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dimanche, 30 janvier 2022

UN ARBRE ENTRE TOUS LES AUTRES

GRATITUDE.

1960 PLACE TOLOZAN.png

Oui, je sais, la photo (©D.R.) est fort mal conservée, mais. 

Pour certains, elle ne vaut que pour deux raisons : 
1 - On voit la place Tolozan telle qu'elle fut en d'autres temps, dans un état où même le Lyonnais et Croix-Roussien Berlion, dans ses formidables Sales Mioches (Corbeyran scénariste), se trompe lourdement dans la représentation : ici-dessus on voit bien qu'elle est plate comme la main, contrairement à ce que prétend le dessinateur ici-dessous.

MIOCHES 36 TOLOZAN.jpg

Là, on voit bien qu'il y a le métro qui passe en dessous. Et puis, où sont les platanes ?

2 - C'est (presque) la seule photo où l'on aperçoit un arbre précis : celui qu'une lourde rambarde de pierre entoure. Pas compliqué : il est au centre et au premier plan. C'est à coup sûr un arbre plus intéressant que les bêtes platanes qui peuplaient la place autrefois et qui se sont laissé bêtement arracher pour de bêtes raisons urbanistiques, et où les étourneaux venaient loger en masse pendant les nuits d'hiver pour enduire les voitures stationnantes d'un épais mastic défécatoire.

Vous savez pourquoi l'arbre dont je parle était digne de rester ? C'est parce que, en 1960 et après, lorsque la photo a été prise, il s'était creusé avec le temps, pour accueillir l'essaim d'abeilles qui y avait trouvé une chaleureuse hospitalité. Et le lycéen, qui passait là tous les jours pour se rendre au lycée Ampère pour y passer bien trop d'heures mortes, attendait ce moment, aux premières tiédeurs vivantes de l'an, de passer à proximité du très marqué parfum de miel exhalé par le tronc empli du travail invisible des butineuses.

« Ce n'était rien qu'un peu de miel,
Mais il m'avait chauffé le corps,
Et dans mon âme il brûle encore
A manière d'un grand soleil ».

Non, ce n'est pas nostalgie : juste un souvenir.

mercredi, 19 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

OR NOIR A.jpg

« On ne peut bretonner qu'en Bretagne. La principale occupation des habitants est de manger des langoustes bretonnes sous une pluie qui l'est encore plus. Ils vont les chercher dans la mer. C'est leur banlieue ! L'aventure est au bout du môle. On y trouve le vent, la tempête, l'orage, les courants, les écueils. Tous les apaches de l'Atlantique. Tous les démons. L'homme ne peut s'y opposer qu'en conjuguant sa force et son intelligence, une connaissance étonnante du milieu, une promptitude surprenante de réflexes, une endurance à toute épreuve et un sang-froid que rien n'intimide, une science du métier faite instinct. C'est bien autre chose que de tourner autour de la Lune. Il me semble du moins. Et je me trompe peut-être. Car tourner autour de la Lune exige une forme de courage qui consiste à lutter contre de l'inconnu, contre une chose qui affole plus, du moins a priori, que la foudre qui tombe sur des vagues de quinze mètres. Du moins quand on y pense de loin. Car la foudre qui tombe sur des vagues de quinze mètres a un petit aspect blanchâtre qui empêche très couramment de se rappeler sur le moment tout ce qu'un homme sur une coque de noix peut encore espérer du principe d'Archimède, au moment où la lame qui arrive, après celle qui l'emporte aux cieux, lui cache la Lune et les étoiles. D'autant plus que la foudre a le ton sec et une autorité parfaite. qu'il en soit, l'homme ne paraît jamais plus beau que quand il emploie en même temps son cœur, son corps et son esprit dans quelque entreprise difficile. C'est pourquoi j'aime tant les marins, et pas tellement les cosmonautes : le cosmonaute est à peu près passif. Il est étrange que le progrès de l'humanité aille au rebours du progrès des hommes. Que le type humain le plus beau soit celui d'avant le progrès. Le progrès se fait-il donc contre l'homme ? Est-ce fatal ?... Nous sommes embarqués...
(...)
Quoi qu'il en soit la Bretagne ferme le 15. Le 15 septembre la Bretagne n'a plus lieu. C'est une information que je tiens d'une Quiberonnaise. Les hôtels ne prennent plus personne. "Après, c'est le vent", m'a-t-elle dit sobrement.
Le 15 septembre le vent succède à la Bretagne. Elle se retire dans sa petite presqu'île, elle rentre dans ses maisons basses ripolinées comme des joujoux, son rez-de-chaussée climatisé, avec des cactus sur la fenêtre, pareil à quelque appartement de retraité du petit commerce plutôt qu'à ce qu'un homme des montagnes, ou du désert, a l'habitude d'appeler pays. Et c'est cette mercerie de province qui est l'antichambre de ces enfers, de ces abîmes et de ces Apocalypses que ma Quiberonnaise appelle le vent.
Le vent de l'abîme a créé une épicerie-tabac. C'est le type même de l'absence d'emphase. Les civilisations qui se vantent ne peuvent plaire qu'à des nouveaux riches. Les petits effets ont parfois de grandes causes
Et c'est ainsi qu'Allah est grand ».

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

***

Note 1 : "Les petits effets ont parfois de grandes causes" : exactement l'inverse du dicton "A petites causes, grands effets". Et l'inverse de ce que les journalistes complaisants appellent complaisamment "l'effet papillon", vous savez, cette niaiserie qui consiste à soutenir qu'un battement d'ailes de papillon en Antarctique (où trouvent-ils des papillons en Antarctique ?) peut provoquer un ouragan dans le golfe du Mexique (même si ce n'est pas absurde en théorie).

