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jeudi, 25 octobre 2018

MORT D'UN POÈTE

FRANÇOIS MONTMANEIX

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La dernière fois que j'ai rencontré cet homme, ça avait duré une petite semaine. Six jours exactement. Oh, pas toute la journée : les rencontres avaient eu lieu le soir, et même pas très longtemps, le temps d'échanger quelques mots en attendant que la sonnerie retentisse. Cela se passait à la salle Molière, quand le quatuor Auryn, à l'invitation du très regretté Jean-Frédéric Schmitt (grand luthier devant l'éternel et initiateur des Musicades), était venu à Lyon donner l'intégrale des quatuors à cordes de Beethoven. 

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Je l'ai connu haut responsable dans une entreprise. Je l'ai connu administrateur de l'Auditorium Maurice Ravel de Lyon. Mais si je l'ai approché, c'est avant tout comme poète, à une époque où je me croyais moi-même poète. Pour cette raison, j'avais rejoint la fine équipe de Poésie-Rencontres (Pierre Ceysson, Marc Porcu (†), Manuel van Thienen, Jean Perrin, Annick de Banville (†), André Martinat (†), Geneviève Vidal, il faudrait les nommer tous), et c'est dans ce cadre amical et bonhomme que François Montmaneix s'était prêté au jeu, précisément, de la "rencontre". C'est de sa bouche, à cette occasion, que j'ai appris l'existence des "Octonaires de la vanité du monde", de Paschal de l'Estocart. Il était un mélomane expert.

Cet homme d'une belle élégance morale et d'une courtoisie irréprochable, et qui avait une haute idée du "métier" de poète, a milité pour l'art chaque fois qu'il fut en position de le faire. Il initia les grandes expositions de peinture qui eurent lieu à l'Auditorium (Artrium, avec Evaristo (†), Salvatore Gurrieri (†)) et au "Rectangle" (place Bellecour : Ousmane Sow, Gérard Garouste, Ernest Pignon-Ernest, ...). Il obtint de la ville de Lyon de décerner chaque année un "prix de poésie" qui porte le nom de Roger Kowalski, autre poète lyonnais beaucoup trop tôt disparu (les manuscrits lauréats édités par l'Imprimerie de Cheyne). Colette Kowalski, l'épouse de celui-ci, après sa mort (à peine plus de 40 ans), avait repris et maintenu bien haut le flambeau de la Galerie d'art qu'il avait ouverte sur le quai de Bondy (la galerie K).

Il s'est trouvé que, dans une circonstance bien curieuse, à peine apprise la mort de François Montmaneix par le journal, je croise Isabelle, son épouse, qui venait dans la boutique de reprographie où j'ai moi-même des habitudes, quelque part à la Croix-Rousse. Elle venait récupérer des travaux sur lesquels la parution dans le Progrès du jour ne laissait guère de doute.

Voilà, adieu monsieur Montmaneix. Par bonheur, nous pouvons à loisir retourner sur les traces que vous laissez. Salut, François !

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Tiré de "Visages de l'eau"

dimanche, 06 décembre 2015

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS 1/9

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ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL

(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)

Introduction 

Je commence aujourd’hui un petit feuilleton, où j’ai voulu rassembler des idées exprimées ici même, au cours du temps, mais en ordre dispersé. Evidemment, ça vaut ce que ça vaut, et le titre indique assez qu’il s’agit d’un « itinéraire personnel ». J’ai juste essayé de comprendre les raisons d’un revirement brusque qui s’est opéré en moi, à un moment difficile à situer dans le temps. 

J’ai un jour cessé de m’intéresser à quelque chose qui m’avait très longtemps tenu en haleine : les « arts contemporains » en général, mais plus particulièrement à tout ce qu’il y avait d’expérimental dans la démarche de presque tous les artistes, qu’ils fussent « plasticiens » ou « acousticiens ». Soit dit en passant, si l’on ne parle guère d’ « artistes acousticiens », l’expression « artiste plasticien » semble avoir supplanté définitivement l’humble terme de « peintre ». Je me dis que Rembrandt et Delacroix auraient sûrement été flattés d’être élevés à la dignité d’ « artistes plasticiens ». 

J’ai donc un jour cessé de m’intéresser à la peinture expérimentale et à la musique expérimentale, dans lesquelles la part de bluff a fini par prendre à mes yeux et à mes oreilles l’aspect et la dimension d’une invasion par une armée de foutaises. J’ai révisé à mon usage quelques paroles de la Marseillaise : entendez-vous dans nos campagnes mugir ces horribles sornettes ? 

Voilà, je présente ici le résultat de ces modestes cogitations. 

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J’ai ici même cassé assez de sucre, en de multiples occasions, sur le dos des squelettes de Marcel Duchamp (pour les arts visuels) et d’Arnold Schönberg (pour les arts sonores), et ce fut tellement en pure perte, que je vais m’abstenir d’une énième diatribe contre ce qu’il faut bien appeler la destruction des formes artistiques au 20ème siècle, dans laquelle certains voient au contraire un « Progrès » décisif, ouvrant sur le prodigieux renouvellement de celles-ci. Les ai-je assez accusés d’être des fauteurs de guerre, d’avoir démoli toute la haute culture occidentale, la véritable création artistique, en reniant la recherche de la beauté ! Mais l’accusation, à la réflexion, manque de nuances et d’un minimum de subtilité. C’est le moins que je puisse reconnaître. 

Je préfère aujourd’hui me demander pourquoi ces grandes « innovations » que sont la musique atonale d’une part, avec toutes ses variantes, ramifications et subdivisions, et d’autre part le « ready made » et le dadaïsme, avec tous les épigones épidémiques et tous les épiclones épileptiques ou conceptuels qui s’en inspirent, ça ne passe décidément pas. Oui : pourquoi certaines attitudes de créateurs de musique et d’arts plastiques (puisqu’on ne peut plus parler de « peinture », appellation beaucoup trop réductrice, apparemment) me restent-elles (et pas seulement à moi), comme des arêtes violentes, en travers du gosier ? 

Pourquoi certaines « propositions » de gens qui s’intitulent « artistes » suscitent-elles à ce point mon aversion, provoquant à la surface de mon épiderme et jusque dans les couches profondes une horripilation tellurique, si je peux me permettre cet oxymore ? 

Ce qui me rassure un peu, c’est que je suis loin d’être le seul, et j'ai tendance à me dire que si, au concert, des gens applaudissent les bruits d’aspirateur de Brice Pauset, le « Ça tourne ça bloque » d’Ondřej Adamek (2007-2008),  ou les « Sequenze » (comment peut-on admirer, comme si c’était de la « musique », la performance sportive de Cathy Berberian dans Sequenza III ?) de Luciano Berio, ce n’est pas par enthousiasme pour ces musiques proprement dites, mais parce qu’on leur a dit que tout ça était très bien, que c’était le comble de la modernité, à côté de laquelle il était hors de question qu’ils passassent (efficacité de la propagande). 

Plus trivialement, on pourrait se dire aussi que, s’ils applaudissent frénétiquement art,20ème siècle,marcel duchamp,arnold schönberg,musique atonale,ready made,dadaïsme,brice pauset,Ondřej Adamek,cathy berberian,sequenza III,luciano berio,anton webern,beauvois et joule petit traité de manipulation,françois bayle,auditorium maurice ravel,lyon,percussions-claviers de lyon,jean-luc rimey-meille,acousmonium,les Cinq mouvements pour quatuor à cordes op. 5 (ou pire : les Six bagatelles pour quatuor à cordes op.9, cette merveille de synthèse d’idées musicales, paraît-il !) d’Anton Webern (qu’ils ne comprennent sans doute pas mieux que moi), c’est non seulement parce que c’est vite passé (respectivement 11’ et 3’51" par le quatuor Debussy), mais parce qu’ils ont payé leur place et qu’ils veulent repartir persuadés que leur temps et leur argent furent bien employés et qu’ils ont participé à une soirée formidable (voir théorie de l’engagement de Beauvois et Joule : l’individu répugne à se déjuger quand il a pris une décision). 

Je connais ce rôle absolument par cœur, pour l’avoir (trop) longtemps joué moi-même, parfois en toute sincérité, souvent avec le pincement à la mauvaise conscience de celui qui ne veut pas s’avouer qu’il se demande ce qu’il fait là. Pour être honnête, je suis obligé de reconnaître qu’il m’est arrivé d’éprouver des enthousiasmes pour des expériences musicales totalement inédites (l’acousmonium sur la scène de l’Auditorium Maurice Ravel avec François Bayle en personne à la table de mixage, un ensemble vocal spatialisé au Théâtre de la Croix-Rousse, tel concert des Percussions-Claviers de Lyon à l'époque de Jean-Luc Rimey-Meille…), mais finalement bien peu, en regard des perplexités, pour ne pas dire plus, qui furent les miennes en maintes occasions (un tromboniste de jazz connu jouant en solo pour une danseuse évoluant devant des « capteurs » reliés à un ordinateur censé modifier les sons et transposer en musique les mouvements et contorsions de la dame, c’était aussi à l’Auditorium, mais les programmes informatiques bégayaient peut-être encore dans leur langes). 

De la perplexité à la vacillation, il n’y avait qu’un pas. Puis un autre, de la vacillation à l’effondrement. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 03 mars 2015

MORT DE LA MÉLODIE

Musique « contemporaine », rap, slam, techno, électro, et même le jazz, toutes ces formes « musicales » (dont j’excepte la chanson, au sens le plus vaste du terme) semblent tenir la mélodie en piètre estime, au point de la jeter à la poubelle plus souvent qu’à son tour.

 

Je parle d’une mélodie qui permette à l’auditeur lambda de se l’approprier et de l’emporter avec soi dans toutes les circonstances de la vie quotidienne, pour se procurer à soi-même un plaisir qui ne coûte rien à personne. En observant l’épidémie de « casques audio » qui semble avoir saisi une bonne part des populations urbaines (coïncidence ?), que ce soit dans la rue ou dans le métro, je me permets de trouver cette déperdition regrettable et désolante.

 

Vous l’imaginez, Renato, le ténor italien, sur son échafaudage à repeindre la façade, aligner les douze sons de la « série » (pour "sérielle") de l’opus 11 ou de l’opus 19 d’Arnold Schönberg ? Non : ce qu’il préfère, c’est l’air du duc de Mantoue (« La donna è mobile … ») dans Rigoletto, c'est le grand air de Manrico dans Le Trouvère.  Mais son répertoire est beaucoup plus vaste.

 

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J’ai changé, je sais. Il m’est arrivé de dire ici combien j’étais assidu aux concerts célébrant la production de Luigi Nono, de Luciano Berio, d’Ivo Malec, de György Ligeti, des studios GRAME et GMVL (Xavier Garcia, Bernard Fort, ...), tous deux de Lyon, aux festivals organisés dans la ville autour de la fine fleur de la modernité (« Musiques Nouvelles » de Dominique Dubreuil, « Musiques en Scènes », plus racoleur, plus spectaculaire, plus "grand public", de Giroudon et Jaffrenou), pour dire que je me tenais au courant.

 

Il m’est arrivé d’y trouver du plaisir. Je me souviens d’un concert donné à l’Auditorium par François Bayle : vous vous asseyez devant une forêt de haut-parleurs de toutes tailles (« l’acousmonium ») qui constituent l’orchestre. Le chef/compositeur est assis dans la salle derrière une immense table de mixage.

 

Très méfiant au début, je suis sorti de là physiquement assez remué. Et satisfait de l’aventure. Mais je me souviens aussi d'un autre « concert », où Daniel Kientzy jouait de toutes sortes de saxophones, dont un d'environ trois mètres de haut (j'exagère peut-être, mais seulement un peu). Je ne commente pas : il faut aimer autant la musique expérimentale ou la "performance".

 

Mais s’il faut parler franchement, le plaisir, le vrai, celui qui fait trouver l’instant toujours trop court, n’était pas toujours, et même rarement au rendez-vous. Pour faire simple, je dirai que le vrai plaisir était l'exception. J’étais là, en somme, par devoir. Je me disais encore qu’ « il ne fallait pas passer à côté » de ce qui se passait aujourd’hui. Il fallait trouver ça « intéressant ». C’était en quelque sorte une démarche plus intellectuelle que proprement musicale.

 

Un conformisme, si vous voulez. Un préjugé. Un stéréotype. Un slogan. Une idéologie peut-être. La conviction en tout cas que je ne devais pas me laisser larguer par « l’art en train de se faire ». Le mouvement, la mobilité, la motilité, le motorisme, tout, plutôt que le statique. Il me plaisait de passer pour un type « au parfum » de « l’air du temps » : ça flatte la vanité, et en même temps ça anesthésie la faculté de jugement.

 

On a l’impression d’appartenir à la petite élite des « happy few » qui savent apprécier certaines germinations énigmatiques de la « modernité », auxquelles les masses restent hermétiques. C'est afficher que je comprends ce qui passe loin par-dessus la tête du plus grand nombre. Cette vanité me semble aujourd'hui dérisoire et profondément ridicule. Un jour, on se calme.

 

J’ai commencé à revoir ma copie quand j’ai constaté que mes plus fortes émotions musicales étaient produites par certaines musiques et pas par d’autres. C'est rien bête, non ? Quand j’ai commencé à faire le tri. A opérer un choix. A me dire qu’après tout, ce que je ressentais authentiquement n’était pas forcément à rejeter. Qu'écouter les voix qui me venaient de l'intérieur n'était pas forcément un vice rédhibitoire.

 

Et que mes émotions et sensations s'anémiaient dans la même proportion que s'amenuisait la part que le compositeur réservait à la mélodie dans sa musique. Quand une mélodie mémorisable et chantable n'est pas le support principal de ce que j'entends, désolé, j'ai trop de mal. Et que les plus vives et les plus riches m'étaient fournies par des compositions faisant la part belle aux airs, chansons et autre mélodies.

 

Raison pour laquelle rap et slam (des paroles et du rythme, à la presque exclusion des autres composants musicaux : hauteur, durée, tonalité, ...) me sont absolument indifférents. Raison pour laquelle beaucoup de formes actuelles (souvent modales) qui se pratiquent dans le jazz ne m'intéressent pas. Raison pour laquelle les « musiques » "électro" et "techno" me rasent purement et simplement.

 

Et je me suis rendu compte que les musiques les plus avant-gardistes désertaient en général (pas toujours) ma mémoire dès qu’elles avaient le dos tourné, et que d’autres au contraire, plus "classiques", s’y étaient imprimées de façon indélébile alors même que je les y croyais enfouies, perdues à jamais.

 

C’est ainsi que me reviennent, sans prévenir, l’air des bergers (« How blest are shepherds … ») à l’acte II du King Arthur de Purcell, l’air du personnage éponyme (« Sans Vénus et sans ses flammes …») dans l’Anacréon de Rameau, l’air de Tatiana (dans la « scène de la Lettre ») de l’Eugène Onéguine de Tchaïkovski, le duo d’amour d’Enée et Didon (« Nuit d’ivresse et d’extase infinie … ») dans Les Troyens de Berlioz, … et même le thème principal des Vingt regards … de Messiaen : je n’en finirais pas.

 

J’en conclus que certaines musiques ont su se rendre aimables à mon esprit presque sans que mon oreille y prenne garde, alors que d’autres semblaient tout faire pour se rendre antipathiques. C’est finalement assez simple. Non que je fasse de la mélodie l’alpha et l’oméga de la bonne musique, entendons-nous bien. Je ne confonds pas « La Lambada », vous savez, cette rengaine obsessionnelle des médias, je ne sais plus en quelle année, avec l’air de Frère Laurent (« Pauvres enfants que je pleure … ») dans le Roméo et Juliette du grand Hector.

 

Mais enfin, n’importe quelle musique doit se débrouiller pour attirer mon attention. C'est à la musique de la retenir : ce n'est pas à mon oreille de s'y faire, au bout du compte. L’admiration ne lui est pas due a priori, juste au prétexte que ça n’a jamais été fait avant. La question est : que construit le compositeur ? Quelle place fait-il à mon oreille dans la construction qu'il érige ? Ai-je une place dans tout ça ? Compose-t-il une musique qui a envie de mon écoute ? Qui donne envie à mon écoute d'habiter là ?

 

C’est au compositeur de s’efforcer de faire aimer au public les sons qu’il entend ou conçoit en lui-même : aucun baratin de propagande ne parviendra à me convaincre que c’est au public de se plier et de s’adapter à des sons auxquels il recevrait l’injonction d’adhérer spontanément, au motif qu’ils sont nouveaux.

 

Et pour lesquels il serait sommé d’éprouver tendresse, amour et passion, au motif que c'est ça, la modernité.

 

Si la mélodie est en soi un dédain de la modernité, je lui dirai ce que le cheikh Abdel Razek ordonne à l'infâme Olrik, à la fin du Mystère de la grande pyramide :

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Voilà ce que je dis, moi.