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lundi, 29 juillet 2024

JE SUIS DE GAUCHE-DROITE ...

... ET INVERSEMENT.

2/2

Dans les mœurs, au contraire, la civilisation européenne (puis occidentale) s'est ingéniée à remettre les normes en question, principalement depuis qu'elle vit sous le régime de la technique omniprésente et toute-puissante, de ses "progrès" et de ses innovations. Regardez pour ça, par exemple, la course au gigantisme des immeubles à laquelle se livrent les pays (Kuala Lumpur et autres tours de Babel). De tels exemples foisonnent.

A cet égard, on n'a pas assez noté à mon sens le caractère profondément subversif du culte de la nouveauté en matière technique : au rythme des inventions, les comportements, les psychologies, les coutumes et les structures mêmes de la société se sont trouvés bouleversés. J'adresse cette remarque à ceux qui pensent encore que la technique est neutre, et que le bien ou le mal qui arrive ensuite n'est que le fruit de l'usage qui en est fait par les hommes.

Cette façon d'intégrer dans nos modes de pensée l'idée des changements permanents dans nos modes de vie, je dirais même cette façon de valider le mouvement continu comme base principale de l'existence, cette façon d'accepter la subversion incessante de nos repères par le surgissement incessant du jamais vu dans notre quotidien, ne pouvait pas épargner le domaine des mœurs, en particulier des codes sociaux et des normes communes admises. Ecoutez le slogan impérieux : « BOUGEZ !!! », ne serait-ce que pour montrer que vous n'êtes pas mort.

Je ne suis ni philosophe, ni sociologue, ni quoi que ce soit, et il y aurait beaucoup à dire sur la promotion de l'individu depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (ouverture des droits sans limitation, émancipation totale, définitive et définitivement insatisfaite), sur la logique implacable du système économique capitaliste dans lequel s'est déroulée l'évolution (mercantilisation, privatisation et rentabilisation de tout), sur l'abandon par la gauche de la défense des classes exploitées pour se reporter sur des thèmes sociétaux (égalité homme / femme, P.M.A. pour toutes, et autres innovations "cruciales"), et sur nombre de sujets que le cadre de ce billet empêche d'examiner. 

Je constate juste que, dans la société d'aujourd'hui, il n'existe plus aucun consensus sur la manière dont les gens doivent se comporter. Il faut dire que, en matière de mœurs, les codes sociaux résultent forcément d'un consensus autour de « ce qui va de soi » en matière de morale. Mais ce que George Orwell, dans ses Essais, appelait la "common decency", c'est-à-dire ce qu'il convient ou ne convient pas qu'un individu se permette de faire, est devenu incompréhensible.

Quels attardés se posent encore aujourd'hui la question de savoir "ce qui se fait" et "ce qui ne se fait pas" ? Bon, il y a bien quelques tabous qui résistent encore : « il faut respecter l'enfant », « on ne tue pas son prochain » ("ça ne se fait pas, ça n'est pas bien", Catherine Ringer ou Brigitte Fontaine), mais en dehors de ça, hein, l'univers des normes, des codes sociaux se trouve à mi-chemin entre l'EHPAD et le cimetière.

Ecoutez bien ce que dit le refrain : « Il faut en finir avec les stéréotypes », et vous aurez une idée de ce qui cherche à s'imposer comme nouveaux stéréotypes. Tout n'est certes pas permis, mais on n'en est pas loin. Comme le dit le tube ancien (1934) de Cole Porter : « Anything goes » : "tout est permis".

On ne parviendra plus à « refaire société », comme le regrettent ou le voudraient les prêcheurs et autres bonnes âmes, avec plus ou moins de conviction. On ne reviendra pas en arrière. Le refrain du « vivre-ensemble » est obsolète, c'est de l'histoire ancienne.  La société comme "corps" (plus ou moins) homogène est morte et enterrée. Margaret Thatcher ignorait ce qu'est une "société" : elle ne connaissait que des "collections d'individus".

