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mardi, 16 avril 2013

WILHELM MEISTER DE GOETHE 3/3

 

6 COUPE HEMORRAGIE.jpg

 

ON EST PEU DE CHOSE

 

***

Dans le Christmas pudding (un étouffe-chrétien de première bourre) que représente Wilhelm Meister, le sommet de l’indigeste est atteint à la fin, dans les 400 pages des Années de Voyage, qui consistent pour une bonne part en discours sur la bonne administration des communautés humaines, que ce soit dans la vieille Europe ou dans les terres sauvages, vierges et futures de l’Amérique. On a l’impression, aux personnages sentencieux qui prononcent ces discours interminables, de voir à vue d’œil pousser d’interminables barbes de prophètes déjà grisonnants à la naissance.

 

Je suis injuste : on trouve aussi dans ces trois derniers chapitres un manuel technique complet sur l’art du filage et du tissage du coton. Il fallait que cette importante précision fût apportée, pour montrer le caractère résolument objectif et dépassionné de mes propos sur le livre de Goethe.

 

Cette humanité régénérée est saine, disciplinée. Tout le monde vit dans un bonheur raisonnable et mesuré. Chacun est à sa place et sait ce qu’il a à faire. Quand Wilhelm laisse son fils Félix (qu’il a eu de Marianne, tiens, j’ai oublié d’en parler) aux mains d’une communauté éducative, il observe que les enfants, suivant leur état d’avancement, se mettent, quand un étranger approche, au garde-à-vous les uns regardant le sol, les autres regardant le ciel, et les derniers regardant … (je ne sais plus). Il faut savoir que ce sont des symboles. Si vous voulez l’explication, je vous laisse aller voir. Tout ce que font les gens a été pensé en fonction du but recherché.

 

J’avais, dans le temps, fait une brève irruption dans la Communauté de l’Arche, quelque part au fond des Cévennes : j’ai retrouvé chez Goethe l’impression que m’avait laissée cette visite. Et ayant un temps côtoyé des gens appartenant au mouvement de l’ « anthroposophie », je ne m’étonne plus que Rudolf Steiner, le fondateur de la secte, ait été à ce point imprégné de l’esprit de Goethe qu’il a appelé son institution "Goetheanum" (Dornach, Suisse).

C 1976 LANZA DEL VASTO MALVILLE.jpg

LE PARTRIARCHE DE L'ARCHE, LANZA DEL VASTO (MODERNE WILHELM MEISTER ?), EN 1976, SOUS BONNE SURVEILLANCE

(photo parue dans Le Mouna frères, alias Mouna Dupont, alias Aguigui Mouna)

 

Je ne veux pas dire trop de mal de Rudolf Steiner, car il fut un esprit très vaste, aux centres d’intérêt multiples (par exemple inventeur de l’agriculture biodynamique, cf. l’école de Beaujeu, dans le Beaujolais, de Victor et Suzanne Michon), et fut sans doute sincèrement préoccupé du bonheur de l’humanité.

 

Je dois dire, cependant, que le seul contact que j’ai eu avec sa pensée fut un livre étrange où il parlait des "sept corps" de l’homme (sur l'Coran d'La Mecque, j'te jure qu'c'est vrai, même que ça finissait par le corps astral, enfin je crois me souvenir), et où les caractères d’imprimerie grossissaient à mesure qu’on allait vers le milieu, pour décroître ensuite jusqu’à la fin. Pour évaluer l'apport de Rudolf Steiner à l'humanité, comme dirait Charolles, l'ineffable inspecteur de l’immortel commissaire Bougret : « Ben patron, comme indice, c’est plutôt maigre ». Je m'abstiendrai donc de gloser davantage.

BOUGRET INDICE.jpg

J’ai bien essayé de mettre le nez dans le Traité des couleurs de Goethe lui-même, mais il m’a très vite fait mal à l’ongle incarné sur lequel il est tombé au bout de six minutes vingt-deux. Vous direz que je n’avais qu’à pas, et vous aurez raison.

 

Pour finir sur Goethe romancier, je dirai ceci : son Werther doit être considéré comme une erreur de jeunesse, car il ne ressemble en rien au personnage dans lequel il a fini, adulé des masses et ami des puissants. Les Affinités électives ? Pourquoi pas ? Mais avec cette faiblesse insigne de concevoir des personnages comme des corps chimiques qui, en présence d’autres corps, réagissent en fonction de leur nature et non de leurs désirs. C’est important : le désir de Julien Sorel pour Madame de Raynal modifie Madame de Raynal elle-même et, ce faisant, conduit le roman de façon décisive.

 

C’est peut-être finalement ce qui me rebute le plus dans les romans de Goethe : la place du désir agissant. Pour lui, le désir n'a guère d'existence face à la nature de chaque être : chacun doit se mettre à l'écoute de ce qui vient de ses profondeurs et, guidé par un maître soucieux de laisser parler cette nature profonde, trouver lui-même sa voie. Pour Goethe, le désir détruit la nature.

