dimanche, 07 octobre 2018
L'HOMME QUI RÉPARE LES FEMMES
Je publie de nouveau, sans rien y changer, ce billet paru ici en 2012, en l'honneur d'un grand homme, qui vient d'être désigné Prix Nobel de la Paix de l'année 2018. Si j'avais à dire ce que pour moi est aujourd'hui l'héroïsme, je nommerais le Docteur Denis Mukwege (parmi quelques autres).
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Le sang réel coule en Afrique. Et plus précisément (entre autres) dans une région qui s’appelle le Nord Kivu. C’est au Congo [il faut dire RDC], dans le nord-est, près du Rwanda, là où se trouvent de grosses réserves de « coltan » (colombite + tantalite). Il paraît que sans lui, il n’y a plus de smartphones, de tablettes et autres joujoux. Il est donc évident que ce soit la guerre.
Drôle de région, si vous voulez mon avis : le mouvement M23 (ou les Maï-Maï, ou d’autres bandes) fait régner la terreur dans les villages. La cible ? Tout ce qui est femme. Dans cette région, les hommes ont érigé le viol des femmes au rang d’activité industrielle. Une simple modalité parmi d'autres de la guerre qui s’y pratique depuis une quinzaine d’années [une vingtaine d'années en 2018].
Parlons d’un homme. Il s’appelle Denis Mukwege. Il est médecin. Il a fondé un hôpital dans une ville appelée Panzi. Quelle n’est pas sa surprise, le 25 octobre dernier, en rentrant chez lui après sa journée de travail, de se voir braquer une kalachnikov sur la tempe ! L’homme s’apprête à tirer.
Soudain, un employé de l’hôpital se précipite sur le tueur, qui se retourne, et l’abat de deux balles. Le Docteur Mukwege ne doit la vie qu’à la confusion qui s’ensuit. Ça tire, il est couché à terre, le commando s’enfuit au volant de la voiture familiale. « Miraculé. J’en suis au sixième attentat par balles », déclare-t-il doucement.
Ce gynécologue, qui pensait avoir ouvert son hôpital pour s’occuper de mise au monde, de suivi des femmes enceintes, éventuellement de césarienne, voit arriver une femme dans son hôpital tout neuf, un jour de septembre 1999. Des soldats l’ont violée. Mais ça ne suffit pas : pour faire bonne mesure sans doute, son « appareil génital avait été déchiqueté par des balles tirées dans son vagin » (excusez-moi, je cite).
Ce n’est que la première d’une longue série. « Mais à la fin de l’année, j’en étais à 45 cas », dit le docteur. En 2000, 135 cas sont comptabilisés. En 2004, il y en a 3604. Visiblement, les gars sont contents d’avoir trouvé un "truc". Une idée à creuser, quoi. « Le viol était devenu une arme de guerre ». Les clitoris étaient coupés, les seins, les lèvres, les nez sectionnés.
« Et le viol s’est répandu. Utilisé par tous les groupes armés, les rebelles hutus et les combattants maï-maï, les soldats rwandais et les forces gouvernementales congolaises, et aujourd’hui les insurgés du M23 ». En treize ans, le docteur MUKWEGE a opéré plus de 40.000 femmes violées et mutilées. Au Congo, il parle de 500.000 femmes violées en seize ans.
Là, je suis désolé, mais je suis obligé de laisser parler le docteur, faites comme moi, accrochez-vous bien : « J’ai vu des vagins dans lesquels on avait enfoncé des morceaux d’arbre, de verre, d’acier. Des vagins qu’on avait lacérés à coups de lames de rasoir, de couteau ou de baïonnette. Des vagins dans lesquels on avait coulé du caoutchouc brûlant ou de la soude caustique. Des vagins remplis de fuel auxquels on avait mis le feu ». Ce n’est pas fini.
Car la journaliste insiste : « Il a soigné une femme qui, enlevée avec ses quatre enfants par un groupe armé pour devenir leur esclave sexuelle, a appris que le plat étrange qu’on l’avait forcée à avaler était constitué de trois de ses enfants. Il a tenté pendant des heures de reconstituer le vagin d’une petite fille de 3 ans que des sexes barbares avaient saccagé, lors d’un raid nocturne sur un village ». Personnellement, je me serais passé des « sexes barbares », tant la réalité du fait se suffit à elle-même, mais bon. On comprend mieux l'acharnement des violeurs de femmes à tuer le docteur Denis Mukwege. En quelque sorte, il gâche le métier.