Des individus qui, soit dit en passant, en se fiant à des affinités électives, s'affilient à des « communautés » où ils puissent retrouver une certaine homogénéité de groupe. La doctrine anglo-saxonne a vaincu la tradition française, la France s'est mise au pli, pulvérisée en de multiples micro-sociétés, autant de ghettos qui se côtoient et se croisent sans se rencontrer. 

Alors, avec tout ça, où suis-je, moi ? Pour ce qui est de l'économie, je crois toujours qu'il existe des classes sociales, bien que je sache que, dans le bréviaire marxiste, on ne peut parler de classes sociales qu'à propos de masses conscientes et organisées. Je crois à la justice sociale, à la bonne entente de tous sous condition de répartition équitable des richesses, à la restriction et à la réglementation des voracités qui s'exercent aux dépens des faibles et des précaires : pour tout ça, je reste définitivement de gauche.

En ce qui concerne les mœurs, en revanche, je demeure de droite. Je crois que nos désirs n'ouvrent pas forcément sur autant de droits "imprescriptibles". Et je reste stupéfait devant les revendications des homosexuels, des transsexuels, et plus récemment des associations qui exigent qu'on respecte la décision de certains adolescents qui ne savent pas encore quel sera leur sexe à l'avenir (voir le débat autour des "bloqueurs de puberté"). Je crois aussi que la valorisation souvent outrancière voire punitive des particularismes se situe aux antipodes de l'idée même de société.

Je parle évidemment des particularismes religieux, ethniques, sexuels, et de tout ce qu'on appelle complaisamment la « défense des minorités », au nom de laquelle on condamne le « sexisme », le « machisme », le « virilisme » (l'homme, c'est la violence), ainsi que toutes sortes de supposées « phobies » ("islamo-homo-trans-grosso-phobie"). Tous ces juges nieront bien sûr farouchement souffrir de quelque phobie que ce soit.

Personne ne songe plus à s'ériger en défenseur de la majorité : en dehors des élections, les gens qui constituent l'immense partie de la population sont invités à fermer leur gueule, comme si l'homme et la femme ordinaires, les quidams sans revendication de particularisme, bizarrerie ou spécificité dûment admise ou cataloguée, je veux dire comme si les gens normaux n'avaient plus droit de cité.

Car je crois qu'en société une certaine normalité est nécessaire, indispensable, et même souhaitable, quoi que puissent glapir ceux que ce simple mot exaspère. Nulle norme au monde n'a jamais fabriqué deux êtres humains absolument semblables. Quelle terrible menace l'idée fait-elle peser sur l'humanité ?

Je crois aux limites à ne pas dépasser, et cela quel que soit le sujet. Mais je suis réaliste : je sais qu'une telle attitude est vouée à disparaître, et destinée à connaître le même sort que les dinosaures. Je ne reconnais plus grand-chose du monde dans lequel j'ai vécu. Je regarde se défaire, morceau par morceau, le réel qui fut le mien. C'est comme ça et pas autrement. Pourtant, je suis toujours animé par une grande curiosité au sujet de ce qui se passe autour de moi, dans mon quartier, en France et dans le monde.

Alors, au fond de mon terrier, tout en persistant à sortir mon périscope pour ne pas rester aveugle sur la marche du monde, je m'entoure plus égoïstement d'assez de personnes amicales, d'assez de choses agréables, belles et bonnes, pour cultiver divers moyens d'éprouver de la joie. Et j'y arrive ... tant bien que mal.

dimanche, 28 juillet 2024

JE SUIS DE GAUCHE-DROITE ...

... ET INVERSEMENT !

1/2

Il y a fort longtemps (4 mai 2015), j'ai expliqué ici comment, en politique, je me définissais comme étant « d'extrême-gauche-droite ». Bon, d'accord, il y avait sans doute de la boutade dans la bravade ainsi que, probablement, de la galéjade dans la fanfaronnade (ne pas exagérer mon "extrémisme"), mais en même temps qu'un fond de vérité. 

