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mardi, 06 janvier 2015

MODIANO PRIX NOBEL

C'est la loi des séries. Cette fois, c'est la série "récompenses officielles" : après la Légion d'Honneur, le Prix Nobel.

 

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Disons-le tout net : lorsque le jury Nobel jugea bon d’attribuer son prix de littérature à Jean-Marie Gustave Le Clézio, j’ai pesté, tant j’ai peu d’estime pour un écrivain tellement soucieux de rabrouer la civilisation dont il est issu, tellement honteux de son appartenance à cette partie de l’humanité qui a eu l’odieuse arrogance de façonner toutes les autres à son gré et à son profit (quand elle ne les faisait pas disparaître), ne consentant à trouver de vérité qu’auprès de ces « Grands Autres » que sont tous les autres (reportez-vous, pour vous faire une idée, au bien nommé Haï, Skira, 1971). Alceste le dit vertement au début du Misanthrope : « L’ami du genre humain n’est pas du tout mon fait ».

 

Remarquez que j’éprouve une antipathie aussi forte et prononcée pour ce monstre sacré de la poésie française du 20ème siècle, je veux dire Sa Majesté Jacques Prévert, dont des milliers d’instituteurs masochistes se sont complus à s’auto-flageller en faisant apprendre aux bambins de « la République de l’ascenseur social » tant de si jolis poèmes célébrant si joliment la haine de l’école et du professeur. Je m'empresse d'ajouter que ces avis très (trop ?) péremptoires ne portent pas sur l'aspect littéraire des œuvres de ces personnes. 

 

Selon ces autorités morales, toutes les courroies de transmission de la « culture classique » et des « fondamentaux du savoir » semblent se dire : « Qu'est-ce qui nous autorise à transmettre ce patrimoine ? De quel droit ? Qu'est-ce qui nous autorise à exister en tant que communauté nationale définie par une identité et une culture spécifiques ? ». Plus le droit de rien, le patrimoine culturel. Renvoyé à l'infamie de la « Kultur Dominante », dénoncée dès longtemps par les sociologues militants, Pierre Bourdieu à leur tête. Plutôt le général que le particulier, clame cette étrange « vox populi » : il ne faut stigmatiser personne. Mais, en même temps que ce chœur angélique entonne son refrain préféré, on entend monter des voix qui fredonnent : « Plutôt le particulier que le général ! ».

 

C'est vrai que dans le Général, on entend aujourd'hui le mot Norme, devenu l'équivalent du mot Fascisme. Alors que le bienheureux Particulier porte la voix des Minorités, par principe et forcément, martyrisées. Les Saints de la Nouvelle Religion seront prélevés dans les Minorités (musulmans et arabes, femmes et immigrés, homosexuels et transsexuels, animaux domestiques et éléphants d'Afrique, et j'en oublie sûrement).   

 

Il y a du saboteur chez les deux fanatiques dont je parlais, qui sont pour quelque chose dans ma défiance grandissante envers les maîtres de morale, les procureurs de la vertu, les experts en humanisme, les proclameurs de nobles sentiments, les professeurs d’altruisme, les donneurs de leçons d’antiracisme, tous métiers dont monsieur le fondateur de Mediapart Edwy Plenel fournit régulièrement la caricature accomplie sur les ondes de France Culture. Tous ces novlanguistes qui instrumentalisent les « VALEURS » pour en faire des armes politiques ne me donnent qu'une envie : vomir.

 

Vomir, ces deux figures (+ 1) de la défaite et du sentiment de culpabilité qui poussent nombre de chefs d’Etat à faire repentance à genoux sur le terrain des crimes de leurs ancêtres (dont ils ne sont pas coupables), et nombre de professeurs à développer des pédagogies ludiques et à se transformer en animateurs culturels parce que, vous comprenez, de quel droit forcerait-on de jeunes esprits à se voir transmettre le patrimoine et la culture transmis par les mêmes ancêtres ?

 

Sans voir là nulle contradiction. Pauvres ancêtres, vraiment, qui voient, d'un côté, pieusement assumé par leurs descendants le Mal qu'ils ont commis, dans des actes de contrition répétés, et d'un autre côté, rageusement rejeté, nié, blackboulé le Bien qu’ils ont élaboré avec tant d'ingéniosité et de persévérance, tant d’art et d'intelligence, tant de culte de la beauté et de la vérité universelles !