Note 2 : Oui, on pourrait reprocher à Dupont de faire preuve d'un certain niveau d'islamophobie en bottant le cul de ce musulman en prière. Mais ce faisant, en tant qu'Européen, il affirme sa conviction que l'islam est incompatible avec la démocratie. Ou alors il faudrait que ce soit une foi amoindrie, de la même espèce tiède qui a conduit a la bienfaisante déchristianisation de nos cultures. Tant que le musulman sort le poignard (heureusement, le moteur de la Jeep conduite par Dupond tourne rond) parce qu'il estime que le "Blanc" manque de respect aux objets de sa vénération, aucun "accommodement" n'est possible, fût-il "raisonnable".

***

Fin (provisoire) de ce bain de jouvence "Alexandre Vialatte". Et un million de remerciements pour ses remarquables contributions à Georges Rémi, à qui nous disons un très amical "au revoir".

mardi, 18 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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« La vérité se trouve aux éditions du Seuil dans une ravissante collection consacrée aux signes [je me permets de corriger le "singe" imprimé p.95] du zodiaque et rédigée par de bon écrivains. Elle s'adresse aux "honnêtes gens". Elle n'indique pas le moyen de gagner à la loterie, manque d'opinion sur le chiffre 13 et n'assure nulle part que la pierre de lune vous fera aimer le mercredi par des nièces de maraîchères si vous êtes beau-frère du potier. En revanche, elle contient de remarquables études sur les grands hommes qui ont illustré le signe étudié. On y trouve des choses étonnantes : "Le chant du taureau est vénusien" ; "le Taureau et les Poissons n'arrivent pas à se comprendre" ; "la femme du Taureau s'habille avec un rien" ; "le Taureau froid use ses vieilles jaquettes". De tels détails confondent l'esprit humain. Ils s'entourent de mille images, photographies, gravures sur bois, autographes, zodiaques sur fond vert, vases grecs, tableaux de musée, bœufs mésopotamiens, cartes du ciel où traînent des dieux et où s'agitent des monstres comme des têtards dans un étang. On y voit Montherlant vêtu en picador, Turgot donnant sa démission et des demoiselles exaltées qui frappent sur des tambourins.
Je reste obsédé par le Taureau froid. Sa queue glacée sort de sa vieille jaquette. Il exhale un chant vénusien. Il s'accompagne sur la lyre. L'ablette et le poisson-scie n'arrivent pas à le comprendre. Il ne fera pas un sou de recette. Heureusement que sa femme s'habille avec un rien.

C'est également ce qui sauve de la misère les aborigènes d'Australie. Ces gens sont dénués à tel point de tout vêtement, confort, hygiène, couverture, édredon, et matelas en caoutchouc mousse qu'ils dorment debout sur une seule jambe. Depuis huit mille quatre cents ans, époque de leur apparition dans un désert nu comme la main qu'ils se partagent avec le kangourou-boxeur. Dangereuse fréquentation. Une dépêche de Londres annonce que des savants se sont lancés à leur poursuite afin de découvrir la raison de cet étrange comportement. Pourquoi l'aborigène dort-il sur une seule jambe ? Cruelle énigme. Et faux problème : il dort parce que l'homme a besoin de sommeil ; sur une seule jambe afin de reposer l'autre. Ainsi ont raisonné des savants plus sérieux. Il faut bien, ont-ils dit, dormir sur quelque chose. Comment ne serait-ce pas sur une jambe ou sur l'autre ? On ne peut pas dormir sur les deux ! C'est une position épuisante ! Quant à vivre sans nul sommeil, un tel rêve ne pourrait se loger que dans une tête sans cervelle. Le travailleur qui oublie la sieste, dit un proverbe du Centre-Afrique, est aussi fou que le poisson ouah-ouah ».

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

lundi, 17 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

PERROQUET C.jpg

***

« Le temps est gris, on ne peut pas s'empêcher de rêvasser. Mille idées vous passent par la tête, qu'on a envie d'attraper par la queue. C'est une tentation très dangereuse. Car de songe en idée, on finit par penser. Et il n'y a rien de plus fatigant. Ni de plus vain. Car on ne pense pas juste. Ou alors une fois sur cent mille. Par quelque hasard prodigieux.
Ce qui n'a d'ailleurs pas d'importance. Car l'idée fausse est souvent plus féconde : l'idée fausse que la terre est plate permet fort bien de caler une chaise ou de bâtir une chaumière normande avec une poutre où accrocher les saucissons. L'idée juste que la terre est en forme de poire, ou mieux de pomme de terre nouvelle, compliquerait au contraire les choses à un tel point que l'homme ne pourrait jamais s'asseoir ni manger le saucisson dans une chaumière normande, si le maçon voulait en tenir compte. Ce qui priverait l'existence de toute jovialité. Aussi le président Krüger était-il sagement inspiré, il n'y a pas soixante ans de la chose, d'interdire l'accès du Transvaal à tous les trublions faisant le tour du monde, voulaient donner à Pretoria des conférences par lesquelles ils risquaient de prouver que la terre est ronde. Il fut ferme et ne céda pas. C'est pourquoi il a sa statue devant son ancienne petite maison. En redingote, en gibus, en marbre. Avec un haut-de-forme évidé pour permettre aux oiseaux d'y boire. C'était du moins ce que demandait sa femme. Elle voulait faire de lui une fontaine pour les hirondelles. Je ne sais plus bien si on l'a exaucée. Quoi qu'il en soit, ces raisonnements précis prouvent à merveille qu'une idée excellente n'a pas besoin d'être juste ou fausse, mais bien seulement d'être féconde ».

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

dimanche, 16 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Explication : c'est un missionnaire particulièrement œcuménique.

