODGE ET SES MOEURS : IL LUI ARRACHA LE COEUR ET LE DEVORA"

UNE SCENE SEMBLABLE A ETE FILMEE EN SYRIE TOUT RECEMMENT, AU GRAND DAM DE LA "COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE".

RECEMMENT AUSSI (PUISQU'ON PARLE DU CAMBODGE), M. HUN SEN, PRESIDENT PARAÎT-IL LEGITIME, DECLARAIT QUE SI L'OPPOSITION GAGNAIT LES ELECTIONS A VENIR, IL ETAIT PRÊT A TRANSFORMER LE PAYS EN FLEUVE DE SANG. IL FAUT DIRE QUE  L'ANCIEN KHMER ROUGE EN CONNAÎT UN VASTE RAYON.

Disons-le : le Journal des Voyages transforme le monde en un vaste roman-feuilleton, car il est clair que, à côté des romans d'aventures qu'il publie explicitement sous cette appellation, bien des péripéties qu'il relate comme des faits rapportés par des témoins oculaires sont visiblement davantage tirées de l'imagination du narrateur que de la réalité. Mais qu'importe au Parisien, pourvu que l'impression de réalité soit présente, pressante, voire oppressante. Et sanguinolente si possible.

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"LES PARCS DE CAÏMANS : IL FUT ENGLOUTI EN UN CLIN D'OEIL"

N° 569, DU 15 AVRIL 1888

 

Et puis il faut bien dire que les lecteurs du Petit Journal ou du Petit Parisien, ne se préoccupent guère de leur respectabilité et de leur honorabilité dans leur voisinage, alors que nous, n'est-ce pas, nous ne lisons que des journaux corrects. Voilà : le Journal des Voyages est un journal « correct ». Ce qui n'exclut pas l'élucubration, comme le montre la gravure ci-dessous.

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"EN AMERIQUE : UNE EXPOSITION AERIENNE, VUE ET PLACE"

PERSONNELLEMENT, CE SONT LES ESCALIERS EN ACCORDEON QUE JE PREFERE

Le message qui parvient au Parisien confortable, qui tourne après manger les pages pleines d’horreurs diverses de son hebdomadaire, il n’est pas compliqué : c’est le même que véhicule aujourd’hui, mais à l’échelle de la civilisation de masse, la TELEVISION. Jeux débiles, séries américaines et émissions de télé-réalité en moins. Rien ne vaut l'innovation, n'est-ce pas. Pour finir, voici La Terre dans l'espace, telle qu'un artiste l'a représentée dans un numéro de juillet 1877. Là aussi, il fallait de l'imagination.

LA TERRE DANS L'ESPACE JUILLET 1877.jpg

Fin des voyages. Retour au bercail. Les pieds sur terre. C'est la rentrée. Gare à nous !

 

POST SCRIPTUM : J'aurais eu bien d'autres belles images à fournir gratuitement aux lecteurs curieux, mais il faut bien s'arrêter. Gratuitement, libéralement, bénévolement et mine ce rien, ça fait au total 120 (cent vingt) illustrations. Une belle documentation, je trouve. Et pas mal, comme collection. Non, non, ne me remerciez pas.

 

 

 

dimanche, 18 août 2013

POUR REFERMER L'ALBUM DE VOYAGES

Avant de reprendre le collier (comme on ne dit plus) et pour se remettre en train, il s’agit de clore dignement cette longue série vacancière sur des lectures que ma mémoire associe pour toujours à un lieu précis : la bibliothèque de C***, au premier étage, le rayonnage à gauche en entrant, juste à droite de la porte de la salle de bains. On ne peut pas se tromper.

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BOUFFÉ PAR LES CRABES

Ces lectures ont aussi pour cadre une époque précise (je ne dirai pas laquelle, bien que ça ne soit pas trop malaisé à deviner). Les lectures en question sont celles faites dans le Journal des Voyages, dont on voit le dos de cinq des vingt gros volumes rouges in-folio sur la photo ci-dessous.

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LES GENS CAPABLES D'IDENTIFIER LE LIEU SE COMPTENT SUR LES DOIGTS DE QUELQUES MAINS : QU'IL ME SOIT PERMIS DE LES SALUER FAMILIEREMENT, VOIRE FRATERNELLEMENT;

 

Le lieu en question se situait en plein cœur d'un espace qui fut une sorte de paradis, dont les occupants furent chassés par un archange nommé "nécessité". Et qui reste présent, mais seulement sous la forme, si je puis dire, d'un « paradis éloigné ». C'est quand on l'a quitté qu'on voudrait bien que ç'eût été un jardin d'Eden. Mais il faut se faire une raison : il n'y a pas de paradis, surtout rétrospectif. Personne n'a donc rien à perdre, et personne n'a rien perdu.

 

Les Grecs plaçaient l'Âge d'Or dans un passé immémorial. Les Utopistes (s'il en reste) le projettent dans un avenir hypothétique. Entre les deux, il reste aux vivants raisonnables un présent, qu'il leur appartient de rendre vivable, et le plus agréable possible.

 

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C'ETAIT AU TEMPS DES "OSERAIES DE FRANCE", COMME ON LE VOIT AUX BOTTES APPUYEES CONTRE LE MUR, AU FOND A GAUCHE, DANS LA "COUR DES OSIERS".

Il s’agissait d’ailleurs moins de lecture que de contemplation avide : celle des illustrations souvent terribles que cette revue née en 1877 étalait complaisamment en « une » de ses seize pages hebdomadaires. La revue dédaignait les procédés de reproduction photographique. L’époque donnait donc un travail régulier à des dessinateurs et graveurs  pour remplir le recto de la feuille imprimée (avant pliage), le verso étant consacré exclusivement au texte. Ils signaient leur travail. Plus tard, il y eut la "phototypographie" (maison Charaire).

