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dimanche, 12 novembre 2023

MARCHONS ! MARCHONS !

J'ai entendu dire qu'il allait y avoir aujourd'hui, dimanche 12 novembre, partout en France, des marches contre l'antisémitisme. J'applaudis l'initiative, même si je ne sais pas trop de qui elle émane précisément. L'Etat français officiel ? Un cartel de partis politiques ? Une pléiade d'associations militant pour la paix entre Israël et le Hamas ? Tout ça à la fois ?

Quoi qu'il en soit, il faut se féliciter que, pour une fois, le consensus rassemble les forces vives de la nation française. Ce n'est pas si souvent. Bon, c'est vrai, la France Insoumise fait bande à part, mais il faut comprendre le parti dirigé d'une main de fer par l'olibrius Mélenchon : ce nouveau "Danube de la pensée" (après le Roumain Nicolae Ceaucescu) marche le moins possible, souffrant de cors aux pieds dans ses chaussures trop neuves pour avoir eu le temps de s'assouplir, mais ne le dites à personne. 

Cela dit, un détail continue à me chiffonner. Comment se fait-il que le Rassemblement national, le parti - Front National à l'origine - fondé autrefois par Jean-Marie Le Pen, ait décidé de se joindre à la foule bigarrée des gens qui ont été choqués, voire blessés, voire ulcérés, voire bouleversés par les agressions (verbales et autres) contre des synagogues et des membres de la communauté juive ?

On se souvient en effet que le père Le Pen ne reculait jamais devant un jeu de mot (« Durafour-crématoire ») ou une affirmation hasardeuse (le fameux « détail de l'histoire ») qui manifestaient, disons, une certaine porosité aux idées héritées d'une tradition antisémite solidement implantée dans notre pays — cela étant dit sans même remonter à l'affaire Dreyfus. C'est sur de telles idées que le Front National avait recruté la plus grande grande partie de ses membres. 

Il faut croire que la fille, après s'être débarrassée de la figure encombrante du fondateur, a réussi le tour de force de faire le ménage dans les rangs, jusqu'à le rendre, de la cave au grenier, propre et net de toute pensée suspecte. Je persiste cependant à m'interroger. Marine Le Pen, si prompte à brandir l'étendard de La Marseillaise comme preuve de son patriotisme, a-t-elle bien médité tout le sens des paroles de ce chant guerrier ?

Quand elle entend : 

« Marchons, marchons,
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons ! »,

p
our elle — et tout son parti derrière elle —, dans les veines de quel genre de population coule-t-il, ce "sang impur" ? A qui pense-t-elle au juste ? Est-ce que ce ne serait pas, par hasard, précisément un sang à la teneur quelque peu "sémitique" ? Ne subsisterait-il pas, dans les profondeurs inavouées du parti lepéniste, des traces de ce passé soi-disant révolu ?

Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que la décision de mêler sa formation à la masse des gens pour qui la haine des juifs reste, sincèrement ou politiquement, une obscénité innommable, constitue un assez joli coup tactique, qui oblige tous les autres groupes à se situer par rapport à elle. Disons-le carrément : Marine Le Pen doit aujourd'hui rigoler comme une bossue à l'idée d'avoir foutu un magnifique merdier dans le camp d'en face. Gauche et droite ne savent plus où elles en sont. Signe peut-être que la France elle-même ne sait plus du tout où elle en est. La France semble être devenue un bateau ivre.  

Et on observe mine de rien que, quoi qu'en disent les commentateurs, Marine Le Pen est en train de réussir sa "dédiabolisation" de l'héritage paternel, puisque, à part les Insoumis, aucun autre groupe n'a fait part d'une quelconque répugnance à défiler aux côtés des fachos. Tout au plus de légères réserves ont-elles été émises ici ou là.

Et c'est cela qui devrait faire peur. Je n'insiste pas sur l'histoire du loup qui se change en agneau, mais il y a de ça. Car la Le Pen fait sans doute un pas de plus en direction du but qu'elle s'est fixé : le pouvoir. Pour cela, elle est prête, qu'on se le dise, à modeler son discours sur la forme des clés qui lui en ouvriront les portes. Ses convictions à elle importent-elles ? En a-t-elle seulement ?

C'est une autruche. C'est une matière plastique. Tout lui est bon, pourvu que cela la rapproche de l'objectif présidentiel. Quand elle l'aura atteint, qu'y fera-t-elle ? Quelles décisions prendra-t-elle ? L'inquiétante question se pose d'autant plus qu'elle ne sera pas seule : tout un entourage gravite autour de cette figure qui se veut centrale. Et une belle partie de cet entourage, qui sert de marchepied à Marine Le Pen et qui n'apparaît guère à l'avant-scène médiatique, est l'héritière de tout un passé lourd de menaces.

***

Note : le terme "antisémite" désigne exclusivement les juifs, dit-on. Mais c'est oublier, ce faisant, un tas d'autres collectivités, comme le montre la définition que le Petit Larousse Illustré donne du mot "sémite" (surligné par mes soins, pour cause d'actualité).

SEMITE P.L.I. 2002.jpg

On constate ici que les Arabes et les Hébreux sont au moins cousins (par la langue qu'ils parlent).

En gros, le mot désigne tous ceux qui parlent une langue sémitique. Je trouve que ça fait beaucoup de gens dans le même sac. Alors pourquoi seulement les juifs, dans "antisémite" ? Le Grand Robert est plus précis, et fait bien la différence d'usage, qualifiant la réduction du terme aux seuls juifs d' « abusive ».

***

Ci-dessous, la preuve que les idées en France sont dans le fond du glou-glou.

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« Légèrement » !!! Farpaitement !!! Quelle trouvaille !!! Quel titre !!! Quelle santé !!! Quelle analyse !!!

 

samedi, 14 octobre 2017

QU'EST-CE QU'UN POLITICIEN ...

... DANS LES DICTIONNAIRES ?

Qu’est-ce qu’un politicien, en France, aujourd’hui ? Comment définir les individus qui en ont fait un métier et qui y font carrière ? C’est entendu : à l’instar d’un bien connu, quoique très controversé, chef de l’éphémère « Etat français », ils ont un jour héroïquement choisi de « faire don de leur personne à la France ». C’est du moins, en substance et en filigrane, ce qu’on entend quand ils évoquent, de l'air de fierté modeste qui n'appartient qu'à eux, la noblesse et la profondeur des motivations qui les habitent. Tels Jeanne d’Arc, ils se sont sentis appelés à vouer leur existence au service de la nation. Ils obéissent à une véritable vocation, ce qui les autorise, pensent-ils, à affirmer qu’ils accomplissent une mission. On est prié de ne pas douter ou ricaner.

Ce portrait est un peu chargé, j’en conviens, si on le rapporte, par exemple, à la définition qu’en donne le petit Larousse 2005 (édition du centenaire confiée, pour la déco, à Christian Lacroix, s’il vous plaît, c'est très chic) : « Personne qui fait de la politique, qui exerce des responsabilités politiques ». Il est vrai que le PLI ajoute aussitôt : « adj. Péjor. Qui relève d’une politique intrigante et intéressée », mais sans insister davantage. Le Grand Robert observe à peu près une neutralité comparable. Le Nouveau Larousse illustré (en sept gros volumes, 1903-1907) va à peine plus loin dans la prise de risque (quoique …) : « Personne qui s’occupe de politique. (Ne se dit guère qu’en mauvaise part) : On voit des politiciens de village régenter le monde ». Peu glorieux, en somme.

On en apprend plus dans le Robert « historique » (1992), qui envisage le mot comme nom et adjectif : « est emprunté (1779), avec adaptation du suffixe, à l’anglais politician n. (XVI° s.) qui désignait autrefois une personne intriguant en politique avant de désigner une personne versée en politique (1628) et, surtout en américain, une personne qui fait profession d’activités et d’intrigues politiques. Politician est dérivé de politic adj. lui-même emprunté au XV° s. au français politique. ◊ Le mot apparaît chez Beaumarchais (1779), déjà avec une nuance péjorative, associé au dépréciatif politiqueur. Il ne sera repris qu’en 1865 sous la forme anglaise politician, francisée en politicien (1868), appliqué à un contexte américain avant d’être acclimaté (1898) au contexte français. Employé adjectivement (1899), il n’était pas encore très courant ni même très admis vers 1900, où l’on trouve la variante politicier. Politicien est devenu courant, tant comme nom que comme adjectif, aujourd’hui avec une nuance péjorative (politique politicienne) ». On a compris que nul, dans la classe politique, ne peut considérer, même aujourd’hui, comme un compliment d’être qualifié de « politicien ».

On appréciera "dépréciatif" et "nuance péjorative" à leur juste valeur. Tout cela, évidemment, n’est pas rien, mais l’origine du mot ne développe toutes ses fragrances subtiles et délectables (je veux parler des « connotations ») nulle part ailleurs que dans le Littré : « Nom, aux Etats-Unis, de ceux qui s’occupent de diriger les affaires politiques, les élections, etc. Une municipalité sans foi [à New-York] a, dans maintes rencontres, impudemment empoché l’argent des contribuables pour le partager avec les politiciens qui l’avaient nommée, L. Simonin, Rev. des Deux-Mondes, 1er déc. 1874, p. 677. Une autre cause de dissolution [des Etats-Unis] à ses yeux, c’est l’influence des politiciens, sortes de déclassés des carrières régulières, se faisant une profession lucrative de la politique, Journ. Offic. 6 fév. 1876, p. 1079, 2° col. Channing frémit à l’idée de confier aux politiciens le soin de former et de façonner l’esprit public : les politiciens, dit-il, ne considèrent les hommes qu’à un seul point de vue : comme les instruments de leur ambition ; ils n’ont pas le savoir, la réflexion, le désintéressement qui doivent présider à un bon système d’éducation, Paul Leroy-Beaulieu, Journ. des Débats, 25 août 1876, 3° page, 6° col. ».

On voit par là que, « le temps passant sur les mémoires » (Tonton Georges) et le mot s’acclimatant en terre française, celui-ci a bien pris soin d’édulcorer les miasmes infamants de sa substance héritée de la pas si lointaine Amérique : si le mot n’est pas un compliment, il n’en est pas injurieux pour autant. On peut sans doute le regretter. Et dire que les politiciens s’étonnent aujourd’hui d’être souvent vilipendés ou haïs par la population : qu’on leur donne à lire l’article du Littré, ils verront de quelle fange ils sont issus !

Et je me dis que si l’on rapproche le sens établi par le grand linguiste (ou plutôt : lexicographe) du portrait que Balzac dresse des journalistes parisiens dans Illusions perdues, quarante ans avant, on est saisi du résultat de l’opération : il n’y en a pas un pour racheter l’autre, et tous se traînent dans une veulerie et une vénalité propres à dégoûter l’honnête homme d’ouvrir encore un journal. Le plus étonnant dans tout ça est cependant si l’on se remémore ces deux origines quand on observe l’air d’autorité que se donnent les princes des journalistes (genre Alain Duhamel ou Laurent Joffrin, vous savez, ceux qu'on appelle "éditorialistes", au résumé des propos desquels se réduisent bien souvent les (soi-disant) "revues de presse") quand ils délivrent analyses et oracles du haut de la chaire où ils se sont hissés. Un air qui n’a d’égale que la suffisance, l’arrogance et la certitude qu’affichent nos politiciens quand on leur présente un micro.

C’est me semble-t-il dans Lazarillo de Tormès, délicieux roman picaresque espagnol de 1554, qu’on trouve le portrait d’un gueux qui, voulant paraître gentilhomme, est obligé de se couvrir le dos d’une cape ou de se présenter de face vers les autres, au motif que l’arrière miteux et mité de son habit lui laisse les fesses à l’air.

On ne devrait jamais oublier Lazarillo de Tormès quand on assiste au spectacle donné par journalistes et politiciens dans l’exercice de leurs fonctions. A quelle considération spéciale ont-ils la prétention d'avoir droit de la part du public ? On aimerait davantage d'humilité, si au moins c'était possible.

Voilà ce que je dis, moi.