Mon raisonnement reposait, et repose toujours, sur une notion qui devrait être d'une clarté aveuglante pour tout le monde, ce qui n'est hélas pas le cas : la notion de limite. Les curieux qui rendent visite à ce blog de temps en temps connaissent ma conviction : l'absence de limites rend la vie impossible. J'ajoute : l'absence de limites rend impossible l'exercice même de la liberté. Car, contrairement à ce que pensent la plupart des gens (« Etre libre, c'est pouvoir faire ce que je veux »), la première et la plus grande des libertés est celle de dire NON !

A cet égard, on peut affirmer que la façon dont tourne le monde actuel tient de la maladie mentale, de la psychose parano-schizo-névrotique, de la folie des grandeurs et de la volonté de puissance réunies. Ecoutez-les tous, les artistes, théâtreux, peintres, sportifs, et tutti quanti.

Ils ne parlent que « de se surpasser », « d'être prêts à 300% », « de franchir les limites », « de se moquer des frontières », « d'abattre les cloisonnements », « de transgresser les normes », « de casser les codes » (voir Thomas Jolly, le maître d'œuvre de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques), « d'en finir avec les stéréotypes » et autres fadaises, fariboles et calembredaines, sur le modèle du funeste « citius, altius, fortius » du père Coubertin, le grand-prêtre et dieu tutélaire de la religion du sport. Le dépassement des limites est devenu la règle. Tout ce qui se présente sous les couleurs de l'écologie et de la défense de l'environnement en sait quelque chose.

Pour moi, au contraire, le principe du respect des limites devrait guider toutes les actions humaines. A croire que je suis moi-même écologiste dans l'âme. Mais absolument toutes, n'est-ce pas, et sans exception, et dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'action politique, de l'action des Etats, de l'action des entreprises (action économique), et de l'action des individus eux-mêmes. Tout n'est pas permis aux Etats, tout n'est pas permis aux responsables politiques, tout n'est pas permis aux acteurs économiques, tout n'est pas permis  aux personnes. 

Quand les Etats se croient tout permis, ils s'appellent Hitler, Staline, Pol Pot ou Khomeiny. En politique, cela s'appelle compromission, retournement de veste, corruption, addiction à l'exercice du pouvoir, etc. En économie, cela s'appelle loi de la jungle, exploitation à outrance des hommes et des choses, liberté pour les loups, prédation des plus voraces sur les plus faibles.

Au niveau des individus, cela s'appelle le grand n'importe quoi moral et psychologique, comme le spectacle cacophonique nous en est donné tous les jours dans le prisme médiatique : il est de plus en plus clair que plus grand monde ne sait à quelle vérité stable se raccrocher. Comme le dit le palindrome-film de l'immense Guy Debord : « In girum imus nocte et consumimur igni » (on peut lire la même phrase en commençant par la fin), « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu ».

Or quels paradoxes observe-t-on autour de soi ? Quand on se déclare de droite, on est supposé être favorable au libéralisme économique, et parfois le plus extrême : rien ne doit entraver les initiatives. En ce qui concerne l'économie, en effet, on est opposé à toute régulation, à toute réglementation, à toute restriction du commerce et des échanges, à toute loi organisant le monde de l'entreprise et du travail. En gros et en bref : on veut pouvoir faire des affaires sans se faire emmerder par des gens qui n'ont pas bien compris l'importance de certains intérêts particuliers. 

Mais étrangement, ces mêmes personnes (j'excepte ceux qu'on appelle "libertariens"), dès qu'on aborde les problèmes de mœurs, affichent une attitude plus ou moins rigoriste et conservatrice : la famille, c'est sacré — tu parles ! Il faut protéger le patrimoine et sa transmission. L'adultère, l'homosexualité, quelle horreur ! Bon, je ne sais pas dans quelle mesure cela reste vrai aujourd'hui. Passons. Reste la contradiction : où en est-on avec les limites ?

Chez les gens de gauche, c'est l'inverse : en économie, il faut contenir la voracité des appétits de tous ceux à qui les statistiques économiques, les chiffres de la croissance et les possibilités d'enrichissement servent de boussole et de Nord absolu. Pour eux, il faut protéger les travailleurs des contraintes excessives auxquelles les patrons voudraient les soumettre. En revanche, dans le domaine des mœurs, quand on est de gauche, toute contrainte, toute limitation, toute entrave est haïe, pourchassée, pourfendue. Les moindres désirs éprouvés par les individus génèrent automatiquement autant de droits imprescriptibles. Là aussi, contradiction : où en est-on avec les limites ?