 

Pour Goethe, le désir est une menace et, comme tel, il doit être muselé et sévèrement tenu en bride par la raison. C’est pourquoi ses personnages ne vivent pas. Certes, Werther vit une passion, mais comme c’est une impasse sociale, il en meurt. Et pour Goethe, la mort de Werther finira par être une bonne chose.

 

Dans ses deux autres romans, il aura soin de placer le désir dans le carcan sévère des convenances de la raison et de l’équilibre social, qui doivent être les objectifs de toute société humaine. Ce qui est effrayant, dans les romans de Goethe, c’est cette obsession de la mesure et de l’équilibre : il s'agit de gérer la vie humaine, individuelle et collective, "en bon père de famille".

 

C’est finalement insupportable, ces personnages de Wilhelm Meister, tous pris dans la carapace de leur absence de désir vrai. Goethe, s'il avait vécu aujourd'hui, aurait peut-être (restons prudent) embrassé les carrières de la comptabilité et de la gestion.

 

La littérature romanesque de Goethe est celle d’un administrateur de l’humanité, froid et rationnel, dont l’œil est celui du gestionnaire soucieux d’optimiser le rapport entre le risque et le bénéfice, entre la colonne des recettes et la colonne des dépenses. Et la seule solution qu’il envisage pour résoudre l’équation est de couper les couilles au désir. Eh bien, à mon avis, sauf son respect, Goethe romancier peut aller se faire foutre.

 

Pour mon compte, je vote sans barguigner pour Ernst Theodor Amadeus Hoffmann. C'est sûr qu'il souffre beaucoup, qu'il échoue beaucoup, qu'il n'est pas souvent heureux, mais bon dieu, que tout ce qu'il a écrit vit intensément, vibre dans l'air qui passe et vivifie celui qui lit, en comparaison ! Avec ses romans, Goethe a inventé l'inerte en littérature.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 15 avril 2013

WILHELM MEISTER DE GOETHE 2/3

 

2 COEUR INFARCTUS.jpg

ON EST PEU DE CHOSE

(et se faire traiter de "vieil infarctus", palpez l'insulte !)

 

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Nous parlions donc du dernier roman d'un homme très à la mode autour de 1830 : Wilhelm Meister. L'homme en question n'est autre que le très majestueux et très chic Wolgang Goethe.

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En réalité, dans ce « roman », il n’y a aucun personnage. Je veux dire : qui soit de chair et de sang, dont le caractère dirige les actions. La meilleure preuve, c’est que tous, sans aucune exception, donnent l’impression de glisser les uns sur les autres sans se modifier les uns les autres.  A proprement parler, il n’y a aucune interaction entre les personnages. Ils sont là, définitivement extérieurs les uns aux autres. Ils ne sont pas là pour eux-mêmes, c’est pour ça qu’ils n’ont ni chair, ni sang, ni caractère.

 

Même le personnage de Mignon (qu'on se demande comment Ambroise Thomas en a tiré l'argument et la substance de tout un opéra), que Wilhelm, pour dire le vrai, achète au saltimbanque qui la maltraite, n’a d’existence que théorique. On sent bien que son amour pour Wilhelm est une décision du romancier, mais pas un élan de cette fille déguisée en garçon. Et quand elle meurt (on ne sais pas de quoi précisément), c’est comme si on regardait faire, de loin, avec des jumelles, dans l'eau d'un aquarium. Goethe a inventé la « littérature à grande distance ».

 

Mais il est vrai, tout bien pesé, que Mignon est le personnage qui se détache sur le fond d'inexistence de tous les autres. Un personnage qui, me semble-t-il, a quelque chose à voir avec le Bartleby de Herman Melville, qui finit par se laisser mourir, tout simplement parce qu'il a un seul credo : « I would prefer not to ». Elle, elle meurt après avoir (enfin !) revêtu des vêtements de fille - on n'ose pas dire parce qu'elle les a revêtus.

 

Mignon est attachante, parce qu'elle a voué sa vie à ce Wilhelm qui est loin de la valoir, qui est incapable d'envisager l'énormité du don qu'elle lui fait (elle lui fait don de toute sa personne, sans attendre rien en retour, le genre de don dont il est impossible qu'un homme ordinaire se remette jamais), et qui, quand il contemple son agonie et sa mort, est dans l'incapacité d'éprouver ce qu'on appelle un sentiment humain. Wilhelm est un bloc de gélatine. Une molle pâte à modeler. A peine se demandera-t-il quel corps féminin lui a tenu compagnie dans une auberge, une nuit après boire : est-ce Philine ? Ne serait-ce pas plutôt Mignon ?