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"MOEURS DE L'INDE (A BARODA) : LEUR FRENESIE NE CONNAÎT PLUS DE BORNES"

Certaines gravures supportent mal le scannage, devenant alors illisibles, quelle que soit la ʺrésolutionʺ adoptée. J’ignore la raison de ce sabotage de l’art par la technique numérique. Cela gâche le plaisir de la contemplation esthétique, par exemple, d'une magnifique image ainsi légendée : « Une exécution à Téhéran : le bourreau attacha le condamné à la gueule d’un canon ». C’est dans le n°225, du 30 octobre 1881 (voir plus bas).

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"LES FIDJIENS ANTHROPOPHAGES : CES MARMITES ENORMES CONTIENNENT DE LA CHAIR HUMAINE"

Mais enfin, on en saisit l'essentiel : on voit le pauvre bougre attaché, le dos contre la gueule d’un énorme canon, genre « marine », dressé vers le ciel, le bourreau s’apprêtant à bouter le feu et la foule à être arrosée de sang au départ du coup. Chapeau quand même : en plus d'être un excellent bourreau, Monsieur est un acrobate virtuose. Ben oui, essayez voir de ficeler comme ça le costaud qui attend de se faire éparpiller ! 

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ON VOIT A PEU PRES DE QUOI IL S'AGIT

 

Même si ça met « du shimmy dans la vision». C'est le capitaine Haddock qui dit ça.

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C'est dans Les Bijoux de la Castafiore.

 

Demain, on range le Journal des Voyages : dernières feuilles.

 

 

samedi, 17 août 2013

LE MONDE SELON LE JOURNAL DES VOYAGES

Je m’en voudrais de refermer cette malle où le Journal des Voyages  renferme tant  de trésors, et où se déploient, en un entremêlement indémêlable, le vrai savoir d’explorateurs intrépides et l’imagination parfois débridée de narrateurs et de dessinateurs « inspirés », – je m’en voudrais, disais-je, si je ne proposais, dans quelques bouquets de fin de fête, quelques fleurs spécialement choisies, et particulièrement odorantes.

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Aujourd'hui, et tout près de la fin des vacances, et précédant quelques nouvelles têtes coupées, je commence par une paire de jolies publicités parues dans le Journal des Voyages : l'alambic des familles et le goudron qui se fume !

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Ah, les distillations domestiques ! Que dites-vous des "distillations domestiques" ? L'alcool pour tous ! La cuite perpétuelle à la portée de toutes les bourses. Au moins, on sait ce qu'on absorbe. Rappelons-nous que les Russes, il fut un temps et en temps de pénurie sévère, distillaient même le bois de leurs meubles. 

 

Mais que pensez-vous de cette publicité destinée aux fumeurs ?

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Remarquez, j'ai parlé en son temps du Radithor, véritable trouvaille médicale. Pensez, il était composé en bonne partie de radium (numéro atomique 88, découvert par Marie Curie).

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"EAU RADIOACTIVE CERTIFIEE" !!!

Pour la fin, j'ai évidemment gardé en réserve quelques supplices raffinés, en particulier cet étrange supplice du peigne, en vigueur (c'est bien spécifié) en Chine. On n'est pas obligé de le croire. Quoique ...

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LE DESSINATEUR SEMBLE AVOIR EU A COEUR DE RENDRE LA GOURMANDISE DE L'OEIL DES ASSISTANTS. ON SE DEMANDE VRAIMENT ... PAR OÙ ÇA LUI RENTRE !

Les têtes coupées, maintenant. On ne laissera pas la femme coupeuse de tête, précurseur des avant-gardes féministes, disparaître de la circulation sans un ultime hommage.

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"LES PIRATES DU TONKIN : LA JUDITH LAOTIENNE"

Nous terminerons ce joyeux inventaire sur deux autres décollations. Cela se passe de commentaire. La première est commise en pays ashanti (les artistes absolus du façonnage de l'or)

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"DE JEUNES BOURREAUX EGORGENT LEURS VICTIMES DEVANT LES EUROPEENS RETENUS EN CAPTIVITÉ"

MAIS AUX ÂMES BIEN NEES, LA VALEUR N'ATTEND PAS LE NOMBRE DES ANNEES

La seconde se passe chez les Annamites (« Mon annana, mon Annamite ! Ma Tonkiki, ma Tonkinoise ! »).

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"UNE EXECUTION DANS L'EMPIRE D'ANNAM : IL EST SUPERBE LORSQU'IL RATTRAPE AU VOL LA TÊTE QU'IL VIENT DE COUPER"

C'EST D'UN GOÛT, MA CHERE ! MONSIEUR BARNUM AURAIT DÛ L'ENGAGER DANS SON CIRQUE.

Demain, on referme l'album de photos.

 

 

vendredi, 16 août 2013

LE MONDE SELON LE JOURNAL DES VOYAGES

Je m’en voudrais de refermer cette malle où le Journal des Voyages a renfermé tant  de trésors, et où se déploient, en un entremêlement indémêlable, le vrai savoir d’explorateurs intrépides et l’imagination parfois débridée de narrateurs et de dessinateurs « inspirés », – je m’en voudrais, disais-je, si je ne proposais, dans quelques bouquets de fin de fête, quelques fleurs spécialement choisies. 

 

Aujourd'hui, un petit tour chez les Grands Singes, puis une petite escapade chez les Grands Nords. Autrement dit : qu'est-ce que l'anthropomorphisme ?

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"GORILLES SE CONSTRUISANT UN ABRI"

CELLE-LÀ, JE LA TROUVE DELICIEUSE : JE RAFFOLE DES GORILLES (SURTOUT LES GORILLES SOURIANTS) CONSTRUCTEURS D'ABRIS. ON EN APPREND TOUS LES JOURS, AVEC LE JOURNAL DES VOYAGES.