Ce qui anéantit le plus le bon docteur (L’Homme qui répare les femmes, Colette Braeckeman, André Versaille éditeur), c’est le silence assourdissant des instances internationales.
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Est-ce que la situation a beaucoup changé au Nord-Kivu depuis 2012 ? Honorer cet homme hors du commun est satisfaisant pour l'esprit. Mais combien plus satisfaisant serait de s'en prendre à la cause de ces horreurs. Je dis ça, tout en sachant que ça ou pisser dans un violon, hein, ......................................
Total respect, bien entendu, pour la dame qui partage le prix Nobel. Mais jusqu'à hier j'ignorais tout de son existence et de ses mérites, alors que le Docteur Mukwege est une référence depuis bien longtemps. Et par surcroît, il bénéficie à mes yeux de l'absence de la sanctification que procure le statut de victime qui est celui de la dame. Lui, il est allé au charbon volontairement et (presque) en connaissance de cause : il voulait juste faire du bon boulot dans sa spécialité.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : afrique, nord kivu, congo, mouvement m23, rwanda, ouganda, coltan, rdc, femme, féminisme, viol, torture, goma, bukavu, kabila, kinshasa, denis mukwege, docteur mukwege, l'homme qui répare les femmes, colette braeckman, ariane chemin, annick cojean, journalisme, journaliste, journal le monde, presse, prix nobel de la paix
mardi, 01 mai 2012
DES NOUVELLES DE LA PLANETE (1)
Les tendances de la mode.
Cette année, la terre cultivable se portera de plus en plus confisquée. La tendance est sans doute appelée à durer, peut-être à se renforcer.
Je ne sais pas si vous savez ce qu’est un « bail emphytéotique », ce qu’on appelle une location de longue durée, voire de très longue durée. Le plus souvent, ce sont des baux à 99 ans. Un siècle quoi. J'appelle ça de la confiscation. D'autres parlent d'accaparement. Les initiateurs du mouvement appellent ça « aide au développement ». Cherchez l'erreur.
J’ai entendu dire, mais je ne veux pas le croire, que certains baux emphytéotiques peuvent être signés sur une durée de 999 ans. En tout cas, on trouve ça sur wikipédia. Ça me semble une hallucination. Parce que déjà, 99 ans, ça fait sur trois générations. Pas une appropriation, mais pour ainsi dire.
Le tout, pour signer un bail de location, c’est d’être deux. Quelqu’un qui possède un bien, et quelqu’un qui aimerait bien user de ce bien, contre rétribution. En l’occurrence, le bien est la terre cultivable disponible. C’est une richesse (presque) naturelle. Celui qui veut en user, c’est évidemment quelqu’un qui en manque, de cette richesse. Mais lui, il a de l’argent. Or le propriétaire du bien, c’est justement quelqu’un qui n’en a pas beaucoup, d’argent. Qu’est-ce que ça tombe bien !
Maintenant, si on regarde qui sont les bailleurs et qui sont les « locataires », on commence à mieux comprendre ce qui se passe : des pays riches, voire très riches, qui manquent de terres cultivables, sont en train de confisquer (un « bail à 99 ans », c’est un euphémisme pour « confiscation », ou je ne sais plus que 2 + 2 = 4), d’immenses territoires à des pays pauvres, voire très pauvres.
Cette confiscation est rendue d’autant plus facile que la propriété des sols, dans les pays du tiers-monde, n’est pas juridiquement aussi précise et cadastrée que chez nous. Ah, ta famille cultive cette terre depuis cinq générations ? Peut-être, mais prouve-moi qu’elle t’appartient ! Où est l’acte notarié ? Bon, ben puisque c’est comme ça, tu vas prendre tes cliques et tes claques et me foutre le camp d’urgence. Maintenant, c’est ce Monsieur qui la cultivera.
En général, c’est le gouvernement du pays qui procède aux formalités légales. Et comment ne pas imaginer que le futur locataire sait trouver des arguments sonnants et trébuchants, capables de toucher les sentiments du gouvernant, d’abord réticent, puis intéressé au fur et à mesure que les enchères montent ? Des enchères à lui seul destinées, bien entendu. Comment ne pas se sentir enclin à céder quand on en tire un joli bénéfice personnel ?
