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samedi, 11 janvier 2014

ALORS ? DIEUDONNé ?

 

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Ah quel beau journal que Le Monde ! Quels preux journalistes que ceux qui écrivent dans Le Monde ! Et quelle ingéniosité que celle des rédacteurs chargés de formuler les titres des articles du journal Le Monde ! « Dieudonné : le Conseil d'Etat encadre la liberté d'expression ». Farpaitement : « encadre » ! Quel joli mot !  

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C'est sûr que « porte atteinte à la liberté d'expression », ou « abolit », ou encore pire « assassine » ç'aurait été tendancieux. Vous pensez bien qu'un journal comme Le Monde ne pouvait pas se le permettre. Encore bravo ! Le double tour de prestidigitation est très au point : du chapeau du Conseil d'Etat, le magicien sort un lapin qui a pour fonction, dans un deuxième temps, d' « encadrer la liberté d'expression ».

Enfin, tout ça pour dire que, par principe, je réprouve toute interdiction, tant qu’il s’agit de paroles, d’images, c'est-à-dire de représentations. Je veux dire tant qu’il ne s’agit pas d’actes s’en prenant à la personne physique ou d’injures publiques. Je redoute la confusion entretenue par tous ceux qui, prenant les mots pour des choses, ne tardent pas à en faire des actes. Je redoute les gens qui croient qu'il existe une « violence verbale ». Un pamphlet ne sera jamais un poignard ou un revolver. Condamner quelqu’un pour des paroles qu’il a dites ou écrites est une infamie.

J’ai récemment consacré plusieurs billets au dessinateur Reiser, mort en 1983. Mon arrière-pensée (pas si « arrière » que ça, d’ailleurs) était de montrer le poids du couvercle qui s’est abattu depuis sur la liberté d’expression, et que certains (disons « les associations », dont trop souvent les autorités ne tardent pas à emboîter le pas) s’efforcent de visser définitivement sur la marmite où bouillonne la libre parole.

A propos de « liberté d’expression », j’ai même entendu quelqu’un manifester sa réprobation envers des gens qui défendent Dieudonné « au prétexte de la liberté d’expression ». Comme si la liberté d'expression pouvait servir de prétexte ! Décidément, heureusement que les mots ne sont pas des choses : certains leur feraient dire le contraire de ce qu'ils veulent dire, comme n'importe quel vulgaire Big Brother inventant la novlangue. 

Défendre Dieudonné est le cadet de mes soucis. Tout le monde dit qu'il est antisémite. Si c'est vrai, je dirai que c'est idiot, mais que c'est après tout son affaire. J'ai même entendu un journaliste déclarer : « ... un antisémite qui se prend pour un humoriste ». Je me dis que si tout le monde le dit, c'est que ça doit être vrai. Et alors ? Des sociologues renommés (Vincent Tiberj ...) le disent : l'antisémitisme n'est pas un problème en France.

Pour mon compte, j’en reste à l’idée que la liberté d’expression est un droit fondamental. Et ça, ça ne se coupe pas en morceaux, ça ne se négocie pas. Les lois inspirées par une morale quelle qu’elle soit devraient être ressenties comme des insultes. Aussi longtemps que la personne qui parle n’en vient pas à des injures publiques ou à des actes portant atteinte à l’intégrité physique, il est permis de TOUT dire.

Que je sache, Dieudonné n’a porté atteinte à l’intégrité physique de personne. Que ses propos aient des relents nauséabonds, c’est possible. Mais d’une part, est-il prouvé que ceux-ci aient un contenu antisémite ? J'avoue que je n'ai pas cherché à savoir, parce que le problème, selon moi, n'est pas là. Et puis en général, à quelques rares expressions près, les comiques m'ennuient. 

D’autre part, tenir des propos, fussent-ils nauséabonds, demeure un droit fondamental. Si l'envie m'en prenait, je tiendrais moi-même des propos nauséabonds. Et je n'aimerais pas qu'on m'en empêche. Il se trouve simplement que l'envie ne m'en a jamais pris. Voilà ce que tous les roquets aboyeurs qui appellent à la censure et à l’interdiction ne supportent pas.

Ils ne supportent pas qu’on leur écorche les oreilles avec des paroles qui blessent leurs convictions. Est-ce que c'est ça, la tolérance ? Au nom de leurs idéaux, il faudrait donc se taire et faire taire ? Ils ne supportent pas d’être incapables d’imposer leur point de vue à des gens qui ne pensent pas comme eux.

Leur rêve : régenter la parole. Introduire la matraque de la police pour régler la circulation des idées. Revêtir d’un uniforme mental gris armé d'un bâton blanc tous les esprits auxquels ils font subir leur propagande exaltée. Leur seul avantage aujourd'hui est d'être du côté du manche, de la force et de la loi. Franchement, le manche, la force et la loi auraient mieux à faire.

Tiens, mon ami R. me raconte qu’un professeur de lycée a porté plainte contre des élèves au motif qu’ils ont eu l’audace invraisemblable de faire le geste de la « quenelle ». Si c’est vrai (?), j’ai bien peur que ce cinglé ne soit pas seul dans sa frénésie policière.

J’imagine ce que donnerait un tel rêve, s’il était appliqué à la création littéraire. Ça a d’ailleurs déjà été fait. Ce n’est pas un hasard en effet si les plus grands écrivains et poètes russes (Maïakovski, Mandelstam, Vassili Grossman, Soljenitsyne, …) du 20ème siècle ne furent pas autorisés à publier leurs œuvres, et que le nom des autres a déjà quitté les colonnes des dictionnaires de littérature. Et je ne parle pas des autodafés allumés en Allemagne en 1933.

