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vendredi, 13 septembre 2024

UN POÈME

1

« A l'heure d'huile du matin

un matin d'huile et d'os pilé

tombant du ciel opale une lumière
blanche     ruisselante déjà
du jour à venir

toi qui tardes à choisir tes ombres
que peux-tu quitter que tu
regrettes vraiment

et laissant derrière moi la ville de mon père
son nom

oubliant le salpêtre      l'éther
l'odeur tétanisante du camphre
le dessin géométrique       les poings serrés

des mélodies

 

GÉRARD TITUS-CARMEL

La Tombée (Fata Morgana, 1987)

Numérisation_20240913 (33).jpg

Je suis incroyablement touché par les œuvres picturales de monsieur Gérard Titus-Carmel, et cela depuis un certain numéro de la revue La Nouvelle Critique (Colloque de Cerisy, si je me souviens bien, fin des années 1960, si vous voyez ce que je veux dire). J'y avais admiré quelques-unes de ses "détériorations". 

mercredi, 11 septembre 2024

UN POÈME

Maya, ainsi qu’ailée
De vos longs cheveux blonds,
Maya l’Illusion,
Vous ai-je assez aimée ?

L’Eve des anciens jours
Toute parlait en vous,
En le mensonge doux
Qu’en vous était l’amour,

Et du bien qu’il en est
Sans pourtant qu’on le touche,
Le rêve disait vrai
Baiser de votre bouche.

Maya dont les yeux clairs
Chantaient les Idumées,
Quand en nous nuit amère
Dormait en long couchée,

Maya qui souriiez
Nous apportant clarté,
Et qu’alors d’y penser
Nous retrouvions la paix,

Maya, et qui saviez
Pourquoi l’on pleure ou prie,
Dans le songe qu’on fait
Et de tout qui délie,

Et sur nous vous penchiez
Mains sur nos fronts posées,
Et nos yeux les fermiez
Pour quon puisse oublier,

Quoi qu’en ait dit Bouddah,
Maya, vous étiez sûre,
Dans la vie que l’on a
Autant que la douleur.

Or Maya, en nous cœurs
Qu’importe d’imposture,
Lorsque le rêve en nous
Elit des paradis,

Rien n’est vrai sous le ciel
Que ce qu’en soi l’on porte,
Et myrrhe en nous, ou miel,
C’est songe qui l’apporte,

Et lors c’est vous Maya,
Comme Eve aux anciens jours,
Qui nous tendez la joie,
Le désir et l’amour,

Au fruit de l’arbre vert
Que vous avez cueilli,
Maya, aux grands yeux clairs,
Et qui savez la vie,

Maya, ainsi qu’ailée
De vos longs cheveux blonds,
Maya l’Illusion
Si douce en nous entrée.

MAX ELSKAMP
Chansons désabusées.

dimanche, 04 août 2024

MAIS IL Y A MILOSZ

LE CHANT DU VIN

Vidons les coupes, par trois fois, pour la naissance de Vesper,
Car toute tristesse est préférable à l'Ennui.
Déjà la Nuit étend ses ailes sur la mer,
Sur la mer couleur de carnage, et d'incendie, et de folie !

Vidons les coupes, par trois fois, pour la mort de Bacchus
Et des Ages qui, paraît-il, ont existé.
Nous avons vu flotter, à la dérive, au clair de lune,
Le vieux ventre du dieu des vins sur l'eau putride du Léthé.

Vidons les coupes, par trois fois, pour les malades
D'un siècle abominable entre tous, arrosons
Nos désespoirs si lourds de pesantes rasades,
Très chers dont, grâce au vin, je ne sais plus les noms !

Vidons de tout leur sang, par trois coups de glaive, nos cœurs,
Et que la Nuit se couche sur nos cadavres dignes,
Et que le vin des cœurs se mêle au sang des vignes,
Car la honte de vivre est immense en nos cœurs !

