Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 27 août 2013

LA MORT DE VIRGILE

La Mort de Virgile. Ce livre de Hermann Broch est présenté comme un roman, c’est marqué sur la couverture. Après l’avoir refermé, autant le dire tout de suite, je dis : « Roman mon œil ! ». Mon ami Yves me l’a rendu juste après l’avoir commencé (je ne sais pas s'il a lu vingt pages), en le qualifiant de « roman philosophique ». Je ne peux pas dire qu’il ait complètement tort, mais ce n’est encore pas ça. Les trois ingrédients principaux d’un roman sont, d’après ce que j’en sais, des personnages, des situations et des péripéties.

 

J’en oublie : écriture, composition, etc. Certes, il y a des personnages, dans La Mort de Virgile, et pas des moindres : Virgile bien sûr, mais aussi l’empereur Auguste en personne, et puis quelques autres : les amis proches du poète, Plotius Tucca et Lucius Varius, le médecin Charondas. Mais il y a aussi un jeune garçon, Lysanias, dont on ne sait à la fin s’il a vraiment existé ou s'il n'était qu'une rétroprojection du poète jusqu'aux temps de sa jeunesse. De même, Plotia, la femme aimée mais échappée. Et puis un esclave. Ces trois personnages à l’existence fantomatique parlent-ils en réalité dans la chambre de Virgile ? Ou lui parlent-ils dans sa tête seule ? Aucune certitude.

 

La situation est très simple et restera la même du début à la fin : Virgile était à Athènes, mais Auguste lui a demandé impérieusement de rentrer avec lui en Italie, au motif que l’écrivain est malade et qu’il lui faut se faire soigner. Le livre commence un soir avec l’arrivée du convoi majestueux des navires impériaux dans le port de Brundisium (écrit parfois Brindisium). Il se termine le lendemain matin.

 

Dans ce laps de temps on ne peut plus court, que s’est-il passé ? Quelles péripéties ? Il s’est passé que Virgile, après mûre réflexion – mais on pourrait dire aussi « en proie aux pensées les plus noires » –, a décidé de descendre sur la plage et de brûler le manuscrit de L’Enéide, son manuscrit presque achevé, mais pas tout à fait. Il le conserve précieusement dans un coffre en cuir.

 

Cette décision horrifie évidemment ses amis Plotius et Varius, puis le médecin Charondas, et pour finir, Auguste lui-même. Quoi, l’auteur brûlerait son pur chef d’œuvre ? C’est non seulement impensable, mais inacceptable. Après une longue entrevue avec l’empereur, Virgile renoncera à son funeste projet. Voilà l’intrigue. Un peu « ledge », non ? Oui, vraiment léger. Hermann Broch écrit pourtant un livre de plus de 400 pages.

 

La première question qui vient à l’esprit est : comment fait-il ? Et nous voici au cœur du problème. Car ce livre est un problème pour le lecteur que je suis. J’avais tenté une première fois d’en venir à bout, en vain, je m’étais arrêté à la première centaine de pages. Et puis j’ai lu Le Tentateur, dont j’ai un peu parlé ici, et auquel je crois qu’il faudra que je revienne. Alors je me suis dit que c’est trop bête de reculer devant la difficulté.

 

Qu’on se le dise, parmi les sommets littéraires, si celui-ci n’est pas le plus haut, c’est celui dont la paroi est la plus raide qu’il m’ait été donné de gravir. Broch ne fait aucun cadeau au lecteur, aucune concession, aucune gentillesse. Ce livre met le lecteur au défi, à l’épreuve, ce que vous voulez : il faut le mériter, il faut le conquérir. A aucun moment, il ne se laisse amadouer. Aucun encouragement en cours de route. Ce n’est pas un livre dédaigneux, c’est un livre hautain, au meilleur sens du terme. Hautain et sûr de lui, il va son chemin, sans se préoccuper du reste.

 

S’il me fallait dire, au fond du fond, ce qu’il y a dans ce bouquin, je commencerais par dire ma perplexité. C’est un livre qui me dépasse, et je n’en ai pas perçu tous les enjeux avec la netteté suffisante. Le plus simple est de dire ce qui m’en reste. Comme le Docteur, le narrateur dans Le Tentateur, mais de façon incommensurable, Virgile, quelques heures avant de mourir, se sent transpercé par deux flèches, l’une verticale, l’autre horizontale. L’espace et le temps, tous deux infinis.

 

La première lui fait prendre conscience de l’infini de l’espace au-dessus et au-dessous de lui, ainsi que des confins les plus lointains qui se présentent à sa vue, au-devant et en arrière. La seconde figure la trajectoire de sa propre vie à travers les temps, depuis la première enfance, toute rurale, à Andes, jusqu’à cette heure dernière, en passant par Mantoue, puis par tous les êtres qu’il a croisés en chemin, en particulier Plotia, mais aussi Alexis, le bel adolescent dont il n’est pas dit grand-chose, mais dont on devine les traits sensuels, et Cébès, le jeune garçon qui devient son élève en poésie.

 

Hermann Broch se débrouille pour que, à aucun moment du récit, le lecteur ne perde de vue l’immensité de l'espace qui entoure le personnage, mais aussi qu'il n’oublie jamais que chacun s’inscrit (se circonscrit), à chaque instant, dans une durée immémoriale, au-devant et en arrière. Pour l’auteur, l’homme a besoin de ces deux infinis.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Les commentaires sont fermés.