Comme Voltaire s’adressant à je ne sais plus qui, je dis à monsieur Dieudonné M’Bala M’Bala : 

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ».

 

Je ne sortirai pas de là.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

mardi, 27 août 2013

LA MORT DE VIRGILE

La Mort de Virgile. Ce livre de Hermann Broch est présenté comme un roman, c’est marqué sur la couverture. Après l’avoir refermé, autant le dire tout de suite, je dis : « Roman mon œil ! ». Mon ami Yves me l’a rendu juste après l’avoir commencé (je ne sais pas s'il a lu vingt pages), en le qualifiant de « roman philosophique ». Je ne peux pas dire qu’il ait complètement tort, mais ce n’est encore pas ça. Les trois ingrédients principaux d’un roman sont, d’après ce que j’en sais, des personnages, des situations et des péripéties.

 

J’en oublie : écriture, composition, etc. Certes, il y a des personnages, dans La Mort de Virgile, et pas des moindres : Virgile bien sûr, mais aussi l’empereur Auguste en personne, et puis quelques autres : les amis proches du poète, Plotius Tucca et Lucius Varius, le médecin Charondas. Mais il y a aussi un jeune garçon, Lysanias, dont on ne sait à la fin s’il a vraiment existé ou s'il n'était qu'une rétroprojection du poète jusqu'aux temps de sa jeunesse. De même, Plotia, la femme aimée mais échappée. Et puis un esclave. Ces trois personnages à l’existence fantomatique parlent-ils en réalité dans la chambre de Virgile ? Ou lui parlent-ils dans sa tête seule ? Aucune certitude.

 

La situation est très simple et restera la même du début à la fin : Virgile était à Athènes, mais Auguste lui a demandé impérieusement de rentrer avec lui en Italie, au motif que l’écrivain est malade et qu’il lui faut se faire soigner. Le livre commence un soir avec l’arrivée du convoi majestueux des navires impériaux dans le port de Brundisium (écrit parfois Brindisium). Il se termine le lendemain matin.

 

Dans ce laps de temps on ne peut plus court, que s’est-il passé ? Quelles péripéties ? Il s’est passé que Virgile, après mûre réflexion – mais on pourrait dire aussi « en proie aux pensées les plus noires » –, a décidé de descendre sur la plage et de brûler le manuscrit de L’Enéide, son manuscrit presque achevé, mais pas tout à fait. Il le conserve précieusement dans un coffre en cuir.

 

Cette décision horrifie évidemment ses amis Plotius et Varius, puis le médecin Charondas, et pour finir, Auguste lui-même. Quoi, l’auteur brûlerait son pur chef d’œuvre ? C’est non seulement impensable, mais inacceptable. Après une longue entrevue avec l’empereur, Virgile renoncera à son funeste projet. Voilà l’intrigue. Un peu « ledge », non ? Oui, vraiment léger. Hermann Broch écrit pourtant un livre de plus de 400 pages.

 

La première question qui vient à l’esprit est : comment fait-il ? Et nous voici au cœur du problème. Car ce livre est un problème pour le lecteur que je suis. J’avais tenté une première fois d’en venir à bout, en vain, je m’étais arrêté à la première centaine de pages. Et puis j’ai lu Le Tentateur, dont j’ai un peu parlé ici, et auquel je crois qu’il faudra que je revienne. Alors je me suis dit que c’est trop bête de reculer devant la difficulté.

 

Qu’on se le dise, parmi les sommets littéraires, si celui-ci n’est pas le plus haut, c’est celui dont la paroi est la plus raide qu’il m’ait été donné de gravir. Broch ne fait aucun cadeau au lecteur, aucune concession, aucune gentillesse. Ce livre met le lecteur au défi, à l’épreuve, ce que vous voulez : il faut le mériter, il faut le conquérir. A aucun moment, il ne se laisse amadouer. Aucun encouragement en cours de route. Ce n’est pas un livre dédaigneux, c’est un livre hautain, au meilleur sens du terme. Hautain et sûr de lui, il va son chemin, sans se préoccuper du reste.

 

S’il me fallait dire, au fond du fond, ce qu’il y a dans ce bouquin, je commencerais par dire ma perplexité. C’est un livre qui me dépasse, et je n’en ai pas perçu tous les enjeux avec la netteté suffisante. Le plus simple est de dire ce qui m’en reste. Comme le Docteur, le narrateur dans Le Tentateur, mais de façon incommensurable, Virgile, quelques heures avant de mourir, se sent transpercé par deux flèches, l’une verticale, l’autre horizontale. L’espace et le temps, tous deux infinis.

 

La première lui fait prendre conscience de l’infini de l’espace au-dessus et au-dessous de lui, ainsi que des confins les plus lointains qui se présentent à sa vue, au-devant et en arrière. La seconde figure la trajectoire de sa propre vie à travers les temps, depuis la première enfance, toute rurale, à Andes, jusqu’à cette heure dernière, en passant par Mantoue, puis par tous les êtres qu’il a croisés en chemin, en particulier Plotia, mais aussi Alexis, le bel adolescent dont il n’est pas dit grand-chose, mais dont on devine les traits sensuels, et Cébès, le jeune garçon qui devient son élève en poésie.

 

Hermann Broch se débrouille pour que, à aucun moment du récit, le lecteur ne perde de vue l’immensité de l'espace qui entoure le personnage, mais aussi qu'il n’oublie jamais que chacun s’inscrit (se circonscrit), à chaque instant, dans une durée immémoriale, au-devant et en arrière. Pour l’auteur, l’homme a besoin de ces deux infinis.

 

Voilà ce que je dis, moi.