mardi, 29 décembre 2020
LES POÈTES DE MA VIE (1)
YVES BONNEFOY
***
LIEU DU COMBAT
I
Voici défait le chevalier de deuil.
Comme il gardait une source, voici
Que je m'éveille et c'est par la grâce des arbres
Et dans le bruit des eaux, songe qui se poursuit.
Il se tait. Son visage est celui que je cherche
Sur toutes sources et falaises, frère mort.
Visage d'une nuit vaincue, et qui se penche
Sur l'aube de l'épaule déchirée.
Il se tait. Que peut dire au terme du combat
Celui qui fut vaincu par probante parole ?
Il tourne vers le sol sa face démunie,
Mourir est son seul cri, de vrai apaisement.
II
Mais pleure-t-il sur une source plus
Profonde et fleurit-il, dahlia des morts
Sur le parvis des eaux terreuses de novembre
Qui poussent jusqu'à nous le bruit du monde mort ?
Il me semble, penché sur l'aube difficile
De ce jour qui m'est dû et que j'ai reconquis,
Que j'entends sangloter l'éternelle présence
De mon démon secret jamais enseveli.
O tu reparaîtras, rivage de ma force !
Mais que ce soit malgré ce jour qui me conduit.
Ombres, vous n'êtes plus. Si l'ombre doit renaître
Ce sera dans la nuit et par la nuit.
YVES BONNEFOY
Du Mouvement et de l'immobilité de Douve.
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lundi, 15 juin 2020
BRICOLAGE
« Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour.»
A.R.
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dimanche, 07 juin 2020
POÈME
Il pleut du soir en fumée ronde
Sur la vallée où boivent les ombres.
Un cheval fourbu écoute les oiseaux.
Il goûte aux choses sonores
Qui parlent dans des langues.
Une peau qui ne sait rien d'elle-même
S'entoure de mots creux
En éteignant la lumière,
par précaution.
Mais on est là,
On sait.
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lundi, 11 mai 2020
DÉCONFINEMENT
Après les confins ?
*
Mon troupeau d’oublis
S’était endormi au pied de mes échos.
Le corps luisant de mes étoiles filantes
Leur avait tracé des haies de cœurs écorchés.
J’entends bientôt monter
La sonate universelle,
La symphonie des solitudes,
Le concert, l'improviste et les ciselures.
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jeudi, 07 mai 2020
POÈME
Et maintenant ?
*
Un seul demain suffira pour commencer.
On fera comme si on savait.
Les tâches, le poids et les mesures
Contiendront le temps, les pas et les saisons.
Une seule saison pour prolonger
L’été de la durée des songes.
Un seul été pour capturer
Les sons déshabillés de l’inconnu,
Qui ne se régénère que de souffrir.
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mardi, 31 mars 2020
POÈME DU CONFINEMENT
CŒUR PARADIS
Cœur paradis, fais de ta transe un animal,
friand de rut et sauvage en son sommeil.
*
Cœur paradis, fais de ton éveil un clandestin,
fleur fiévreuse ou grand chien maraudeur.
*
Cœur paradis, deviens la porte de l’hiver,
fermée de tôle ou traversée de ses blessures.
*
Cœur paradis, fais de ton poids l’armature :
invisible, méthodique et transhumante.
*
Cœur paradis, dans l’être qui remplit et qui vide,
redeviens ce partage où nous aimions caracoler.
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dimanche, 29 mars 2020
POÈME DU CONFINEMENT
Demain est tout à fait creux.
La vie promène son désastre
sur toutes les routes.
J'attends la fin du bruit
et le retour du bruit.
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vendredi, 31 janvier 2020
2020 : OUI, DES POÈMES, ENCORE....
... si la vie veut bien !
***
(Le lieu attend qu’on s’en aille
Pour se remettre à chuchoter.
Je suis de trop, se dit le désespoir.
Presque rien en notre possession,
Répond la voix du noble corps.
Reste le reste.)
***
Avec janvier prend fin le temps des vœux de Nouvel An.
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jeudi, 30 janvier 2020
2020 : QUELQUES POÈMES, ENCORE ?
Je te cherche et tu ne fuis pas.
J’ai la terre et le temps présent.
Je suis galet qui sent la vase tiède.
Je suis cadran de montre au milieu de l’esprit.
Et dans la trace de ton cœur je me perds.