OSCAR VLADISLAS DE LUBICZ MILOSZ

Le Poème des décadences.

dimanche, 11 février 2024

MAHMOUD DARWICH, POÈTE

Mahmoud Darwich est Palestinien. Comme Ibrahim Sousse, qui aurait pu faire une grande carrière de pianiste, Mahmoud Darwich aurait sans doute préféré se consacrer entièrement à sa propre vie, à ses amours, à ses amitiés et à l'écriture. Mais voilà, il est Palestinien. Et s'il écrit, c'est comme entre les parenthèses de temps que l'action lui laisse. Il est un militant, alors quoi de plus logique que ce qu'il écrit se permette de refléter l'urgence, la simple et brutale réalité des événements ?

Mais Mahmoud Darwich est un poète : ce qui compte, c'est la voix qui émerge de cette réalité pour se faire entendre avec force. Cette voix est belle, cette voix est grande. Elle appelle à la résistance, au point de se souvenir d'Aragon ("Ballade de celui qui chantait dans les supplices") : « Si c'était à refaire, Je parcourrais cette longue route ».

Oui, cette voix est belle, et cela sans doute parce que l'auteur accepte le plus souvent de ne pas nommer le trivial, mais d'en filtrer l'arôme, la saveur et la silhouette comme dans un filigrane d'authenticité. Le pluriel est de mise, quand on veut éviter de réduire au particulier : « Quand les martyrs vont dormir, je me réveille et je monte la garde pour éloigner d'eux les amateurs d'éloges funèbres ».

Cette voix est belle, qui fait entendre le chant d'un être pleinement vivant : la passion, la vibration, la femme, les amis, les rêves mêmes illuminent le livre et accompagnent le combat de l'homme : « Ô mes amis, laissez un seul mur pour les cordes à linge, une nuit pour les chansons ». On entend au loin l'appel au plaisir : « Je veux davantage de vie ».

Le livre est tout entier bruissement, fourmillement, mouvement d'un peuple astreint à la quotidienneté du rire et des larmes, comme rêvé. Impatience de celui qui sent une terre promise à portée de sa main. Vision d'un possible futur, désillusion quand il est mis en face de la fraternité refusée : « Frère, ô mon frère ! qu'ai-je fait pour que tu m'assassines ? »

Cette voix est celle d'un homme qui chante. Un lyrisme sans ostentation baigne la plupart des poèmes, ou les gonfle d'un souffle ample et inspiré : « Ils dorment au-delà de l'horizon rétréci, sur le versant où la parole s'est pétrifiée. Ils dorment dans une pierre modelée avec les ossements de leur phénix ».

Un lyrisme qui ne fuit pourtant pas l'évocation de l'hostilité ou de la violence : « La blessure a-t-elle besoin de son poète Pour dessiner une grenade à l'absence ? » Mais sans complaisance déplacée : « La poésie et la prière nous seront secourables. Et nous, nous avons le droit d'éponger la nuit des belles femmes, de discuter de ce qui Peut écourter la nuit de deux étrangers guettant l'arrivée du nord à la boussole ».

Mahmoud Darwich sait qu'il ne faudrait pas qu'après le retour en terre promise, ce qu'il a chanté pour accompagner ce retour devienne pour autant caduc : si je me réduis à ce que je cherche, que deviendrai-je quand je l'aurai trouvé ? L'auteur, sans cesse, pressent l'invention d'un futur peut-être heureux, à condition que.

Mahmoud Darwich dit ailleurs : « Dis-moi, notre poème a-t-il été vain ? — Non, je ne le pense pas. —  Alors pourquoi la guerre devance-t-elle le poème ? — Nous demandons à la pierre de nous donner le rythme ; nous ne l'obtenons pas. — Les poètes ont des dieux anciens ».

***

Note : J'ai écrit ce petit texte en octobre 1991. Je venais de me laisser saisir par la lecture de Plus rares sont les roses, traduit par l'excellent Abdellatif Laâbi, publié aux Editions de Minuit en 1989. Le hasard vient de me faire rouvrir le numéro de revue où ce texte a paru. A la lumière des actuels événements qui bouleversent une nouvelle fois le Proche-Orient, il m'a semblé opportun de lui donner une deuxième vie, malgré ce que j'y vois aujourd'hui de maladresses, omissions et balourdises.