Donc, qu'on soit de gauche ou de droite, dans ce schéma (un peu simpliste, je le reconnais), on se trouve face à une étrange contradiction : sous le pied du conducteur de droite, le frein devient l'accélérateur sous un pied de gauche, et le frein, sous le même pied de gauche, devient l'accélérateur du chauffeur de droite.

Comment font-ils pour s'y retrouver dans le fatras des pédales ? Comment peut-on soutenir d'un seul et même mouvement deux attitudes incompatibles entre elles ? Pour ma part, j'ai été un peu aidé, pour résoudre le problème, par la lecture des ouvrages de Jean-Claude Michéa (cliquer pour voir la notice).

C'est là qu'intervient la notion de LIMITES. Appelez ça des normes, et même des stéréotypes si vous voulez. C'est quoi, les normes ? C'est d'abord des statistiques qui servent à définir, par exemple, les dimensions de nos sièges, de nos crayons et stylos, de nos habitations, de nos villes : c'est la façon de fabriquer un environnement à notre mesure. La norme, c'est ce qui ne s'écarte pas trop de la moyenne. Il est clair que ce genre de normes ne se discute pas.

Suitetfin demain.

mardi, 16 juillet 2024

L'ESPRIT OLÉ-OLYMPIQUE PARTOUT

LA CONTAMINATION GALOPE.

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Le Progrès, 6 juillet 2024.

Bon, dans le milieu des entrepreneurs, la compétition, c'est tous les jours, là, à la rigueur, on peut comprendre.

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Le Progrès, 4 juillet 2024.

Mais regardez ça : jusque dans les EHPAD. Après les Jeux Paralympiques, voici les Jeux Ehpadolympiques. Mais qu'on les laisse en paix, nos vieux ! Et du rugby, s'il vous plaît ! Je serais curieux d'en voir un marquer un essai. 

Je sais, j'ai l'esprit mal tourné.

samedi, 20 mars 2021

CITIUS ALTIUS FORTIUS

"CITIUS, ALTIUS, FORTIUS" : Devise inventée par le père Henri Didon, dominicain, qui croyait aux vertus de l'athlétisme et qu'il prêchait à ses élèves. Pierre de Coubertin l'a reprise pour en faire l'étendard d'une manifestation sportive assez connue, populaire et lucrative. En BD, des continuateurs de E.P. Jacobs (Blake et Mortimer, dans L'Onde Septimus) ont mis cette devise dans la bouche d'un malfaisant appartenant à un groupuscule de fascistoïdes qui en ont fait l'étendard de leur entreprise de conquête du pouvoir mondial. Il n'est pas certain que ce rapprochement soit entièrement ridicule.

ONDE SEPTIMUS IDEAL OLYMPIQUE.jpg

Ici, "plus loin", ça veut aussi dire "plus vite". Les deux sont inséparables.

Je dis surtout "lucrative", parce que devant la majesté du spectacle et le vacarme que toutes sortes d'intérêts bien compris se précipitent pour faire autour de l'événement, tout le monde semble oublier que les J.O. sont d'abord une vulgaire entreprise de bâtisseurs d' "événementiel" (comme on dit aujourd'hui), et qui plus est une entreprise privée de droit suisse (sourcilleux comme on sait sur le secret des affaires). Et que le culte de l'athlète et du record a été beaucoup célébré en Italie entre 1925 et 1945 (si vous voyez ce que je veux dire), et que la cinéaste chérie du régime allemand entre 1933 et 1945 a intitulé un de ses films à la gloire de ces athlètes (blancs, cela va de soi) : Les Dieux du stade.

