vendredi, 13 septembre 2024
UN POÈME
1
« A l'heure d'huile du matin
un matin d'huile et d'os pilé
tombant du ciel opale une lumière
blanche ruisselante déjà
du jour à venir
toi qui tardes à choisir tes ombres
que peux-tu quitter que tu
regrettes vraiment
et laissant derrière moi la ville de mon père
son nom
oubliant le salpêtre l'éther
l'odeur tétanisante du camphre
le dessin géométrique les poings serrés
des mélodies
GÉRARD TITUS-CARMEL
La Tombée (Fata Morgana, 1987)
Je suis incroyablement touché par les œuvres picturales de monsieur Gérard Titus-Carmel, et cela depuis un certain numéro de la revue La Nouvelle Critique (Colloque de Cerisy, si je me souviens bien, fin des années 1960, si vous voyez ce que je veux dire). J'y avais admiré quelques-unes de ses "détériorations".
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mercredi, 11 septembre 2024
UN POÈME
Maya, ainsi qu’ailée
De vos longs cheveux blonds,
Maya l’Illusion,
Vous ai-je assez aimée ?
L’Eve des anciens jours
Toute parlait en vous,
En le mensonge doux
Qu’en vous était l’amour,
Et du bien qu’il en est
Sans pourtant qu’on le touche,
Le rêve disait vrai
Baiser de votre bouche.
Maya dont les yeux clairs
Chantaient les Idumées,
Quand en nous nuit amère
Dormait en long couchée,
Maya qui souriiez
Nous apportant clarté,
Et qu’alors d’y penser
Nous retrouvions la paix,
Maya, et qui saviez
Pourquoi l’on pleure ou prie,
Dans le songe qu’on fait
Et de tout qui délie,
Et sur nous vous penchiez
Mains sur nos fronts posées,
Et nos yeux les fermiez
Pour quon puisse oublier,
Quoi qu’en ait dit Bouddah,
Maya, vous étiez sûre,
Dans la vie que l’on a
Autant que la douleur.
Or Maya, en nous cœurs
Qu’importe d’imposture,
Lorsque le rêve en nous
Elit des paradis,
Rien n’est vrai sous le ciel
Que ce qu’en soi l’on porte,
Et myrrhe en nous, ou miel,
C’est songe qui l’apporte,
Et lors c’est vous Maya,
Comme Eve aux anciens jours,
Qui nous tendez la joie,
Le désir et l’amour,
Au fruit de l’arbre vert
Que vous avez cueilli,
Maya, aux grands yeux clairs,
Et qui savez la vie,
Maya, ainsi qu’ailée
De vos longs cheveux blonds,
Maya l’Illusion
Si douce en nous entrée.
MAX ELSKAMP
Chansons désabusées.
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dimanche, 04 août 2024
MAIS IL Y A MILOSZ
LE CHANT DU VIN
Vidons les coupes, par trois fois, pour la naissance de Vesper,
Car toute tristesse est préférable à l'Ennui.
Déjà la Nuit étend ses ailes sur la mer,
Sur la mer couleur de carnage, et d'incendie, et de folie !
Vidons les coupes, par trois fois, pour la mort de Bacchus
Et des Ages qui, paraît-il, ont existé.
Nous avons vu flotter, à la dérive, au clair de lune,
Le vieux ventre du dieu des vins sur l'eau putride du Léthé.
Vidons les coupes, par trois fois, pour les malades
D'un siècle abominable entre tous, arrosons
Nos désespoirs si lourds de pesantes rasades,
Très chers dont, grâce au vin, je ne sais plus les noms !
Vidons de tout leur sang, par trois coups de glaive, nos cœurs,
Et que la Nuit se couche sur nos cadavres dignes,
Et que le vin des cœurs se mêle au sang des vignes,
Car la honte de vivre est immense en nos cœurs !
OSCAR VLADISLAS DE LUBICZ MILOSZ
Le Poème des décadences.