 

Tout le Péché de l'Occident minutieusement comptabilisé !

 

Tout le Génie de l'Occident jeté à la poubelle !

 

Avouez qu'il y a de quoi renâcler.

 

Tout ça pour en arriver à dire qu’à mon avis, le choix de Patrick Modiano me semble beaucoup mieux venu que celui de Le Clézio. Même s’il est étrange de sacrer roi un écrivain à ce point tourné vers le passé et mettant en scène, livre après livre, la difficulté d’être et de se fixer manifestée par des personnages toujours un peu fantomatiques.

 

Mais c’est peut-être précisément la raison qui fait que Modiano incarne un des aspects principaux de notre époque : une inquiétude nouvelle à propos des activités humaines. Modiano n’écrit pas des livres brillants, rayonnants, étincelants, conquérants, pas une littérature de vainqueur, mais de mélancolie, parfois d’abattement neurasthénique. Des livres où les personnages sont en proie au doute, face au paysage incertain de ce qu’ils ont vécu quand il regardent en arrière.

 

Ce paysage lui-même est souvent fait des décombres d’une mémoire hors d’état de ressaisir en une synthèse précise et ramassée tout ce que son passé est supposé porter. Sans doute est-ce trop pour elle, en tout cas tellement disparate et disjoint que l’unité de la personne, idée si chère à la pensée cartésienne, a tendance à se dissoudre dans l’air, à se perdre dans les sables.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mercredi, 31 décembre 2014

LE DERNIER MODIANO

Préambule destiné à illustrer l'altitude à laquelle se situe le débat politique en France : Nicolas Sarkozy installe donc l'état-major qui sera chargé de gouverner l'UMP en vue des « batailles politiques » qu'il envisage de livrer prochainement, tous gens de grande envergure et de haute vue, comme de juste. La preuve : Laurent Wauquiez a fait prendre les mesures de son bureau au centimètre près, pour être sûr que celui de Nathalie Kociusko-Morizet n'est pas de plus grandes dimensions.

 

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1/2

 

Franchement, je ne pensais pas que ce serait si difficile de parler d’un livre de Patrick Modiano. De trouver assez de mots précis pour habiller les impressions reçues d'un livre qui vous échappe quand vous tentez de le saisir. Je n’avais jamais essayé d’écrire quoi que ce soit à leur sujet, et pourtant, en ai-je-t-y lu, des « romans de Modiano » ! A chaque parution, ou presque, j’allais en librairie verser mon obole à un écrivain à l’œuvre fascinante. Je n’ai jamais su expliquer cette fascination.

 

Essayez donc de résumer un seul de ses romans ! Malgré l'évanescence de l'intrigue, le flou des traits des personnages, la ténuité de l'action, l'auteur, sans avoir l’air de vous forcer, vous y entraîne aussi aisément que dans les évidences enfantines. Ensuite, les mains de votre mémoire se referment sur des fumerolles : c’est tout ce qui restera de votre lecture.

 

Si, quand même, vous avez les titres qui ont, mieux que les autres, marqué leur passage. Pour mon compte, ce sont Villa triste, Rue des boutiques obscures, Dora Bruder, Un Pedigree, quelques autres. Pourquoi ceux-ci plutôt que d’autres ? Mystère. Il me reste tout au plus quelques vagues ambiances où dominent les errances de lieu en lieu, de ville en ville, d’époque en époque, de nom en nom, souvent à la recherche de je ne sais plus quoi. C'est dans lequel, au fait, que le personnage se livre à un drôle de manège autour de livres anciens ?

 

C’est vrai que j’en ai lu beaucoup, des Modiano. Pas tous, forcément. Je n’ai pas procédé systématiquement, comme j'avais fait pour Henri Bosco, mais j’ai une excuse : Modiano est bien vivant, il continue à produire. Cela ne fait rien : allez voir dans la rubrique « Du même auteur », au début, mais aussi à la fin de chaque volume. Interminable, la liste. Une petite trentaine de romans. Sans compter le reste. Il a même fait un scénario de film (Lacombe Lucien). Il a même écrit une chanson pour Françoise Hardy (« Etonnez-moi, Benoît »). D’autres choses que je ne connais pas, peut-être.

 

Donc, pas facile de poser des mots sur la lecture qu’on vient de faire d’un livre de Patrick Modiano. D’ailleurs, à la réflexion, je ne devrais pas dire « le dernier Modiano », parce qu’il est probable qu’il ne va pas s’arrêter d’écrire des livres. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Et que le lecteur se souhaite par la même occasion.

 

Parce que ce « dernier Modiano » est un livre littérairement magistral, et quand il referme Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, le lecteur se dit qu’il s’est passé, quelque part au fond des méandres et des sables mouvants de son être, quelque chose de pas ordinaire. Et qu’il aimerait bien que ça lui fasse la même chose une prochaine fois, même s’il ne sait pas bien quoi. Pour peu qu’il soit entré dans le jeu, il en sort chapeau bas devant le maître du jeu : du grand art !

 

A se demander si Modiano n'est pas un lointain descendant d'un maître du bouddhisme zen : écrire sur rien. L'esthétique du vide. Quasiment un haïku romanesque, comparé aux pavés que les Américains lancent sur la gueule de nos libraires, même que c'est à cause de ça qu'ils sont de moins en moins nombreux : trop de risques ! Je galèje.

 

Oui, on peut dire qu'avec Pour que tu ne te perdes ..., quelque chose y a remué, là-bas dans le fond. Mais quelque chose de vague, impalpable pour ainsi dire. Aussi insaisissable que celui qui dit « Je » tout au long du roman. Car le narrateur lui-même semble exister à peine tant il livre peu d’éléments qui permettraient au lecteur de l’identifier, d’en esquisser au moins un portrait auquel il pourrait s’identifier, comme cela se passe dans les romans traditionnels.

 

Mais comme l’auteur se débrouille pour que le lecteur, comme dans le cinéma filmé caméra à l’épaule, voie le film se dérouler comme s’il en était lui-même le protagoniste, l’identification se produit malgré tout, et le lecteur se trouve alors comme aspiré dans un vortex d’une étrange inconsistance, pris dans le réseau immatériel des fils d’un passé en quête duquel le personnage est contraint de se lancer pour une raison indépendante de sa volonté.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

samedi, 15 septembre 2012

CARTES POSTALES DU FRONT

Pensée du jour :

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J'm'écris des cartes postales du front

Si ça continue j'vais m'découper

Suivant les points les pointillés

... Vertige de l'amour ».

 

ALAIN BASHUNG

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CARAMBOLAGE

 

Le lauréat de la médaille Fields (comme les mathématiques furentVILLANI CEDRIC.jpg rejetées par ALFRED NOBEL, il fallait bien trouver une récompense aussi prestigieuse pour les pionniers de la discipline, mais c'est tous les quatre ans) est prévenu de son couronnement  6 mois avant l’annonce officielle, avec interdiction absolue d’en parler à qui que ce soit. Pour le médiatique CEDRIC VILLANI, ce fut, dit-il, un « délai merveilleux ». Il vient de publier Théorème vivant. On l'applaudit bien fort.

 

 

 

 

 

 

CABRIOLET

 

Monsieur ANDERS BEHRING BREIVIK,BREIVIK.jpg le médiatique auteur de 77 meurtres en Norvège, a déclaré lors du prononcé du verdict de son procès : « Je voudrais présenter des excuses aux militants nationalistes pour ne pas avoir exécuté davantage de personnes ». MILLET RICHARD.jpgLe médiatique monsieur RICHARD MILLET vient de démissionner du comité de lecture de Gallimard (cf. Le Comité, de MICHEL DEGUY, Champvallon, 1988), après avoir publié un « éloge littéraire » de Monsieur BREIVIK. On attend le prochain Indignez-vous de STEPHANE HESSEL. Mais on me dit qu'un Niagara d'indignation lui est tombé sur le râble, à RICHARD MILLET. Que c'est beau la morale ! Qu'il est grand, le moraliste ! Il y a quelque chose d'admirable et de terrifiant chez les gens qui vont au bout d'une logique, quelle qu'elle soit.

 

 

CHAVELA VARGAS.jpgCATECHUMENE

 

CHAVELA VARGAS (écoutez le sublime « Vamonos », Carnegie Hall 2003, sur Youtube), morte le 5 août 2012 à 93 ans, déclarait à qui voulait l’entendre qu’elle avait bu environ 45.000 litres de tequila au cours de sa vie. Si elle était morte à 123 ans, on aurait pu dire que, en commençant dès le jour de sa naissance, cela aurait fait un litre par jour de vie. En commençant à l'âge de 20 ans, elle aurait dû mourir à 143 pour accomplir une performance égale. Comme dit ALFRED JARRY : « L'alcool conserve les chairs ».

 

 

CATEGORIE

 

L’agence américaine de l’environnement conseille aux habitants voisins de chantiers d’exploitation desGAZ SCHISTE.jpg gaz de schiste (cliquez ci-contre pour vous faire des impressions fortes, ça dure 46 minutes) de ne pas fumer pendant qu’ils font couler l’eau du robinet. A cause des risques d'explosion. Voir, pour plus d'information et de spectacle, le film Gasland.

 

 

CATALEPSIE

 

Le respect se perd. D’une façon générale, c’est sûr. A l’égard des professeurs, c’est d’encore plus d’évidence. Ainsi, choquée par la remarque portée dans le carnet de correspondance de son enfant par le professeur d’histoire-géographie, concernant un travail non fait, ainsi que l’oubli à répétition de livres et cahiers, une mère de famille a fait irruption dans la salle de classe et a assené à l’enseignante, de source syndicale, force gifles et coups de pied. Le rectorat de Poitiers s’est porté, avec le cran administratif qu’on lui connaît, au secours de la victime, déclarant qu’elle avait reçu "une seule gifle et un seul coup de pied, sortant l’après-midi même de l’hôpital". Ce qui, indéniablement, relativise.

 

 

CARROSSERIE

 

En revanche, le maire de Cousolre (59), lui, parce qu'il avait giflé un adolescent parce que celui-ci avait proféré des insultes et des menaces à son encontre parce qu’il prétendait l’empêcher d’escalader un grillage, sera prochainement jugé en appel, après avoir été, en première instance, condamné à 1000 euros d’amende et 250 de dommages et intérêts. A part l'amende, monsieur BOISART n'aura qu'à échanger ses billets avec l'adolescent, lui aussi condamné à 250 de dommages.

 

Une question reste sans réponse : qui condamnera les juges à se flanquer 33 coups de pieds dans le derrière ?

 

 

 

KARABOUDJAN

 

VILLA DES MYSTERES 2.jpg

 

Les ruines de Pompéi tombent en ruines au carré. Que fait Berlusconi ? Il organise un gang-bang. Dans l’un des monuments les plus connus de la ville (et de toute l’antiquité romaine), l'extraordinaire Villa des Mystères, une poutre de soutien du toit de tuiles s’est effondrée le 8 septembre. Très mauvais signe. On sait en effet que cette date du 8 septembre est l’appellation « vulgaire » du 1er absolu du calendrier pataphysique, jour de liesse, puisqu’il a vu la naissance du Père UbuJARRY PORTRAIT VALLOTTON.jpg, autrement dit l’avènement de la ’Pataphysique en ce monde. Alléluia ! Allez en paix ! Ite missa est ! Des « Mystères » s’effacent pour laisser place à d’autres « Mystères », plus imposants et majestueux. Et laissons les ruines enterrer les ruines. Pour mieux laisser advenir le règne de Faustroll-Ubu-Jarry !!!! « Ha ! Tu resplendis dans la lumière ... Le Rock advole ! » (César-Antéchrist, Acte dernier).

 

 

CARABISTOUILLE

 

Pour finir, je m'en voudrais de ne pas signaler, en ces temps qui nous rapprochent du 11 novembre et de ses commémorations de la fermeture d'une échoppe (à l'enseigne de la "Grande Boucherie du XX ème siècle"), l'existence d'un monument très particulier que nous a légué cette époque. En dehors des 17 communes françaises (sur 36 000) dépourvues de tout monument aux morts, on note qu'un monument devient facteur de division entre deux communes : Saint-Santin et Saint-Santin.

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SAINT-SANTIN D'AVEYRON (12)

Car il faut savoir que l'administrateur parisien, en traçant les limites des départements, a fait passer celle du Cantal et de l'Aveyron en plein milieu de la commune de Saint-Santin. Et l'on voit, en regardant bien, successivement, les flancs du monument, que l'on est d'un côté en Aveyron, et de l'autre côté dans le Cantal. Question : a-t-on gravé deux fois les noms des morts ?

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SAINT-SANTIN DU CANTAL (15)

Ils sont fous, ces Romains !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Note destinée aux lecteurs interloqués par les intitulés jalonnant cette note : comme ça faisait bien longtemps que je n'avais pas évoqué BEROALDE DE VERVILLE et son inénarrable (je pèse mes mots) Moyen de parvenir, je me suis permis de m'inspirer de ses titres de chapitres. Un exemple de succession de titres (il y en a 111 comme ça) : « Mappemonde, Métaphrase, Paragraphe, Occasion, Plumitif, ... ». En espérant que cela relativisera à leurs yeux l'arbitraire de mes vocables.

 

 

 

 

mardi, 21 février 2012

PÊLE-MÊLE D'UN CARNET DE LECTURE (5)

L'Epidémie, ANDREAS FRANGIAS (1927 - 1971)

 

Magnifique livre parlant sur un ton posé d’années terribles passées dans une « île de concentration » pour détenus politiques en Grèce pas si ancienne que ça. Ton volontairement neutre, apaisé, où l’on peut projeter plusieurs sortes de valeurs. Le livre décrit l’horreur du système, et par son détachement apparent, fait ressortir la dérision, l’absurde, non pas sous une forme déclarée, déclamative, mais la suggère dans l’esprit du lecteur.

 

 

Il n’y a guère de haine apparente, seulement de temps à autre, des bulles d’émotion éclatent à la surface des phrases, surtout dans les échanges entre les hommes, un regard furtif, une phrase discrète, une étreinte fraternelle. Ce n’est pas pour autant un livre serein, ni un livre de souvenirs. On est dans l’organisation d’un monde, comme ci et comme ça. D’où vient-on ? Où va-t-on ? Ce sont les questions de tous, ici et là-bas, comment s’adapter le mieux possible à l’environnement, au chef, aux dangers, aux voisins. Comment faire pour s’élever socialement ?

 

 

Questions des plus banales et universelles. Simplement, les problèmes posés sont absurdes (le pont, les mouches, la chaux, la hiérarchie), les relations sont écorchées, prises dans les tenailles de la perversion. Il faut impérativement maintenir en vie l’homme dans l’horreur, pour le briser, pour le tuer intérieurement.

 

 

Tristesse et beauté, KAWABATA YASUNARI

 

 

 

KAWABATA CIG.jpg

 

Deux lesbiennes, qui sont aussi deux peintres, dont une célèbre : Otoko, voient surgir Oki, ancien amant, amour fini, jadis, en tragédie. La plus jeune, pour venger celle qu’elle aime, décide de porter le malheur dans la famille d’Oki, en provoquant la mort du fils. Intériorité fascinante, interpénétration de l’extérieur très ritualisé du Japon, et d’un monde intérieur toujours fluctuant. Des surprises, des fils inextricables, un mystère, qui ne tient pas qu’à la japonitude du roman.

 

 

Le Bal du comte d'Orgel, RAYMOND RADIGUET

 

Jusqu’à la moitié, le récit paraît empreint de naïveté, tant la transposition de l’Œdipe semble flagrante. Un jeu qui se met en place lentement, posément, classiquement, dans des descriptions des personnages. Paul Robin, François de Séryeuse, puis les Orgel, enfin Madame de Séryeuse. Retour sur Mahaut d’Orgel, l’objet de l’amour de François, puis retour sur la mère de celui-ci.

 

 

 

RADIGUET.jpg

MORT A 20 ANS 

 

Tout se déroule comme un panoramique, sur un arrière-fond d’éléments fixes, comme un manège bien rodé. Puis tout le livre se cabre dans la fin, ou pique du nez dans un mouvement accéléré, qui semble devoir bouleverser le monde entier, tant la tempête intérieure des êtres est grande. L’ordre vacille. Présence de Naroumof. La morale, la rectitude du devoir vacillent. Des tourbillons intérieurs en présence les uns des autres semblent promettre, dans leur choc inévitable, une douleur durable pour bien des gens.

 

 

On s’achemine donc tranquillement, puis cavalièrement, vers ce qu’il est convenu d’appeler une catastrophe. Au moment où tout doit basculer, lors de l’aveu de Mahaut d’Orgel à son mari, la réaction de celui-ci, en quelques mots, réinstalle l’ordre, réinaugure la tranquillité comme si elle n’avait jamais rien risqué, comme si l’amour mutuel, enfin avoué, de deux êtres, un amour interdit par le lien conjugal de l’un, n’avait aucune chance de faire dévier une trajectoire qui ne dépend pas des individus en action.