THOMAS MIGNON.jpg

Wilhelm, soi-disant dans sa période d’apprentissage, qui dure tout de même quasiment 600 pages, traverse les situations, les personnages, les événements, à peu près en ligne droite, et sans en être effleuré. A aucun moment il n’est modifié par ce qui lui arrive ! Et pourtant, à l'arrivée, il est digne d'entrer dans la secte des "Renonçants". Par quel prodige ?

 

A la réflexion, le prodige est peut-être simplement la numérotation des événements censés animer le roman, dans l'ordre chronologique. Goethe a dressé la liste de tout ce qui devait se passer autour de son Wilhelm, et en bon comptable, il coche chaque case une fois qu'il l'a remplie.

 

Pour comparer, prenez Julien Sorel, Eugène de Rastignac ou Lucien de Rubempré : une fois le livre refermé, aucun n’est semblable à ce qu’il était au début. La vie que son auteur lui a fait vivre a bouleversé ses points de repère et, entre l'incipit et l'excipit, le monde lui-même a changé. Eh bien pas Wilhelm ! Comme Tintin sous la plume d’Hergé, ma parole, la houppe toujours aussi droite à la fin qu'au début !

 

Au point que je me demande vraiment ce qu’il a pu apprendre. Si, bien sûr ! Goethe ne se prive pas de dire qu’il apprend. Ah ça, il ne nous épargne pas beaucoup de conversations, de comptes rendus d’observation, et tout et tout. Mais à aucun moment le lecteur ne voit ce qu’il apprend en train d’entrer en lui. Aucun effort, aucune contention de l’esprit.

 

On ne le voit jamais travailler pour apprendre : Wilhelm Meister, braves gens, se contente de passer. Comme Johnny Halliday dans L’Idole des jeunes, Wilhelm Meister, qu’on se le dise, pourrait chanter : « Je cherche celle qui serait mienne, Mais comment faire pour la trouver ? Le temps s’en va, le temps m’entraîne, Je ne fais que passer ». C’est ça, son apprentissage. 

HALLYDAY IDOLE.jpg

D’accord, il écoute, il regarde, mais il ne fait pas grand-chose. Plus grave : il ne ressent rien. Un comble, dans un livre où le maître-mot, entre autres, est « activité ». La clé de cette bizarrerie est dans le statut social auquel se destine Wilhelm : il le porte d’ailleurs dans son nom. Il ne sera jamais un ouvrier ou un artisan. Ce ne sera pas un manuel. Il sera chef. Wilhelm se forme pour devenir Meister (Maître). Mais quand il sentira sa véritable vocation de chirurgien monter en lui, il le sentira en véritable abruti.

 

Puisque j’en suis aux mots-clés, j’ai déjà mentionné « activité ». Il y a aussi « sérieux », « morale ». Il s’agit dans l’ensemble de se rendre « utile » à la population en lui procurant une « activité » « sérieuse », dans laquelle, avec modestie et application, elle trouvera son équilibre. Le ton de tout le livre, au fond, est professoral d’un bout à l’autre. Goethe veut faire le bonheur de l’humanité en lui enseignant les moyens concrets les plus propres à lui permettre de l’atteindre.

 

A cette fin, il intercale dans son récit des épisodes qui l’interrompent, mais aussi le nourrissent. Ainsi, tout le Livre VI des Années d’apprentissage est constitué par la « confession d’une belle âme », épouvantable et éprouvant journal tenu par une jeune femme soucieuse d’élever son âme vers des altitudes éthérées et vertueuses ; laborieux et besogneux journal édifiant d’une abstraction humaine, sorte d’idéal désincarné ou d’ectoplasme vague proposé comme modèle à toute femme qui tiendrait à se respecter. La femme supposée avoir tenu ce journal s’appelle Macarie (si j’ai bien compris). Or Macarie vient en droite ligne de μακαριος, qui, en grec, signifie « bienheureux ». Mais elle n’existe pas : elle vaticine.

 

Un mot des quelques chapitres intitulés « L’homme de cinquante ans ». Cette histoire intercalée se veut évidemment aussi édifiante que le reste. Un capitaine ou un major, je ne sais plus, a une sœur qui est mère d’une jeune fille. Celle-ci est promise au fils du major, qui se trouve éloigné, j’ai oublié pourquoi. Elle s’amourache du père, qui a entrepris, sous l’influence d’un homme qui travaille dans le théâtre, une cure de rajeunissement au moyen de toutes sortes d’artifices.

 

Le fils, de son côté, se voit circonvenu par les manœuvres séduisantes d’une jeune veuve, très courtisée, et se verrait fort bien l’épouser. Le père est embêté, mais finit par se faire à l’idée d’épouser une jeunesse, et s’y voit conforté après une entrevue « à cœur ouvert » avec son fils. Mais qu’on se rassure : les promis s’épouseront malgré tout, et le père se fera une raison en épousant lui-même la jeune veuve.