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dimanche, 11 février 2024
MAHMOUD DARWICH, POÈTE
Mahmoud Darwich est Palestinien. Comme Ibrahim Sousse, qui aurait pu faire une grande carrière de pianiste, Mahmoud Darwich aurait sans doute préféré se consacrer entièrement à sa propre vie, à ses amours, à ses amitiés et à l'écriture. Mais voilà, il est Palestinien. Et s'il écrit, c'est comme entre les parenthèses de temps que l'action lui laisse. Il est un militant, alors quoi de plus logique que ce qu'il écrit se permette de refléter l'urgence, la simple et brutale réalité des événements ?
Mais Mahmoud Darwich est un poète : ce qui compte, c'est la voix qui émerge de cette réalité pour se faire entendre avec force. Cette voix est belle, cette voix est grande. Elle appelle à la résistance, au point de se souvenir d'Aragon ("Ballade de celui qui chantait dans les supplices") : « Si c'était à refaire, Je parcourrais cette longue route ».
Oui, cette voix est belle, et cela sans doute parce que l'auteur accepte le plus souvent de ne pas nommer le trivial, mais d'en filtrer l'arôme, la saveur et la silhouette comme dans un filigrane d'authenticité. Le pluriel est de mise, quand on veut éviter de réduire au particulier : « Quand les martyrs vont dormir, je me réveille et je monte la garde pour éloigner d'eux les amateurs d'éloges funèbres ».
Cette voix est belle, qui fait entendre le chant d'un être pleinement vivant : la passion, la vibration, la femme, les amis, les rêves mêmes illuminent le livre et accompagnent le combat de l'homme : « Ô mes amis, laissez un seul mur pour les cordes à linge, une nuit pour les chansons ». On entend au loin l'appel au plaisir : « Je veux davantage de vie ».
Le livre est tout entier bruissement, fourmillement, mouvement d'un peuple astreint à la quotidienneté du rire et des larmes, comme rêvé. Impatience de celui qui sent une terre promise à portée de sa main. Vision d'un possible futur, désillusion quand il est mis en face de la fraternité refusée : « Frère, ô mon frère ! qu'ai-je fait pour que tu m'assassines ? »
Cette voix est celle d'un homme qui chante. Un lyrisme sans ostentation baigne la plupart des poèmes, ou les gonfle d'un souffle ample et inspiré : « Ils dorment au-delà de l'horizon rétréci, sur le versant où la parole s'est pétrifiée. Ils dorment dans une pierre modelée avec les ossements de leur phénix ».
Un lyrisme qui ne fuit pourtant pas l'évocation de l'hostilité ou de la violence : « La blessure a-t-elle besoin de son poète Pour dessiner une grenade à l'absence ? » Mais sans complaisance déplacée : « La poésie et la prière nous seront secourables. Et nous, nous avons le droit d'éponger la nuit des belles femmes, de discuter de ce qui Peut écourter la nuit de deux étrangers guettant l'arrivée du nord à la boussole ».
Mahmoud Darwich sait qu'il ne faudrait pas qu'après le retour en terre promise, ce qu'il a chanté pour accompagner ce retour devienne pour autant caduc : si je me réduis à ce que je cherche, que deviendrai-je quand je l'aurai trouvé ? L'auteur, sans cesse, pressent l'invention d'un futur peut-être heureux, à condition que.
Mahmoud Darwich dit ailleurs : « Dis-moi, notre poème a-t-il été vain ? — Non, je ne le pense pas. — Alors pourquoi la guerre devance-t-elle le poème ? — Nous demandons à la pierre de nous donner le rythme ; nous ne l'obtenons pas. — Les poètes ont des dieux anciens ».
***
Note : J'ai écrit ce petit texte en octobre 1991. Je venais de me laisser saisir par la lecture de Plus rares sont les roses, traduit par l'excellent Abdellatif Laâbi, publié aux Editions de Minuit en 1989. Le hasard vient de me faire rouvrir le numéro de revue où ce texte a paru. A la lumière des actuels événements qui bouleversent une nouvelle fois le Proche-Orient, il m'a semblé opportun de lui donner une deuxième vie, malgré ce que j'y vois aujourd'hui de maladresses, omissions et balourdises.