LA SUIVANTE N'EST PAS MAL NON PLUS

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"LES GIBBONS : ILS SE METTENT A QUATRE POUR TRANSPORTER LEURS MORTS"

JE SUPPOSE QUE C'EST POUR LEUR DONNER UNE SEPULTURE DECENTE ? MAIS TOUT DE MÊME, QUEL MAGNIFIQUE ENTERREMENT ! QUATRE CROQUE-MORTS. IL NE MANQUE AUX GIBBONS QUE LE CORBILLARD ET LA FAMILLE EN DEUIL.

 

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CELLE-CI, IL FAUT L'EXPLIQUER : LE SINGE RIEUR A POUR HABITUDE, QUAND IL EN RENCONTRE UN EXEMPLAIRE, DE SAISIR L'HUMAIN PAR SES AVANT-BRAS (c'est ce que dit le Journal des Voyages), L'IMMOBILISANT AVANT DE LE DECHIQUETER A BELLES DENTS. LE MEC EN FACE N'A D'AUTRE SOLUTION QUE DE VÊTIR SES BRAS DE "MANCHETTES" DE BAMBOU, PUIS DE RETIRER SA MAIN POUR SAISIR SON POIGNARD PENDANT QUE L'AUTRE SE MARRE. ELLE EST PAS BELLE, MON HISTOIRE ? ELLE EST DANS LE JOURNAL DES VOYAGES DU 2 DECEMBRE 1883.

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IL FALLAIT LE SAVOIR : LE SINGE A TÊTE DE CHIEN (CYNOCEPHALE, SI J'AI BIEN COMPRIS) N'A RIEN DE PLUS PRESSÉ QUE DE CHEVAUCHER UN PANTHERE ET DE LUI JETER DES ORDRES D'UNE VOIX GUTTURALE.

LE JOURNAL DES VOYAGES, 12 DECEMBRE 1886

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SOURIEZ, VOUS ÊTES BOUFFÉ !

 

Je quitte les Tropiques pour le Pôle Nord, pour assister, en compagnie de quelques marins médusés par le spectacle, au très improbable combat entre un ours blanc et un morse. La légende prend soin de préciser que c'est une femelle, quand le naturaliste un peu informé sait fort bien que chez les morses, c'est exclusivement monsieur qui a les crocs remarquables (les canines, pour être précis). 

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"UN COMBAT SUR LES GLAÇONS : ELLE ENFONCE SES PUISSANTES DEFENSES DANS LES CHAIRS DE L'OURS"

ON TROUVE CETTE PHOTO EXCLUSIVE DANS LE JOURNAL DES VOYAGES DU 3 JANVIER 1886

Le récit, pas piqué des hannetons, souligne que le morse femelle est la mère du petit que le plantigrade vient de boulotter, et que la tribu morse s'est liguée contre lui, rassemblée en demi-cercle, laissant toutefois l'honneur et le plaisir de la terrible vengeance à celle qui en avait le plus le droit légitime. La digne mère s'avance solennellement et lui règle son compte. Le règne animal est plein de surprises, comme disait plaisamment Claude Darget, à l'époque de La Vie des animaux.

 

Parmi les curiosités animales que le Journal des Voyages offre aux appétits imaginaires du Parisien bourgeois, et malgré cela cultivé, j’espère que vous avez apprécié mes quelques pépites : quelques instantanés pris de la vie animale "authentique", quand celle-ci ne se déroule pas sous les climats cléments de l’Europe tempérée et civilisée. Autrement dit, dans les contrées encore inhumaines.

 

"Transformer le monde", a dit Marx. Je me demande parfois s'il n'aurait pas mieux valu continuer à l'imaginer.

 

 

jeudi, 15 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 32

Je suis toujours en vacances, mais … j'ai toujours cet innommable goût pour les têtes coupées de main d'homme. Aujourd'hui j'améliore : j'introduis la tête dans la cuisine, grâce au

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Le Journal des Voyages offre en effet tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté. En ce saint jour de la sainte Assomption de notre très Sainte Mère la Vierge Marie, je vous invite à un sacré banquet. Appelons-le, si vous le voulez bien,

 

LE DÎNER DE TÊTES.

 

Ce qui n'a pas grand-chose à voir avec le "dîner de cons". Quoique, quoique : c'est peut-être tendre, allez savoir. Sans doute suffit-il de bien le cuisiner. J'aurais pu intituler ce billet : « Gastronomie cannibale ».

 

Aujourd'hui, la rubrique sera en effet culinaire, pour ne pas dire gastronomique, comme on peut s'en apercevoir avec délectation sur l'image ci-dessous.

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JE NOTE QUE LA TÊTE A ENCORE L'AIR DE SOUFFRIR

Ma foi, comme il paraît qu'il faut s'adapter aux habitudes et coutumes des populations autochtones ... Comme dit un des proverbes bantous préférés d'Alexandre Vialatte : « Il n'y a pas de bas morceau dans le gras missionnaire » (je cite de mémoire, mais les fidèles reconstitueront).

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"HORREUR ! CE SONT DES DEBRIS HUMAINS QUI BOUILLENT DANS CES MARMITES"

Cela dit, mangerais-je de ce gros ver blanc dont les Aborigènes d'Australie raffolent, et qu'ils trouvent sous les écorces des arbres ? La réponse n'est pas donnée d'avance, surtout si le gros ver blanc en question m'était présenté en steak tartare et non assaisonné. 

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"CHEZ LES CANNIBALES. PREPARATION DES TÊTES HUMAINES : LES PIERRES CHAUDES SONT ARROSEES D'EAU "

Il faut s'adapter, nous dit-on. Il faut être tolérant. Certes, vous en discourez à votre aise, mesdames et messieurs qui imposez  la tolérance à l'égard de toutes les fantaisies humaines plus ou moins fantaisistes que le Journal des Voyages a laissées sur sa route (mais qui ne parle jamais de l'excision du clitoris des filles, qui fait curieusement pousser des cris d'orfraie à tous les fanatiques et à toutes les fanatiques de la tolérance à l'égard des "coutumes autres", c'est-à-dire des différences). A commencer par la consommation des têtes de ses semblables, en tartare, en friture, en bouilli, en rôti, enfin, selon la recette que vous préférez.