D'ailleurs, le malfaisant qu'on voit dans l'image ci-dessus n'exprime rien d'autre que la pensée profonde d'un banal capitaine d'industrie aux dents très longues tel qu'on en a vu et qu'on en voit encore des rafales mettre à sac la planète. Les J.O. ne sont que la célébration cynique de ce système prédateur. Les actionnaires — qui sont les vrais maîtres du monde qui vient — se préoccupent des "belles théories humanitaires" comme de la première dent de lait qui leur est tombée, quand ils croyaient encore au Père Noël et à la "petite souris".

J'espère donc ne pas être le seul à sauter de joie si les Jeux Olympiques de Tokyo, après avoir été "reportés", sont carrément supprimés. Et à souhaiter que ceux qui se profilent à l'horizon parisien en 2024 soient purement et simplement engloutis dans les ténèbres extérieures. Pour cela, je compte beaucoup sur le gouvernement français et sur sa façon magnifiquement cafouilleuse, inintelligible, brouillonne et désordonnée de "gérer la crise" du covid-19, dont on voit le résultat — parfaitement clair, lui — ces jours-ci dans les hôpitaux d'Ile-de-France, qui se retrouvent grâce à lui aussi engorgés qu'aux plus beaux jours de mars-avril 2020. Sans les applaudissements. Il faut donc en finir avec cette devise imbécile : "Citius, altius, fortius" ! Comme dit "la jeune personne" au "muletier" (La Périchole) : « Eh n'allons pas si vite, n'allons pas si grand train ! ».

Si ce satané virus vient à bout de ces J.O. français, j'espère ne pas être le seul à m'en féliciter. Et à adresser un solennel "MERCI" aux chauves-souris, aux pangolins, aux Chinois et autres vilains porteurs de virus.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 16 novembre 2011

L'EUROPE EST UNE SAINTE (3)

3 – L’ORIGINE DE CE MONDE

 

Non, je ne parle pas de ce tableau scandaleux que JACQUES LACAN avait acquis à grands frais, et qu’il dissimulait, dans son bureau, sous un panneau mobile, pour ne le montrer qu’à quelques élus. Tout le monde a reconnu L’Origine du monde de GUSTAVE COURBET, où l’artiste a représenté l’entrecuisse fendu, charnu et fortement velu d’un humain de sexe féminin, et qui fit jaser dans les salons bourgeois. Tiens, à propos, vous connaissez cette contrepèterie : « FRANÇOIS HOLLANDE a lâché le Congrès » ? Glissons.

 

 

Non, je n’ai pas changé de cheval : c’est toujours l’Europe, le destrier dont je chante les louanges. Le grand LEWIS MUMFORD, esprit original et fécond, fait, à la fin de son ouvrage formidable Technique et civilisation (Seuil, 1950), la liste des inventions humaines et leur époque approximative. Cette liste est très fastidieuse, à cause de la longue énumération des trouvailles et de la succession sèche des dates. Mais elle est en même temps tout à fait PRODIGIEUSE.

 

 

D’abord par le nombre, pour ne pas dire la masse des inventions techniques qui interviennent, à partir du 10ème siècle, dans tous les domaines de la vie concrète. On constate ensuite qu’au cours du temps, la liste s’allonge, c’est-à-dire que l’homme invente de plus en plus, et de plus en plus vite.

 

 

Au 10ème siècle, MUMFORD relève : l’horloge hydraulique, le moulin à eau, le harnachement efficace des chevaux, le joug bovin multiple, l’horloge mécanique (donnée comme probable) et les vitraux colorés en Angleterre. En gros une vraie innovation tous les 20 ans. Mais au 14ème, cela monte à une tous les cinq ans. Et je ne parle pas du 19ème (une tous les six mois).

 

 

Enfin, cette liste est prodigieuse par la concentration de plus en plus nette de la frénésie inventive dans le foyer brûlant de la créativité humaine : en EUROPE, évidemment, et nulle part ailleurs. C’est là que l’innovation technique a littéralement explosé. On peut affirmer que l’Europe est la mère de la technique. Ce n’est pas un cri de victoire. C’est un constat.