Mahmoud Darwich est mort en 2008. Le Hamas, avec le 7 octobre, a donné un élan irrésistible à la propagation de la haine entre les Israéliens et les Palestiniens en inspirant aux premiers une réaction de vengeance tellement démesurée qu'un point de non-retour semble cette fois atteint. Que reste-t-il de possible ? Que resterait-il à dire au poète Mahmoud Darwich, face au spectacle de l'invincible désolation ?
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jeudi, 11 février 2021
LES POÈTES DE MA VIE (13)
MAURICE FOMBEURE
*
TROUVER L’ÂGE DE MON VILLAGE
Autour des sentiers blancs, le sommeil de la mer,
Autour des tamaris le sommeil et l’amour,
Risque en alexandrins ces rixes, ces paresses,
Le sommeil de la mort sur la plage des jours.
Au coucher du soleil, mon village écarlate,
La mairie à la chaux puis le curé dodu,
Un jardin fou criblé d’oiseaux, de mille-pattes
Et l’église écoutant ses orgues suspendues.
Le bruit clair des lavoirs et le bruit sourd des sources.
Sur la place, un tilleul aveugle et répandu
Un chariot que la lune attelle à la grande Ourse
Et saint Eloi, patron des forgerons perdus.
Mon lit où la mort prend la forme du sommeil,
Disperse les songes assoupis sous mon toit,
Où je dors toujours seul et toujours avec toi
Car tu es sur ma vie comme une étoile blanche.
Au fond des prunelliers mon village éternel
Au bord de ta forêt, déchiré par l’orée
Au bas d’un doux ciel clos cravaché d’hirondelles,
Je t’aime mon village éternel, éternel,
Tes fumées tremblent dans mon cœur,
Tes volets s’ouvrent dans mes yeux ;
Je t’aime mon village innocent et joyeux
Où la vie fait un doux bruit d’ailes.
*
MAURICE FOMBEURE
A DOS D’OISEAU.
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vendredi, 29 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (12)
GEORGES PERROS
On naît avec les hommes. On meurt
inconsolé parmi les dieux.
René Char
*
La préface est à l’intérieur.
*
UNE VIE ORDINAIRE
On m’a bien dit que j’étais né
mais de si drôle de façon
je me méfie des gens qui m’aiment
sans trop pouvoir faire autrement
bref j’attends confirmation
de cet événement suspect
rien ne m’ayant encor donné
l’enviable sensation
d’être tout à fait là sur terre
plutôt que dépendant d’un ciel
qui change souvent de chemise
bien plus que moi.
N’importe allons
Je suis pour le discours humain
Je suis pour la moitié de pain
Le désespoir c’est de se taire
Et si mon langage vous pèse
quoique si léger si fuyant
rien de plus facile à votre aise
que de jeter ce livre au vent.
De cet étonné d’être là
il avait sept mois et demi
(Ah ce mois et demi me manque
Je suis l’homme d’un courant d’air
qui aurait trouvé sa fenêtre
un peu trop vite se lâchant
dans la nature sans avoir
pris nécessaire rendez-vous
Ne cherchez donc pas trop ailleurs
ce qui mutile ma parole
elle est dans le vent et ne tire
qu’un pauvre diable par la queue)
qui se noyait dans la cuvette
il pesait moins de trois kilos
il était condamné à mort
au reste l’est-il pas toujours
comme mort son frère jumeau
avant même d’avoir vécu
(mais c’est plutôt sœur que j’aurais
aimé sentir en même temps
que moi vivant sur cette terre
et j’en aurais été jaloux
supportant mal qu’elle préfère
me faire cadeau d’un beau-frère)
il m’étonne encor d’éprouver
le taciturne goût de vivre
Je l’entends qui se parle en moi
comme dans un habit trop grand
se débattent la chair et l’os
d’un qui aurait poussé trop vite.
