xTaBhN

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 07 novembre 2013

HENRI BOSCO : LE SANGLIER

 

Mérial 11.JPG

MONUMENT AUX MORTS DE MERIAL, AUDE

 

****

HENRI BOSCO : LE SANGLIER

 

Ah le beau livre ! Je le dis sans ambages, bille en tête et sans détour : Le Sanglier est un des deux livres les plus puissants que j’ai lus qui soit sorti de la plume de Henri Bosco. Pour un peu, et si l’appellation n’était pas galvaudée aujourd’hui, je parlerais volontiers de chef d’œuvre. Et je tiens à l’adjectif « puissant ». J’avais gardé d’une première et ancienne lecture deux images. Celle de l’étreinte sauvage qu’une femme faisait subir dans le noir au narrateur. Celle d’un incendie démesuré. A la relecture, je les ai effectivement retrouvées, intactes et brûlantes. 

1932 LE SANGLIER.jpg

Le narrateur, pour cette fois, on l’appellera « Monsieur René ». Il vient passer tous les ans deux mois de vacances au Mas des Ramades, situé au sortir du « Vallon des Cavaliers », dans le Luberon (on lit ce nom tour à tour avec et sans accent au cours du récit, et je refuse de me battre pour la cause de l’accent ou non sur Luberon.). Il aime ce « quartier » précisément pour son isolement.

C MAISON CAVALIERS LUBERON JP BAREA.jpg

LA MAISON DES CAVALIERS, AU DÉBOUCHÉ DU VALLON DU MÊME NOM

(PHOTO J.-P. BARÉA, POUR L'AMITIÉ HENRI BOSCO)

Pourtant cette année-là, dès son arrivée dans la carriole de Firmin, il sent quelque chose de changé. Quelque chose dans l’attitude de Firmin ? Dans le comportement de la Titoune, brave femme qui approvisionne « Monsieur René » ? Pourquoi Firmin s’attarde-t-il après l’arrivée, lui qui disparaît d’habitude sans demander son reste ? On dirait qu’il veut empêcher par sa présence la Titoune de dire des choses importantes à « Monsieur René ».

 

Et puis surtout, le premier soir, quand les deux se sont retirés et que « Monsieur René » se retrouve seul, il est soudain pris de panique, à cause d’une « présence » menaçante qui s’est introduite dans la maison, un être sans visage et sans forme dont il discerne vaguement le contour dans l’obscurité. Heureusement, cette menace, il sent bientôt qu’elle a disparu.

 

Chose curieuse, au même moment, la Titoune, sur le chemin du retour (qu’elle connaît comme sa poche) a tellement la frayeur de sa vie qu’elle en tombe sur le derrière, qu’il faudra que le Titou s’inquiète et aille la chercher, et que dorénavant, pour rien au monde, on ne la ferait revenir aux Ramades. Il faudra que Firmin demande à sa nièce Marie-Claire, jeune fille de seize ans, de s’occuper du ménage et de la cuisine de « Monsieur René ».

 

Ce qui se passe dans la tête de Marie-Claire n’est jamais expliqué, seulement montré et raconté, et encore, pas en entier. Le personnage tient un peu du caractère de Tante Martine : un cœur aimant et généreux, mais un refus farouche de le laisser paraître, qui donne aux réactions et gestes le rugueux nécessaire à la dissimulation de la tendresse. Ici, le carnet des comptes : quand un sentiment se met à affleurer, elle réclame la somme que son patron lui doit pour l’achat de quelques légumes. Passez muscade.

 

Mais au fil du récit, le masque se fendille. C’est une irruption surprenante aux Ramades en pleine nuit, pour demander à « Monsieur René » de ne pas retourner « là-bas ». C’est, au cours d’un affût à l’observatoire ménagé par Firmin au-dessus de la clairière nommée le « Repos-de-la-Bête », une tache claire que le narrateur aperçoit au loin sur une grande table de pierre au-dessus d’une falaise. Tout se passe comme si Marie-Claire tenait à son maître et veillait sur lui pour écarter le danger.

 

Car il y a du danger, comme on le comprendra progressivement. Le lecteur croit d’abord que c’est ce colosse accompagné d’un énorme et redoutable sanglier, aperçu lors du premier affût en compagnie de Firmin dans l’observatoire aménagé quelque part au cœur de la montagne du Luberon. L’animal qui donne son titre au livre est plus libre, en quelque sorte, que l’hercule qui hante la montagne, car il en franchit la limite, comme « Monsieur René » le constate un jour juste devant chez lui. Le colosse, lui, ne le fera jamais.