Il va de soi que je ne fais qu’imaginer ce scénario fantasmatique, n’est-ce pas. On connaît trop la parfaite intégrité morale des élites dirigeantes des pays « pauvres » (KABILA en RDC, SASSOU-NGUESSO au Congo Brazza, OBIANG en Guinée Equatoriale, etc.). On ne voit pas ce qui pourrait laisser supposer qu’elles pourraient se laisser corrompre.
J'ESPERE QU'ON PEUT DECHIFFRER,
EN PARTICULIER LES CHIFFRES
On a déjà compris que le plus gros gisement de terres cultivables disponibles se trouve en Afrique. En l’état actuel des choses, on parle de 180.000 km². Oui, vous avez bien lu : cent quatre-vingt mille kilomètres carrés (18.000.000 d’hectares) de terres africaines cultivables ont été soustraites aux cultivateurs autochtones, pour être confiées pour 99 ans à des entreprises étrangères. Et quand je dis « entreprises », cela veut moins dire des agriculteurs les pieds dans la glèbe que des industries avec leurs engins lourds.
Rien qu’à Madagascar, ce sont 37.000 km² qui sont passés sous la coupe étrangère. Un peu plus de 30.000 en Ethiopie, un peu moins en République Démocratique du Congo. Les pays les plus touchés, ensuite, sont, dans l’ordre, le Soudan, le Bénin, le Mozambique. Bref, le tableau s’éclaire violemment. L’Amérique du sud est concernée à la marge. Dans le Pacifique, les Philippines semblent avoir été entièrement mises en vente, loin devant l’Indonésie.
Maintenant, demandons-nous sans plus longtemps tergiverser qui sont les acheteurs (terme plus approprié que locataire). Au premier rang, la Chine, suivie à plusieurs longueurs des Etats-Unis. Viennent ensuite la Grande-Bretagne, la Malaisie, la Corée du Sud, l’Arabie Saoudite, l’Inde, la Suède et l’Afrique du Sud.
Comment, vous dites « colonialisme » ? Mais non, voyons, on vous dit que c’est du contrat tout ce qu’il y a de parfaitement légal. Et puis de toute façon, ce ne sont pas des Etats qui les ont passés, ces contrats, mais de la bonne grosse entreprise industrielle tout ce qu’il y a de privé.
Quoi, ça dépossède le petit paysan d’Afrique de toute possibilité de cultiver ? Quoi, ça risque dans un avenir assez proche de semer la famine ? Quoi, ces terres sont utilisées à des productions directement réexportées vers le pays propriétaire ? Quoi, on y produit principalement des biocarburants à haute valeur financière ajoutée ? Mais tout ça, mon brave monsieur, ne nous regarde pas. Nous n’y pouvons rien. C’est de la bonne vieille transaction commerciale. Vieille comme le monde.
Alors vous voulez que je vous dise ? L’UNICEF pourra toujours hurler à la faim des enfants dans le monde, JEAN ZIEGLER pourra toujours aboyer contre les pays riches qui laissent mourir de faim les populations du tiers-monde, Action Contre la Faim pourra toujours organiser des collectes dans les rues pour que des populations culpabilisées remplissent la sébile de la charité universelle, ils peuvent attendre, tous les généreux et toutes les bonnes âmes de la planète.
Pendant que le pékin moyen donnera une goutte, une cohorte de vampires confisquera une citerne (c’est vrai, au fait, j’ai oublié de parler des menaces sur les ressources en eau potable que font peser sur les pays pauvres ces entreprises agricoles d’un nouveau genre).
Continuons comme ça. Le Paradis n’est plus très loin. Faisons confiance aux instances supérieures.
Mais quoi qu'il en soit, en toute circonstance, n'oublions jamais que
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, tiers monde, agriculture, accaparement des terres, bail emphytéotique, pays en développement, rdc, kabila, congo brazzaville, sassou-nguesso, afrique, madagascar, corruption, éthiopie, soudan, bénin, mozambique, pacifique, philippines, chine, états-unis, grande-bretagne, malaisie, corée du sud, arabie saoudite, inde, suède, afrique du sud, colonialisme, collège de pataphysique