*
GEORGES PERROS
Une vie ordinaire.
(C'est le tout début de ce délectable "roman poème".)
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jeudi, 28 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (11)
GUILLAUME APOLLINAIRE
*
FÊTE
A André Rouveyre.
Feu d’artifice en acier
Qu’il est charmant cet éclairage
Artifice d’artificier
Mêler quelque grâce au courage
Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l’on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
IL SUT AIMER
quelle épitaphe
Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d’arrêt
Des roses mourir d’espérance
Il songe aux roses de Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d’nue hanche
L’air est plein d’un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus caressent le mol
Parfum nocturne où tu reposes
Mortification des roses
*
GUILLAUME APOLLINAIRE
Calligrammes.
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mercredi, 27 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (10)
TRISTAN TZARA
*
Homme approximatif comme moi comme toi lecteur et comme les autres
Amas de chairs bruyantes et d’échos de conscience
Complet dans le seul morceau de volonté ton nom
Transportable et assimilable poli par les dociles inflexions des femmes
Divers incompris te mouvant dans les à-peu-près du destin
Avec un cœur comme valise et une valse en guise de tête
Buée sur la froide glace tu t’empêches toi-même de te voir
Grand et insignifiant parmi les bijoux de verglas du paysage
Cependant les hommes chantent en rond sous les ponts
Du froid la bouche bleue contractée plus loin que le rien
Homme approximatif ou magnifique ou misérable
Dans le brouillard des chastes âges
Habitation à bon marché les yeux ambassadeurs de feu
Que chacun interroge et soigne dans la fourrure de caresses de ses idées
Yeux qui rajeunissent les violences des dieux souples
Bondissant aux déclenchements des ressorts dentaires du rire
Homme approximatif comme moi comme toi lecteur
Tu tiens entre tes mains comme pour jeter une boule
Chiffre lumineux ta tête pleine de poésie
*
TRISTAN TZARA
L’Homme approximatif.
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mardi, 26 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (9)
JOË BOUSQUET
MON FRÈRE L’OMBRE
*
Avec ses souliers de pierre
Qu’il tenait à chaque main
Le portier du cimetière
A fait danser le chemin
Avec ses sabots de cendre
Sur les lèvres d’un amant
Le sonneur est venu prendre
Ce qu’il disait en dormant
L’absence aux souliers de feuilles
Donne son cœur pour toujours
Au seul galant qui la veuille
Le vent qui change les jours
La vieille aux souliers de paille
Hisse un fagot sur ses reins
Et dans une ombre à sa taille
Porte la lune à la main
La nuit tous les pas se mêlent
Ce qui nous mène est perdu
L’air est bleu de tourterelles
Le ciel le vent se sont tus
Et pareil à la colombe
Qui meurt sans toucher le sol
Entre l’absence et la tombe
L’oubli referme son vol
Mais il survit du murmure
Où tout se berce en mourant
L’amour des choses qui dure
Au cœur d’un mort qui m’attend
*
JOË BOUSQUET
La Connaissance du soir.
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lundi, 25 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (8)
ARMAND ROBIN
*
LA NUIT
J’ai rejeté le Temps bien loin de mes épaules,
Vos songes, mes humains, sont mon plus vrai manteau ;
Mes genoux, faits d’espace et de collines molles,
Semblables au destin cheminent sans un mot.
Je passe, brune et lente, en la brume des fleuves,
Je n’y laisse flotter que mon indifférence
Mais les eaux, malgré moi, le dos courbé, s’abreuvent
Comme des bœufs, tous noirs, à ma fraîcheur immense.
Les talus, quand j’y dors, semblent guéris des ronces ;
Les arbres que je prends, je ne sens rien pour eux,
En eux je n’ai jamais tenu que mon silence
Et voilà qu’on m’apprend que je les rends heureux !