 

Mais attention quand Firmin lui tire dessus et le rate : la course effrénée dans laquelle les deux hommes se lancent pour échapper à la poursuite du géant et de la bête ne leur permet qu’in extremis de se trouver en sécurité. Dans l’affolement, René en a laissé sur place tout son matériel de peinture. Firmin prétendait tirer sur l’animal, mais bizarrement la ligne de mire du mousqueton Mauser que lui a prêté son compagnon d’aventure s’est déporté en direction de l’homme : résultat la balle est passée entre les deux.

 

Un degré supplémentaire dans l’intensité est franchi lorsqu’intervient une étrange femme aux cheveux noirs, aux yeux flamboyants, au corps sauvage. « Monsieur René » l’observe dans le vallon désormais familier : elle aussi semble craindre le colosse et le sanglier. Une nuit où, étendu sur son lit, tout habillé et dans l’obscurité, elle s’introduit dans la maison et se jette sur lui pour l’étreindre avec une incroyable sauvagerie. Puis elle s’échappe.

 

La suite est haletante : Marie-Claire était là, elle s’enfuit, poursuivie par la gitane furieuse, puis, à une certaine distance, par le narrateur. Celui-ci arrivera dans le vallon trop tard pour sauver l’adolescente : l’autre aura eu le temps de la saisir pour la précipiter dans un « trou de charbonnier » où elle se brise les reins. Puis il entend Firmin tirer sur la Caraque.

 

On extrait Marie-Claire de son trou, on la porte jusqu’à un abri de berger : elle est morte. Mais ce n’est pas fini, car les Caraques sont toute une tribu. Ils campent dans un château abandonné. C’est la femme sauvage qui les domine et sans doute les commande. Ils veulent, on ne sait pourquoi, récupérer le corps de l’adolescente. Une bataille sévère s’ensuit, où le narrateur se découvre dans le colosse un allié imprévu, qui taille très vite des coupes claires dans les rangs des Caraques.

 

Et puis un incendie se déclare après une série d’explosions. Le narrateur aperçoit la femme sauvage sur la terrasse de pierre dominant une falaise. Elle semble terrifiée. Il y a de quoi : le sanglier débouche de l’obscurité. Elle recule, et finit par tomber dans le vide. Justice est faite.

 

Au total, un livre où s’affrontent des forces primitives. Un livre violent, mais où la brutalité est graduée avec une science incroyable du début à la fin. Et un livre dont le programme est quasiment annoncé dès les premières pages, animalité, violence et incendie compris.

 

Un roman magistral.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 20 août 2013

HENRI BOSCO ECRIVAIN

Eh bien voilà, c'est la rentrée. La vie va pouvoir recommencer. Les gens vont recommencer à mourir, recommencer à naître, recommencer à s'ennuyer au travail. Il va y avoir de nouveau des accidents, des assassinats, des suicides. L'ordinaire, quoi. L'ordinaire politique, l'ordinaire économique, l'ordinaire social. Pendant la durée légale, c'est vrai que le monde semble tout entier avoir plongé en apnée dans le bonheur bronzé. Le problème, avec l'apnée, c'est qu'il faut retourner à la surface. Si possible pas trop tard. 

 

C'est donc la rentrée. Les événements de l'actualité mondiale vont recommencer à se produire. Les journaux vont retrouver une épaisseur justifiant à grand-peine leur prix exorbitant. Nous voici de nouveau à pied d'oeuvre. Certains auront peut-être accompli quelques devoirs de vacances.

 

C'est mon cas. Je sais, je suis incorrigible. Et je commence dans le sérieux. Je veux parler aujourd'hui d'un auteur connu pour quelques volumes de littérature "enfantine" (L'Ane Culotte, L'Enfant et la rivière, ...) : Henri Bosco. A peu près oublié comme auteur pour les grands. Et là, je dis tout simplement que c'est injuste. Je vous explique ça, mais après le principe de précautions oratoires.

 

***

 

Henri Bosco fait partie dans ma mémoire d’un patrimoine involontaire. J’ai en effet lu plusieurs livres de cet auteur (pas seulement un écrivain : un véritable auteur, pour le coup) incité par un homme que j’ai pris pendant trop longtemps pour un ami, et dont j’ai – bien tardivement selon moi, il faut le dire – rejeté brutalement l’emprise, et renié l’influence. Je l'ai chassé de chez moi. Il avait fait des dégâts.

