lundi, 21 avril 2014
QUE PEUT LE POLITIQUE ?
On ne se refait pas : personne ne peut se remettre définitivement de l'idée qu'il lui est radicalement impossible ou interdit de refaire le monde. Donc.
DE L’IMPUISSANCE DU POLITIQUE 1/4
Jacques Ellul, outre le pilonnage en règle que sa plume (Le Système technicien, Le Bluff technologique, entre autres) a fait pleuvoir sur une civilisation qui a fait de la technique une idole au pied de laquelle elle se prosterne, les bras chargés d’offrandes, et aux bons soins de laquelle elle s’abandonne comme dans de nouvelles délices de Capoue, avec une lâcheté aussi merveilleuse qu’opiniâtre, a aussi écrit des ouvrages de théologie.
Autant je suis intéressé par toutes ses études au sujet de la technique, autant je suis rebuté par celles qu’il consacre à Dieu, à ses attributs et à sa présence, réelle ou supposée, dans les œuvres humaines, où certains voient sa manifestation concrète. C’est ce qui m’a fait reposer sans le finir A temps et à contretemps (Le Centurion, 1981). Avec ce commentaire laissé sur la page de garde : « Trop de théologie ! ».
A chacun ses infirmités : les raisonnements sur des abstractions – fussent-elles eschatologiques –, aussi subtils ou percutants soient-ils, ont le don d’ajouter au poids de mes paupières supérieures les quelques tonnes qui manquent à ceux qui ignorent tout de ce que signifie l’expression « s’endormir en sursaut ».
C’est pourquoi, chaque fois que je commence à compter les moutons, j’ouvre Sémantique structurale d’Algirdas Julien Greimas ou Ce que Parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques de Pierre Bourdieu, avec la certitude souriante de celui qui sait que le sommeil, avec son gourdin, l’attend au coin du bois de la page 2, juste avant qu’il ait tourné celle-ci. Je ne me décide à me rabattre sur Anthropologie philosophique de Bernard Groethuysen qu’en cas d’urgence ou de nécessité, à cause de la violence du somnifère et des mauvais rêves qu’il induit.
J’ai donc zappé les propos théologiques de A temps et à contretemps. En revanche, je n’ai pas laissé passer les moments où, dans ce livre d’entretiens où Jacques Ellul livre débonnairement une partie de son parcours personnel, il évoque ses « acquis de l’expérience ». En particulier, j’ai braqué ma loupe sur quelques passages où il raconte « sa » seconde guerre mondiale, et la façon dont elle s’est achevée pour lui.
Très instructif en vérité, y compris et avant tout quand on observe à la lumière de ce propos les mœurs et paroles des animaux qui occupent aujourd’hui les fauteuils des bureaux directoriaux de la France. Après une guerre où il eut un comportement impeccable (sur lequel il ne s’étend d’ailleurs pas outre-mesure, on aurait même aimé qu’il détaille), on lui propose de participer, à Bordeaux, à la « municipalité dite de la Libération » : « C’était très sympathique, nous avions beaucoup de travail, il fallait tout remettre sur pied ». Cette période va durer « à peu près un an et demi ». Il y est allé franco, croyant qu’il était possible de changer de grandes choses à la base.
On n’est pas plus naïf.
Voilà ce que je dis, moi.
dimanche, 14 avril 2013
WILHELM MEISTER DE GOETHE 1/3
ON EST PEU DE CHOSE
***
Parenthèse inaugurale : François Hollande croit faire une diversion fructueuse en publiant le patrimoine des ministres ? Mon oeil ! Ce n'est pas le patrimoine des politiques qui est le problème. Une fois de plus, la classe politique ouvre la boîte à fumée, espérant mettre le couvercle sur l'essentiel (voir ici même les jours précédents).
***
Madame, Mademoiselle, Monsieur, autant le dire tout de suite : j’ai terminé la lecture de Wilhelm Meister, de Wolfgang Goethe. Enfin, quand je dis terminé, je devrais plutôt dire que j'en suis « venu à bout ». L’invraisemblable pensum, mes amis ! Comme disait mon père, quand nous tordions le nez sur la nourriture : « Quinze jours sous une benne ! Des briques sauce cailloux et des cailloux sauce brique ! Voilà tout ! ».
Eh bien, pour obtempérer, peut-être, j’ai bu le calice jusqu’hallali (je peux me permettre : qui sait concrètement ce que c'est, la lie ?), même si je me suis plusieurs fois adressé à lui : « Père, éloigne de moi ce calice ! ». Mais il semble que je ne m’appelle pas Jésus, ni mon père Dieu. Dont acte. Je ne l'ai d'ailleurs jamais cru, ni n'en ai fait mystère.
Je suis donc venu à bout de ce truc indigeste ! De la page 367 à la page 1353 du volume Pléiade des romans de Goethe : pas tout à fait mille pages ! Je ne crains pas d'affirmer haut et fort que j’ai survécu ! Je ne dirai pas, comme Sacha Guitry : « Si l’on pouvait mourir d’ennui, je serais mort à Angoulême » (cette phrase, merveilleuse de vacherie, est dans Les Mémoires d’un tricheur). Eh bien pour ce qui est de l’ennui, le Wilhelm Meister de Goethe, pour le lecteur, vaut largement l’Angoulême de Guitry, pour le bidasse. Goethe n'est pas un romancier.