Hélas ! ne pas savoir pourquoi je suis si douce !
Me direz-vous comment je puis tant vous aimer ?
Mes propres pas me sont plus muets que la mousse !
Par moi sauvés de tout, vous m’avez tous blessée.
*
ARMAND ROBIN
Ma Vie sans moi.
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jeudi, 21 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (7)
YVES MARTIN
Comment je vis ? Question trottinante
Comme un léger reproche.
Depuis mon opération, il ne m’était pas apparu.
Les roses, les œillets secs se sont enfuis
Sous la petite table de rotin.
Le pantalond de velours voyage peu.
Il fait froid.
Les merles s’approchent de ma fenêtre,
- tirer les marrons du feu –
Le vent ne compte plus ses larmes.
Sur la glace envie d’écrire
« Assassin » pour entendre derrière moi
Grommeler l’incorrigible inconnu.
Demain le désordre sera encore moins chaleureux.
Je tape ma porte. La haine de ma voisine
M’est indispensable. Dans l’escalier, comme chaque matin
Un cartable. Je l’ouvre. Je caresse un cahier, une plume,
Un marron. Puis je le transporte jusqu’à l’entrée de l’immeuble
Où dans quelques minutes viendra le reprendre
Une jeune fille que je ne connais pas
Dont je devine seulement que les cheveux
Sont aussi longs, dorés
Que le vermouth des océans.
YVES MARTIN
De la Rue elle crie.
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mercredi, 20 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (6)
CHRISTIAN DOTREMONT
A PAUL ÉLUARD
à Paul Éluard
le jeune homme qui est un vieil enfant
au visage incendié de timidité
a dans son cœur incendié dans sa tête incendiée de tempêtes
de quoi attacher toutes les frontières
de quoi jouer au bête puzzle du monde
le jeune homme incendié au cœur
de livres de cœur et de mois d’Octobre
a de quoi « acheter de mourir de faim »
de quoi ne pas avoir les papiers nécessaires
le vieil enfant muet a seulement un ticket de désobéissance
aux lois d’infamille aux lois de désobéissance à tous ses désirs
son chemin a la largeur du monde et manger lui est aventure
il supporte toute souffrance pourvu qu’elle soit imprévue
il n’a pas besoin qu’on lui montre…
il a dit les mêmes paroles celui dont les mains sont ouvertes comme les livres
comme ses livres chez un jeune homme à la seule voix d’encre
qui jamais ne traversera la vie aux passages cloutés
09:34 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, christian dotremont, paul éluard
jeudi, 14 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (5)
PAUL CELAN
***
RETOUR
Chute de neige, de plus en plus dense,
Couleur colombe, comme hier,
Chute de neige, comme si tu dormais toujours.
Du blanc à perte de vue :
Dessus, à l’infini,
La trace de traîneau du perdu.
Dessous, à l’abri,
Se hausse
Ce qui fait si mal aux yeux,
De colline en colline,
Invisible.
Sur chacune,
Rapatrié dans son aujourd’hui,
Un Je échappé dans le mutisme :
De bois, un pieu.
Là-bas : un sentiment
Qu’entraîne ici le vent de glace.
Il arrime l’étoffe couleur
Colombe, neige, son drapeau.
PAUL CELAN
Grille de parole
(traduction Martine Broda)
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mercredi, 06 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (4)
EUGÈNE SAVITZKAYA
***
La montagne a bougé, la montagne est en morceaux. La maison, cassée. Sous terre sont les merisiers et leurs brindilles, le mélèze, le feuillage dispersé, le mouton, le mammouth musclé, la bonne mouture de froment, les ordures, les os, les machines sans roues, les quartiers de meule, les faisceaux de paille mouillée, les rayons de miel, le minerai si vif et le manganèse, il n'y a plus de musc, plus de chair molle, rien que de la matière morcelée et du morfil en quantité.
EUGÈNE SAVITZKAYA
Quatorze cataclysmes.
