lundi, 25 novembre 2024
HONNEUR A BREYTEN BREYTENBACH
J'apprends la mort du grand Breyten Breytenbach. Cette disparition me touche. Pour une raison particulière : je porte dans ma mémoire, pour l'avoir longuement fréquenté, cultivé et admiré, un livre tout à fait étonnant. Il s'agit de Feu froid. (Christian Bourgois, 1976, réimprimé en 1983). Un livre de poèmes qui ne m'a pas lâché depuis le jour où je l'ai ouvert sur le premier texte (abstraction faite de l'estimable préface de Bernard Noël). Voici.
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MENACE DES MALADES
(pour B. Breytenbach)
« Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous présenter à Breyten Breytenbach l'homme maigre au chandail vert ; il est pieux et presse et martèle sa tête oblongue pour vous fabriquer un poème comme par exemple
j'ai peur de fermer les yeux
je ne veux pas vivre le noir et voir ce qui se passe
les hôpitaux de Paris sont remplis de gens blêmes
qui debout devant les fenêtres gesticulent de façon menaçante
comme les anges dans le four
la pluie rend les rues écorchées et glissantes
mes yeux sont empesés
ils/vous m'enterreront un jour humide
quand les mottes deviennent de la viande noire et crue
et les feuilles et les fleurs trop fleuries sont colorées pliées d'humidité
avant que la lumière ne les ronge l'air sue du sang blanc
mais je refuserai de tapir mes yeux
cueillez mes ailes osseuses
la bouche est trop secrète pour ne pas sentir la douleur
mettez des bottes pour mon enterrement afin que je puisse
entendre la boue embrasser vos pieds
les étourneaux retournent leurs têtes ruisselantes et lisses, fleurs noires
les arbres verts sont des moines marmonnants
plantez-moi sur une colline près d'un étang sous les gueules-de-loup
laissez les canards amers et rusés chier sur ma tombe
dans la pluie
les âmes des femmes folles et trompeuses passent dans
des chattes dans les craintes les craintes les craintes
avec des têtes incolores et trempées
et je refuserai de consoler (de calmer) ma langue noire »
Voyez, il est inoffensif, soyez donc indulgents.
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Je n'ai jamais cherché à préciser les contours du contexte, à développer des rudiments d'exégèse ou d'explication de texte. Ce poème s'est un jour dressé devant moi dans tout son mystère, dans toute la consistance compacte et cependant insaisissable de son être. Et je le trouve parfaitement adapté à la circonstance présente. Voilà.
09:00 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésir, breyten breytenbach, afrique du sud
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