Pour le dire franchement, je n’ai jamais rien lu de plus profondément emmerdant, de plus essentiellement et mortellement mortel ! Mais comme c’est, paraît-il, un chef d’œuvre incontournable de la littérature mondiale, je tenais absolument à en avoir le cœur net : il fallait que j’allasse (si si !) jusqu’au bout, pour pouvoir, m’étant fait une opinion concrète et directe de la chose, en parler en pleine connaissance de cause.
Si on veut dire du mal de quelqu'un, autant savoir de quoi on cause. Je ne suis pas comme Pierre Bayard, l'auteur de Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? . Je signale en passant que ceux qui attribuent à Pierre Bayard la paternité de l'expression "plagiat pas anticipation" sont à la fois de vulgaires ignorants et des ignorants vulgaires. Revenons à Goethe.
Je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau le Klein Zaches d’E. T. A. Hoffmann (Le Petit Zachée surnommé Cinabre) que j’ai évoqué récemment : « En outre, Candida avait lu le Wilhelm Meister de Goethe, les poésies de Schiller, l’Anneau magique de Fouqué, et en avait oublié presque tout le contenu ». Je me permets d'insister sur : "en avait oublié presque tout le contenu".
Qu’on se rassure, je ne m’appelle pas Candida et je ne suis pas la fille du très savant Mosch Terpin : il me reste quelques bribes de ma lecture. Qu'on se rassure au carré : je ne ponds pas ici un machin savant, genre frais émoulu de l'Université. Je m'en voudrais. Je veux juste faire part à qui en veut des impressions ressenties lors de la lecture par un lecteur de bonne foi.
Première remarque : Goethe pouvait, s’il l’avait voulu, faire tenir ses 1000 pages dans 200. Nul n’arrivera à me persuader du contraire. L’histoire aurait même pu tenir dans le format « nouvelle ». Qu’est-ce que ça raconte ? Wilhelm est un fils de bourgeois qui devrait se préparer au noble métier de gérant de l’entreprise paternelle, florissante au demeurant. Mais il s’est entiché de théâtre en général, et de la jeune actrice Marianne en particulier, avec laquelle il file le parfait amour.
Envoyé sur les routes pour récupérer quelques créances, le hasard place sur sa route une troupe d’acteurs, dont il va suivre quelque temps le destin médiocre et mesquin, comme producteur, puis comme auteur et même acteur. Après la troupe de Mélina, il entre chez Serlo, acteur chevronné, puis il se donne comme mission d’annoncer au seigneur Lothaire la mort d’Aurélie, son amante délaissée.
Au château de celui-ci il retrouve Jarno, qui lui avait fait une curieuse impression au château du comte. Il faut savoir que ce comte a versé dans le mysticisme après avoir vu Wilhelm déguisé, qu’il a pris pour un autre lui-même, et que la comtesse en pinçait secrètement pour le jeune homme. Il faut savoir que Wilhelm a gravé dans son cœur l’image d’une belle « Amazone », qui n’est autre que Nathalie, qui l’a fait soigner dans la forêt où la troupe a été attaquée par des bandits.
J’espère que vous suivez. Non ? Alors j’arrête. D'ailleurs moi aussi, j'ai du mal à suivre. J’arrête donc. Finalement, il y a pas mal de détails. Mais ces détails, tout le monde s'en fout, car ils ne sont là que pour espérer produire, sur le lecteur, je ne sais quels effets de réalité. Il y a donc beaucoup de détails. C’est un peu normal, vu le nombre de pages.
Mais ces détails, comment dire ? Ce sont des péripéties qui se déroulent sans être vécues. Tiens, je crois qu’il y a du vrai dans la formule qui vient de me venir. Personne n'est doué de vie, dans ce livre. C'est un livre mort. C’est un livre qui, quelque bonne volonté qu’on y mette, vous reste totalement extérieur. Les personnages n’existent pas, ou si peu. Personne ne prend vie sous la plume de l'auteur.
Pour une raison assez claire : les actions que l’auteur leur prête n’agissent jamais sur le cours des événements ou sur les autres personnages. Leur peu d'existence personnelle tient aussi à leur absence de profondeur psychologique : Goethe se contente, pour les définir, d'un trait caractéristique, ce qui suffit à peine à en dessiner une silhouette qu'on pourrait mémoriser. Et ne parlons pas d'identification du lecteur !
Même la curieuse Philine, cette fille jolie et rendue complètement fofolle par son aspect primesautier, a bien du mal à exister. C’est un personnage théorique, dont le lecteur sent très vite qu’il est là pour figurer dans le casting. Avec les ectoplasmes de personnages qu’il invente, Goethe semble avoir procédé comme une équipe de télé-réalité préparant la prochaine série : un peu pour tous les goûts.
Les autres personnages féminins qui assaillent l’apprenti Wilhelm sont à l’avenant : Marianne l’amoureuse engrossée, Philine, la séductrice écervelée, Thérèse, qui se résoudrait bien au mariage, mais …, la comtesse, avec sa faiblesse coupable. Même que Aurélie, l'actrice, on ne sait pas bien, pour finir, pourquoi Wilhelm se fait un devoir d’aller engueuler Lothaire de l’avoir abandonnée et laissée mourir (de quoi, d'ailleurs ? On ne sait pas).
Et je vais vous dire : on s’en fout.
Voilà ce que je dis, moi.
09:01 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : françois hollande, ministre, politique, france, société, littérature, wolfgang goethe, wilhelm meister