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mardi, 05 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (3)
GHÉRASIM LUCA
***
Son corps léger
est-il la fin du monde ?
c’est une erreur
c’est un délice glissant
entre mes lèvres
près de la glace
mais l’autre pensait :
ce n’est qu’une colombe qui respire
quoi qu’il en soit
là où je suis
il se passe quelque chose
dans une position délimitée par l’orage
***
Près de la glace c’est une erreur
là où je suis ce n’est qu’une colombe
mais l’autre pensait :
il se passe quelque chose
dans une position délimitée
glissant entre mes lèvres
est-ce la fin du monde ?
c’est un délice quoi qu’il en soit
son corps léger respire par l’orage
***
Dans une position délimitée
près de la glace qui respire
son corps léger glissant entre mes lèvres
est-ce la fin du monde ?
mais l’autre pensait : c’est un délice
il se passe quelque chose quoi qu’il en soit
par l’orage ce n’est qu’une colombe
là où je suis c’est une erreur
***
Est-ce la fin du monde qui respire ?
son corps léger ? mais l’autre pensait :
là où je suis près de la glace
c’est un délice dans une position délimitée
quoi qu’il en soit c’est une erreur
il se passe quelque chose par l’orage
ce n’est qu’une colombe
glissant entre mes lèvres
***
Ce n’est qu’une colombe
dans une position délimitée
là où je suis par l’orage
mais l’autre pensait :
qui respire près de la glace
est-ce la fin du monde ?
quoi qu’il en soit c’est un délice
il se passe quelque chose
c’est une erreur
glissant entre mes lèvres
son corps léger
GHÉRASIM LUCA
Paralipomènes, "Son corps léger".
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samedi, 02 janvier 2021
LES POÈTES DE MA VIE (2)
PHILIPPE JACCOTTET
***
La nuit est une grande cité endormie
où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu'à
l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.
Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,
Le vent secoue le noisetier. Vient cet appel
qui se rapproche et se retire, on jurerait
une lueur fuyant à travers bois, ou bien
les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.
(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses
j'en pourrais dire, et de tes yeux...) Mais ce n'est que
l'oiseau nommé l'effraie, qui nous appelle au fond
de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur
est celle de la pourriture au petit jour,
déjà sous notre peau si chaude perce l'os,
tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.
PHILIPPE JACCOTTET
L'Effraie.
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mardi, 29 décembre 2020
LES POÈTES DE MA VIE (1)
YVES BONNEFOY
***
LIEU DU COMBAT
I
Voici défait le chevalier de deuil.
Comme il gardait une source, voici
Que je m'éveille et c'est par la grâce des arbres
Et dans le bruit des eaux, songe qui se poursuit.
Il se tait. Son visage est celui que je cherche
Sur toutes sources et falaises, frère mort.
Visage d'une nuit vaincue, et qui se penche
Sur l'aube de l'épaule déchirée.
Il se tait. Que peut dire au terme du combat
Celui qui fut vaincu par probante parole ?
Il tourne vers le sol sa face démunie,
Mourir est son seul cri, de vrai apaisement.
II
Mais pleure-t-il sur une source plus
Profonde et fleurit-il, dahlia des morts
Sur le parvis des eaux terreuses de novembre
Qui poussent jusqu'à nous le bruit du monde mort ?
Il me semble, penché sur l'aube difficile
De ce jour qui m'est dû et que j'ai reconquis,
Que j'entends sangloter l'éternelle présence
De mon démon secret jamais enseveli.
O tu reparaîtras, rivage de ma force !
Mais que ce soit malgré ce jour qui me conduit.
Ombres, vous n'êtes plus. Si l'ombre doit renaître
Ce sera dans la nuit et par la nuit.
YVES BONNEFOY
Du Mouvement et de l'immobilité de Douve.
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dimanche, 07 juin 2020
POÈME
Il pleut du soir en fumée ronde
Sur la vallée où boivent les ombres.
Un cheval fourbu écoute les oiseaux.