« On va détruire le pont de l'Alma. M. Magniez, chef de service à la mairie de Boulogne-sur-Mer, a réclamé la statue du zouave ; il a raison : c'était son grand-père¹. Il s'en fera un grand presse-papiers.
Il ne faut jamais laisser perdre le zouave, surtout quand il est de la famille. Le zouave est pittoresque, il ne fume que le "Nil",

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il a un vaste pantalon percé du "trou de Lamoricière". C'est pour pouvoir traverser les oueds. Quand l'oued déborde et que le zouave le traverse, l'eau qui s'amasse dans son immense culotte l'entraînerait rapidement au fond s'il n'avait le trou de Lamoricière. Le crocodile lui sectionnerait le bras droit. Avec le trou de Lamoricière, qu'inventa le général qui porte le même nom, l'eau s'écoule à mesure qu'elle pénètre. Le zouave échappe au crocodile. Il sort de l'oued en laissant derrière lui une trace humide, comme l'escargot. Il tord son vaste jupon rouge ; il le fait sécher sur une ficelle ; le même soir il peut mourir tranquillement au combat. Dans une culotte bien sèche. En sonnant du clairon.

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Telles sont les mœurs héroïques du zouave. Mon enfance a été nourrie de ses grands exemples. Je rêvais du trou de Lamoricière ; j'en perçais un dans mon costume marin pour échapper aux crocodiles. Afin de mieux traverser les oueds ».

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Le défilé des zouaves, place Bellecour, à Lyon, le 14 juillet 1905.

(...)
« On voit par là l'importance du zouave. Il était à la base d'une civilisation. Il reste à la base d'une sagesse. C'est un professeur éternel. C'est pourquoi M. Magniez a cent mille fois raison de vouloir garder son grand-père et de s'en faire un grand presse-papiers. C'était un zouave exceptionnel. Le moins déshydraté du monde. Il ne vécut que la culotte mouillée ; presque toujours dans le bain de pieds ; très souvent dans le bain de siège. Il a sauvé Paris de cinquante inondations. Quand la crue arrivait à hauteur de l'Alma, elle était obligée de s'écouler sans avenir par le trou de Lamoricière. Que serions-nous devenus sans le zouave de l'Alma ? »

¹ Le zouave André Gody, qui posa pour la statue. Marbrier de son état, il avait fait aux zouaves une carrière glorieuse.

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

***

Note : Aux dernières nouvelles, le Zouave sert toujours d'indicateur des crues au pont de l'Alma (le nouveau), bien qu'on ait toujours autant de mal à repérer l'emplacement du "trou de Lamoricière".

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Je crois inutile de montrer le professeur Tournesol dans Objectif Lune, où il considère "zouave" comme une insulte. Un contresens qui n'aurait certes pas germé sous la plume de Vialatte.

samedi, 15 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Le colonel Sponsz, après avoir visité une biennale d'art contemporain où figure, en particulier, "Mother and child", une œuvre de Damien Hirst, célèbre artiste au "Crâne orné de 18.000 diamants", dont les sujets sont ici une vache et un veau, exige du commissaire d'exposition-du-peuple-et-de-police (c'est une seule et même personne en Bordurie) que l'artiste soit passé par les armes.

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***

DES NOUVELLES DE L'ARCON - 4 (et fin)

« Le plus moral des peintres est mon ami Dereux. Il apporte dans la peinture de vrais soucis de mère de famille. Il a inventé le tableau en épluchures de pommes de terre, ce qui est une façon de ne rien laisser perdre dans le budget d'un ménage sérieux. Il recueille donc les épluchures, il les fait sécher, il les colle, il les organise en tableaux. Ces bouquets d'épluchures parlent à l'imagination, au cœur, à l'âme, parfois à l'estomac. Petit à petit il n'a plus pu éplucher tout seul tant de pommes de terre. Il fait travailler d'abord la famille, puis les visiteurs. La cuisine en est plus vite faite et les tableaux en sont plus abondants. Il a acquis à ce jeu une grande expérience du caractère des gens d'après leurs épluchures ; le prodigue les fait énormes ; le paresseux aussi ; l'avare toutes minces ; l'artiste vrai, d'un seul tenant ; l'amoureux est distrait, son épluchure s'en ressent ; mais Dereux va beaucoup plus loin dans la caractérologie et dans la science d'utiliser les épluchures. Il en a fait un traité qui a paru en trois livraisons dans le Mercure de France, qui est mensuel. Aussi a-t-on pu tous les mois, pendant trois mois, consolider ou enrichir son expérience de l'épluchure de pomme de terre.

J'ajouterai, pour être complet, que cet article a été injuste pour le salon Comparaisons ; que je m'aperçois, en en relisant le catalogue, qu'il s'y trouvait des œuvres remarquables, de grands peintres, et assez nombreux : disons Waroquier, par exemple, ou les "naïfs", qui sont charmants. Mais pourquoi, dans ces conditions, n'en garde-t-on le souvenir que d'une exposition de tuyaux de poêle ? la vision morne et incohérente d'un fourneau en pièces détachées ? Il a noyé la qualité dans le magma gris. Et il a offensé le talent.

J'en conclus que ma partialité est d'une légitime injustice. 

Et c'est ainsi qu'Allah est grand. » 

***

« Légitime injustice » !!!

Quelle formule splendide dans son paradoxe ! 

Je ne discute pas de la question de savoir si l'on peut être l'ami d'un artiste dont on se moque gentiment des œuvres. D'ailleurs Vialatte lui-même ne porte ici aucun jugement sur les épluchures de pomme de terre, si ce n'est d'utilité. De là à en conclure que le peintre Dereux fait œuvre utile, il y a un pas que je ne franchirai peut-être pas.

vendredi, 14 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Voici l'état dans lequel le capitaine Haddock se met face au "balloon dog" de Jeff Koons installé dans les ors et les stucs d'un salon de Versailles. On le comprend.

BALLOON 1.jpg

***

DES NOUVELLES DE L'ARCON - 3.