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"LES CHINOIS CHEZ EUX : DANS CES PANIERS D'OSIER SONT DES TÊTES D'HOMMES ET DE FEMMES"

Cela dit, parlez franchement, monsieur l'explorateur en charentaises : mangeriez-vous de la tête humaine cuite, comme s'apprêtait à le faire la brave femme aux seins tombants (plus haut) accroupie devant sa marmite, dont votre arrivée intempestive a retardé la satisfaction de l'appétit, et qui attend pour le (satis)faire que vous ayez passé votre chemin ? Que feriez-vous si le maître-queux vous apportait (comme ici, au milliardaire Largo Winch) la tête de votre meilleur ami sur la table du festin auquel vous avez convié quelques centaines de riches ?

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APPETISSANT, NON, AINSI PRÉSENTÉ ?  (TIRÉ DE LA SERIE "LARGO WINCH")

« Vous reprendrez bien un peu de ma tête ? - Avec plaisir, elle est succulente. ». Je confirme : bien grillée, la cervelle est le morceau le mieux venu.

 

 

mercredi, 14 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 31

Je suis toujours en vacances, mais …

 

Avant de partir, je me suis bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage, et qui ne peuvent pas compter sur « Une journée à la plage offerte aux enfants défavorisés » par le Secours Populaire.

 

Aujourd'hui, la maison propose un petit reportage sur la Nouvelle Guinée, en particulier ses populations si accueillantes au touriste : les Papous.

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"LE SUPPLICE DU PAPOU : ON POUSSE CET HOMME AU MILIEU D'EPINES ENFLAMMEES"

J'ai bien peur que l'image ci-dessus ne rende pas les Papous bien sympathiques.

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JE SAIS, ÇA NE VIENT PAS DE CHEZ LES PAPOUS, MAIS DES MARQUISES, MAIS JE NE SUIS PAS METICULEUX COMME UN ETHNOLOGUE, PUISQUE JE NE SUIS PAS ETHNOLOGUE.

Remarquez que des gens aussi éclairés qu'André Breton ou Tristan Tzara, même s'ils ont collectionné des crânes surmodelés trouvés dans la vallée du Sepik, si on y réfléchit un peu, ça ne rend pas les Papous plus avenants pour autant (et tant pis pour l'anacoluthe).

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UN CRÂNE SURMODELÉ, POUR NOUS, C'EST D'ABORD UN OBJET D'ART.

Breton et Tzara savaient sans doute que ces braves Papous du Sepik (Papouasie Nouvelle Guinée) pratiquaient depuis toujours la « chasse aux têtes», et cela dès que les ancêtres (ça se dit « maro») en réclamaient. Ci-dessous la vallée du Sepik.

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Chez les Papous, la tête de l'ennemi tué était tranchée à l'aide d'un couteau de bambou ou avec une lame de pierre, mais une fois rapportée au village elle ne devait plus être manipulée par le meurtrier, qui devait se purifier en se nettoyant avec du jus de citron sauvage.

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CE MAGNIFIQUE CRÂNE SURMODELÉ IATMUL DE LA VALLEE DU SEPIK FAIT PARTIE DE LA COLLECTION RENAUD VANUXEM

Elle était suspendue au cou de l'épouse de l'oncle maternel du meurtrier pendant la durée des festivités destinées à honorer le triomphe de ce dernier. Je vous assure que je n'invente rien. D'abord je n'oserais pas. Ensuite j'en serais probablement incapable.

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LE SALE GOSSE A LE MÊME RIRE QUE LA "MOUETTE RIEUSE".

Je pourrais aussi convoquer Gaston Lagaffe, bien que, dans son cas, les Papous n'aient qu'une existence théorique, et même abstraite, pour ne pas dire purement hypothétique. Et pourtant ...

 

Non, une fois pour toutes : tout mais pas papou, et même pa-papou, pa-papou, pa-papou.

 

 

mardi, 13 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 30

Je suis en vacances encore pour quelques jours, mais ...

 

Pour ne pas laisser vacant tant d’espace disponible, mais le remplir de façon bien sentie, je me suis dit que la collection 1876-1899 du Journal des Voyages était parfaitement idoine. Puisse l’illustration quotidienne remplir l’office du poisson rouge quand on est seul et qu’on n’a personne à qui parler : on peut toujours s’adresser au bocal. Le bocal est aussi un miroir. Quoique déformant, certes.

 

Aujourd'hui, rendez-vous chez l'hipporhinoéléphantologiste (variante animale de l'ORL).

 

Commençons par les distractions éléphantines élémentaires.

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REGARDEZ BIEN CETTE GRAVURE : LES ELEPHANTS S'AMUSENT COMME DES FOUS !

L'ARTISTE, LUI, S'EN EST DONNÉ A COEUR JOIE

La légende de la gravure ? « Il ne manque que le rire». Les éléphants, quand ils savent qu'il sont entre eux et qu'ils croient que personne ne les regarde, sont des boute-en-train sans égal.

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Mais quand l'un d'eux croise la route d'un Rataxès de bazar (« Rataxès le rancunier », est-il dit dans Babar), il ne faut pas trop le pousser pour qu'il lui règle son compte.

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Les défenses de l'éléphant sont aussi dangereuses que celles du morse, surtout du morse femelle (voir notre reportage exclusif du 16 prochain).

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"LES CHASSEURS DE DIAMANTS : ALBERT SE JETTE SUR LE DOS, ARC-BOUTE SON FUSIL SUR LE SOL ET LÂCHE LA DETENTE"

LE CHASSEUR EST UN DRÔLE D'ETOURDI : SI SON COUP A PORTÉ, IL VA PRENDRE UN SACRÉ PAQUET SUR L'ESTOMAC. D'AUTANT QUE LE RHINO EST VENU PRÊTER MAIN-FORTE.