Mahmoud Darwich est mort en 2008. Le Hamas, avec le 7 octobre, a donné un élan irrésistible à la propagation de la haine entre les Israéliens et les Palestiniens en inspirant aux premiers une réaction de vengeance tellement démesurée qu'un point de non-retour semble cette fois atteint. Que reste-t-il de possible ? Que resterait-il à dire au poète Mahmoud Darwich, face au spectacle de l'invincible désolation ?

jeudi, 11 février 2021

LES POÈTES DE MA VIE (13)

MAURICE FOMBEURE
*
TROUVER L’ÂGE DE MON VILLAGE 

Autour des sentiers blancs, le sommeil de la mer,
Autour des tamaris le sommeil et l’amour, 
Risque en alexandrins ces rixes, ces paresses,
Le sommeil de la mort sur la plage des jours. 

Au coucher du soleil, mon village écarlate,
La mairie à la chaux puis le curé dodu,
Un jardin fou criblé d’oiseaux, de mille-pattes
Et l’église écoutant ses orgues suspendues. 

Le bruit clair des lavoirs et le bruit sourd des sources.
Sur la place, un tilleul aveugle et répandu
Un chariot que la lune attelle à la grande Ourse
Et saint Eloi, patron des forgerons perdus. 

Mon lit où la mort prend la forme du sommeil,
Disperse les songes assoupis sous mon toit,
Où je dors toujours seul et toujours avec toi
Car tu es sur ma vie comme une étoile blanche. 

Au fond des prunelliers mon village éternel
Au bord de ta forêt, déchiré par l’orée
Au bas d’un doux ciel clos cravaché d’hirondelles,
Je t’aime mon village éternel, éternel, 

Tes fumées tremblent dans mon cœur,
Tes volets s’ouvrent dans mes yeux ;
Je t’aime mon village innocent et joyeux
Où la vie fait un doux bruit d’ailes.
*
 

MAURICE FOMBEURE

A DOS D’OISEAU.

vendredi, 29 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (12)

GEORGES PERROS

On naît avec les hommes. On meurt

 inconsolé parmi les dieux.

René Char

*

La préface est à l’intérieur.

*

UNE VIE ORDINAIRE

 

On m’a bien dit que j’étais né
mais de si drôle de façon
je me méfie des gens qui m’aiment
sans trop pouvoir faire autrement
bref j’attends confirmation
de cet événement suspect
rien ne m’ayant encor donné
l’enviable sensation
d’être tout à fait là sur terre
plutôt que dépendant d’un ciel
qui change souvent de chemise
bien plus que moi.
               N’importe allons
Je suis pour le discours humain
Je suis pour la moitié de pain
Le désespoir c’est de se taire
Et si mon langage vous pèse
quoique si léger si fuyant
rien de plus facile à votre aise
que de jeter ce livre au vent. 

De cet étonné d’être là
il avait sept mois et demi 

(Ah ce mois et demi me manque
Je suis l’homme d’un courant d’air
qui aurait trouvé sa fenêtre
un peu trop vite se lâchant
dans la nature sans avoir
pris nécessaire rendez-vous
Ne cherchez donc pas trop ailleurs
ce qui mutile ma parole
elle est dans le vent et ne tire
qu’un pauvre diable par la queue) 

qui se noyait dans la cuvette
il pesait moins de trois kilos
il était condamné à mort
au reste l’est-il pas toujours
comme mort son frère jumeau
avant même d’avoir vécu 

(mais c’est plutôt sœur que j’aurais
aimé sentir en même temps
que moi vivant sur cette terre
et j’en aurais été jaloux
supportant mal qu’elle préfère
me faire cadeau d’un beau-frère) 

il m’étonne encor d’éprouver
le taciturne goût de vivre
Je l’entends qui se parle en moi
comme dans un habit trop grand
se débattent la chair et l’os
d’un qui aurait poussé trop vite.

*

GEORGES PERROS

Une vie ordinaire.