 

Je lui dois pourtant d'avoir connu L'Amitié Henri Bosco, association dont je fus longtemps adhérent (dans les années 1980), et d'avoir été en contact avec sa secrétaire d'alors, Monique Baréa, qui habitait Les Oliviers III, Nice (si je me souviens bien). Une dame à la correspondance délicieuse, pour ce dont je me souviens. Je ne sais dans quel déménagement ont disparu les savants cahiers que j'avais en ma possession, et que publiait cette association fervente et savante.

 

Il est résulté de la brouille évoquée plus haut un long désamour pour les œuvres de Henri Bosco, qui m'étaient advenues par l'entremise de ce personnage louche. Je crois effectivement que ce désamour est injuste. Car c’est sur ses instigations que j’ai lu des œuvres de Henri Bosco. Et j'ai délaissé les œuvres en même temps que j'ai condamné la personne. J'avais pourtant aimé les lire. D’abord Le Mas Théotime. Ensuite Malicroix. Quelques autres, parmi lesquels Le Sanglier, Bargabot, Pascalet, etc. Il m'en est resté quelque chose.

 

Je n’ai rien retenu du Mas Théotime, je ne sais pourquoi. De Malicroix, en revanche, il m’est resté quelques images très fortes, à commencer par la silhouette puissante et maléfique de Maître Dromiols, le notaire. Et puis aussi un jour de mistral dément, qui encercle et transperce jusqu'aux os, de part en part, une maison construite sur une île au milieu du Rhône.

 

Et puis cette nuit où le héros sauve la vie du vieux Balandran en soutenant de sa main la nuque, seul endroit de son corps recélant encore quelque chaleur, foyer que le jeune héritier s'est efforcé, des heures durant, d'entretenir, jusqu'à la résurrection. Il y a aussi, je crois, cet improbable exploit fluvial (peut-être une histoire de bac à traille) que l'héritier doit accomplir pour imiter ce que fit un aïeul. Je n'ai jamais relu ce livre. La folie nocturne qui s'y déployait m'en est restée.

 

Il m’est globalement resté de ces lectures une impression d’âpreté, de senteurs fortes, de rocaille et de violence nocturne. L’ample stature du notaire de Malicroix me fait penser à celle du père du héros, dans Le Roi Bohusch, de Rainer Maria Rilke : des épaules et une poitrine puissantes, véritable cuirasse que le père a été incapable de transmettre à son fils contrefait et bossu, et dont un rêve obsédant de celui-ci ne lui permet pas de se revêtir (« Je ne retrouvais pas la poitrine de mon père ! », cité de mémoire).

 

Du Sanglier, en dehors de l'incendie qui ravage la campagne, je me souviens de l’étreinte clandestine et sauvage, muette et affolée, qu’une fille mystérieuse fait subir dans le noir au narrateur, avant de s'éclipser brusquement, toujours ombrageuse. Dans les romans de Bosco que j'ai lus, me semble-t-il, demeure toujours présente une sourde et invisible menace.

 

Pascalet, deuxième partie d'un volume intitulé Bargabot, m’est resté, parce que l’auteur y a placé une scène mémorable entre toutes, donnant naissance à ce phénomène professoral appelé Aristide de Cabridolles. Le narrateur, lui-même double de l’auteur, s’ennuie ferme au collège où il est pensionnaire. Il est même malheureux, il dépérit. Il juge tous ses professeurs d’insupportables épouvantails sentencieux. Soudain jaillit la silhouette improbable d'Aristide de Cabridolles, et l’enchantement se produit : Pascalet revit, et l'enthousiasme ne tarde pas à le soulever dans les hautes sphères.

 

Rien que le portrait de ce maître vaut le poids d’or d’une belle pépite : « Plantez devant vous un grand diable, maigre comme un clou, à bec d’aigle. Les cheveux drus, l’œil petit, bleu, perçant, une tête de rapide rapace, tout nerfs. Les lèvres minces, les moustaches grises, très courtes, le front bas mais solide, net, le menton énergique. Un grand air cavalier et galant. Et toute l’âme frémissante. Âme et corps fastueusement enveloppés, été comme hiver, dans une vaste cape aux ondulations gracieuses. Cette cape valait toute l’éloquence du monde. Elle parlait. C’était une cape oratoire, non parfois sans emphase, mais de haute envolée. Ses plis pouvaient se dérouler soudain et toucher au lyrisme. On l’avait conçue pour le mouvement. Elle suivait et, à l’occasion, précédait le pas, le geste, comme une aile gonflée par la brise ou le vent des tempêtes ».  Le « tout nerfs » me ravit. Tout l'épisode est à lire.   

 

Suivent de grandioses leçons de latin ineffaçables, et des scènes burlesques, à coups d’Inspecteur intraitable (ah, cet ahurissant « momamomaï », que Cabridolles demande à Pascalet de traduire, à la grande fureur de monsieur l'Inspecteur), dont la dignité s’offense de la brusque apparition de Rapax, le rat qui loge sous l’estrade et qui a bondi effrayé, quand le maître a donné d’exaltation un grand coup de pied.

 

Après sa suspension administrative (logique), Aristide de Cabridolles réunit en un dernier, frugal et splendide festin (pain rustique, olives, fromage de chèvre, eau claire) en pleine nature, ses élèves, unanimement acquis à sa cause, puis est bien obligé de les quitter : « Rejetant sur l’épaule avec grandeur la cape inoubliable, il s’éloigne à grands pas ». Je garde une affection indélébile à ce professeur que je n'ai pas eu : sa silhouette garde dans la mémoire de l'enfant imaginaire qu'on a été le prestige des heures d'enseignement vécues en état d'émerveillement, surtout si on ne les a pas vécues. C'est une prouesse littéraire.

 

Après des années de délaissement, j’ai donc eu la curiosité récemment de retourner faire un tour du côté de Henri Bosco. Plusieurs œuvres acquises jadis sont restées en déshérence, délaissées, mais, je ne sais pourquoi, jamais abandonnées. Prenant au hasard, j’ai ouvert Tante Martine. C’est un des derniers livres qu’il ait écrits (il est mort en 1976).

 

Je ne sais pas si c’est moi qui ai changé (sans doute …), mais il y a des aspects de cette littérature qui me sont devenus insupportables. Cette façon que l’auteur a de faire vivre, voire de donner une âme aux choses, aux arbres, aux animaux, ça finit par porter sur les nerfs. C’est peut-être cette tendance au spiritualisme, à l’animisme, voire au sentimentalisme qui m’énerve.

 

Un exemple : « La porte était entrebâillée. Elle paraissait triste. Pourtant c’était une porte de bon accueil, du moins dans la journée. Certes grave, solide, autoritaire et d’une inébranlable certitude, et tout à coup pour la première fois j’en découvrais l’inquiétude et la méfiance. Elle avait pris cet air équivoque des portes qu’on a laissées entrebâillées soit par inadvertance, en s’en allant, soit à dessein, et cela se devine. L’être de la maison en est modifié » (p. 239). Moi je veux bien, mais bon. Je commence à lâcher dès que la porte devient triste. Je suis affreusement prosaïque.

 

Autre chose : le lexique. On dirait que l’écrivain est pris de tics. Ce ne sont, tout au long du récit (le livre se présente comme tel), que des considérations tournant autour du cœur (façon : "si on t'engueule, c'est qu'on t'aime"), mais aussi autour de la peur, de la curiosité et du mystère, thèmes habituels, mais ici, Henri Bosco les met au premier plan, de façon insistante, presque démonstrative. Or quand l’auteur éprouve le besoin de préciser et d’expliquer, c’est toujours mauvais signe : un romancier qui échoue à montrer et à faire vivre et qui se fait pédagogique ne fait pas, au moins a priori, de la bonne littérature.

 

Et pourtant, malgré tout ça, Tante Martine est à ranger dans la bonne littérature. J'y ai été pris. Et serré. Si ce n'est pas une preuve ! Cela mérite réflexion.

 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 10 février 2012

PÊLE-MÊLE D'UN CARNET DE LECTURE

L’Automne du patriarche, GABRIEL GARCIA MARQUEZ.

 

Livre foisonnant autour de la fausse grandeur et de la vraie décadence d’un dictateur sans âge. Sans âge, dans l’esprit de l’auteur, voulant dire « à valeur d’exemplarité ». Torrent verbal très puissant, qui montre cruellement tous les ratages, tous les ridicules d’un homme pas plus grand que les autres, mais dont certains perpétuent le mythe dans un but mercantile, politique, à des fins en tout cas personnelles.

 

Une baudruche sans aucun pouvoir réel, mais qui maintient vivace un folklore, parce que son image est présente dans le peuple. Dérision de la vérité, car quand elle ne s’affirme pas, on la transforme. Le monarque change la réalité selon ses caprices de différents moments. Cette maison civile, dans laquelle on trouve de tout, du lépreux à la bouse de vache, que le dictateur enflamme rituellement le soir pour faire fuir les moustiques.

 

Livre fort de la force interne des fantasmes, liés d’une part à la décomposition, à la déchéance, à la merde, à la dérision, et d’autre part à la puissance individuelle, à la magie personnelle présente dans ce dictateur, qui détient le pouvoir sans rien gouverner. La véritable puissance de ce livre émane de l’absence d’ancrage dans une réalité identifiable, du peu de réalité directe qu’il offre, de son exagération même, qui prétend, non pas raconter une dictature précise, mais signifier toute dictature, hors des circonstances liées à l’espace et au temps.

 

Certains délires sont puissamment évocateurs, plus qu’un simple compte-rendu qui serait un simple reflet, un reportage de la réalité. Ce livre ne se contente pas de refléter le réel, il veut donner un sens à la réalité. Un livre du fantasme baroque, bien plus efficace qu’un manifeste théorique.

 

L’Astragale, ALBERTINE SARRAZIN.

 

Anne, la narratrice, s’évade de la prison-école où elle est enfermée, mais se brise la cheville. Rolande, sa petite amie de taule, est libérée depuis peu. Elle rampe jusqu’à la route, elle souffre. Un routier s’arrête, mais, par prudence, se contente de héler un automobiliste qui, après l’avoir dissimulée, s’en va, pour revenir bientôt à moto. C’est Julien. Il amène Anne chez sa mère, où elle ressent une impression de sécurité, au milieu de Ginette, Eddie, les deux enfants.

 

Julien est un « monte-en-l'air », il devient son amant. Elle lui raconte toute sa vie avec confiance. Pour éviter de causer des ennuis à sa mère, il lui trouve une nouvelle planque, chez Pierre et Nini, deux hôteliers louches et peu sympathiques. Ils la cachent par appât du gain. Les repas sont pénibles, Anne ressent ennui et solitude dans cette atmosphère lourde. Elle boit, et passe son temps à attendre Julien, qu’elle commence à aimer. Une chute dans l’escalier l’envoie à l’hôpital : mauvaise fracture de l’astragale.

 

Nini passe pour sa sœur et Julien pour son fiancé. A l’hôpital, elle retrouve bizarrement les réflexes de la taule. Après l’opération, Julien est là. Elle se sent bien. Il lui conseille la prudence quand elle parle. Anne s’inquiète pour sa jambe. Malgré l’extension, elle va devoir subir une autre opération. Elle consulte son dossier en cachette. Après trois opérations, elle sort finalement de l’hôpital, angoissée à l’idée de garder une infirmité. Julien la ramène chez Pierre et Nini. Malgré les bains de soleil, elle s’impatiente, tant de sa jambe que de l’attitude de Pierre.

 

Elle passe les dimanches en tête-à-tête avec la vieille mère, inerte. Pedro, un « ami » de Julien, un cambrioleur beau gosse, vient se planquer à son tour dans l’hôtel, ne tardant pas à coucher avec Nini. Il fait des « expéditions » nocturnes avec Julien, qui le juge néanmoins dangereux. Anne se réfugie dans la boisson. Puis elle change de planque : elle va chez Annie, ancienne prostituée, qui a une fille, Nounouche, et qui confectionne des cravates.

 

Nounouche n’a pas l’air facile. Anne fabrique quelques cravates, s’entend assez bien avec Annie, qui rend visite à son mari, en prison pour longtemps, et s’occupe d’arrondir les fins de mois. Le beau-frère d’Annie est répugnant. Anne pense à Rolande, dont le souvenir s’effiloche, et finit par s’avouer son amour pour Julien. On lui ôte bientôt son dernier plâtre, elle rejoint souvent Julien au café. Annie se plaint du manque d’argent, et Anne, après hésitation, renoue avec la prostitution.

 

Mais l’ambiance se gâte. La rupture intervient après le 20ème anniversaire d’Anne, où elle et Julien se sont avoué leur amour. Anne vit de ses charmes, dans des hôtels, dans une certaine aisance, mais très prudente. Elle revoit d’anciennes « collègues ». A la demande de Julien, elle se rapproche d’Annie, et revoit Suzy. Elle est jalouse de l’ « autre » femme, qui tient Julien. Un client du nom de Jean semble tenir à elle. Julien ne donne pas signe de vie.

