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lundi, 26 août 2013

HENRI BOSCO : SABINUS 2

C’est entendu, donc, le personnage de Sabinus écrase et fait taire tout le monde. Qui oserait se frotter à ce surhomme bardé de deux balafres au visage et qui a remplacé une de ses jambes par un pilon de bois soigneusement clouté d’or. Un homme que défie pourtant en duel le voisin Réneguiche, fier de sa noblesse de sang, après que son petit Guy se fut fait gifler par Christine, la petite fille de Sabinus, ce dont le père se sent offensé et humilié, dont il demande donc réparation. 

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Le combat est très curieux : Sabinus comme un roc oppose ses parades infaillibles à tous les coups et à toutes les feintes du comte, qui finit par reconnaître de la noblesse « de fait » au grand-père de Christine.

 

Je pense, évidemment et de nouveau, à l’ours de Heinrich von Kleist dans Sur le Théâtre de marionnettes, où l'un des plus habiles manieurs d'épée de l'époque, mis au défi de toucher l'animal ne serait-ce que de la pointe de sa lame, est obligé de se reconnaître impuissant à percer sa défense, qui consiste exclusivement à parer les coups et les fentes d'un modeste (mais instantané) mouvement de sa patte, et à rester immobile comme le marbre quand l'escrimeur entreprend une feinte. Moralité : « [La grâce] apparaît le plus pure dans la forme corporelle de l'homme, ou bien qui n'a aucune conscience infinie : c'est-à-dire, et tout aussi bien, chez la marionnette et chez le Dieu ». En l'occurrence : une marionnette de plantigrade.

 

L’amitié clôt, conclut et couronne l’incident. Mais une nouvelle fois, la rencontre de Kleist est curieuse, voire incroyable : Henri Bosco s'est-il inspiré de la scène pour raconter ce combat ? J'en garde l'impression très nette. Après tout, Sabinus a quelque chose d'un ours.

 

Sabinus est splendide, Sabinus rayonne, Sabinus est l’incarnation de la puissance à l’état brut. Heureusement que Méjemirande, un sage, un artiste de la ruse, de la stratégie et de la manipulation, est là pour calmer ses ardeurs impulsives, sans ça, il irait tout casser quand se présente une contrariété. Avec Sabinus, on comprend ce que veut dire « entier ».

 

Il ne faut pas toutefois le mésestimer pour ce qui est de la ruse : quand il en comprend la nécessité, il a le pouvoir de se rendre patient, et même retors, par exemple à l’égard de l’infernale et diabolique Ameline Amelande, qui a réussi à s’accaparer une part des biens Balesta en épousant Melchior qui l'a, très tôt (allez savoir pourquoi), laissée veuve. Sabinus, tout en douceur et subtilité, mais d'une fermeté marmoréenne (allez comprendre), réussira à en débarrasser la surface de la Terre avec une efficacité implacable. Vengeant ainsi la mémoire des Balesta, qu'Ameline avait un instant souillée.

 

Les autres personnages, maintenant. Et d’abord la tante Philomène, qui règne sur la tribu des Balesta de Pierrelousse. Elle est infirme, mais elle tient à suivre chaque été la transhumance. Elle y va à dos de mulet. Elle est intraitable de volonté. Quelque chose de la Tante Martine, mais qui serait dotée d'un vrai pouvoir. Entre Sabinus et Philomène, c’est-à-dire entre souverains, cousins qui plus est, le courant passe immédiatement, c’est le moins qu’on puisse dire. Ils sont visiblement heureux de s'être trouvés. Et doublement parents : cousins par le sang, mais frère et sœur par tempérament.

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LA MAISON DES CAVALIERS

(CARTE EDITEE PAR "L'AMITIÉ HENRI BOSCO", PHOTO DE J.-P. BAREA)

Sabinus est arrivé à Pierrelousse avec une tribu invraisemblable, bigarrée, collectée sur tous les rivages du monde. Bachiche est le serviteur qui dort par terre (mais jamais que d’un œil). Pulchérie est la gardienne de Christine, impavide et imperméable aux cruautés de la petite, mais elle a une faiblesse : quand elle dort, elle dort. Vu son poids, on pourrait même dire qu’elle en écrase. Et Christine la dupe quand elle veut.

 

Il y a aussi le sieur Métivet-Marmolin, énigmatique avec son profil en lame de couteau. Son titre est « subrécargue », mentionné à plusieurs reprises. On ne sait trop ce qu’il signifie (c'est un « agent chargé des intérêts de l'armateur d'un navire », d'après mon dictionnaire). Mais c’est un auxiliaire précieux et efficace : quand le méchant Arrigache, mauvais sujet s’il en est, croise son chemin, le lendemain il a disparu de la surface de la Terre sans que le subrécargue ait rien fait. En apparence au moins. Rien n’est dit. Mentionnons le peureux mais indispensable Trigot, qui fait de son chien son conseiller quasi-humain, mais qui sera le libérateur de la petite que la méchante Ameline a fait enlever.

 

Il y a, au centre de toute l’intrigue, Méjemirande, déjà nommé, un homme qui, seul entre tous, devine mieux que tout le monde ce qui se passe, et qui a l’intelligence et le verbe capables d’aplanir les obstacles. Personne ne se méfie de Méjemirande, capable de ce fait de tirer les vers du nez à n’importe qui, à commencer par le pauvre curé Pelot, qui a remplacé, hélas, le curé Besance, si informé, lui, des courants souterrains qui faisaient vivre et sous-tendaient l’existence de la population de Pierrelousse.

 

Je ne veux pas résumer le livre. Disons que la trame tourne autour d’une lutte impitoyable entre le clan Balesta, emmené par Philomène et Sabinus, et l’espèce de sorcière appelée Ameline. Celle-ci a le projet secret d’anéantir le clan en tissant autour de lui une toile d’araignée aussi indestructible que destructrice, en répandant bruits et rumeurs.

 

Rusée, elle met dans sa poche le curé Pelot, ce gros naïf, puis, arme ultime de la traîtresse, elle révèle à la ville abasourdie, le « don », dont la famille Balesta a bénéficié depuis toujours, un « don » qui fait que, s'en prendre aux Balesta, c'est aller au-devant d'un châtiment impitoyable, pour lequel, mystérieusement, le clan Balesta n'a même pas à lever le petit doigt, comme s'il bénéficiait d'une sorte de vengeance du ciel.

 

Mais Ameline a mis la main sur le secret, imprudemment laissé à sa portée de sa main fouineuse par son défunt mari, un Balesta précisément. Heureusement, cette femme sans âme découvre qu’elle en a une en tentant de circonvenir (séduire) Sabinus en personne, qui se rend, nuit après nuit, à ses rendez-vous au lieu-dit Perlefontaine. Elle voulait le rendre amoureux d'elle (pour le perdre), et c'est elle qui en tombe amoureuse. C’est le coup du boomerang (ou de l’arroseur arrosé). Elle ne s’en remettra pas.

 

Le couple formé par les enfants, Christine de Bruissane et Guy de Réneguiche, fait penser à celui rencontré dans Le Mas Théotime : la même haie d’aubépine trouée de passages sépare les deux jardins familiaux, et la relation est la même : pleine d’épines. Ils ont beau être les héros de plusieurs péripéties, leur présence dans le récit, ainsi que leurs conflits violents puis leur complicité, est à considérer comme un ornement narratif : ce n'est pas eux qui font avancer les choses. Tout au plus sont-ils des enjeux, dans la partie qui se joue entre les ennemis.

 

On n’empêchera pas Henri Bosco de s’intéresser à l’enfance. Henri Bosco fait partie de la cohorte pacifique des promoteurs de l'enfance comme monde entièrement à part, alors que l'enfance ne sera jamais qu'un monde inconsistant, ce n'est pas moi qui le dis. L'enfance ne saurait être un monde en soi, puisqu'elle est provisoire. A proprement parler, l'enfance n'existe pas. Certes, chaque humain a la sienne. Mais c'est une affaire privée, particulière. L'enfance est une histoire individuelle. Elle ne saurait être un problème de société.

 

Encore un mot de Philomène : cette femme, quoiqu’impotente et condamnée au fauteuil, tient mordicus, chaque année, à accompagner le troupeau à l’estive et à y camper. Un fier caractère. Il en faut d’autant plus que, cette année-là, le retour se fait tragique, puisque les bêtes et les hommes ont à faire face au feu : un gigantesque incendie se déclare non loin de leur itinéraire, au point que Sabinus, qui a perçu le danger à la lunette, se précipite en grand arroi au secours de son amie.

 

Même que les Caraques (vingt ou cent, selon la page) se joignent à lui. La moitié du troupeau disparaît, mais Philomène et les hommes sont saufs. L’entrée des bêtes dans la ville est solennelle et spectaculaire, avec à leur tête l'extraordinaire chien Clarimond, qu’on croyait disparu : « Il marchait dix pas en avant, terrible à voir. Le poil roussi, les babines sanglantes, l’oreille droite, il faisait peur ». Ce chien, on le voit ! On retrouve ce chien aussi fort qu'un loup dans Le Mas Théotime, ainsi que son maître, Arnaviel. Henri Bosco sait sculpter de vraies figures.

 

Le livre se clôt après une magnifique cérémonie à l’église Sainte Anne somptueusement illuminée, où toute la ville, enfin réconciliée, manifeste sa joie après l’heureuse issue de l’aventure de Philomène. Mais aussi, pour l’anecdote, après le suicide de la méchante Ameline, finalement « morte d’amour, morte d’amour … Après tout, c’est possible … ».

 

Je me suis laissé prendre par ce livre qui, d’un côté, se rattache au « roman d’aventures » traditionnel (ordinaire), mais en quelque sorte « par défaut », puisqu’en définitive il ne se passe pas de grand événement, si l’on excepte l’incendie, mais qui d’un autre côté, porte la marque de quelques obsessions de l’auteur, à commencer par le côté extrême de certains personnages, voire leur folie, et l’intensité de leur vie intérieure. Et bien entendu, la plupart des actions importantes ont lieu la nuit. Je me demande si toutes les œuvres de Henri Bosco ne pourraient pas s'intituler Un Rameau de la nuit.

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Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

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