Mais il est vrai que, quand il s'agit de s'attaquer à l'homme, Rataxès est prêt à prêter main-forte à Babar (ci-dessus).

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"ASSIÉGÉ PAR UN RHINOCEROS : L'ANIMAL CHERCHAIT A ENTAMER LES RACINES DE L'ARBRE"

Il est même prêt à s'en prendre aux racines du puissant arbre sur lequel le maladroit chasseur a eu le temps de grimper après avoir perdu son fusil dans la course.

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Mais quand les Zéphyr (c'est le singe dans Babar, on se demande pourquoi "Zéphyr", peut-être parce qu'il n'arrête pas de péter ?) s'y mettent à plusieurs dizaines pour bombarder la troupe des éléphants, ceux-ci, impuissants, n'ont plus qu'à retourner à Célesteville la queue entre les pattes. Nul doute, n'est-ce pas, qu'il en est ainsi dans la nature.

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"LES CHASSEURS D'HIPPOPOTAMES : LE MONSTRE FIT CHAVIRER LA BARQUE ET LA MIT EN PIECES"

Quant à l'hippopotame, il est de notoriété publique que sa vitesse surprend tous les promeneurs, safaristes et chasseurs qui s'en sont approchés du mauvais côté du vent.

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Et quand il est dans l'eau, son élément, gare aux marins d'eau douce. Spirou et Fantasio (Le Gorille a bonne mine) l'ont échappé belle.

 

lundi, 12 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 29

Je suis toujours en vacances, mais … 

Avant de partir, je me suis bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet : il faut penser à tous les malheureux qui ne partent pas en voyage, et qui ne peuvent pas compter sur « Une journée à la plage offerte aux enfants défavorisés » par le Secours Populaire.

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Aujourd'hui, la mer cruelle, la mer dangereuse, la mer « toujours recommencée ».

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LES NAUFRAGEURS DU LABRADOR

La mer (éternelle, cela va de soi) est un sujet omniprésent dans l'hebdomadaire. La leçon de l'époque ? « Je lutte pour ma survie ».

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LES "ENNEMIS GROUILLANTS" CONSISTENT EN UNE MEUTE DE CONGRES GOURMANDS ET AGRESSIFS.

Nous sommes à l'abri de ce genre de message, puisque nous avons eu la Première Guerre Mondiale, la Deuxième Guerre Mondiale,

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les deux Bombes Atomiques (6 août 1945, "Little Boy", tombée sur Hiroshima, depuis le B29 "Enola Gay" piloté par Paul Tibbets, puis, 9 août, "Fat Man", larguée sur Nagasaki du B29 "Bockscar" piloté par le major Charles Sweeney), les camps de la mort, et d'autres réjouissances que je n'ai pas besoin de rappeler ici. 

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LE "MONSTRE" EN QUESTION EST CENSÉ ÊTRE UN REQUIN

Les catastrophes, à l'époque du Journal des Voyages, étaient encore, j'ose le dire, à l'échelle humaine.

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Aujourd'hui, les catastrophes ont suivi l'essor magistral et monstrueux de la technique : elles sont à l'échelle inhumaine.

 

 

 

dimanche, 11 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 28

Je suis toujours en vacances, mais ...

 

… il reste des choses à dire sur l'Afrique, telle qu'elle était aux alentours des années 1880. Oui, nous nous devons d'aborder ici, crânement, l'infâme époque coloniale, où le blanc méprisait stupidement le noir, le jugeant abusivement ignorant, superstitieux, souvent cruel, et où il s'en servait comme d'un outil. 

Ce serait tout à fait idiot de nier le fait, de même qu'il est inepte (voire ignoble) de demander, comme le fait l'arrogant Louis-Georges Tin, président (et sans doute unique militant) du Conseil "Représentatif"  [représentatif mon oeil !] des Associations Noires (CRAN, appellation abusivement calquée sur "CRIF", mis en place depuis des dizaines d'années par les Juifs), des réparations financières astronomiques pour toute la période colonialiste et esclavagiste, ou à défaut l'interdiction de Tintin au Congo.

 

Il n'y a pas de petit profit. Il n'est pas seul à vouloir se servir de l'histoire pour tenter de palper de la pépette, Louis-Georges Tin. Qui oublie bien volontiers que les premiers à avoir réduit des Noirs en esclavage furent des Noirs.

 

Et que si les Blancs ont pu sans problème s'approvisionner durablement, à Gorée ou ailleurs, c'est que des Noirs n'avaient rien de plus pressé que de leur vendre d'autres Noirs, leurs « frères de couleur ». L'esclavage était fondé sur les principes du commerce : si les Blancs, et bien avant eux les Arabes, ont pu acheter des Noirs, c'est que des Noirs vendaient des Noirs. Il n'y a pas de demande s'il n'y a pas d'offre.

 

A cet égard, la réaction que j'ai aujourd'hui quand je lis certains propos de voyageurs de l'époque du Journal des Voyages me rassure : les auteurs de ces propos seraient aujourd'hui condamnés, avec mon adhésion, tant leurs propos sont tombés dans l'opprobre du ruisseau (Boby Lapointe), en correctionnelle, séance tenante, pour "incitation à la haine raciale", ou autre motif judiciaire.

 

Les temps ont irréversiblement changé. J'y reviendrai peut-être, parce qu'il est bon que nous sachions d'où nous venons, même si le présent est actuel, et que le passé est révolu. Il est bon de voir qu'un business prospère s'est développé sur les notions de « blessure mémorielle » et de « culpabilité historique », donnant lieu à « repentance » et surtout à « indemnisation ».

 

Et que les enfants ne sauraient être considérés comme coupables des crimes de leurs pères. D'ailleurs et heureusement, n'est-ce pas un Français (dont le nom a servi à baptiser la capitale d'un pays africain) qui a libéré des noirs esclaves, comme le montre l'illustration ci-dessous ?