 

Mais la mère de celui-ci dit qu’il est en prison. Alors, par compensation, elle réalise un cambriolage très astucieux, laissant l’argent en dépôt chez Annie. Installée chez Jean, elle fait une escapade à Nice, mais malgré les hommes de rencontre, elle ne pense qu’à Julien. Annie affirme à Anne avoir été dévalisée d’une partie de l’argent : sans doute un mensonge. Elle rentre chez Jean, à qui elle se confesse. Il la prend en charge. Elle accepte cette vie maritale, bien qu’elle ne l’aime pas, et qu’il le sache.

 

Chez la mère de Julien, elle apprend la prochaine libération, et obtient par Eddie un rendez-vous pour un peu plus tard. Jean apprécie le style des lettres d’Anne à Julien, qu’elle retrouve dans un café, en complète harmonie. Ils vont chez « la Mère », à Paris, où Julien revoit des amis. Anne passe une dernière fois chez Jean. Puis ils arrivent à l’océan. Là, elle lui reproche ses autres relations et lui affirme l’exclusivité de son amour, lui faisant lire ses lettres, qui le bouleversent. Ils retournent à Paris, pour qu’il rompe avec l’Autre. A l’hôtel où il doit venir la chercher, c’est l’inspecteur de police qui la trouve.

 

Le Sanglier, HENRI BOSCO.

 

Monsieur René, pour la rêverie et la peinture, vient passer quelques semaines de vacances dans une maison isolée, à deux kilomètres de Gerbaut, au pied du Luberon. Tout de suite, il « sent » que quelque chose ne va pas. Le comportement de Firmin, de la Titoune est bizarre et inhabituel. Mais ce sont des gens peu bavards, qui laissent tomber de loin en loin quelques paroles laconiques.

 

Toutefois, bien que la Titoune déborde parfois de médisances, elle « sait les choses ». Beaucoup de scènes nocturnes dans ce livre, dont la première campe l’atmosphère, organisée selon un crescendo tragique, aboutissant à une catastrophe. La peur s’installe. Des ennemis sont là. Mais on ne peut les identifier, tant ils sont des parents de l’ombre. René, perdu au milieu d’une âpre lutte à laquelle il est étranger et à laquelle il ne comprend d'abord rien, suscite l’acharnement.

 

Il possède un pistolet Mauser, qui joue presque un rôle de personnage. Il suscite l’amour de deux femmes, dont le seul contact doit provoquer la mort de l’une : Marie-Claire, silencieuse et prête au sacrifice, la victime désignée ; et une furie qui mène le clan des Caraques, et dont le corps, à deux reprises, s'impose à celui de René par sa dureté et sa violence, en même temps que par son parfum de bête sauvage.

 

Firmin veut venger son frère Victor, tué par les Caraques. Il recevra l’aide providentielle et inattendue d’un colosse à demi sauvage et d’un sanglier magnifique, plus ou moins vénéré par les Caraques. Ils sont « à part », comme magiques : Firmin ne tente-t-il pas de les tuer, de même que René tente de tuer Firmin, happé par la folie de la sauvage. La tragédie se refermera avec la mort de Marie-Claire, tuée par la sauvage, dans un four à charbon où elle se brise les reins.

 

Bien des choses restent inexpliquées : comment Firmin a-t-il découvert les Caraques ? Comment a-t-il fait alliance avec le colosse et le sanglier ? Des scènes étonnantes : la Titoune, seule, portant le Titou sur son dos, dans la tombe qu’elle a creusée seule, sous les oliviers ; l’affût de Firmin et René non loin du repos de la bête, et d’une manière générale, toute la 4ème et dernière partie, où se met à souffler un vent de folie hallucinée.

 

René, couché sur son lit, qu’il a déplacé par prudence, toutes portes ouvertes, agressé par l’amour sauvage de la Caraque, qui se colle à lui et l’aspire, sauvé par l’irruption de Marie-Claire, qui déchaîne sur elle la vindicte de cette femme sauvage. Poursuivie par elle, et suivie également de René, affolé et voulant la sauver, elle paie de sa vie son attachement : René, impuissant, la voit projetée avec force dans un « four à charbon ». A son tour projeté dans le trou, il est sauvé par Firmin, grâce au Mauser. Marie-Claire a été déposée dans une cabane. Expédition d’observation chez les Caraques avec Firmin. Puis retour à la cabane. 

 

C'est beau, la lecture.

 

Voilà ce que je dis, moi.