 

 

Certes, d’autres peuples du monde ont turbiné dans leur coin, et ont connu avant les Européens la boussole, la poudre à canon et le papier. LEWIS MUMFORD le dit : « Tous les instruments critiques de la technologie moderne : la pendule, la presse à imprimer, la roue hydraulique, le compas magnétique, le métier à tisser, le tour, la poudre à canon, le papier, (…) existaient dans d’autres cultures ».

 

 

Mais c’est en Europe occidentale que toutes ces inventions éparses (et surtout indépendantes les unes des autres) se sont coalisées, ont été mises en relation les unes avec les autres, jusqu’à former SYSTÈME. LEWIS MUMFORD ajoute d’ailleurs, à propos des « autres cultures » : « Ils avaient des machines, mais ils ne développèrent pas "la machine" ». Cela veut dire que chaque machine particulière fonctionnait à la satisfaction de tous, mais qu’elle restait « dans son coin ». Et surtout qu'elle restait en l'état, comme empêchée d'évoluer. Là, c’est la société qui est la plus forte et qui dicte ses conditions.

 

 

En Europe, c’est le contraire : l’organisation sociale et les modes de pensée intègrent la machine dans leur mode même de fonctionnement. La machine s’introduit dans le travail de l’esprit, et devient un objet privilégié, un but. Le domaine de la machine non seulement s’agrandit sans cesse, mais s’autonomise, devenant l’espace d’expansion de l’activité humaine. Si l’on veut, c’est la machine qui est la plus forte. C’est la machine qui, de plus en plus, va dicter ses conditions à la société.

 

 

Ce qui est sûr, c’est que, quand je regarde les informations à la télé (voix off : « C’est même pas vrai, il a même pas la télé ! »), je constate qu’à l’égard des techniques, le monde est aujourd’hui européen. Où qu’on aille sur la planète, on reste en Europe. A l’égard des façons de penser, il y a encore des poches de résistance, mais globalement, quand on voit comment la technique a envahi le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, et l’Afrique du sud (pour ne parler que des BRICS, comme disent les économistes), je me dis que les mentalités du monde entier sont désormais façonnées (et fascinées), par la vision américaine, donc, à travers elle, européenne.

 

 

Quelqu’un m’objecte, au fond de la salle à gauche, oui vous, madame, en imperméable orange, que ce sont les Etats-Unis qui sont pour l’essentiel à l’origine de cette « conquête » du monde, et j’en suis évidemment d’accord. Mais je vous répondrai d’abord que l’orange vous va très bien, ensuite que les Etats-Unis ne sont une puissance que depuis le début du 20ème siècle, et que la technique ne les a pas attendus pour triompher. D’ailleurs, n'est-ce pas pour avoir des fusées que les Américains ont kidnappé l’Européen WERNHER VON BRAUN en 1945 ? 

 

Et puis après tout, on peut aussi s’interroger : sans les Européens, y aurait-il seulement des  Etats-Unis d’Amérique ? Finalement, les Etats-uniens sont pour une large part des Européens trop avides, trop protestants, trop catholiques ou trop pauvres pour rester sur le territoire ancestral. Les Etats-uniens sont une variante d’Européens, certes, pas toujours sympathique, mais c’est à la façon dont, dans les familles, on est obligé de reconnaître la parenté avec des cousins dévoyés, et de les tolérer dans les grandes réunions familiales. A cet égard, la grande réunion familiale porte aujourd’hui un nom pas facile à assumer : OCCIDENT.

 

 

Et il est parfaitement normal que le monde entier fasse aujourd’hui un gros pied de nez à la famille occidentale puisqu’il en a accepté tout l’héritage. Maintenant que le monde est devenu occidental en général, et peu ou prou européen, fût-ce à travers la variante américaine, il peut bien en remontrer au maître qui lui a tout appris. Faire des tours plus hautes, des TGV plus rapides, et tout et tout. Chercher la performance. « Citius, altius, fortius ». Elle est française, la devise du Français COUBERTIN. Qui dit : « C’est bien, les enfants, continuez comme ça ». Ça s'appelle la transmission, il paraît.

 

MORALITÉ :

 

L’EUROPE A INVENTÉ LE MONDE.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre ...