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lundi, 06 mars 2017

FRICHE CROIX-ROUSSIENNE

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L'escalier (assez sinistre, à vrai dire) monte vers les courts de tennis désaffectés, dont la gestion était, me semble-t-il, associative (je me trompe peut-être).

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Le terrain, théoriquement encore sous l'emprise de l'INRAP (vous savez, ce machin de l' "Archéologie Préventive", concession faite par les bétonneurs au patrimoine culturel collectif, dont je n'ai jamais vu un seul membre sur le terrain), est promis au béton. Un beau jardin avec des bancs, une pelouse, un espace pour les crottes de chien, un espace pour les jeux des enfants, le tout étant délicieusement ombragé par de vrais arbres en bois d'arbre ? Voyons, vous n'y pensez pas ! Soyons sérieux !

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La friche occupe, comme on le voit, le cœur de cet îlot, compris entre une bribe du boulevard (en bas), la place de la Croix-Rousse (à gauche), la rue d'Austerlitz (en haut) et la rue Boussange (à droite). Le rectangle en bas est le toit de l'ancien centre de formation de la Poste, qui a été récemment transformé en immeuble de très grand standing (on appelle ça la "gentryfication"), du haut duquel le panorama sur la ville doit être splendide. Derrière les façades de la place (à gauche), on voit le rectangle bistre du terrain de boules où les habitués descendent (c'est, au bas d'une vingtaine de marches, un des restes de l'ancien fossé du fort de la Croix-Rousse, quelques autres rectangles un peu sombres, en-deçà des immeubles, indiquent les autres restes) faire leur pétanque et s'imbiber le gosier. Les petits vernis qui avaient vue sur la verdure bénéficieront bientôt d'un paysage plus "moderne". Hors des jardins privés bien établis, on pensera peut-être à sauver quelques arbres.

Photographies Frédéric Chambe.

dimanche, 05 mars 2017

DÉLICE DE VIALATTE

VIALATTE RESUMONS NOUS.jpgVient de paraître Résumons-nous, (éditions Robert Laffont,VIALATTE ALMANACH.jpgVIALATTE KÖNIGSBERG.jpg collection Bouquins) volume de 1300 et quelques pages des chroniques écrites par Alexandre Vialatte à destination de plusieurs supports. Je connaissais évidemment Bananes de Königsberg (1985, préface de Ferny Besson) et Almanach des quatre saisons (1981, préface de Jean Dutourd), réédités ici et publiés en leur temps par les soins et la diligence de la grande amie Ferny Besson (éditions Julliard). Quand les deux gros volumes des Chroniques de La Montagne avaient paru chez Bouquins / Laffont, j'avais littéralement sauté dessus, au point d'en faire ma seule exclusive compagnie lors d'une expédition lointaine. J'ai cependant conservé pieusement les Julliard.

J’ai commencé par me plonger dans le recueil des articles parus dans Le Spectacle du monde entre 1962 et 1971 (mes parents furent un de ces temps abonnés à la revue, mais je confesse que j'étais alors passé complètement à côté de ces articles : je devais être un peu trop vert pour saisir la méthode et la subtilité de la langue de Vialatte, même si je n'ai pas trop tardé à m'y mettre).

Dire combien je me régale depuis quelques dizaines d’années avec la prose de Vialatte relèverait du pléonasme, voire de la simple balourdise. Hommage à un grand homme de la langue française. Ce plaisir n’a pas pris une ride. Mieux : il se bonifie et s’intensifie avec le temps. Je recommande les références savantes à Phorcypeute l'Enumérateur, Hermogène le Guttural, Phyte l'Environnaire, et même le vicomte Amable de Vieuval. Elles valent les trouvailles des "proverbes bantous" et de l'uzvarèche.

« La femme remonte à la plus haute antiquité. Phorcypeute l’Enumérateur la cite déjà dans ses ouvrages. Le vicomte Amable de Vieuval fait mention d’elle avec vivacité dans son Tableau des chemins de fer suisses, suivi d’un Eloge du printemps et Casanova la raconte avec la plus grande affection. Elle a su provoquer le lyrisme d’Hermogène le Guttural et de Phyte l’Environnaire. Horace la vante et Pétrarque l’exalte, le Dr Gaucher l’étudie. C’est l’effet de sa grande importance, car elle joue un rôle capital dans la suite des générations et le déroulement même de l’histoire.

Faut-il rappeler Marguerite de Bourgogne, Hélène de Troie, Emilienne d’Alençon ? Citer Mme Steinheil ou la belle Otéro ? Leurs noms sont dans toutes les mémoires. On montre encore dans les sous-sols du musée Grévin la petite baignoire-sabot en zinc, munie d’un couvercle à charnières, dans laquelle Charlotte Corday immola le cruel Marat. Mme Roland faisait les discours de son mari. La femme de Poetus montrait à son époux comment il faut s’ouvrir les veines. Mme Tolstoï exhortait le sien à écrire d’excellents romans plutôt que de faire de mauvaises bottes [historique].

Sans la femme, l’enfant serait sans mère, le père sans fille, le beau-frère sans belle-sœur, l’oncle sans nièce, l’époux sans veuve. Supprimez-la, l’opéra perd son charme, l’écran ses bustes les plus beaux. Sans elle, au Grand Café il n’y aurait plus de caissière, même à l’heure de l’apéritif, entre deux pots de sansevieria de valeur moyenne. L’homme vivrait comme un orphelin. Recueilli par charité dans d’immenses internats par les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul ou les Frères des écoles chrétiennes, il mènerait dans de grandes casernes une existence d’enfant trouvé, sans autre distraction que la promenade du jeudi, sous l’œil indifférent d’un gardien en casquette, dont les réprimandes salariées ne sauraient remplacer les discussions de famille. De longs troupeaux de quinquagénaires rasés sans soin et brossés sans vigueur se traîneraient sur les routes nationales, rêvant vainement de retrouver aux grandes vacances, pour jouer au croquet et boire du chocolat, des cousines en jupe à plis plats, dans de vieux jardins ornés d’ocubas et de tilleuls. Le soir ramènerait l’homme à son orphelinat. Il y jouerait aux cartes, il fumerait du tabac, il parierait aux courses, il boirait du vin rouge, il sombrerait dans des plaisirs grossiers. Les droits de la femme ne seraient plus défendus. Les travaux de George Sand perdraient toute importance. Des chauves barbus devraient remplacer au pied levé le jury du prix Femina, et manger des petits-fours en buvant du thé tiède. Avec la femme, au contraire, tout s’anime, tout se passionne, la vie reprend ses droits. Elle se marie, elle divorce, elle enfante, elle trompe le boulanger avec le pharmacien ; elle renverse les ministères, elle jette ses enfants par la fenêtre, elle tricote des layettes bleu-pâle sur la ligne Italie-Nation. Enveloppée d’un manteau de vison, elle porte en tête des cortèges politiques une pancarte d’un mètre-carré, qui proclame : « Nous voulons du pain ». Elle tape le courrier de l’homme, elle le porte à signer, il signe, elle l’embrasse, elle l’épouse ; de temps en temps elle le vitriole. L’homme assiste impuissant, l’œil vide, à toutes ces manifestations. Elle lui dispute le bureau et l’usine, elle lui a chipé son pantalon. De conquête en conquête, elle en est arrivée à avoir le droit de travailler quatre-vingt-dix heures par semaine.

C’est un progrès considérable et apprécié.

D’où vient la femme ? Du même jardin que l’homme. Louis XIV avait chargé l’évêque de Beauvais, si j’ai bonne mémoire, d’en retrouver l’emplacement exact. L’évêque le situa à peu près au confluent du Tigre et de l’Euphrate. C’est de là que la femme s’est répandue partout. Sous toutes ses formes. Elles sont nombreuses. Jean Dubuffet, qui aime les contours tremblés, lui donne souvent la figure du Danemark, dont la silhouette l’avait frappé dans son enfance sur les cartes géographiques. Mais l’époque en impose bien d’autres, telles que la ligne haricot vert, la ligne diabolo, la ligne corde à nœuds (la ligne saucisson est innée). Autant en emporte la mode. Bref, la femme est épisodique.

Le Dr Garnier, dans son ttraité du mariage légal, la définit par son opposition à l’homme. « L’homme, lit-il [sic], est altier, pileux, dominateur ; sa texture fibreuse et compacte ; ses cheveux raides, sa barbe noire et bien fournie ; sa poitrine fortement velue exhale le feu qui l’embrase. » La femme a « la figure plus courte et le caractère plus timide, les genoux plus gros, la graisse plus blanche, et le foie plus volumineux ». On voit par là que le Dr Garnier a pris l’homme pour Garibaldi. Sa description de la femme en perd en vraisemblance, ou au moins en portée générale.

Il paraîtra plus équitable de constater que la femme, au moins au XX° siècle, se compose d’une âme immortelle et d’un manteau de renard en chèvre façon loup. Le "drapé en vrille" et "l’ourlet explosif" lui donnent une silhouette étonnante ; sa bouche enduite de Top Secret "va du beige rosé au rouge vibrant". Des substituts de beauté la frottent, la "désincrustent", la hachent, la raclent, la flagellent, la pincent, la rabotent, la triturent, la battent en neige, la roulent dans la farine, et la déroulent sans un faux-pli. Puis la font sécher sur une corde.

(…) ».

Sans commentaire.

Merci, monsieur Vialatte.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : les publicitaires n'ont honte de rien. Un ramassis de tâcherons de je sais plus quelle basse extraction avaient piqué sans vergogne à Vialatte le "truc" des deux dernières phrases, comme on le voit ci-dessous :

littérature,littérature française,alexandre vialatte,résumons-nous,chroniques de la montagne vialatte,proverbe bantou,uzvarèche,phorcypeute l'énumérateur

Je me souviens que le réjouissant dans l'affaire avait été les hauts cris poussés par les féministes qui, n'ayant honte de rien non plus, prétendent parler "au nom de toutes les femmes", et qui étaient à cette occasion montées à l'assaut de cette publicité, au motif qu'elle "portait atteinte à la dignité des femmes", alors qu'on sait que toute publicité est, par essence et par nature, une atteinte à la dignité humaine en général. Mais on sait malheureusement qu'un militant, quelle que soit la cause qu'il brandit, a pour métier de tirer toute la couverture à lui. Une revue « bête et méchante » aujourd'hui disparue avait même fait du thème un slogan : « La publicité nous prend pour des cons, la publicité nous rend cons ».

samedi, 04 mars 2017

LA SUBVERSION FILLON

Table très recommandable.

Mais pourquoi avoir voulu coincer à tout prix des rafales de bouquins sur des rayons manifestement trop pas faits pour ça ?

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Photographie Frédéric Chambe.

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Nicolas Sarkozy, président de la République, avait comparé les juges à des boîtes de petits pois alignées sur un rayonnage. François Fillon, candidat à la présidence de la République, a fait un pas de plus en direction de la destruction de l'institution judiciaire. Que des personnes qui exercent la plus haute fonction des institutions de l'Etat ou qui aspirent à le faire puissent contester la légitimité d'une de ces institutions est proprement sidérant. François Fillon a mis bas le masque sur sa conception profonde de l'exercice du pouvoir, une conception autocratique. Il voudrait créer une situation insurrectionnelle qu'il ne s'y prendrait pas autrement. J'espère que ce n'est pas dans ses intentions, bien que ses propos ressemblent furieusement à ceux que tient Marine Le Pen. Drôle d'endroit pour une rencontre. Je dirais même : inquiétant. 

Cet homme est dangereux.

vendredi, 03 mars 2017

ITINÉRAIRE BELGE

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Derrière la baie vitrée de l'ancienne plomberie, l'inscription qui justifie le titre abracadabrant du billet figure en toutes lettres (illisible ici) sur la planchette tout en haut à droite de l'édifice livresque (il y a aussi des DVD). J'ai l'impression (ce n'est qu'une impression) que le livre sur Lyon (tout en bas au milieu), ainsi que le jeu de Monopoly (édition de Lyon, en haut à droite) sont là pour faire croire que. Cela sent l'implantation récente.

jeudi, 02 mars 2017

COMBIEN DE MEHDI MEKLAT ?

Je ne m’étendrai pas sur l’histoire qui a suivi la révélation des messages clandestins diffusés sur Twitter par le bondyblogueur devenu malheureusement célèbre Mehdi Meklat. Je n’ai pas prêté attention (ni de près, ni de loin, ni du tout) aux péripéties qui ont accompagné, puis suivi la naissance et l'existence du Bondy blog (suscité par deux Suisses altruistes venus sur place lors des émeutes de 2005). Je veux juste poser une question, parce que je n’ai pas entendu qui que ce soit la poser dans les médias que je fréquente (côté touiteur-fessebouc-etc., je suis réseau zéro : je suis entré en réticence).

Certes, Mehdi Meklat est une figure qui a émergé précisément après les émeutes de 2005 grâce à un indéniable talent (paraît-il) dans le maniement du verbe, ce qui a, semble-t-il, décidé de sa vocation de "journaliste". Certes, grâce à lui et à son pote Badrou (Badroudine Saïd Abdallah), on a raconté que les « banlieues difficiles » avaient pris la parole, parce que ces deux jeunes donnaient enfin une voix à des gens qui en étaient privés depuis toujours.

Je n’éprouve pas la curiosité de découvrir le contenu des dizaines de milliers de messages que Mehdi Meklat a postés. Il paraîtrait, d’après ce que j’en ai appris, qu’on peut difficilement faire mieux en matière de haine antisémite, homophobe et misogyne. Aller y voir de plus près ne m’a pas effleuré l’esprit. Je laisse le monsieur à ses dérives et à ses repentirs, véridiques ou simulés.

Non, s’il est vrai que son entourage et pas mal de ses proches étaient parfaitement au courant de ce que Mehdi Meklat pouvait dire sous pseudonyme, la question que je me pose est la suivante : combien approuvaient les propos ? Dans la communauté qui gravitait autour du Bondy blog et de Mehdi Meklat, ces propos font-ils exception ? Ou au contraire, ne sont-il que le reflet d'opinions largement partagées ?

Car il me semble qu’en grattant un peu les croûtes de l’affaire, on a des chances de tomber de nouveau sur une drôle de plaie, un non-dit un peu purulent et malodorant, du genre qu’il faut soigneusement recouvrir quand on parle des « banlieues difficiles » ou des « jeunes issus de l’immigration ». Un tabou qu’il est interdit de dévoiler sous peine de passer pour un fauteur de guerre sociale, d’être accusé  d’ « incitation à la haine raciale », au motif que la « discrimination » ou la « stigmatisation de toute une communauté », à cause de quelques « brebis galeuses », eh bien c’est très vilain.

Il n’y a pas si longtemps, Georges Bensoussan, de confession juive, a pris une magnifique volée de bois vert, après son débat avec Tarek Oubrou, imam de Bordeaux estampillé "musulman modéré", sur l’antenne de France Culture (dans l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut), parce qu’il y a déclaré : « Dans les familles arabes en France, tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère ». Pour l’avoir dit, Bensoussan se retrouve en correctionnelle pour les motifs que je viens de citer : stigmatisation d’une communauté, incitation, etc. Eh oui, le droit français ne connaît que des individus : désigner un groupe entier, c’est s’exposer à une sanction de la loi.

Et pourtant, je continue à me demander si Mehdi Meklat ne serait pas, en définitive, qu’un symptôme. Le symptôme visible, du fait de sa notoriété particulière dans son milieu (et en dehors), d’un mal beaucoup plus général et banal, qui touche en réalité en beaucoup plus grand nombre qu’on ne le dit les gens qui constituent tout le terreau sur lequel il a poussé. Oui, autour du Bondy blog (et ailleurs),

combien de Mehdi Meklat ? 

Pourquoi n’aurait-on pas le droit de se demander, si antisémitisme il y a, dans quels secteurs de la société celui-ci s’est répandu ? Et si Mehdi Meklat n’est pas la partie émergée d’un iceberg ? Le genre d’iceberg qui fait dire à Benyamin Netanyahou que la France est un pays antisémite ? Mais je ne me sens pas concerné : qu’est-ce qui est vraiment et viscéralement antisémite, en France aujourd’hui, en dehors de quelques nostalgiques du Troisième Reich ?

Pour répondre à la question, je suggère de regarder du côté de Mehdi Meklat et de tous ses semblables plus ou moins avérés, et de se demander qui, en France, prenant fait et cause pour la cause palestinienne, met dans un seul sac la totalité du peuple d’Israël, comme s'il n'existait dans le pays aucune force qui soit favorable à la paix et à la formation d'un Etat palestinien autonome (mais comme on dit, faut pas rêver : la droite israélienne et les pro-colonisation se voient pousser des ailes depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche : Netanyahou n'a pas fini de s'en prendre à l' "antisémitisme" en France).

S’il en est ainsi, d’abord, il faut que le Français normal se désolidarise de cette partie de la population. Ce que je fais ici. Mais par ailleurs, s’il en est ainsi, il est à craindre que Georges Bensoussan, en tenant les propos qui ont permis de l’envoyer au tribunal, est moins dans l’islamophobie que dans le vrai.

Nous vivons des temps difficiles.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 01 mars 2017

MIETTES DE SAINT-SIMON

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En frontispice du tome I (volume I), « Louis, duc de Saint-Simon Vermandois ».

Relevé dans le tome IV (1698) des Mémoires de Saint-Simon (Louis, duc de) :

« Son ami le duc de Gesvres, qui quelquefois faisait le lecteur et retenait quelques mots qu'il plaçait comme il pouvait, causant un jour dans les cabinets du roi, et admirant en connaisseur les excellents tableaux qui y étaient, entre autres plusieurs crucifiements de Notre-Seigneur, de plusieurs grands maîtres, trouva que le même en avait fait beaucoup, et tous ceux qui étaient là. On se moqua de lui, et on lui nomma les peintres différents qui se reconnaissaient à leur manière. "Point du tout, s'écria le marquis, ce peintre s'appelait INRI ; voyez-vous pas son nom sur tous ces tableaux ?" On peut imaginer ce qui suivit une si lourde bêtise, et ce que put devenir un si profond ignorant. ».

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Le peintre dont il est parlé ci-dessus était sans doute le bien connu "Jésus de Nazareth Roi des Juifs". Pauvre duc de Gesvres : il fut un temps où le ridicule tuait.

Le tome III des Mémoires rapporte quelques anecdotes d'un tonneau qui devait être voisin de cave. Imaginez le tsar en Hollande, pour s'initier incognito aux secrets des métiers de la charpenterie de marine (il a de grandes ambitions pour la Russie). Il est "czar" chez Saint-Simon, mais "zar" dans l'opéra de Lortzing, Zar und Zimmermann (Tsar et charpentier).

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L'incognito est, semble-t-il, bien léger, puisqu'il doit un jour recevoir les ambassadeurs d'Angleterre, dont il est vexé du peu d'intérêt qu'ils lui portent. Il se venge de la façon que voici :

« Enfin, l'ambassade arriva : il différa de lui donner audience, puis donna le jour et l'heure, mais à bord d'un gros vaisseau hollandais qu'il devait aller examiner. Il y avait deux ambassadeurs qui trouvaient le lieu sauvage, mais il fallut bien y passer. Ce fut bien pis quand ils furent arrivés à bord. Le czar leur fit dire qu'il était à la hune, et que c'était là où il les verrait. Les ambassadeurs, qui n'avaient pas le pied assez marin pour hasarder les échelles de corde, s'excusèrent d'y monter ; le czar insista, et les ambassadeurs, fort troublés d'une proposition si étrange et si opiniâtre ; à la fin, à quelques réponses brusques aux derniers messages, ils sentirent bien qu'il fallait sauter ce fâcheux bâton, et ils montèrent. Dans ce terrain si serré et si fort au milieu des airs, le czar les reçut avec la même majesté que s'il eût été sur son trône ; il écouta la harangue, répondit obligeamment pour le roi et la nation, puis se moqua de la peur qui était peinte sur le visage des ambassadeurs, et leur fit sentir en riant que c'était la punition d'être arrivés auprès de lui trop tard ».

Pour le dire simplement : je me régale.

Allez, juste pour le plaisir, un portrait bien gratiné au four, tiré de la fin du tome II :

« Madame de Castries était un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau ; ni derrière, ni gorge, ni menton, fort laide, l'air toujours en peine et étonné, avec cela une physionomie qui éclatait d'esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes, et jamais elle ne paraissait qu'elle sût mieux que parler français ; mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes, avec ce tour unique qui n'est propre qu'aux Mortemart. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans le vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne les jamais oublier, glorieuse, choquée de mille choses avec un ton plaintif qui emportait la pièce, cruellement méchante quand il lui plaisait, et fort bonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général, sans aucune galanterie, mais délicate sur l'esprit et amoureuse de l'esprit où elle le trouvait à son gré ; avec cela un talent de raconter qui charmait, et, quand elle voulait faire un roman sur-le-champ, une source de production, de variété et d'agrément qui étonnait ».

Je ne m'en lasse pas.