« Malheureusement, moins la peinture est prise au sérieux par le peintre, plus il se prend lui-même au sérieux. Moins on sait la grammaire et plus on philosophe. Le peintre veut être un penseur. J'ai vu une exposition de jeunes génies où le programme tenait toute la place. Ils étaient "contre la morale". "Naturellement", ajoutaient-ils. C'était le premier point de ce programme. Ils y tenaient férocement. Mais qui leur faisait obstacle ? et qui ce détail intéresse-t-il ? Surtout en fait de peinture abstraite ! J'ai essayé de trouver leurs losanges immoraux et leurs circonférences coupables. Il ne m'en est pas venu de frisson d'art. Et leurs melons ! D'abord. Qu'est-ce qu'un melon immoral ?... C'est celui qui nourrira Hitler, Néron, Landru ? Le melon moral étant réservé à Pasteur, à Jeanne d'Arc, à saint Vincent de Paul ? Mais comment savoir à l'avance qui un melon va nourrir ? Il ne le dit à personne, et rien ne ressemble plus qu'un melon dévergondé à un melon plein de vertus chrétiennes. On voit par là qu'il est difficile en peinture de remplacer le talent par le vice ; surtout dans la représentation abstraite du hareng saur. Pourquoi, dès lors, vouloir tellement être immoral ? La morale n'a jamais vraiment gêné les peintres. Non plus d'ailleurs que les autres classes de la société. Alors ? Alors je m'y perds. Peut-être les peintres sont-ils las d'être jugés au nom de la morale ? Parce qu'ils trouvent la chose immorale ? Mais, s'ils sont contre la morale, pourquoi se plaignent-ils d'être jugés immoralement ? En agissant immoralement, on agit comme ils le désirent ! A moins que, semblables à tout le monde, ils n'admettent que pour eux le droit d'être immoraux ? C'est une position si banale, si courante, si universelle, qu'il est bien superflu de le crier sur les toits. Sauf si l'on a, évidemment, le besoin le plus grand et le plus naïf de déplacer le problème de la peinture. On change alors de champ de bataille. Battu d'avance à Sète, au moins craignant de l'être, on va se battre à Perpignan. Mais ce n'est jamais à Perpignan qu'on a gagné la bataille de Sète ».

***

Bon, d'accord, ce n'est pas ici le meilleur Vialatte, vous savez, le Vialatte jubilatoire dont la plume allègre, espiègle et guillerette avance « à sauts et à gambades ». Sans doute le souci de raisonner et d'argumenter alourdit le propos, qui frise l'argutie spécieuse. Je retiens quant à moi les trois premières lignes du paragraphe : " ... moins la peinture est prise au sérieux par le peintre, plus il se prend lui-même au sérieux. (...) Le peintre veut être un penseur". Et puis ceci : "... il est difficile en peinture de remplacer le talent par le vice".

Ce Vialatte-là est rejoint en 1977 par l'ami Reiser qui, dans Charlie Hebdo, après une visite à la Xème Biennale d'art contemporain de Paris, assaisonne son reportage de grands « N'IMPORTE QUOI » et parle de « L'ART RIGOLO », où l'artiste n'est plus sommé de maîtriser une technique, mais d' « AVOIR DES IDÉES ».

jeudi, 13 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Madame Yamila visitant une exposition d'ARCON.

***

DES NOUVELLES DE L'ARCON - 2.

« La peinture a tout essayé.
On a peint sur une toile, on a peint sur trois toiles l'une au-dessus de l'autre (le même sujet).
On a peint avec tout : les mains, la bouche,, les pieds, le gorille, la queue de l'âne, la foudre, et le mouvement de la terre ; le pistolet, l'arquebuse, la lance, la torpille et le balais de paille. Comme instruments.
Et comme matières, avec la coquille d'œuf, le gravois, le bitume ; la crotte de chèvre et le pipi de chien ; l'anthracite, le mâchefer, le yaourt, le cantal, le brie, le fromage blanc, le fromage fait ; le papier de Paris-Soir roulé en boules compactes, trempé dans l'eau de Javel et coupé au couteau.
On a peint à vélo, à cheval et en avion.
On a peint avec rien, sans pinceau et sans toile, en se contentant de vendre à prix d'or l'ampoule qui éclairait le coin de mur où il fallait se figurer la peinture.
Après tant d'exploits étonnants au visiteur de 1964 que l'artiste ait peint avec un tournevis qu'avec une clef anglaise ? Que le tiroir de la commode qui est sur la toile s'ouvre vraiment ? Et qu'on y découvre un rat cuit plutôt qu'un fer à cheval ou un bouton de culotte ? Ou que le faux bois du trompe-l'oeil exposé par conviction philosophique vaille presque celui d'un artisan spécialisé ?
Je crois qu'on prête au public des exigences mesquines auxquelles il n'a jamais songé. »

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

mercredi, 12 janvier 2022

TOUT EST DANS VIALATTE

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Le visage de Foudre Bénie respire la joie de vivre ! Quel joyeux drille ! Quel boute-en-train ! Quel bouffon !

***

DES NOUVELLES DE L'ARCON - 1.

