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jeudi, 24 mai 2018

BEETHOVEN ÜBER ALLES ...

... UNE FOIS DE PLUS !

Il n'y a pas que les quatuors de Beethoven, dans la vie. Il y a aussi les sonates de Beethoven. Et il y a un point commun entre sonates et quatuors : c'est dans les derniers numéros qu'on trouve la transcendance et le génie à leur plus haut. Je suis en immersion depuis quelques jours, au sens à peine figuré, dans l'Arietta de l'opus 111. Quand je dis immersion, ça veut dire que, quand je ne suis pas en train de l'écouter, je continue à me réciter l'Arietta finale. L'Arietta me chante au-dedans, du matin au soir et du soir au matin (si, si : elle me tient compagnie tout au long de la nuit). Elle a pour ainsi dire élu domicile, pour mon bonheur. J'héberge en ce moment, au fond de moi, l'Arietta de l'opus 111.

C'est très étrange, cette façon d'entrer dans la musique. Ou plutôt : de laisser, à un moment de sa vie, un morceau de musique prendre possession de soi, de façon quasi obsessionnelle. Comme si des circonstances particulières favorisaient une espèce mystérieuse de rencontre, au centre géométrique de quelque part, entre un objet sonore façonné autrefois dans le creuset secret d'un musicien et l'espace intérieur d'un auditeur enfin disponible. Bien malin celui qui peut comprendre le jeu des forces qui sont alors à l'œuvre. Et je me dis que ça ressemble assez bien à ce qui se produit – imprévisible, extatique et aliénant – dans la passion amoureuse.

Rares ont été les moments où eurent lieu de telles collisions (je parle juste de la musique). Ma première fois remonte à l'enfance (j'avais huit ans) : c'était l'Etude opus 25 n°11 de Chopin. Il y en eut d'autres par la suite : le Quintette K516 de Mozart (par le grand Pro Arte de Onnou, Halleux, Prévost, Maas, augmenté d'Alfred Obday), le choral BWV656 (un "de Leipzig"), l'air "Mein teurer Heiland" de la Saint-Jean (« Da neigest du dein haupt und sprichst, stillschweigend Ja") ». Et puis il y eut cette immersion prolongée, presque monomaniaque, dans les eaux lustrales de l'opus 132 de Beethoven, immersion dont je suis, un jour pas si ancien, sorti régénéré. Il y en eut d'autres, pas si rares finalement. 

Aujourd'hui, c'est donc dans l'Arietta de l'opus 111 que je me baigne, et c'est toujours dans le même fleuve (n'en déplaise, je crois, à Héraclite), et toujours avec la même gratitude pour un génie capable de donner naissance à une oeuvre aussi  complète,  aussi gorgée d'elle-même, bref : aussi suffisante. Son auteur en jugea sans doute ainsi, puisqu'il n'écrivit plus aucune sonate par la suite. Il a peut-être eu raison : impossible sans doute de faire mieux (quoique, l'adagio de l'opus 106 ...).

Quoi qu'il en soit, les pianistes de l'ère de la musique enregistrée s'y sont frottés en grand nombre. J'ai un peu exploré. Ci-dessus la version d'une Portugaise jamais ensablée (pardon). Le mouvement est noté « Adagio molto semplice et cantabile ». Deux points à noter : c'est le chant qui prime, et c'est un adagio (pour la simplicité, cela va de soi : pas de chichis, pas de manières, on est entre nous, mais pardon : à quelle altitude !). Et en plus, c'est en do majeur.

La mélodie ? Trois notes, redoublées dans le grave ensuite, avec un développement harmonique dépouillé : un squelette, que le génie de Beethoven revêt d'un corps de chair vivante, dans une manière qu'il connaît par cœur, pour l'avoir infiniment pratiqué : l'art de la variation. Ce qui me semble confondant, c'est la façon dont le maître va amener la reprise du thème : pensez, les trois mêmes notes, mais attention, en habit de gala, accompagnées à la main gauche de triolets luxueux. Un accomplissement.

Cela n'empêche pas les durées de varier considérablement : Wilhelm Backhaus, par exemple, se contente de 13'42", quand Daniel Barenboïm prend son temps, avec 19'29" (ce sont les deux extrêmes de ma discothèque, qui compte neuf références). Mais la durée n'est rien : ce qui compte, c'est le bonhomme (façon de parler) qu'il y a derrière. A mon goût et à l'emporte-pièces, Youra Guller ("pianiste exigeante, secrète, raffinée et même mystérieuse", selon Henri Sauguet) manque de consistance, Glenn Gould de simplicité et Badura-Skoda de flamme. 

Mes versions préférées ? Au premier rang, je mettrais personnellement Maurizio Pollini, puis Emil Gilels pas loin derrière. Mais parmi celles que je connais (Alfred Brendel, Claudio Arrau, ...), aucune ne me paraît jetable, et quelques-unes me transportent. Maria João Pires fait partie de ces dernières. Et je sors de l'épreuve, à chaque fois, épuisé et comblé.

Note : je me demande cependant si, au bout du compte, il n'y a pas des musiques assez puissantes pour échapper à la qualité de leur interprétation, si médiocre soit-elle. 

lundi, 14 novembre 2016

DÉSOLÉ : ENCORE L’ISLAM 1/3

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Lettre grande ouverte à ceux qui gardent "les yeux grands fermés" (piqué à Stanley Kubrick, qui a réalisé sous le titre Eyes wide shut un très curieux film à partir de La Nouvelle rêvée d'Arthur Schnitzler).

1 – Les surprises de Gilles Kepel

Pour parler franchement, j’en ai un peu assez de parler des musulmans, du Coran, d’Allah, de Mahomet. J’ai autre chose à faire que de m’occuper de religion en général, et de l’islam en particulier. Les religions, à commencer par le catholicisme (dont je suis issu), il y a fort longtemps que je les ai abandonnées. Sans regret. Je n'ai guère de goût pour la spiritualité, pour le rituel de la messe, pour les homélies, pour les prières, pour les curés. La seule chose que j'aime dans l'Eglise, ce sont les églises. Romanes si possible : Orcival ; Saint Nectaire ; Saint Austremoine, à Issoire ; Saint Philibert à Tournus ; Vézelay ; Paray-le-Monial ... 

J’aspire quant à moi à respirer un air débarrassé des miasmes de l’encens, que ce soit dans ses variantes catholique, protestante, orthodoxe, juive, musulmane, bouddhiste, taoïste, shintoïste, animiste, mécaniste, tabagiste, bagagiste, pompiste, biologiste, motocycliste, royaliste, existentialiste, humoriste, alarmiste, séparatiste, je-m'en-foutiste, orthopédiste, dadaïste, maoïste, lampiste, harpiste, bouquiniste, récidiviste, anarchiste, conformiste, illusionniste (j'arrête là, mais je pourrais ...).

Je préfère quant à moi m’aérer les poumons quand l’air est animé, par exemple, de cet élan motorique, de cette puissante marche en avant qui habite et caractérise le choral de Leipzig BWV 656. Quand il est joué convenablement. Et pourquoi pas sur l'orgue Kern de la cathédrale de Bourges (concession au gothique).

Oui, j’en ai un peu assez des miasmes religieux qui empuantissent l'atmosphère. Seulement voilà, je lis, j’écoute, je regarde ce qui se passe alentour. Et voilà-t-il pas que ce matin (3 novembre), j’entends monsieur Gilles Kepel revenir sur la question du djihadisme en France. Kepel, je connaissais vaguement, principalement pour avoir lu en son temps La Revanche de Dieu (Seuil, 1991), qui se penchait sur ce qu’on a appelé « le retour du religieux ». Et pour l’avoir maintes fois entendu intervenir sur les antennes des médias. Comme on dit, Kepel est une « voix autorisée » pour parler de l’islam. 

Dans les débats autour du voile, de la burka, et de la présence grandissante de l’islam en France, je le rangeais parmi les tièdes, les défenseurs timides de la « laïcité à la française ». Pour tout dire, je trouvais qu’il manquait de nerf et de lucidité.

Ce matin donc, sur l’antenne france-culturelle, Gilles Kepel raconte qu’il est allé à Bondy (Seine-Saint-Denis, alias 9-3), pour participer à un débat avec les gens qui animent le « Bondy-blog », ce truc "génial" fondé en 2005 après les émeutes banlieusardes, avec l’aide, je crois, de deux journalistes suisses, pour « donner la parole » à la « jeunesse des quartiers ». Tout se passe bien dans un premier temps. Et puis, au cours du débat, il pense tomber de sa chaise quand il s’entend traiter d’ « islamophobe ». Voilà le grand mot lâché.

Islamophobe, ce grand connaisseur de l'islam, s’il en est, et des pays arabes de l’Atlantique à l’Irak, dont il a une longue pratique ! Je ne savais pas qu’on pouvait passer trente-cinq ans de sa vie à travailler sur un sujet qu’on déteste. Il n’en revient pas. C’est la sidération. Du coup, s’il a manqué de lucidité auparavant, les peaux de saucisson sont tombées de ses yeux. Il constate (enfin !) que le « Bondy-blog » s’est vu, progressivement, infiltré par des copains des Frères musulmans.

En fait, l’accusation d’islamophobie est devenue une étiquette commode dans la bouche des musulmans purs et durs à l'encontre de quiconque émet des idées qui leur déplaisent, qu’ils soient « frères », wahabites, salafistes, takfiristes, que sais-je encore. Une étiquette qui vise à disqualifier d'avance tout ce que pourra dire la personne. Il n’a sans doute pas tort : on a déjà vu ça avec, entre autres, Edgar Morin qui se fait traiter d'antisémite parce qu'il ose critiquer la politique d'Israël à l'égard des Palestiniens. Ou avec, dernièrement, Christine Boutin, qui se fait condamner en justice pour homophobie parce qu'elle a osé émettre l'opinion que « l'homosexualité est une abomination ». 

Les activistes musulmans ont vite compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer de l'extraordinaire engouement de toutes sortes de groupuscules pour un mot qui fait des ravages dans les têtes et dans les "débats de société".

Le mot "phobie" fait rage.

Voilà ce que je dis, moi.