(C'est le tout début de ce délectable "roman poème".)

PERROS GEORGES.jpg

jeudi, 28 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (11)

GUILLAUME APOLLINAIRE

*

FÊTE

A André Rouveyre.

Feu d’artifice en acier

Qu’il est charmant cet éclairage

                   Artifice d’artificier

Mêler quelque grâce au courage

 

Deux fusants

Rose éclatement

Comme deux seins que l’on dégrafe

Tendent leurs bouts insolemment

IL SUT AIMER

                                      quelle épitaphe

 

Un poète dans la forêt

Regarde avec indifférence

                   Son revolver au cran d’arrêt

Des roses mourir d’espérance

 

Il songe aux roses de Saadi

Et soudain sa tête se penche

Car une rose lui redit

La molle courbe d’nue hanche

 

L’air est plein d’un terrible alcool

Filtré des étoiles mi-closes

Les obus caressent le mol

Parfum nocturne où tu reposes

                   Mortification des roses

*

GUILLAUME APOLLINAIRE

Calligrammes.

mercredi, 27 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (10)

TRISTAN TZARA

*

Homme approximatif comme moi comme toi lecteur et comme les autres
Amas de chairs bruyantes et d’échos de conscience
Complet dans le seul morceau de volonté ton nom
Transportable et assimilable poli par les dociles inflexions des femmes
Divers incompris te mouvant dans les à-peu-près du destin
Avec un cœur comme valise et une valse en guise de tête
Buée sur la froide glace tu t’empêches toi-même de te voir
Grand et insignifiant parmi les bijoux de verglas du paysage
Cependant les hommes chantent en rond sous les ponts
Du froid la bouche bleue contractée plus loin que le rien
Homme approximatif ou magnifique ou misérable
Dans le brouillard des chastes âges
Habitation à bon marché les yeux ambassadeurs de feu
Que chacun interroge et soigne dans la fourrure de caresses de ses idées
Yeux qui rajeunissent les violences des dieux souples
Bondissant aux déclenchements des ressorts dentaires du rire
Homme approximatif comme moi comme toi lecteur
Tu tiens entre tes mains comme pour jeter une boule
Chiffre lumineux ta tête pleine de poésie

* 

TRISTAN TZARA

L’Homme approximatif.

mardi, 26 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (9)

JOË BOUSQUET 

MON FRÈRE L’OMBRE

Avec ses souliers de pierre

Qu’il tenait à chaque main

Le portier du cimetière

A fait danser le chemin

 

Avec ses sabots de cendre

Sur les lèvres d’un amant

Le sonneur est venu prendre

Ce qu’il disait en dormant

 

L’absence aux souliers de feuilles

Donne son cœur pour toujours

Au seul galant qui la veuille

Le vent qui change les jours

 

La vieille aux souliers de paille

Hisse un fagot sur ses reins

Et dans une ombre à sa taille

Porte la lune à la main

 

La nuit tous les pas se mêlent

Ce qui nous mène est perdu

L’air est bleu de tourterelles

Le ciel le vent se sont tus

 

Et pareil à la colombe

Qui meurt sans toucher le sol

Entre l’absence et la tombe

L’oubli referme son vol

 

Mais il survit du murmure

Où tout se berce en mourant

L’amour des choses qui dure

Au cœur d’un mort qui m’attend

JOË BOUSQUET

La Connaissance du soir.

lundi, 25 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (8)

ARMAND ROBIN 

*

LA NUIT 

J’ai rejeté le Temps bien loin de mes épaules,

Vos songes, mes humains, sont mon plus vrai manteau ;

Mes genoux, faits d’espace et de collines molles,

Semblables au destin cheminent sans un mot.

 

Je passe, brune et lente, en la brume des fleuves,

Je n’y laisse flotter que mon indifférence

Mais les eaux, malgré moi, le dos courbé, s’abreuvent

Comme des bœufs, tous noirs, à ma fraîcheur immense.

 

Les talus, quand j’y dors, semblent guéris des ronces ;

Les arbres que je prends, je ne sens rien pour eux,

En eux je n’ai jamais tenu que mon silence

Et voilà qu’on m’apprend que je les rends heureux !