« Le salon Comparaisons résume, paraît-il, dix ans de peinture française, et, encore plus que dix ans de peinture, dix ans de théories picturales. Il fourmille de productions que les peintres appellent, à tout hasard, des œuvres, mais que le profane distingue très mal des marchandises de marché aux puces. Elles vont du vélo suspendu à l'envers jusqu'au rond de cabinet enrichi d'une chasse d'eau qui donne, au lieu de liquide, un coup de pied au derrière du monsieur qui s'assied sur le rond. Ce coup de pied est administré au moyen d'une botte vernie. Mais c'est une parodie des "audaces" d'avant-garde. Le malheur est qu'on distingue à peine les parodies des chefs d'œuvre "pensés". Ni même les objets exposés de l'ameublement général. A ceci près que, sous les œuvres, il y a une étiquette et un numéro. Mais qui dira si on ne s'est pas trompé ? Car le trou de l'ascenseur lui-même est numéroté comme une toile. Est-ce un chef d'œuvre qu'il faut saluer ? Ou le répartiteur d'étiquettes s'est-il trompé dans sa distribution ? On ne sait plus si la porte d'entrée fait partie du décor ou des œuvres exposées. Ni le monument lui-même. Ni même les visiteurs. Car il en est de très expressifs, de très beaux, de très inimitables. Ou de si quelconque qu'ils en deviennent typiques : ce sont de très beaux portraits d'anonymes. Qui empêcherait un artiste, un cerveau, un penseur, de numéroter les visiteurs mouvants, des les prendre à son compte et de les considérer comme des objets qu'il expose au public : "Visiteurs de l'exposition" ? Au même titre qu'un chiffon gras, une pompe à incendie ou une brosse à chaussures. Le visiteur de l'exposition est après tout un produit de la nature comme ces racines ou ces cailloux que les sculpteurs exposent tels quels. Ils choisissent leur racine ? Ils trient dans les cailloux ? Ils interviennent ? Mais qui empêcherait de choisir soi-même son visiteur ? de prendre le plus beau, le plus barbu, le plus lourd de métaphysique ? un comptable sérieux, un père de douze enfants. Ou son propre fils. Ou sa fille aînée. Quelle œuvre serait plus signée ?
On devrait exposer ses enfants. Les plus gras, bien sûr, les plus roses, les plus dodus. Sur du velours vert. Dans le vestibule. Entre les cornes de chamois qui servent de portemanteau et le calendrier des postes qui représente un bébé à cheval sur un ânon. En Corse. Sous un marronnier. »

***
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Pour ceux qui ne le savent pas, le "Migou", dont l'effet sur les gens normaux est si bien exprimé par la terreur de Foudre Bénie, c'est l'Abominable Homme des Galeries d'Art contemporain.

On l'aura compris, l'ARCON, c'est le YÉTI de l'art.

mardi, 11 janvier 2022

HOMMAGE A ALEXANDRE VIALATTE

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***

« L'homme serait-il un thon volant ? Le cas de Glenn [John Glenn, l'astronaute américain que les moins de 20 ans etc....] semblerait le prouver. Il a fait trois fois le tour de la Terre à tant de kilomètres d'altitude qu'on ne sait plus comment les compter. Sa femme, dit-on, au même moment, s'était rendu à la boucherie chevaline. Il se trouva de retour avant elle. Pendant qu'elle achetait les côtelettes, il avait vu le soleil se coucher quatre fois. Même si sa femme hésite beaucoup entre les côtelettes, on ne peut se retenir de dire que c'est un incroyable exploit.
         Cette histoire prouve qu'au sommet des montagnes on n'apprend que des choses prodigieuses. Tout y est démesure. Les météores font rage. Le vent vous arrache le journal. Une partie va au nord, au sommet d'un hôtel où elle s'accroche au barreau d'un balcon et y bat comme un étendard ; l'autre va à l'est claquer à un autre balcon ; le troisième morceau reste collé au sol, par-dessus par la pluie, par-dessous par la neige ; on n'en arrache un lambeau détrempé qu'en y laissant deux ou trois ongles, dont, toujours, celui du médius. C'est ce qui rend extrêmement difficile de trouver la fin du mot croisé. »

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Julliard, 1979.

***

On ne saurait se passer de Vialatte qu'à son propre détriment ! 

dimanche, 09 janvier 2022

CHEZ LES ANTIVAX 6

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Ministre de la Santé vérifiant l'affûtage de ses instruments avant d'intervenir personnellement dans un centre fermé de vaccination obligatoire où le gouvernement a parqué sous bonne garde policière, jusqu'à la résolution du problème, les insoumis de l'urgence sanitaire nationale. On notera son air de concentration extrême, afin de ne pas rater son coup.

samedi, 08 janvier 2022

CHEZ LES ANTIVAX 5

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Olivier Véran (notre photo), ministre de la santé, est ingénieux : faisant avec les moyens mis à sa disposition par la nature environnante, pour vaincre les résistances d'un « irresponsable » (dixit Emmanuel Macron) réfractaire à la vaccination, il vient de trouver une seringue pour l'amener à résipiscence.

vendredi, 07 janvier 2022

CHEZ LES ANTIVAX 4

UNE SOLUTION INSPIRÉE A NOS RESPONSABLES POLITIQUES PAR L'OBLIGATION DU TÉLÉ-TRAVAIL EN ENTREPRISE.

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Le Président de la République et le ministre de la Santé (à gauche sur notre photo) ne peuvent dissimuler leur enthousiasme, face à ce moyen proprement miraculeux d'en finir avec les antivax.

jeudi, 06 janvier 2022

CHEZ LES ANTIVAX 3

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Pour être sûr de bien "emmerder les non-vaccinés", le président Emmanuel Macron leur envoie un message : « Si vous n'êtes pas bien sages et bien obéissants, je vous envoie le docteur Olivier Véran (notre photo) ».

mercredi, 05 janvier 2022

CHEZ LES ANTIVAX 2

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Ah ? Ils ne voulaient pas se faire vacciner ? Eh bien maintenant ils ont l'éternité pour se faire piquer le deltoïde (et le grand fessier). Bien fait pour eux ! Et ça leur fera les pieds en même temps, tiens !

mardi, 04 janvier 2022

CHEZ LES ANTIVAX 1

AVANT

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APRÈS

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MAINTENANT SÉRAPHIN LAMPION SE DIT : « SI J'AVAIS SU, JE SERAIS PAS MORT AUSSI BÊTEMENT !!! ».

TROP TARD !

***

SI J'ÉTAIS MÉCHANT, JE DIRAIS : « BIEN FAIT POUR LUI !!! »

lundi, 03 janvier 2022

2022 SERA DUPONDT OU NE SERA PAS

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samedi, 01 janvier 2022

2022 SERA HADDOCK OU NE SERA PAS

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2022 SERA CASTAFIORE OU NE SERA PAS

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2022 SERA TOURNESOL OU NE SERA PAS

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mardi, 21 décembre 2021

REISER VÉNÉRAIT NOËL

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lundi, 29 novembre 2021

ÉLISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS ...

… par JACQUES TARDI ET DOMINIQUE GRANGE.

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C'est après le rappel de ces deux épisodes ultra-violents que commence l'histoire d' « Elise » proprement dite. "Dix ans plus tard, dans le nord de Paris", on est au début des années 1970. Une chouette bande de chics copains met la dernière main à la confection d'honnêtes cocktails Molotov au dernier étage d'une tour. Hélas, le mélange est instable et explose à la gueule d'Elise. La bande s'échappe de justesse, Elise est gravement brûlée. C'est à peu près le même jour qu'un certain Pierre Overney, militant d'extrême-gauche, est tué d'une balle en plein cœur par un vigile des usines Renault, Jean-Antoine Tramoni, qui sera tué à son tour quatre ans plus tard. Tout ça dépeint assez bien une certaine figure d'une époque.

LES COCKTAILS.jpg 

Sur son lit de souffrance et couverte de pansements, Elise, tout en pensant à ses camarades, à Simon, son compagnon, fait alors défiler les images de sa vie : la fin de sa scolarité au lycée Edgar Quinet, sous la houlette d'une prof de philo (Jeannette Colombel, nous dit l'encyclopédie en ligne) dont l'enseignement est loin d'être neutre, d'un prof d'arabe (dont je pense que quelqu'un pourra me dire le nom) et plus globalement d'une prise de conscience du fait que le monde est injuste et mal fait, et qu'il attend qu'on agisse pour le faire un peu meilleur. 

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Toute à son combat contre un ordre public qu'elle juge injuste et violent, Elise a cependant une autre passion : la chanson et accessoirement le théâtre. Elle croise la route d'un certain nombre de futurs acteurs célèbres (je reconnais Jean Rochefort, Michaël Lonsdale, Philippe Noiret, etc...) et de chanteurs.

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Elle publie aussi quelques disques 45 tours de chansons qui, écrites par d'autres, lui déplaisent. Elle rencontre ensuite celui que je crois être Guy Béart (non nommé), avec qui elle travaille, jusqu'à sortir un disque de chansons personnelles produit par lui.

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Elise va trouver un moyen de marier la chanson et le combat social : la chanson engagée. Le fait que je ne supporte pas le genre n'a aucune importance : désolé, mais « La Goutte d'Or c'est son nom, C'est pas un beau quartier, Vu que ceux qui y habitent, C'est pas des PDG », ce n'est vraiment pas mon truc, même si je garde toujours quelque part "Larzac 73", un beau vinyle, comme quelques CD de Marc Ogeret ou Colette Magny, que je n'écoute jamais. Elle chante dans les usines, pour les ouvriers en grève : « Il était temps que j'écrive des chansons plus combatives ». N'en déplaise à la chronologie, on a droit au récit des manifs et des violences au Quartier Latin. Et puis arrivent l'été 1968, les vacances, le reflux des luttes, enfin pas pour tout le monde : « J'ai appelé mon producteur pour lui dire que j'arrête le métier. Je veux chanter pour ceux qui luttent, pas pour devenir une star du showbiz ». 

Je passe sur les aventures, mésaventures, coups et contusions. Je passe sur les chansons engagées (« Nous sommes les nouveaux partisans Francs-Tireurs de la guerre de classe, Le camp du peuple est notre camp, Nous sommes les nouveaux partisans », chante-t-elle le poing bravement levé) qui ne montrent à mon avis que les illusions que l'on peut nourrir quand on croit pouvoir changer l'ordre des choses par la magie des "luttes". Je passe sur la "clandestinité" dans laquelle il a fallu vivre pendant un temps. Je passe sur les six semaines de tôle qu'Elise passe à la Petite Roquette pour « violences, voies de fait et outrages envers des agents de la force publique ». Il faut conclure.

On aura compris que si je partage les analyses que propose Elise et les nouveaux partisans sur la façon dont la société est organisée, je trouve vaine, pour ne pas dire dérisoire, la croyance d'un noyau d'exaltés plus ou moins sectaires dans la possibilité de "transformer le monde". Le dérisoire me saute aux yeux quand j'apprends (c'était il y a quelques années) que des groupuscules d' « identitaires » se fournissent dans les mêmes boutiques de sapes que les groupuscules d' « antifa ».

Il y aurait également beaucoup à dire de l'usage du mot "PARTISAN" dans le titre et dans le texte : franchement, c'est quoi l'histoire qui trotte dans la tête de ceux qui se qualifient de "nouveaux partisans" ? Est-ce bien sérieux ? Pourquoi pas "Franc-Tireur", pendant qu'on y est ? Il suffit, pour redescendre du petit nuage romantique-révolutionnaire, de voir comment se sont achevées les aventures des adeptes de la lutte armée en Europe occidentale : Rote Armee Fraction (R.F.A.), Cellules Communistes Combattantes (Belgique), Action Directe (France), etc. Eux étaient certes de vrais illuminés, mais aussi de vrais partisans. Seulement, comme aurait dit ma grand-mère, ils avaient les yeux plus grands que le ventre et prenaient leur vessie pour une lanterne. Partisan, vraiment ? Des mots, des mots, des mots.

On aura compris aussi que presque toute la "chanson engagée" m'horripile au plus haut point. Je suis d'un effroyable — et sans doute coupable — pessimisme : oui, ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils ne savent rien de l'histoire qu'ils font. On me rétorquera, et on aura raison : seul compte le désir qui fait de la résistance.

Reste précisément le parcours heurté d'une résistante sans concession, d'une chanteuse engagée à ses risques et périls : un parcours passionnant au bout du compte. Reste aussi et surtout un ouvrage irremplaçable pour qui veut se faire une idée du morceau d'histoire que la France a traversé entre, mettons, l'arrivée de De Gaulle au pouvoir et la fin des "années Giscard". Il est intéressant en particulier de se rendre compte que l'usage de la police par le pouvoir contre toutes sortes d'opposants (manifestants contre les lois "retraite", gilets jaunes, etc.) n'a guère changé, à part la pèlerine, à laquelle les pandores préfèrent aujourd'hui la cuirasse de Robocop.

Reste enfin un ouvrage dont la puissance du dessin donne une dimension inattendue, presque extraordinaire, au bouillonnement d'idées, de débats et de combats dans lequel a baigné une génération entière. Jacques Tardi, qu'il le veuille ou non, magnifie l'époque et les personnes. Je ne dirai pas qu'il les héroïse, mais c'est tout juste : la vision du monde que propose le livre serait manichéenne que ça ne m'étonnerait pas. Heureusement, le récit ne tombe jamais dans le lyrisme. 

Je ne saurais achever ce petit compte rendu sans évoquer l'aventure vécue par "Elise" dans les toutes dernières pages du livre : son débarquement surprise en 1977 dans l'équipe joyeusement anarchiste qui se préparait à lancer B.D. L'hebdo de la BD.

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L' "ours" du n°2 de B.D. L'hebdo de la BD.

L'équipe de Charlie Hebdo, quoi ! Encore une idée du professeur Choron, aussi éphémère que bien d'autres des idées germées dans ce cerveau exalté, surchauffé, surtout après les copieuses libations dont il était coutumier.

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Je ne les reconnais pas tous : Gébé hilare, Elise-Dominique, le crâne de Choron, la barbe de Tardi, la moustache de Cavanna, au fond Wolinski et sans doute Reiser au premier plan. Je cherche Cabu sans vraiment le trouver (le grand benêt debout à gauche ?). Il n'y en a plus des masses de vivants. Merci Tardi pour la photo.

C'est dans cette équipe que la dite "Elise" va faire peut-être la plus belle rencontre de sa vie : un auteur de BD qui livre à la nouvelle revue les planches d'une adaptation de Griffu, un roman de Jean-Patrick Manchette, un bijou de roman noir dessiné. C'est évidemment Jacques Tardi, avec qui Elise-Dominique Grange va finir, sans rien abandonner de sa force de conviction révolutionnaire, par donner une stabilité à la fureur mouvementée de ce qui a précédé. On n'en saura pas plus, comme dans les contes de fées. Il ne s’agit pas d’un conte de fées. Un livre fort.

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 28 novembre 2021

ÉLISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS ...

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... par JACQUES TARDI ET DOMINIQUE GRANGE.

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Je viens de lire le dernier livre de Jacques Tardi. Ce prodigieux dessinateur, d'Adèle Blanc-Sec (rien que le choix de ce nom !!!) à Brindavoine (ce nom !!!) et de la Commune de Paris (selon Vautrin) à la Guerre des Tranchées en passant par quelques adaptations de polars de Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, a trouvé un style, un trait capables, quand il lui prend l'idée de transposer des polars en B.D., de faire vivre intensément personnages, situations et actions de la façon la plus expressive tout en restant fidèle comme c'est pas permis aux contours et à la ligne définis par les auteurs (vous pouvez vérifier avec La Position du tireur couché par exemple).

Pour ma part, je lui sais particulièrement gré de la façon dont il fait apparaître, dans les nombreux volumes qu'il consacre à cette immense boucherie de la civilisation, la vie réelle des "poilus" de 14-18, du paysan devenu bidasse promis à l'abattoir jusqu'au général cynique (Berthier, je crois), qu'il fait déclarer sur toute une vignette que c'est tout à fait volontairement qu'il a fait tirer par l'artillerie française sur une tranchée française où les soldats rechignaient à partir à l'attaque. 

De mon côté, si j'ai commencé à collectionner les photos de monuments aux morts de la Grande Guerre, je ne le dois pas à Jacques Tardi : l'horreur s'est imposée d'elle-même quand je me suis mis à lire les noms gravés dans les villes et villages que je traversais. C'était une prise de conscience, cela se passait en 1976 dans la région des Causses : La Cavalerie, Creissels, Roquefort etc., dans des circonstances qui ont pris avec le temps une petite couleur "historique". C'est quand j'ai vu que certaines familles avaient perdu quatre, cinq (ou davantage) membres et que les poils de mes bras se sont hérissés que j'ai eu une idée presque physique de l'horreur de ce qui s'était passé entre 1914 et 1918.

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Jacques Tardi en 1988, photographié par Jean-Marie Huron lors de sa venue à Lyon pour une signature de 120, Rue de la gare, chez Adrienne Krikorian, fondatrice de la librairie Expérience, rue du Petit-David.

Cette guerre m'est apparue comme l'événement fondateur, comme l'éblouissant révélateur : le triomphe imbécile de la technique et de l'industrie capitaliste, avec pour conséquence l'écrasement de tout ce qu'il y a d'humain en l'homme, corps et âme, comme l'a montré toute la suite du XXème siècle (Auschwitz, Hiroshima, etc.). Toute ma vision du monde en a été affectée, et de façon définitive. Quelques lectures (avec Günther Anders pour chef-pilote) ont achevé de me faire tomber du côté de ceux qui refusent cette réalité où rayonnent les fausses promesses d'un progrès réduit à l'univers matériel et à l'émerveillement prosterné, infantile et fatal devant des "prouesses" techniques qui surpassent tout ce que peut réaliser le pauvre humain, et dont il devient de fait le serviteur quand ce n'est pas la victime.

La force des livres de Tardi sur la première guerre mondiale réside dans sa volonté de décaper le vernis qui tend à faire de simples ouvriers et paysans envoyés au front de magnifiques héros, et des anciens combattants en béret rouge, poitrails couverts de médailles et autres porte-drapeaux à cheveux blancs d'authentiques patriotes.  Selon moi, l'une des lignes de conduite qui sous-tend tout le travail de Jacques Tardi est de ne pas se payer de mots. Ça tombe bien : moi non plus. D'où peut-être sa parenté (fraternité ?) spontanée avec des auteurs de polars ou "noirs" comme Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, qui n'y vont pas avec le dos de la cuillère avec l'humanité grouillante. D'où, accessoirement, l'évidence de son beau geste quand il a refusé la Légion d'Honneur offerte par je ne sais plus qui.

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Le docteur Grange et sa fille. Tardi a-t-il travaillé d'après photo ?

Alors venons-en à ce bouquin, Elise et les nouveaux partisans (Claire Etcherelli a publié en 1967 une Elise ou la vraie vie qui eut son heure de gloire : y a-t-il un rapport ?).  Disons-le d'entrée : Elise, le personnage principal, n'est pas exactement la compagne de Tardi, mais sa trajectoire suit de très près celle de Dominique Grange, qui est, elle, son épouse (depuis 1983, encyclopédie en ligne). Elle est fille d'un grand médecin qui avait son sombre cabinet d'oculiste (on ne disait pas ophtalmo) Boulevard des Belges. C'est chez ce docteur charmant et compétent que mes parents m'envoyaient me faire examiner les yeux : c'était le confrère et ami de l'excellent docteur Paliard. J'avais donc quelques raisons.

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Ceci pour dire que Dominique Grange vient d'un milieu bourgeois, c'est-à-dire confortable. Mais qu'elle a très tôt pris les chemins de traverse, elle qui s'est trouvée en résonance profonde et décisive avec les propos alors subversifs de sa prof de philo (non nommée, mais on apprend par ailleurs qu'il s'agit de Jeannette Colombel, dont il m'est arrivé de croiser la route, en particulier à la fin de sa vie, à la terrasse de la Brasserie des Ecoles) au lycée Edgar Quinet : le temps de la guerre d'Algérie et des porteurs de valises du F.L.N., de La Question d'Henri Alleg, etc.

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Elle a même commencé à apprendre l'arabe, à Quinet, avec un prof originaire de Sétif, à quoi son père a mis fin parce que ce n'était « pas au programme du bac ». Le prof d'arabe non plus n'est pas nommé, mais je connais quelqu'un qui doit pouvoir combler cette lacune.

Le bouquin de Tardi est bâti sur le scénario écrit par Dominique Grange qui, en gros et dans les grandes lignes, raconte sa vie, qui fut mouvementée, inséparable de l'extrême-gauche agissante, et par là même violente, sans aller toutefois jusqu'à la lutte armée. Le livre s'ouvre d'ailleurs sur la violence que le préfet Maurice Papon fait s'abattre, le 17 mars 1961, sur les foules basanées qui envahissent le pavé parisien aux cris de « Algérie algérienne, F.L.N. vaincra, etc. ».

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Comme d'habitude, Tardi n'épargne rien au lecteur de la réalité physique de la violence et de ses effets sur les corps, non plus que celle qui, le 8 février 1962, sous les ordres du préfet Roger Frey cette fois, se déchaîne contre la manifestation convoquée par les syndicats et le P.C.F. et qui causa, au "métro Charonne", 9 morts et 250 blessés.

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Avait-il besoin de rappeler le sombre rôle du même Papon pendant l'Occupation ? Avait-il besoin d'appeler « flicards » les policiers lancés par lui sur une population finalement pacifique, dont le tort était de braver le couvre-feu en ces temps de guerre d'Algérie ? Ce qui est indéniable, c'est que le scénario de Dominique Grange se veut une action militante : qu'on n'attende pas d'elle la neutralité de l'historien. Le recul des années n'a rien refroidi des convictions brûlantes de l'ancienne guerrière de la Gauche Prolétarienne.

A SUIVRE

mercredi, 27 octobre 2021

MON PASSAGE MERMET

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Pendant qu'Emmanuel Macron n'en finit pas de manquer à sa parole, s'agissant du sort qu'il réserve à l'hôpital public (voir le journal Le Monde daté 26 octobre et l'article sur le massacre de l'hôpital Pitié-Salpêtrière), jetons un œil sur un petit coin de Croix-Rousse.

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Parmi les rampes que je préférais quand j'étais minot : valait mieux pas se planter, c'est raide.

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1 - Photo de Didier Nicole, 1999.

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2 - Dessin de Berlion pour un épisode de Sales Mioches, une chouette BD sur scénario de Corbeyran, qui parcourt la Croix-Rousse dans tous les sens.

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3 - Photo de F.C. prise au cours d'une bambane en 2018 : comme un gouffre noir.

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4 - Dessin de Kraehn pour un épisode de Gil Saint-André, où le passage Mermet s'éclaircit soudain, peut-être pour mettre en évidence la mini-jupe de la dame qui monte qui monte.. 

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Le passage Mermet n'a pas la renommée de son voisin, le passage Thiaffait, situé de l'autre côté de l'église Saint-Polycarpe. D'abord, il est nettement plus étroit et sombre, se terminant sous une voûte basse à son arrivée rue René-Leynaud.

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Et puis son escalier a quelque chose de monolithique : quelques volées de marches coupées en ligne droite par une rampe métallique étroite, vernissée à force de glissades des pantalons des garnements du quartier. Alors que pour accéder à la grande cour de Thiaffait, la rue Burdeau offre des solutions variées comportant des diverticules fermés ou non par des grilles, donnant parfois accès à des habitations. Il y en a même une, obstinément close, qui semble conduire dans je ne sais quels tréfonds secrets de l'église. Quelle église ? Mais Saint-Polycarpe, bien sûr !

mardi, 19 octobre 2021

SAVANTS AU POTEAU DE TORTURE

On a pu voir, au cours de la pandémie, que l'opinion publique, aidée en cela par quelques scientifiques dévoyés ou vaguement complotistes, était toute prête à clouer au pilori les représentants de la science authentique, pour leur faire subir tous les outrages. Cette situation, disons-le, a été anticipée par quelques visionnaires.

Morris.

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Hergé.

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Ce qui s'appelle avoir les pieds sur terre, et montre avec quelle intrépidité les représentants de la science authentique sont prêts à affronter les pires épreuves.