Il goûte aux choses sonores
Qui parlent dans des langues.
Une peau qui ne sait rien d'elle-même
S'entoure de mots creux
En éteignant la lumière,
par précaution.
Mais on est là,
On sait.
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lundi, 11 mai 2020
DÉCONFINEMENT
Après les confins ?
*
Mon troupeau d’oublis
S’était endormi au pied de mes échos.
Le corps luisant de mes étoiles filantes
Leur avait tracé des haies de cœurs écorchés.
J’entends bientôt monter
La sonate universelle,
La symphonie des solitudes,
Le concert, l'improviste et les ciselures.
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jeudi, 07 mai 2020
POÈME
Et maintenant ?
*
Un seul demain suffira pour commencer.
On fera comme si on savait.
Les tâches, le poids et les mesures
Contiendront le temps, les pas et les saisons.
Une seule saison pour prolonger
L’été de la durée des songes.
Un seul été pour capturer
Les sons déshabillés de l’inconnu,
Qui ne se régénère que de souffrir.
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mardi, 31 mars 2020
POÈME DU CONFINEMENT
CŒUR PARADIS
Cœur paradis, fais de ta transe un animal,
friand de rut et sauvage en son sommeil.
*
Cœur paradis, fais de ton éveil un clandestin,
fleur fiévreuse ou grand chien maraudeur.
*
Cœur paradis, deviens la porte de l’hiver,
fermée de tôle ou traversée de ses blessures.
*
Cœur paradis, fais de ton poids l’armature :
invisible, méthodique et transhumante.
*
Cœur paradis, dans l’être qui remplit et qui vide,
redeviens ce partage où nous aimions caracoler.
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dimanche, 29 mars 2020
POÈME DU CONFINEMENT
Demain est tout à fait creux.
La vie promène son désastre
sur toutes les routes.
J'attends la fin du bruit
et le retour du bruit.
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vendredi, 31 janvier 2020
2020 : OUI, DES POÈMES, ENCORE....
... si la vie veut bien !
***
(Le lieu attend qu’on s’en aille
Pour se remettre à chuchoter.
Je suis de trop, se dit le désespoir.
Presque rien en notre possession,
Répond la voix du noble corps.
Reste le reste.)
***
Avec janvier prend fin le temps des vœux de Nouvel An.
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jeudi, 30 janvier 2020
2020 : QUELQUES POÈMES, ENCORE ?
Je te cherche et tu ne fuis pas.
J’ai la terre et le temps présent.
Je suis galet qui sent la vase tiède.
Je suis cadran de montre au milieu de l’esprit.
Et dans la trace de ton cœur je me perds.
Il me reste les poissons-chats,
L’opacité de l’eau, le confluent maladroit,
Les meubles de l’oubli.
T'ai-je trouvée, ma seule ?
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dimanche, 15 décembre 2019
ELEPHANT MAN
Pour mon calendrier de l'Avent.
Un crâne d'Homo Sapiens.
***
Vase olivâtre et vain d’où l’âme est envolée,
Crâne, tu tournes un bon visage indulgent
Vers nous, et souris de ta bouche crénelée.
Mais tu regrettes ton corps, tes cheveux d’argent,
Tes lèvres qui s’ouvraient à la parole ailée.
Et l’orbite creuse où mon regard va plongeant,
Bâille à l’ombre et soupire et s’ennuie esseulée,
Très nette, vide box d’un cheval voyageant.
Tu n’es plus qu’argile et mort. Tes blanches molaires
Sur les tons mats de l’os brillent de flammes claires,
Tels les cuivres fourbis par un larbin soigneux.
Et, presse-papier lourd, sur le haut d’une armoire
Serrant de l’occiput les feuillets du grimoire,
Contre le vent rôdeur tu rechignes, hargneux.
ALFRED JARRY
***
Le crâne de Joseph Merrick, alias Elephant man, tout en chou-fleur ossifié : vraiment pas l'idée qu'on se fait du petit jésus.
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