 

A la rigueur, le colon pouvait considérer le noir comme un animal de trait, tout dévoué au service du seigneur à la peau claire. Le noir, en effet, ne demandait pas mieux que de tirer la calèche de ces messieurs, quand il leur prenait l'envie d'aller à la chasse aux papillons et autres insectes.

 

Je propose par-dessus le marché à la méditation de Louis-Georges Tin le document suivant, imprimé en 1946.

 

Il est tiré d'une publication missionnaire, intitulée Père, parlez-nous de votre Afrique, et pleine de choses délicieuses. Mon Dieu, le brave curé que voilà.

 

"Moteurs à bananes", riche expression.

samedi, 10 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 27

 Je suis toujours en vacances, mais … j'envoie quelques cartes postales extraites de mon 

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Aujourd'hui, quelques curiosités végétales, animales et humaines. On commencera par l'injustement méconnu « Filaire de Médine», en se rappelant que Médine est la deuxième ville sainte des musulmans. C'est bien fait pour eux : ils n'avaient qu'à pas. On l'appelle aussi "dragonneau", parfois "ver de Guinée".

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Bref une belle saleté, qui a la fâcheuse habitude de se balader librement (et même à vue d'oeil) sous la peau, ornant le corps de fort coquets bulbes. Il peut, paraît-il, se loger n'importe où, y compris dans les paupières. La technique pour l'extraire est simple, consistant à inciser délicatement l'épiderme puis à enrouler l'animal sur un bâtonnet, mais elle demande du doigté : il ne faudrait pas qu'il se casse.

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Nous continuerons avec un phénomène végétal que seul l'Australie du Journal des Voyages est capable de produire : l'arbre insectivore. Celui-ci, étrangement, s'est trompé de proie : la mouche est un peu grosse. Mal va lui en prendre. Les curieux qui n'étaient pas là le 16 juillet dernier pourront faire un détour par cette date, ici même, pour découvrir une véritable trouvaille : l'arbre anthropophage des Sakalaves de Madagascar. Moralité : tout ce qui est exotique est dangereux.

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"LES ANTHROPOPHAGES : LE CHEF CHOISIT UN MORCEAU QU'IL DECOUPA"

N°47 DU 2 JUIN 1878

Nous ferons une escapade dans une tribu ô combien célèbre chez les Européens, depuis que Daniel Defoë a raconté les aventures du marin  Selkirk, plus connu sous son pseudonyme romanesque de Robinson Crusoë : la tribu des anthropophages. Pour le Journal des Voyages, il suffit de tomber en milieu exotique pour risquer de se faire dévorer par des êtres humains à peau foncée.

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"SCENES DE LA VIE DES SQUATTERS : LA TRIBU LES DEVORAIT A BELLES DENTS"

LES SQUATTERS AUSTRALIENS (ET ETATSUNIENS) ETAIENT LES PIONNIERS QUI ALLAIENT S'INSTALLER SUR DES TERRES "INOCCUPEES", SANS DEMANDER L'AVIS DES GENS DU "CRU" (SI J'OSE DIRE). N° 614 DU 14 AVRIL 1889.

La tribu d'origine a prodigieusement essaimé, puisqu'il s'en trouve sous à peu près toutes les latitudes, sauf dans la civilisation, autrement dit en Europe. Et pour prouver que je ne m'abreuve qu'aux meilleurs sources, je propose ici deux exemples pris, l'un dans une contrée non précisée, l'autre dans l'Australie primitive. Le plus dégoûtant dans l'affaire, c'est que ces gens raffolent du steak tartare.

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Mais il n'y a pas que les sauvages qui se livrent à des fantaisies meurtrières. La Russie profonde, avec ses sectes d'illuminés chrétiens, offre de bien intéressants exemples d'extravagances diverses. On dirait même que c'est un plaisir de se faire couper la tête par des patriarches à longues barbes, sous le regard approbateur des icônes. Il n'est pas dit si la viande des "décollés" est ensuite mise à mariner et à cuire. 

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Nous retombons ensuite dans les clichés traditionnels : le tigre, le requin, rien que du déjà vu, même si ça fait toujours son petit effet, comme dernièrement sur une plage de La Réunion.

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"LES CAVERNES A REQUINS : UN ENORME SQUALE VINT BOUCHER L'ENTREE DE LA CAVERNE". ET LE GARS EST EN APNEE ! ZORRO VA SÛREMENT ARRIVER. LES "CAVERNES A REQUINS", DU MOINS A MON AVIS, SONT AUSSI UNE VRAIE TROUVAILLE.

Même que le préfet de là-bas a déclaré sans rire qu'il allait tout faire pour que le requin coupable de meurtre sur la personne d'une adolescente de quinze ans soit retrouvé et dûment châtié. Le tribunal s'en lime déjà les canines. 

 

vendredi, 09 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 26

Je suis toujours en vacances, mais … il y a le fidèle

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Avant de partir, j’ai bien avancé mon travail, pour que ce blog ne reste pas totalement muet. Le Journal des Voyages offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté.

 

Laissez-moi, ce jour, vous présenter l'objet de ma quête quotidienne de sensations fortes.

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"LA CHASSE AU MOA : IL AVAIT UN COMPAS D'UNE ENVERGURE INSENSEE"

Je me garderai bien de contester au Journal des Voyages le sérieux qu'il apporte dans la vérification des informations qu'il publie. Je me permettrai juste, de relever un flottement dans l'attention portée à leur indubitabilité. Ainsi trouve-t-on, en "une" du numéro 491 paru le dimanche 5 décembre 1886, une gravure, représentant une espèce de gigantesque autruche aux prises avec les fusils des chasseurs, qui relèverait du cinéma fantastique si elle paraissait aujourd'hui.

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GRAVURE DU NOUVEAU LAROUSSE ILLUSTRÉ

Nous ne connaissons en effet l'animal présenté que sous forme de fossile. Il aurait pu jouer dans Jurassic park (mais les chasseurs ci-dessus se promènent déjà à Jurassic park). Si je me réfère au Nouveau Larousse Illustré en sept volumes (1897-1903), je trouve, au terme « Moa », un renvoi au « Dinornis» (en grec : oiseau terrible).

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PHOTO PRISE, SI J'EN CROIS LE DOCUMENT, QUELQUES ANNEES AVANT LA PARUTION DU NUMERO DU JOURNAL DES VOYAGES

Sous cette dernière entrée, je lis que les Maoris de Nouvelle Zélande appelaient la bête le « Géant Moa» et qu'ils en nourrissaient leurs récits traditionnels et leurs légendes. Le dictionnaire s'avance même dangereusement, en faisant valoir de façon péremptoire que les dinornis ont été contemporains de l'homme, peut-être même à une époque historique. Du moins est-ce ce qu'on croyait à l'époque. 

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CI-DESSUS, UN COMPARATIF LUMINEUX : L'APTERYX, L'AUTRUCHE ET LE DINORNIS, CHACUN AVEC SON OEUF

Le Grand Robert, sur les bases scientifiques les plus récentes, nous apprend que l'animal date de la fin de l'ère tertiaire (- 65 à - 2,6 millions d'années), et qu'il vivait en Australie, et non en Nouvelle Zélande. On dira donc que le XXème siècle a permis d'affiner nos connaissances en paléontologie. Et que le Journal des Voyages, finalement, n'a fait qu'extrapoler un récit "possible" (!) à partir de ce que savait l'époque. L'image n'en reste pas moins goûteuse : ces chasseurs armés de leurs flingots modernes qui traquent l'animal préhistorique, avouez que ça vaut son pesant de bananes. Jurassic park peut aller se rhabiller.

 

 

jeudi, 08 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 25

Je suis toujours en vacances, mais il y a, encore et toujours, le …

journal des voyages 

qui offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté.

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Aujourd'hui, je rends un vibrant hommage à Octave Mirbeau et à son grand livre (ci-dessus), Le Jardin des supplices (qui paraîtrait, si on le lisait encore, bien fade aujourd'hui, à cause de trop de "littérature"),  Je vous emmène en effet visiter le grand jardin des supplices inventés par les hommes (en général puissants, d'opérette ou non) pour punir, mais surtout faire souffrir et mourir leurs semblables. Je précise que tout ce qui suit est de la seule responsabilité du Journal des Voyages (il y a prescription). 

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"LA PUNITION DU TRAÎTRE : L'ELEPHANT LUI ECRASA LA TÊTE D'UN SEUL COUP"

ET POUR MIEUX LE PUNIR, ON L'A OBLIGÉ A VOIR VENIR EN DIRECT LE DESSOUS DE LA PATTE, QUI FAIT GICLER JOYEUSEMENT LE JUS DE TÊTE, COMME L'ARTISTE A PRIS PLAISIR A LE PRECISER

Aujourd'hui, nous découvrons, proprement stupéfaits, que l'animal le plus cruel qui ait pris pied sur la planète Terre, ce n'est pas le tigre, ce n'est pas le calamar géant, mais l'homme. J'espère ne rien apprendre à personne. 

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ON N'EST PAS EN BASSE PROVENCE APRES LA RECOLTE DES OLIVES. GARANTI "PREMIERE PRESSION A CHAUD". A DEGUSTER DE SUITE ET SUR PLACE.

Qu'a-t-il en plus ? Quelle faculté particulière lui vaut d'être insurpassable dans le domaine des cruautés ? C'est tout simple : l'imagination. Dire cela est évidemment, aujourd'hui, d'une extrême banalité. Beaucoup plus banal que ces crochets plus pointus que des crocs de boucher, fixés dans un mur de Tunisie (ci-dessous), avant que la France chrétienne et civilisée (c'est tout un, comme dit Montaigne) ne vienne y mettre bon ordre.

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"EN TUNISIE : QUELQUES-UNS FURENT JETÉS TOUT NUS SUR LES CRAMPONS DE FER ATTACHÉS AUX MURAILLES"

Certains Tunisiens d'aujourd'hui rêvent peut-être nostalgiquement de revenir au doux temps jadis, où l'on savait quoi faire des malfaisants. Une âme charitable aura-t-elle l'amabilité de montrer cette image d'un croc de boucher à feu Monsieur Sarkozy ?

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LES PEINES ET LES SUPPLICES AU TONKIN : LES POINTES AIGUËS PENETRENT JUSQU'AUX OS."

A propos de planches, je vous recommande, en date du 15 février 1891, celle sur laquelle fut étendu le cruel Dekoro, roi du Segou-Sikoro, qui fit exterminer 60.000 esclaves en une seule journée pour montrer sa suprématie et sa munificence, et qui fut à son tour supplicié par les rescapés, après avoir vu toutes ses femmes et tous ses enfants passés au fil de l'épée.

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"SEGOU-SIKORO : DE NOUVEAUX CLOUS S'ENFONCERENT DANS LES MEMBRES DU ROI"

15 FEVRIER 1891

Allez, vous prendrez bien un dernier supplice, avant de repartir ? Celui-ci est croquignolet, et j'y suis sensible parce que la tranche de viande, entre les deux planches, est celle d'un Français, Grès, garde principal du poste de Dong Son, qui n'a pas été fusillé comme ses camarades par le redoutable chef des bandits, le Doc Ngu, qui se le gardait pour la bonne bouche. Je doute cependant qu'on puisse réellement scier en s'y prenant comme le bourreau de l'image ci-dessous. Aucun raisonnement, ces artistes !

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"IL LE FIT SCIER TOUT VIVANT ENTRE DEUX PLANCHES"

19 MARS 1893

Finalement, la leçon du Journal des Voyages, ce pourrait être : « Qu'est-ce que nous sommes civilisés, quand on voit les horreurs, les cruautés et les supplices que tous les autres peuples du monde, ces sauvages, ont inventés pour faire souffrir leurs semblables ! ». Conclusion : « Qu'est-ce qu'on est bien chez nous ! ». Comme on comprend le lecteur du Journal des Voyages! C'était l'époque où l'Europe régnait, rayonnait, dictait la marche à suivre et montrait la direction morale. D'autres temps.

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CE SONT DEUX SURVIVANTS DE L'EXPEDITION DU DOCTEUR CREVAUX QUI ONT RACONTÉ QUE CELUI-CI FUT TUÉ ET MANGÉ PAR LES INDIENS TOBAS. IL AVAIT 35 ANS.

Mais qu'est-ce qu'il y a comme supplices, dans le Journal des Voyages ! A croire que le lecteur se délectait ! Comme si les hommes étaient capables de se réjouir du malheur des autres ! Non mais sans blague ! Dites tout de suite que ce qui est humain est inhumain, tant que vous y êtes ! 

 

mercredi, 07 août 2013

JOURNAL DES VOYAGES 24

Je suis toujours en vacances, mais … 

Avant de partir, je me suis bien avancé dans mon travail, ce qui permet à ce blog de ne pas rester totalement muet.  Le Journal des Voyages offre tellement de destinations palpitantes, d’aventures mémorables, de phénomènes qui défient l’imagination, qu’il n’est guère besoin de sortir de chez soi pour frémir d’angoisse et de volupté. Il suffit de tourner les pages de papier fin, en format in-folio.

Aujourd'hui, nouveau plongeon héroïque dans la fosse où grouillent diverses sortes de serpents.

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On a peine à se représenter la somme de dangers que représentait le monde, voilà 130 ans, une période de l'histoire où, pourtant, l'humanité n'a jamais cru aussi dur que le fer que son bonheur, grâce aux bienfaits de la science, de la technique et de l'industrie, serait assuré pour l'éternité.

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Le Journal des Voyages est un témoin de ce que les Français de 1880 et environs s'attendaient à vivre dans leurs années futures, selon le schéma qu'en dessinait la propagande de l'époque.

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Le monde était qualifié de dangereux par une avant-garde envoyée par l'Europe dans les pays les plus sauvages, mais en même temps riche de tous les possibles, pour peu que l'on trouvât des hommes qui n'eussent pas froid aux yeux, et qui eussent le cran de mouiller d'encre noire les feuilles des journaux avec lesquels ils étaient sous contrat, de mouiller de leur sueur la chemise unique avec laquelle ils étaient partis à l'aventure, ou de mouiller de leur sang la terre sur laquelle leur courage, leur audace ou leur témérité les avait conduits. 

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"UNE DIGESTION DIFFICILE : LES JAMBES D'UN HOMME APPARURENT"

JE JURE QUE C'EST LA LEGENDE AUTHENTIQUE (N°539, DU 6 NOVEMBRE 1887). ON CROIT RÊVER QUAND ON SE DIT QUE LE SERPENT A COMMENCÉ PAR LES PIEDS.

A défaut, les journaux acceptaient les récits de seconde main. On appréciera (plus haut) la longueur inhabituelle de ce serpent à lunettes (mais il paraît que certains de ces protéroglyphes de la famille des élapidés atteignent 4 mètres, alors ...).

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"LES DRAMES DE L'AFRIQUE AUSTRALE : IL FIT DE VAINS EFFORTS POUR CONSERVER SON APPUI"

Quant aux peuplades, parfois désignées comme les plus primitives, le Journal des Voyages en décrivait complaisamment les moeurs abjectes ou cruelles, que ce fût l'alimentation, la religion, les châtiments punissant les fautifs, les relations humaines ou autre, comme on le voit ci-dessus : comment des humains peuvent-ils se comporter d'une façon aussi inhumaine ? C'était la question inlassablement posée, semaine après semaine, par le Journal des Voyages

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MES EXCUSES POUR LA QUALITE DU SCAN. "LES DRAMES DE L'AFRIQUE AUSTRALE : IL AVAIT LAISSE ECHAPPER UN GEMISSEMENT ET ETAIT TOMBE A LA RENVERSE". FINALEMENT, LES FILMS D'INDIANA JONES S'INSCRIVENT DANS UNE VIEILLE ET SOLIDE  TRADITION.

Mais chacun sait que les rivières d'Amérique grouillent de méchants animaux à la gueule bourrée jusqu'à la gueule de dents horriblement garnies de pointes horriblement pointues.

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PREMIER ARRIVÉ, PREMIER SERVI !

Et que les forêts, surtout quand elles sont vierges, recèlent des populations invraisemblables de créatures rampantes, à la gueule bardée de crochets épouvantablement venimeux, et douées pour le contorsionnisme.

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"LE CHARMEUR DE SERPENTS : OKALI APPORTAIT A SES ELEVES UNE POULE NOIRE"

Pour tout dire, le voyages ont des dents pointues comme les mâchoires du monde extérieur tout entier croquant dans la chair trop tendre de nos imaginations fiévreuses d'occidentaux attiédis par le confort.

 

Mais qu'est-ce qu'il y a comme serpents, dans le Journal des Voyages ! Il y a même le SERPENT DE MER. Sans rire, sans dec et sans charre. C'est même le capitaine de la frégate anglaise « Dedalus», Pierre McQuhoe, qui en a tiré le portrait quand celui-ci est passé à 200 yards de son navire, quelque part dans le Pacifique, et qu'il l'a alors croqué "de chic" (comme on ne dit plus).

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"TÊTE DU SERPENT DE MER (D'APRES UN CROQUIS DU CAPITAINE M'QUHOE)"

Personne ne pourra dire que ce blog ne se préoccupe pas d'instruire, en même temps qu'il s'efforce d'être « distraisant, treize ans et demi, après je prends ma retraite » (Boby Lapointe, Leçon de guitare sommaire). Personne ne pourra plus ignorer l'existence du SERPENT DE MER, quelques formes, modalités ou apparences que son existence réelle puissent adopter.