 

Hélas ! ne pas savoir pourquoi je suis si douce !

Me direz-vous comment je puis tant vous aimer ?

Mes propres pas me sont plus muets que la mousse !

Par moi sauvés de tout, vous m’avez tous blessée.

ARMAND ROBIN 

Ma Vie sans moi.

jeudi, 21 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (7)

YVES MARTIN

 

Comment je vis ? Question trottinante

Comme un léger reproche.

Depuis mon opération, il ne m’était pas apparu.

Les roses, les œillets secs se sont enfuis

Sous la petite table de rotin.

Le pantalond de velours voyage peu.

 

Il fait froid.

Les merles s’approchent de ma fenêtre,

- tirer les marrons du feu –

Le vent ne compte plus ses larmes.

 

Sur la glace envie d’écrire

« Assassin » pour entendre derrière moi

Grommeler l’incorrigible inconnu.

Demain le désordre sera encore moins chaleureux.

Je tape ma porte. La haine de ma voisine

M’est indispensable. Dans l’escalier, comme chaque matin

Un cartable. Je l’ouvre. Je caresse un cahier, une plume,

Un marron. Puis je le transporte jusqu’à l’entrée de l’immeuble

Où dans quelques minutes viendra le reprendre

Une jeune fille que je ne connais pas

Dont je devine seulement que les cheveux

Sont aussi longs, dorés

Que le vermouth des océans.

 

YVES MARTIN

De la Rue elle crie.

mercredi, 20 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (6)

CHRISTIAN DOTREMONT

 

A PAUL ÉLUARD

 

à Paul Éluard

le jeune homme qui est un vieil enfant

au visage incendié de timidité

a dans son cœur incendié dans sa tête incendiée de tempêtes

de quoi attacher toutes les frontières

de quoi jouer au bête puzzle du monde

le jeune homme incendié au cœur

de livres de cœur et de mois d’Octobre

a de quoi « acheter de mourir de faim »

de quoi ne pas avoir les papiers nécessaires

le vieil enfant muet a seulement un ticket de désobéissance

aux lois d’infamille aux lois de désobéissance à tous ses désirs

son chemin a la largeur du monde et manger lui est aventure

il supporte toute souffrance pourvu qu’elle soit imprévue

il n’a pas besoin qu’on lui montre…

il a dit les mêmes paroles celui dont les mains sont ouvertes comme les livres

comme ses livres chez un jeune homme à la seule voix d’encre

qui jamais ne traversera la vie aux passages cloutés

jeudi, 14 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (5)

PAUL CELAN

***

RETOUR

 

Chute de neige, de plus en plus dense,

Couleur colombe, comme hier,

Chute de neige, comme si tu dormais toujours.

 

Du blanc à perte de vue :

Dessus, à l’infini,

La trace de traîneau du perdu.

 

Dessous, à l’abri,

Se hausse

Ce qui fait si mal aux yeux,

De colline en colline,

Invisible.

 

Sur chacune,

Rapatrié dans son aujourd’hui,

Un Je échappé dans le mutisme :

De bois, un pieu.

 

Là-bas : un sentiment

Qu’entraîne ici le vent de glace.

Il arrime l’étoffe couleur

Colombe, neige, son drapeau.

 

PAUL CELAN

Grille de parole

(traduction Martine Broda)

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mercredi, 06 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (4)

EUGÈNE SAVITZKAYA

***

La montagne a bougé, la montagne est en morceaux. La maison, cassée. Sous terre sont les merisiers et leurs brindilles, le mélèze, le feuillage dispersé, le mouton, le mammouth musclé, la bonne mouture de froment, les ordures, les os, les machines sans roues, les quartiers de meule, les faisceaux de paille mouillée, les rayons de miel, le minerai si vif et le manganèse, il n'y a plus de musc, plus de chair molle, rien que de la matière morcelée et du morfil en quantité.

EUGÈNE SAVITZKAYA

Quatorze cataclysmes.

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mardi, 05 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (3)

GHÉRASIM LUCA

***

Son corps léger

est-il la fin du monde ?

c’est une erreur

c’est un délice glissant

entre mes lèvres

près de la glace

mais l’autre pensait :

ce n’est qu’une colombe qui respire

quoi qu’il en soit

là où je suis

il se passe quelque chose

dans une position délimitée par l’orage 

***

Près de la glace c’est une erreur

là où je suis ce n’est qu’une colombe

mais l’autre pensait :

il se passe quelque chose

dans une position délimitée

glissant entre mes lèvres

est-ce la fin du monde ?

c’est un délice quoi qu’il en soit

son corps léger respire par l’orage 

*** 

Dans une position délimitée

près de la glace qui respire

son corps léger glissant entre mes lèvres

est-ce la fin du monde ?

mais l’autre pensait : c’est un délice

il se passe quelque chose quoi qu’il en soit

par l’orage ce n’est qu’une colombe

là où je suis c’est une erreur 

***

Est-ce la fin du monde qui respire ?

son corps léger ? mais l’autre pensait :

là où je suis près de la glace

c’est un délice dans une position délimitée

quoi qu’il en soit c’est une erreur

il se passe quelque chose par l’orage

ce n’est qu’une colombe

glissant entre mes lèvres 

***

Ce n’est qu’une colombe

dans une position délimitée

là où je suis par l’orage

mais l’autre pensait :

qui respire près de la glace

est-ce la fin du monde ?

quoi qu’il en soit c’est un délice

il se passe quelque chose

c’est une erreur

glissant entre mes lèvres

son corps léger

 

GHÉRASIM LUCA

Paralipomènes, "Son corps léger".

samedi, 02 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (2)

PHILIPPE JACCOTTET

***

La nuit est une grande cité endormie

où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu'à

l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.

Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,

Le vent secoue le noisetier. Vient cet appel

qui se rapproche et se retire, on jurerait

une lueur fuyant à travers bois, ou bien

les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.

(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses

j'en pourrais dire, et de tes yeux...) Mais ce n'est que

l'oiseau nommé l'effraie, qui nous appelle au fond

de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur

est celle de la pourriture au petit jour,

déjà sous notre peau si chaude perce l'os,

tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.

 

PHILIPPE JACCOTTET

L'Effraie.

mardi, 29 décembre 2020

LES POÈTES DE MA VIE (1)

YVES BONNEFOY

***

LIEU DU COMBAT

I

Voici défait le chevalier de deuil.

Comme il gardait une source, voici

Que je m'éveille et c'est par la grâce des arbres

Et dans le bruit des eaux, songe qui se poursuit.

 

Il se tait. Son visage est celui que je cherche

Sur toutes sources et falaises, frère mort.

Visage d'une nuit vaincue, et qui se penche

Sur l'aube de l'épaule déchirée.

 

Il se tait. Que peut dire au terme du combat

Celui qui fut vaincu par probante parole ?

Il tourne vers le sol sa face démunie,

Mourir est son seul cri, de vrai apaisement.

 

II

Mais pleure-t-il sur une source plus

Profonde et fleurit-il, dahlia des morts

Sur le parvis des eaux terreuses de novembre

Qui poussent jusqu'à nous le bruit du monde mort ?

 

Il me semble, penché sur l'aube difficile

De ce jour qui m'est dû et que j'ai reconquis,

Que j'entends sangloter l'éternelle présence

De mon démon secret jamais enseveli.

 

O tu reparaîtras, rivage de ma force !

Mais que ce soit malgré ce jour qui me conduit.

Ombres, vous n'êtes plus. Si l'ombre doit renaître

Ce sera dans la nuit et par la nuit.

 

YVES BONNEFOY

Du Mouvement et de l'immobilité de Douve.

 

dimanche, 07 juin 2020

POÈME

Il pleut du soir en fumée ronde

Sur la vallée où boivent les ombres.

 

Un cheval fourbu écoute les oiseaux.

Il goûte aux choses sonores

Qui parlent dans des langues.

 

Une peau qui ne sait rien d'elle-même

S'entoure de mots creux

En éteignant la lumière,

par précaution.

 

Mais on est là,

On sait.

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lundi, 11 mai 2020

DÉCONFINEMENT

Après les confins ?

*

Mon troupeau d’oublis

S’était endormi au pied de mes échos.

Le corps luisant de mes étoiles filantes

Leur avait tracé des haies de cœurs écorchés.

J’entends bientôt monter

La sonate universelle,

La symphonie des solitudes,

Le concert, l'improviste et les ciselures.

09:00 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie

jeudi, 07 mai 2020

POÈME

Et maintenant ?

*

Un seul demain suffira pour commencer.

On fera comme si on savait.

Les tâches, le poids et les mesures

Contiendront le temps, les pas et les saisons.

Une seule saison pour prolonger

L’été de la durée des songes.

Un seul été pour capturer

Les sons déshabillés de l’inconnu,

Qui ne se régénère que de souffrir.

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mardi, 31 mars 2020

POÈME DU CONFINEMENT

CŒUR PARADIS

 

Cœur paradis, fais de ta transe un animal,

friand de rut et sauvage en son sommeil.

*

Cœur paradis, fais de ton éveil un clandestin,

fleur fiévreuse ou grand chien maraudeur.

*

Cœur paradis, deviens la porte de l’hiver,

fermée de tôle ou traversée de ses blessures.

*

Cœur paradis, fais de ton poids l’armature :

invisible, méthodique et transhumante.

*

Cœur paradis, dans l’être qui remplit et qui vide,

redeviens ce partage où nous aimions caracoler.

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dimanche, 29 mars 2020

POÈME DU CONFINEMENT

Demain est tout à fait creux.

La vie promène son désastre

sur toutes les routes.

J'attends la fin du bruit

et le retour du bruit.

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vendredi, 31 janvier 2020

2020 : OUI, DES POÈMES, ENCORE....

... si la vie veut bien !

***

(Le lieu attend qu’on s’en aille

Pour se remettre à chuchoter.

Je suis de trop, se dit le désespoir.

Presque rien en notre possession,

Répond la voix du noble corps.

Reste le reste.)

***

Avec janvier prend fin le temps des vœux de Nouvel An.

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jeudi, 30 janvier 2020

2020 : QUELQUES POÈMES, ENCORE ?

Je te cherche et tu ne fuis pas.

J’ai la terre et le temps présent.

Je suis galet qui sent la vase tiède.

Je suis cadran de montre au milieu de l’esprit.

Et dans la trace de ton cœur je me perds.

Il me reste les poissons-chats,

L’opacité de l’eau, le confluent maladroit,

Les meubles de l’oubli.

T'ai-je trouvée, ma seule ?

09:00 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie

dimanche, 15 décembre 2019

ELEPHANT MAN

Pour mon calendrier de l'Avent.

HOMO SAPIENS.jpg

Un crâne d'Homo Sapiens.

***

Vase olivâtre et vain d’où l’âme est envolée,

Crâne, tu tournes un bon visage indulgent

Vers nous, et souris de ta bouche crénelée.

Mais tu regrettes ton corps, tes cheveux d’argent,

 

Tes lèvres qui s’ouvraient à la parole ailée.

Et l’orbite creuse où mon regard va plongeant,

Bâille à l’ombre et soupire et s’ennuie esseulée,

Très nette, vide box d’un cheval voyageant.

 

Tu n’es plus qu’argile et mort. Tes blanches molaires

Sur les tons mats de l’os brillent de flammes claires,

Tels les cuivres fourbis par un larbin soigneux.

 

Et, presse-papier lourd, sur le haut d’une armoire

Serrant de l’occiput les feuillets du grimoire,

Contre le vent rôdeur tu rechignes, hargneux.

 

ALFRED JARRY

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EL MAN 4.jpg

Le crâne de Joseph Merrick, alias Elephant man, tout en chou-fleur ossifié : vraiment pas l'idée qu'on se fait du petit jésus.