 

Le point cuculminant de la cucuterie est atteint au début des 400 et quelques pages des Années de voyage, quand Goethe fait rencontrer à Wilhelm ni plus ni moins que Saint Joseph, et la Vierge Marie, dans une forêt des montagnes, en train de refaire le coup de « la fuite en Egypte » (titre du 1er chapitre, le 2ème étant intitulé « Saint Joseph II »). L’auteur n’a même pas oublié l’âne et le petit Jésus. Et il nous fait visiter la crèche. Mais on ne va pas jusqu'à la croix, il ne faut pas exagérer.

 

C'est tellement gravement niais que cela en devient attendrissant.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 14 avril 2013

WILHELM MEISTER DE GOETHE 1/3

 

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ON EST PEU DE CHOSE

 

***

Parenthèse inaugurale : François Hollande croit faire une diversion fructueuse en publiant le patrimoine des ministres ? Mon oeil ! Ce n'est pas le patrimoine des politiques qui est le problème. Une fois de plus, la classe politique ouvre la boîte à fumée, espérant mettre le couvercle sur l'essentiel (voir ici même les jours précédents).

 

***

 

Madame, Mademoiselle, Monsieur, autant le dire tout de suite : j’ai terminé la lecture de Wilhelm Meister, de Wolfgang Goethe. Enfin, quand je dis terminé, je devrais plutôt dire que j'en suis « venu à bout ». L’invraisemblable pensum, mes amis ! Comme disait mon père, quand nous tordions le nez sur la nourriture : « Quinze jours sous une benne ! Des briques sauce cailloux et des cailloux sauce brique ! Voilà tout ! ».

 

Eh bien, pour obtempérer, peut-être, j’ai bu le calice jusqu’hallali (je peux me permettre : qui sait concrètement ce que c'est, la lie ?), même si je me suis plusieurs fois adressé à lui : « Père, éloigne de moi ce calice ! ». Mais il semble que je ne m’appelle pas Jésus, ni mon père Dieu. Dont acte. Je ne l'ai d'ailleurs jamais cru, ni n'en ai fait mystère.

 

Je suis donc venu à bout de ce truc indigeste ! De la page 367 à la page 1353 du volume Pléiade des romans de Goethe : pas tout à fait mille pages ! Je ne crains pas d'affirmer haut et fort que j’ai survécu ! Je ne dirai pas, comme Sacha Guitry : « Si l’on pouvait mourir d’ennui, je serais mort à Angoulême » (cette phrase, merveilleuse de vacherie, est dans Les Mémoires d’un tricheur). Eh bien pour ce qui est de l’ennui, le Wilhelm Meister de Goethe, pour le lecteur, vaut largement l’Angoulême de Guitry, pour le bidasse. Goethe n'est pas un romancier.

 

 Pour le dire franchement, je n’ai jamais rien lu de plus profondément emmerdant, de plus essentiellement et mortellement mortel ! Mais comme c’est, paraît-il, un chef d’œuvre incontournable de la littérature mondiale, je tenais absolument à en avoir le cœur net : il fallait que j’allasse (si si !) jusqu’au bout, pour pouvoir, m’étant fait une opinion concrète et directe de la chose, en parler en pleine connaissance de cause.

 

Si on veut dire du mal de quelqu'un, autant savoir de quoi on cause. Je ne suis pas comme Pierre Bayard, l'auteur de Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? . Je signale en passant que ceux qui attribuent à Pierre Bayard la paternité de l'expression "plagiat pas anticipation" sont à la fois de vulgaires ignorants et des ignorants vulgaires. Revenons à Goethe.

 

Je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau le Klein Zaches d’E. T. A. Hoffmann (Le Petit Zachée surnommé Cinabre) que j’ai évoqué récemment : « En outre, Candida avait lu le Wilhelm Meister de Goethe, les poésies de Schiller, l’Anneau magique de Fouqué, et en avait oublié presque tout le contenu ». Je me permets d'insister sur : "en avait oublié presque tout le contenu". 

 

Qu’on se rassure, je ne m’appelle pas Candida et je ne suis pas la fille du très savant Mosch Terpin : il me reste quelques bribes de ma lecture. Qu'on se rassure au carré : je ne ponds pas ici un machin savant, genre frais émoulu de l'Université. Je m'en voudrais. Je veux juste faire part à qui en veut des impressions ressenties lors de la lecture par un lecteur de bonne foi.

 

Première remarque : Goethe pouvait, s’il l’avait voulu, faire tenir ses 1000 pages dans 200. Nul n’arrivera à me persuader du contraire. L’histoire aurait même pu tenir dans le format « nouvelle ». Qu’est-ce que ça raconte ? Wilhelm est un fils de bourgeois qui devrait se préparer au noble métier de gérant de l’entreprise paternelle, florissante au demeurant. Mais il s’est entiché de théâtre en général, et de la jeune actrice Marianne en particulier, avec laquelle il file le parfait amour.

 

Envoyé sur les routes pour récupérer quelques créances, le hasard place sur sa route une troupe d’acteurs, dont il va suivre quelque temps le destin médiocre et mesquin, comme producteur, puis comme auteur et même acteur. Après la troupe de Mélina, il entre chez Serlo, acteur chevronné, puis il se donne comme mission d’annoncer au seigneur Lothaire la mort d’Aurélie, son amante délaissée.

 

Au château de celui-ci il retrouve Jarno, qui lui avait fait une curieuse impression au château du comte. Il faut savoir que ce comte a versé dans le mysticisme après avoir vu Wilhelm déguisé, qu’il a pris pour un autre lui-même, et que la comtesse en pinçait secrètement pour le jeune homme. Il faut savoir que Wilhelm a gravé dans son cœur l’image d’une belle « Amazone », qui n’est autre que Nathalie, qui l’a fait soigner dans la forêt où la troupe a été attaquée par des bandits.

 

J’espère que vous suivez. Non ? Alors j’arrête. D'ailleurs moi aussi, j'ai du mal à suivre. J’arrête donc. Finalement, il y a pas mal de détails. Mais ces détails, tout le monde s'en fout, car ils ne sont là que pour espérer produire, sur le lecteur, je ne sais quels effets de réalité. Il y a donc beaucoup de détails. C’est un peu normal, vu le nombre de pages. 

 

Mais ces détails, comment dire ? Ce sont des péripéties qui se déroulent sans être vécues. Tiens, je crois qu’il y a du vrai dans la formule qui vient de me venir. Personne n'est doué de vie, dans ce livre. C'est un livre mort. C’est un livre qui, quelque bonne volonté qu’on y mette, vous reste totalement extérieur. Les personnages n’existent pas, ou si peu. Personne ne prend vie sous la plume de l'auteur.

 

Pour une raison assez claire : les actions que l’auteur leur prête n’agissent jamais sur le cours des événements ou sur les autres personnages. Leur peu d'existence personnelle tient aussi à leur absence de profondeur psychologique : Goethe se contente, pour les définir, d'un trait caractéristique, ce qui suffit à peine à en dessiner une silhouette qu'on pourrait mémoriser. Et ne parlons pas d'identification du lecteur !

 

Même la curieuse Philine, cette fille jolie et rendue complètement fofolle par son aspect primesautier, a bien du mal à exister. C’est un personnage théorique, dont le lecteur sent très vite qu’il est là pour figurer dans le casting. Avec les ectoplasmes de personnages qu’il invente, Goethe semble avoir procédé comme une équipe de télé-réalité préparant la prochaine série : un peu pour tous les goûts.

 

Les autres personnages féminins qui assaillent l’apprenti Wilhelm sont à l’avenant : Marianne l’amoureuse engrossée, Philine, la séductrice écervelée, Thérèse, qui se résoudrait bien au mariage, mais …, la comtesse, avec sa faiblesse coupable. Même que Aurélie, l'actrice, on ne sait pas bien, pour finir, pourquoi Wilhelm se fait un devoir d’aller engueuler Lothaire de l’avoir abandonnée et laissée mourir (de quoi, d'ailleurs ? On ne sait pas).

 

Et je vais vous dire : on s’en fout.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 15 mars 2013

MON DERNIER VISAGE APRES LA VIE ?

 

HYPERTRICHOSE 5.jpg

ON NE FERA PAS ATTENTION AUX CHAUSSURES DEPAREILLEES, MAIS ON OBSERVERA LE CAS INTERESSANT D'HYPERTRICHOSE PUBIENNE

(qui oserait imaginer ainsi Mélisande à son balcon, laissant, sur Pelléas, négligemment pendre ses cheveux ? On pourrait aussi lui suggérer de faire une tresse ? )

(à ne pas confondre non plus avec le "tablier de sapeur" servi dans les bouchons lyonnais, et encore moins avec la moustache de Brassens dans La Fessée :

"Un tablier de sapeur, ma moustache, pensez,

Cette comparaison méritait la fessée".)

 

***

Le sujet dont auquel je causais était celui de la ressemblance et de la vraisemblance des masques mortuaires, moulés sur le visage de personnes plus ou moins célèbres après leur décès.

 

On me dira que tout dépend de la façon dont le photographe a saisi l’image du masque, de l’éclairage dont il s’est servi, de l’état du masque qu’on lui a procuré, s’il en existe plusieurs, de la patine du temps, de la couleur, de la saleté éventuelle, des soins apportés à sa conservation, que sais-je encore.

 

ROUSSEAU 2.jpgLe cas de Jean-Jacques Rousseau est caricatural :ROUSSEAU 3.jpg pour ainsi dire et visiblement, ce n’est pas du même mort qu’il s’agit. Jean-Jacques est-il ce buste aux nez, lèvre supérieure et menton coupés (à g.), trouvé sur Internet ? Est-il cet autre buste, de parfaite conformation (à d.) ? J'ai tendance à opter pour ce dernier, qu'on trouve dans l'ouvrage de Maurice Bessy, Mort où est ton visage ? (Editions du Rocher).

 

On chipotera à propos de cette curieuse blessure au front, semblable à une vulgaire « tache de vin », comme on ne dit plus, car tout jeune parent sait ce qu'est un « angiome » (« agglomération de vaisseaux hyperplasiés ou ectasiés », tout le monde vous le dira). Certains sont même en mesure de distinguer l'angiome « stellaire » de l’ « aranéen » et du « caverneux », voire du « nodulaire », pour dire que c'est passé dans le langage courant.

 

HUGO 4.jpgPassons rapidement sur les divers états du « Victor Hugo », où seule la « décoration » fait la différence ; WASHINGTON 2.jpgsur le « George Washington » : un seul masque a visiblement servi, mais éclairé autrement ; sur le « Léon Gambetta »,GAMBETTA 2.jpg qu’on a tout de même du mal à reconnaître. La place manque pour tout mettre : je ne voudrais pas que ça tire en longueur.

 

 

 

 

 

BEETHOVEN 2.jpgTournons-nous, pour finir en beauté, sur la question que pose le masque mortuaire de Ludwig van Beethoven, l’absolu génie de la musique européenne de tous les temps. Comment se fait-il que son masque mortuaire le plus connu et le plus vendu le présente sous un aspect, certes sévère comme on le connaît par ailleurs, mais avec des joues encore bien pleines (ci-contre) ? 

 

Maurice Bessy, qui présente l’exemplaire conservé à Princeton University, note pourtant : « Moulé quarante-huit heures après le décès de Beethoven, son masque reflète les souffrances endurées pendant son agonie ». Et quand on a suivi le récit de cette agonie, on sait que c'est le masque ci-dessous qui est le VRAI.

BEETHOVEN 3.jpg

LÀ, JE VAIS VOUS DIRE, ON TOUCHE AU SURHUMAIN.

ÇA VOUS A TOUT DE SUITE UNE AUTRE GUEULE.

Que les dévots d’un mort célèbre aient tendance à magnifier les traits de leur idole est, certes, compréhensible et humain, mais néanmoins regrettable. BRAHMS JOHANNES.jpg

 

Regardez la lippe inférieure toute tordue du grand Johannes Brahms (ci-contre), la bouche édentée de Jonathan Swift ou de William Turner, la moustache de travers de Friedrich Nietzsche. Tout semble avoir été laissé tel quel. Ceux qui ont pris ces moulages ont eu bien raison de ne pas les "embellir".

 

Ces grimaces sont-elles pour autant des laideurs ?

 

Notez que je me contente de poser la question, bien qu'elle sente son jésuite et que la réponse ne fasse aucun doute : c'est non. C'est même le contraire, je veux dire : oui, c'est une "beauté". Une beauté singulière, certes, mais aussi singulière et belle que l'individu entier tel qu'il aboutit à sa dernière physionomie.

 

ARTAUD ANTONNIN.jpgOn se prend à regretter l’écart criant qui oppose, parphotographie,monstres,freaks,hypertrichose,georges brassens,masques mortuaires,jean-jacques rousseau,victor hugo,george washington,léon gambetta,ludwig van beethoven,brahms,friedrich nietzsche,jonathan swift,william turner,antonin artaud,paul verlaine,wolfgang goethe,kant,romain gary exemple, les dernières photos prises du vivant d’Antonin Artaud (le torturé, à d., je regrette de n'avoir pas mieux à montrer) et le bel état que laisse supposer son masque mortuaire (à g.).

 

Même chose pour Paul Verlaine, qui était, vers la fin, dans un triste état, qu’on ne retrouve aucunement sur le moulage de sa tête.

 

 

J’ai, quant à moi, toujours éprouvé la tentation d’entrer dans la chambre mortuaire où gisait un familier, avec un appareil photo pour un dernier portrait de la personne. Ce n'est pas sentimental : faute de leur masque, que je suis inapte à prélever, je voudrais au moins garder leur effigie photographique.

 

 Si j’étais passé à l’acte, sans doute au grand dam des autres personnes présentes, je me serais bien gardé de passer le cliché par « photoshop ». « Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change » (Tombeau d'Edgar Poe, de Stéphane Mallarmé) sonne comme un impératif.

 

Quelle force m’a à chaque fois retenu d’apporter ma machine et d’en faire usage ? Je ne saurais le dire exactement. Disons que je ne me suis pas senti le droit. Le droit de voler peut-être quelque chose au disparu, peut-être de violer sa mémoire. Pas le droit, voilà tout. Je ne regrette pas d’avoir éprouvé ce scrupule. Quoique ...

 

GOETHE 1 WOLFGANG EN 1807.jpgQuant à moi, mon dernier visage après la vie, vous voulez que je vous dise ? Je crois qu'il ne m'appartient pas. Il sera ce que d'autres en feront et garderont. L'avenir des morts est laissé aux bons soins des vivants. Qui, parmi les morts du passé qui ont été ainsi immortalisés, avait émis de son vivant le souhait de rester sous la forme d'un masque de plâtre ? Il aurait fallu une singulière vanité narcissique.

 

Goethe (à g.), qui ne faisait apparemment confiance à personne, a fait prendre un moulage de son visage à 58 ans, en 1807. Il devait mourir vingt-cinq ans après. On n'est jamais si bien servi que par soi-même... KANT IMANUEL.jpg

 

Par contre, le pauvre  philosophe Kant n'a pas pris cette précaution, et voilà ce qui lui est arrivé. Il n'appert pas cependant que la diffusion de son oeuvre en ait notablement souffert.

 

 

 

 

 

Mais qui croit se posséder assez pour prétendre disposer de soi (et de son bien) quand il aura franchi la limite au-delà de laquelle son ticket ne sera plus valable (merci pour la formule, monsieur Romain Gary) ? Je n'envie pas le travail de ceux qui sont payés pour embellir les morts à seule fin de complaire aux vivants.

 

Vous voulez que je vous dise ? De moi, ce qui a toujours échappé à tout le monde, cela seul m'appartient en propre, et cela mourra avec moi. Mon dernier visage après la vie en fera-t-il partie ? La réponse à cette question n'est pas de mon ressort.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 06 mars 2013

LE WERTHER DE GOETHE

 

GRACE MAC DANIEL & SON FILS.jpg

GRACE MAC DANIEL ET SON FILS

 

***

Une légende tenace veut qu’après la parution des Souffrances du jeune Werther, œuvre célébrissime de Wolfgang Goethe, l’Allemagne ait connu une vague de suicides par amour de jeunes gens ou jeunes filles qui s’identifiaient par trop au malheur du héros. J’avoue que je n’ai pas cherché à savoir si la légende est fondée en réalité. Quoi qu’il en soit, je n’avais jamais lu l’œuvre. Je la connaissais par Massenet interposé (« Pourquoi me réveiller au souffle du printemps ? »). Je ne l’avais pas lue. J’ai réparé cet oubli.

 

Eh bien je vais vous dire : pas de quoi se réveiller la nuit. Enfin, je devrais plutôt dire : pas de quoi s’identifier à Werther aujourd’hui. Question d’époque, forcément. L’ouvrage est d’une grande brièveté (120 pages "Pléiade"), l’histoire est angéliquement simple, et pour une raison elle-même très simple : le livre a été écrit d’un seul jet, en quatre semaines. C’est Goethe qui le dit.

 

Il dira aussi, beaucoup plus tard dans sa vie, qu'il ne comprend pas comment il a pu l'écrire : il ne le reconnaît plus pour sien.Une sorte de « lâcher de barrage », un « péché de jeunesse », quoi, si j’ose le dire ainsi. Comme s'il avait ôté la bonde (vous savez : « Et plus j'lâche la bonde à mon émoi, Et plus les copains s'amusent de moi », Le Fossoyeur, de Tonton Georges).

 

De quoi s'agit-il ? Un jeune homme brillant et cultivé, issu d’une famille bourgeoise, promis à une belle carrière dans la diplomatie, « prend des vacances » (il y va avec la ferme intention de ne rien faire de concret, mais de se laisser vivre, je veux dire qu'il s'est mis disponible, ce qui veut dire « dans l'attente de donner une direction à sa vie », c'est moi qui le dis) dans un coin d’une campagne charmante. Le livre commence sur des louanges à la bienheureuse et bienfaisante Nature. On se croirait, pour un peu, chez Jean-Jacques Rousseau, dans les Rêveries du promeneur solitaire. On n'est pas contre.

 

Il fait la connaissance de la jeune Charlotte, fille du « Bailli », orpheline de mère, aînée et donc responsable d’une imposante fratrie. Il sent bientôt qu’une mystérieuse harmonie met leurs âmes en correspondance. Hélas, elle est promise à Albert, et comme il a un tant soit peu de sens de l’honneur, il ne pense à aucun moment à remettre cette promesse en question.

 

Et puis, quand Albert revient au village, qu’il est clairement établi que Charlotte n’est pas pour lui et qu’elle-même adhère au projet de mariage, la vie ne tarde pas à devenir pour lui pénible à supporter. Il tente bien de s’éloigner et se fait nommer assistant d’un ambassadeur.

 

Mais très vite, il se rend compte qu’il n’est pas fait pour les convenances sociales et la bienséance hiérarchique qui consisterait pour lui à ne pas mélanger sa roture à la noblesse aristocratique (il est, qu’on se le dise, sans préjugés de classe). De plus, il est en très mauvais termes avec l’ambassadeur. Il démissionne donc et retourne au village, où il retrouve Charlotte et Albert mariés.