 

 

Ceux-ci, pourrait-on dire, sont « renvoyés à leurs sentiments » : le bal se tiendra. Dans cette bataille entre extériorité et intériorité, c’est la première qui gagne. Elle seule gouverne, au fond, et ce n’est pas l’intériorité des sentiments qui doit pouvoir la modifier par ses modestes incidences, finalement négligeables. Sûrement pas un roman naïf, donc, mais un grand roman, bien clos sur lui-même, un grand roman de la dérision.

 

 

Le Roi Bohusch, RAINER MARIA RILKE

 

Ce n’est qu’une nouvelle, mais c’est du RILKE. Bohusch fut un enfant et reste un adulte contrefait, complexé par rapport à tous les autres, méprisé. Tout le contraire de son père, M. Bohusch, à l’attitude et à la sture altières et majestueuses. Voilà-t-il pas que le jeune Bohusch fait un seul et unique rêve. Je donne juste cette citation, le rêve du Roi Bohusch le contrefait. 

 

RILKE 2.jpg

C'EST LA BEAUTÉ INTERIEURE QUI COMPTE

 

 

« Un instant s’écoula avant que le bossu comprît clairement pourquoi, à cet instant, il pensait justement à son père. Il le voyait : dans son immense paletot de fourrure à tresses, dont le col semblait se confondre avec sa grande barbe, M. Bohusch marchait d’un pas large et assuré dans le haut vestibule crépi de lumière du vieux palais de la rue de l’Eperon. Le pommeau d’or de sa crosse touchait presque les franges dorées du rebord de son chapeau sous lequel ses yeux veillaient, graves et attentifs.

 

 

» Et l’enfant maladif se postait souvent derrière la porte de la loge du portier, et par une fente regardait son père dont la stature était plus haute que celle des tous les autres hommes et du vieux prince lui-même, devant lequel le père se découvrait respectueusement sans cependant s’incliner très bas. D’un baiser ou d’un sourire de cet homme, Bohusch, si loin qu’il cherchât, ne pouvait se souvenir, mais sa stature et sa voix faisaient partie des impressions les plus nettes de son enfance.

 

 

» Et c’est pourquoi il se rappelait toujours son père, chaque fois qu’il enviait au défunt l’un de ces deux avantages et qu’il se disait : "L’un et l’autre restent en somme maintenant inutilisés ; il n’a besoin ni de sa voix ni de sa grande taille. Pourquoi a-t-il emporté tout cela ?" Et lorsque le bossu y pensait, il se sentait chaque fois emporté, entraîné. Ses pensées n’étaient plus en lui, elles couraient devant lui, et il devait les poursuivre pour les reprendre. Pouvait-on ainsi les laisser courir ? Hors d’haleine, il les rejoignait chaque fois au même endroit.

 

 

» C’était une belle nuit d’automne avec des nuages rapides. La lumière incertaine était juste assez patiente pour permettre à Bohusch de reconnaître une plaque de marbre sur laquelle, entre les branches foisonnantes, il pouvait lire : Bitezlaw Bohusch, portier ducal. Et chaque fois que le petit lisait cela, il commençait à creuser avec des ongles avides dans l’herbe et la terre, jusqu’à ce qu’il se sentît de plus en plus fatigué, et que l’haleine de la terre humide devînt de plus en plus lourde et plus nébuleuse, et que ses ongles commençassent à crisser sur le bois lisse du grand cercueil jaune.

 

 

 » Et alors il se voyait à genoux sur le cercueil, dans la fosse sombre, rester indécis durant quelques secondes. Jusqu’à ce que, enfin, il trouvât une solution : on devait pouvoir briser cette planche en cognant de la tête, de même que l’on pouvait briser une vitre. Ne l’avait-on pas toujours raillé à cause de la dureté de son crâne ? Il allait donc du moins être bon à cela. Crac ! La planche cède comme une vitre, et Bohusch étend sa main brûlante, retire de cette obscurité moite la poitrine de son père, en revêt comme d’une cuirasse ses épaules timides, étend encore la main, cherche et cherche de ses doigts convulsés, s’aide de l’autre main, et ne parvient pas à comprendre pourquoi ses deux mains sanglantes ne trouvent pas la voix de son père. »

 

 

On ne se remet jamais d'être seul dans l'existence. Quelques livres, par bonheur, aident à supporter cette solitude.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.