 

Ayant tiré un trait sur l’amour qu’il éprouve pour Charlotte, ayant jugé que la « carrière » diplomatique et sociale était pour lui une impasse, dès lors qu’il se refusait à entrer dans le jeu des impostures, il se retrouve devant un mur existentiel. Ce qui le soutient encore, c’est l’espoir que lui laissent entrevoir certains flux d’empathie (d’amour ?) qui lui parviennent de Charlotte.

 

Un dernier tête-à-tête avec Charlotte, intense et désespéré, le décide à en finir. Comme il entre inopinément chez elle, affolée, elle voudrait convoquer de la compagnie, des témoins, mais se retrouve finalement seule avec Werther. Cette scène est étrange : elle lui demande de lire ce qu'il a traduit des poésies d'Ossian, le célébrissime (à l'époque) mais fictif barde écossais (c'est en fait Mac Pherson, le prétendu traducteur, l'auteur des poésies).

 

Il s'exécute. Ossian, fils de Fingal (cf. La Grotte de Fingal, de Mendelssohn), est donc censé avoir écrit au IIIème siècle ces chants de guerre et d'amour d'un pays de brume et de rochers. Le texte résonne profondément dans le coeur des deux jeunes gens, Charlotte pleure, puis le prie de continuer :

 

             « Pourquoi m'éveilles-tu, souffle du printemps ? Tu me caresses   et dis : "Versant des gouttes célestes, j'apporte la rosée" ; mais le temps de ma flétrissure est proche ; proche est l'orage qui abattra mes feuilles. Demain viendra le voyageur, viendra celui qui m'a vu dans ma beauté ; son oeil me cherchera tout autour dans les champs, il me cherchera, et ne me trouvera point ».

 

Les dernières paroles sont évidemment lourdes de sens. Emue au plus profond d'elle-même, elle se laisse aller entre ses bras, puis se ressaisit : « Et puis, jetant sur le malheureux un regard plein d'amour, elle courut dans la chambre voisine, et s'y enferma ». Il s'éloigne. Il a emprunté à Albert ses pistolets, en vue du « voyage » annoncé. Quand elle apprend la mort de Werther, Charlotte s’évanouit aux pieds d’Albert. C’est un aveu ?

 

Le plus étonnant de l’histoire, c’est l’impression d’évidence qui s’en dégage. Je parlais de « lâcher de barrage ». L’image est sans doute très impropre, peu pertinente. Mais je n’arrive pas à traduire autrement cette impression d’évidence. Pour dire la même chose autrement, je parlerais volontiers de « pureté de la ligne » qui conduit le récit.

 

Il y a de ça : certes, il y a un trio (Werther-Charlotte-Albert), mais il se ramène à Werther seul, face à son amour impossible pour Charlotte, du fait de l’existence d’Albert. Car il n'y a pas de trio : il ne faut pas oublier que le récit passe principalement par les lettres que Werther adresse à Wilhelm. Le « je » du narrateur occupe toute la place, et le monde est vu à travers lui.

 

Le livre se répartit en deux « livres » de taille inégale, car le deuxième s’interrompt pour laisser parler « l’éditeur », dès que les « renseignements écrits de sa propre main » par Werther ne suffisent plus, et qu’il est obligé de les suppléer (v. trans.) par des « récits ».

 

Je parle de « pureté de la ligne », je pourrais dire que le récit suit carrément une trajectoire rectiligne, et que Werther (excepté la parenthèse mondaine à l’ambassade) passe, selon un mouvement presque rectiligne, du bonheur le plus parfait dans la nature et parmi les gens simples de la campagne, au sentiment de l’amour, puis à la perception de son impossibilité, puis à la certitude que sans cet amour, il ne peut plus envisager d'avenir pour son existence, ce qui le conduit à en tirer la conclusion logique. La gradation est permanente et régulière.

 

Je ne dis pas que le livre ne touche pas le lecteur. Au contraire, par la magie du « je », celui-ci voit le monde, ressent les choses, leur succession, les péripéties par les yeux et les sens mêmes du narrateur. Je ne saurais dire à quel moment cette identification cesse de fonctionner. Est-ce quand il perçoit comme idiote la soumission de Werther à l’idée que Charlotte doit épouser Albert ? Ne pourrait-il pas enfreindre, se dirait-on, aujourd’hui où l’infraction est quotidienne et banale ? C’est peut-être l’impureté de ce sentiment interdit de Werther pour une fille déjà pr(om)ise qui constitue cette infraction qui le condamne. Allez, c’est parti pour l’exégèse, l’herméneutique et l’interprétation. Il est temps que je m’arrête.

 

Je ne suis pas mécontent d’avoir fait cette lecture. Sans doute une référence, certainement pas un phare littéraire universel. Je suis désolé.

 

Voilà ce que je dis, moi.