Il me reste les poissons-chats,
L’opacité de l’eau, le confluent maladroit,
Les meubles de l’oubli.
T'ai-je trouvée, ma seule ?
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samedi, 14 décembre 2019
UN DRÔLE DE SQUELETTE
Pour mon calendrier de l'Avent.
A quoi peut avoir ressemblé la vie concrète de l'être ainsi conformé ? Quelles autres souffrances que celles de son corps a-t-il été contraint de subir en société ? Ce squelette donne selon moi une image "haute définition" de la torture que "la vie" est capable d'infliger à quelques "privilégiés".
***
Eau verte, eau close,
eau débattue, opacité des lônes,
eau végétale, eau des bords.
Eau poisseuse comme une colle,
masque hermétique,
eau mauvaise, eau sans réfléchir.
Eau sans se retenir.
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vendredi, 13 décembre 2019
ACHONDROPLASIE
Pour mon calendrier de l'Avent.
Achondroplasie : « Affection congénitale héréditaire à transmission dominante ou récessive, due à un gène mutant. Elle est caractérisée par un arrêt de développement des os en longueur, leur volume étant, au contraire, augmenté par suite de la prédominance de l'ossification périostique sur l'ossification enchondrale. Cliniquement elle se manifeste par un nanisme portant uniquement sur les membres (et surtout les segments proximaux : micromélie rhizomélique de P. Marie) ; la tête est volumineuse, le tronc est à peu près normal. Elle fait partie du groupe des chondrodystrophies (chondrodystrophie génotypique). ».
De source sûre.
***
Nous aurons des rosiers.
Notre présent est en pièces.
Les morceaux sont dans la valise.
Notre rétine a de l’espoir,
Nos tympans font des progrès.
D’autres prières crisseront au-dehors.
Nous serpenterons en procession.
Nous piétinerons les tristesses.
Nous aurons des rosiers.
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mardi, 10 décembre 2019
LES BARQUES
Quelque part en Finlande.
***
« On boira l'air des respirations généreuses,
Vénérable sosie de ce qui dort sans chair. »
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vendredi, 15 novembre 2019
PERLE DE (FRANCE) CULTURE
« L’INDUSTRIE DE L’INFOBÉSITÉ TITILLE NOTRE TALON D’ACHILLE. »
Entendu sur France Culture à l'été 2019, noté sur le moment, mais date, heure et identité de l'auteur non relevées.
La phrase attend toujours son traducteur (de volapük en français).
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mercredi, 23 octobre 2019
LE DÉSHÉRITÉ
LE DÉSHÉRITÉ.
« Je suis Le prince. Ma seule Etoile Porte le soleil Dans la nuit.
Rends-moi La fleur Et la treille.
Suis-je Mon front ?
J'ai rêvé Et j'ai deux fois Modulant Les soupirs. »
***
Faisant un jour lointain mon petit Oulipo dans mon coin, j'avais pondu, entre autres abominations, ce petit quatrain, dont tous les connaisseurs ont déjà reconnu la teneur et l'auteur.
Gagné par une forfanterie ô combien mal venue, j'avais appelé ce petit jeu « Incipit vertical ». Je veux dire que j'avais récrit un des plus beaux poèmes de la littérature française en prenant le(s) premier(s) mot(s) de chaque vers, comme si les autres mots à droite de la forme imprimée n'avaient jamais existé. Cela aurait aussi bien pu s'appeler « acrostiche syllabique » ou « acrostiche lexical ».
Quelques décennies après avoir commis ce forfait, je présente aux pieds des mânes de Gérard de Nerval l'encens et la myrrhe de mon amende honorable, pour lui restituer l'aura de la gloire dont son nom et ses vers n'ont d'ailleurs jamais cessé d'être nimbés.
Pourtant, "ma seule étoile porte le soleil dans la nuit", ça a de la gueule, je trouve.
Bon, c'est vrai, je n'ai fait que me hisser pour cela sur les vastes épaules du grand poète. Dans le fond, je me suis contenté de tricher : on connaît l'astuce du roitelet dans le concours qui devait désigner le roi des oiseaux, et qui s'est posé discrètement avant le départ sur le dos de l'aigle royal, pour s'élever de quelques centimètres au-dessus de lui au moment de sa victoire. D'où son diminutif (dit-on). En matière de poésie, je suis le diminué de ce diminutif.
***
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
***
Nerval au Père-Lachaise (photo prise en 2014).
Note : je suis d'accord pour dire que mon petit truc ne fonctionne pas pour l'entièreté du poème. Vers la fin en particulier, de deux choses l'une : soit il faudrait lire "modulé", soit il faudrait, pour que le mot "fois" s'inscrive un peu logiquement dans la phrase, y voir le pluriel de "foi" (au grand dam des mânes de monsieur Labrunie et de sa "vieille lanterne"). Ce serait tant soit peu "capillotracté". Je persiste cependant à voir dans la première phrase la jolie traduction de l'une des causes du tourment qui tenaillait Gérard. Pensez : une étoile qui porte le soleil dans la nuit ....
J'ai bien essayé d'appliquer ma petite recette à d'autres poèmes français très connus (Verlaine, Baudelaire, Rimbaud, ...), car j'aurais bien voulu en faire un modèle de contrainte oulipienne autre que celles que l'Ouvroir propose dans ses publications, mais ce fut peine perdue. La grande poésie française résiste à l'oulipianisation.
C'est peut-être justice : "La cimaise et la fraction" (La Cigale et la fourmi passée par la moulinette de la méthode "S + 7" – renommée "n + x") n'est pas une preuve irréfutable du bien-fondé de l'entreprise "Oulipo". La contrainte d'écriture ne donne pas du génie à ceux qui n'en ont pas. Tout le monde ne s'appelle pas Georges Perec.
Pour avoir un aperçu des vingt-quatre premiers membres de l'Oulipo, voir les pages 352-354 de La Vie mode d'emploi. Quand je dis "vingt-quatre", j'exagère : il faut mettre à part le premier : « 1 Tham Douli portant les authentiques tracteurs métalliques rencontre trois personnes déplacées ».
Ma petite tentative porte décidément bien son titre : "Desdichado".
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, littérature française, oulipo, ouvroir de littérature potentielle, gérard de nerval, gérard labrunie, rue de la vieille-lanterne, père-lachaise, el desdichado, georges perec, la vie mode d'emploi, la cimaise et la fraction
vendredi, 30 août 2019
VACANCES SANS TITRE 29
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samedi, 24 août 2019
VACANCES SANS TITRE 23
Phrase de demi-sommeil.
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vendredi, 23 août 2019
VACANCES SANS TITRE 22
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mardi, 20 août 2019
VACANCES SANS TITRE 19
Et pourtant ils sont là, bien secs, le muguet, la baguenaude.
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jeudi, 15 août 2019
VACANCES SANS TITRE 14
La Bourbre coule tout à côté.
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samedi, 03 août 2019
VACANCES SANS TITRE 2
Rue Chariot d'or.
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samedi, 06 avril 2019
QUAND LA MATIÈRE ...
QUAND LA MATIÈRE EST NOBLE
ET TRAVERSÉE PAR LA LUMIÈRE,
MON ŒIL S’ÉPANOUIT
ET DEVIENT VOLUBILE.
ALORS J'AI DU BONHEUR :
JE SAIS QUE C'EST POSSIBLE.
Détails de photos prises face au soleil.
Merci à M. pour ce possible.
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jeudi, 07 février 2019
REFLET
Poème
*
Du vase en cristal de Bohème
Aux bulles qu'enfant tu soufflais,
C'est là c'est là tout le poème,
Aube éphémère de reflets.
*
Quatrain d'André Breton, mais c'était avant qu'il le passe dans sa moulinette dadaïste ou surréaliste pour en faire un infâme n'importe quoi : il fallait sans doute qu'il donne des gages de son adhésion (donc de son reniement) à ses nouveaux amis.
*
Au musée, à Dijon.
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lundi, 21 janvier 2019
HOUELLEBECQ
HOUELLEBECQ POÈTE
Pour illustrer la « platitude » que bien des gens reprochent au style de l'écrivain, je me penche aujourd'hui sur son écriture poétique qui fut son premier moyen d'expression littéraire. S'il y a "platitude", elle est réfléchie, voulue, intentionnelle, et plutôt deux fois qu'une. C'est une "platitude" clairement théorisée par Michel Houellebecq. Mais commençons par le poème censé expliquer le titre "La possibilité d'une île".
« Ma vie, ma vie, ma très ancienne
Mon premier vœu mal refermé
Mon premier amour infirmé,
Il a fallu que tu reviennes.
Il a fallu que je connaisse
Ce que la vie a de meilleur,
Quand deux corps jouent de leur bonheur
Et sans fin s’unissent et renaissent.
Entré en dépendance entière,
Je sais le tremblement de l’être
L’hésitation à disparaître,
Le soleil qui frappe en lisière
Et l’amour, où tout est facile,
Où tout est donné dans l’instant ;
Il existe au milieu du temps
La possibilité d’une île ».
Il flotte encore dans ce texte, qui figure à la page 433 de La Possibilité d'une île, un arôme d'effusion personnelle et un zeste d'effluve de sentiment, certes teintés d'ironie, mais. A ce titre, il n'illustre guère, la "théorie du style" qui figure à la page 451 du même roman. Attention : « Dans la rédaction de leurs consignes, ils [les "Sept Fondateurs" de la néo-humanité] se reconnaissent d'ailleurs comme principale source d'inspiration stylistique, plus que toute autre production littéraire humaine, "le mode d'emploi des appareils électroménagers de taille et de complexité moyennes, en particulier celui du magnétoscope JVC HR-DV3S/MS" ». Attention, disais-je, on n'est pas dans Lamartine ou Musset. Pas de lyrisme, pas d'épanchement sentimental, pas de "musique avant toute chose" (Verlaine).
Ailleurs (Lettre à Lakis Proguidis, dans Interventions 2, où il faut bien dire que j'ai parfois l'impression qu'il se paie ma tête), Houellebecq dénonce : « Au contraire, de prime abord, la poésie paraît encore plus gravement contaminée par cette idée stupide que la littérature est un travail sur la langue ayant pour objet de produire une écriture ». De quoi décoiffer René Char, Paul Valéry, Louis Aragon, Guillaume Apollinaire, Paul Eluard et beaucoup d'autres.
Bon, il est vrai que, toujours dans Interventions 2, on trouve de la musique dans "Opera Bianca", spectacle ("installation", ça fait tout de suite plus digne) très contemporain (1997 au Centre Pompidou). Mais pas n'importe quelle musique. Les sculptures de Gilles Touyard se mêlent au texte de Houellebecq, sur fond de "musique" du compositeur Brice Pauset. Or il faut savoir que Brice Pauset, dont je ne connais pas toutes les productions, applique scrupuleusement le principe énoncé dans La Possibilité d'une île, au moins dans une pièce où il place un micro à la sortie d'un aspirateur. Je ne suis pas encore tout à fait remis du traumatisme (bien que Pierre Schaeffer, Luigi Nono et Takemitsu Toru soient passés avant). On appelle ça "musique contemporaine". Verlaine ne s'attendait sans doute pas à de telles applications paradoxales de son vers célébrissime.
Rassurons-nous, les exemples ne manquent pas de textes de Houellebecq lui-même, écrits avec le souci de se conformer scrupuleusement à sa théorie de la page 451. Par exemple, un poème paru dans Configuration du dernier rivage (Flammarion, 2013).
« J'ai pour seul compagnon un compteur électrique,
Toutes les vingt minutes il émet des bruits secs
Et son fonctionnement précis et mécanique
Me console un p'tit peu de mes récents échecs.
Dans mes jeunes années j'avais un dictaphone
Et j'aimais répéter d'une voix ironique
Des poèmes touchants, sensibles et narcissiques
Dans le cœur rassurant de ses deux microphones.
Adolescent naïf, connaissant peu le monde,
J'aimais à m'entourer de machines parfaites
Dont le mode d'emploi, plein de phrases profondes,
Rendait mon cœur content, ma vie riche et complète.
Jamais la compagnie d'un être humanoïde
N'avait troublé mes nuits ; tout allait pour le mieux
Et je m'organisais la vie d'un petit vieux
Méditatif et doux, gentil mais très lucide.»
On voit que Houellebecq s'accroche aux alexandrins, même si plusieurs sont approximatifs. Et pour finir, un poème tiré de Le Sens du combat (1996), intitulé "Chômage".
« Je traverse la ville dont je n'attends plus rien
Au milieu d'êtres humains toujours renouvelés
Je le connais pas cœur, ce métro aérien ;
Il s'écoule des jours sans que je puisse parler.
Oh ! ces après-midi, revenant du chômage
Repensant au loyer, méditation morose,
On a beau ne pas vivre, on prend quand même de l'âge
Et rien ne change à rien, ni l'été, ni les choses.
Au bout de quelques mois on passe en fin de droits
Et l'automne revient, lent comme une gangrène ;
L'argent devient la seule idée, la seule loi,
On est vraiment tout seul. Et on traîne, et on traîne ...
Les autres continuent leur danse existentielle,
Vous êtes protégé par un mur transparent ;
L'hiver est revenu. Leur vie semble réelle.
Peut-être, quelque part, l'avenir vous attend. »
Voilà ce que c'est, le style de Michel Houellebecq, en poésie. J'espère qu'on admettra que le "style" de l'auteur, ou plutôt le refus d'un certain "style" en poésie (sous-entendu de clichés plus ou moins sentimentaux et lyriques), relève d'un choix stylistique absolument délibéré : une poésie du refus du "poétique" (peut-être ce qu'il entend par "travail sur la langue ayant pour objet de produire une écriture"). Tout au moins refus de ce que certaines conventions traditionnelles ont fait du poétique. Comme si la banalité volontaire de ces poèmes était faite pour décourager le lecteur, et qu'il n'ait aucune envie de les apprendre par cœur ou de se les réciter à mi-voix. C'est sans doute fait pour ça.
Dans la même Lettre à Lakis Proguidis, Houellebecq ajoute : « Pour tenir le coup, je me suis souvent répété cette phrase de Schopenhauer : "La première - et pratiquement la seule - condition d'un bon style, c'est d'avoir quelque chose à dire." Avec sa brutalité caractéristique, cette phrase peut aider. Par exemple, au cours d'une conversation littéraire, lorsque le mot d'"écriture" est prononcé, on sait que c'est le moment de se détendre un peu. De regarder autour de soi, de commander une nouvelle bière ».
Je peux me tromper, mais si j'osais une hypothèse, ce serait d'imaginer que Houellebecq, pour parvenir à cette fin, a adopté, dans sa poésie et ses romans, une stratégie de la déception. Cela irait bien dans le sens d'une autre remarque qu'il glisse je ne sais plus où : le désir est mauvais (parce que l'homme sans désir ne souffre d'aucune frustration). Mais après tout, ce n'est peut-être pas une stratégie : on ne peut lui dénier une certaine constance dans l'attitude.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 26 octobre 2018
FRANÇOIS MONTMANEIX
LA PLAGE DE L'ESTARTIT
Les pins dégrimpent la colline
insouciante et joyeuse troupe
à la rencontre du solitaire
qui regarde le ciel et lui demande :
— Ciel, beau ciel implacable !
Es-tu le premier ciel d'où vient le premier jour ?
Et seras-tu celui du dernier jours,
celui qui, ayant tout vu, doit tout savoir ?
Alors dis-moi :
pourquoi la vie se donne-t-elle tant de mal
pour nous tirer du néant, si c'est pour nous
y rejeter au plus vite, après nous avoir imposé
l'amertume de tant d'épreuves ?
« Tu as deux barques à tes côtés : celle de Charon
et celle où embarquer pour Cythère — répond le dur ciel.
L'une vient de ce qui commence, l'autre va à la fin des choses.
Tu as le choix — tu avais le choix — tu as toujours eu le choix.
C'est pour l'avoir ignoré qu'aucune des deux barques
ne peut te prendre à son bord puisque tu poses
la seule question à jamais sans réponse ...»
4 mai 2018
La plage de l'Estartit, Jean Hugo, 1953.
**********************
Ceci est le dernier poème écrit par François Montmaneix. Il a été lu par sa fille Edith, en l'église Saint-Bruno-les-Chartreux en ce 26 octobre 2018, lors de ses funérailles.
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jeudi, 25 octobre 2018
MORT D'UN POÈTE
FRANÇOIS MONTMANEIX
La dernière fois que j'ai rencontré cet homme, ça avait duré une petite semaine. Six jours exactement. Oh, pas toute la journée : les rencontres avaient eu lieu le soir, et même pas très longtemps, le temps d'échanger quelques mots en attendant que la sonnerie retentisse. Cela se passait à la salle Molière, quand le quatuor Auryn, à l'invitation du très regretté Jean-Frédéric Schmitt (grand luthier devant l'éternel et initiateur des Musicades), était venu à Lyon donner l'intégrale des quatuors à cordes de Beethoven.
Je l'ai connu haut responsable dans une entreprise. Je l'ai connu administrateur de l'Auditorium Maurice Ravel de Lyon. Mais si je l'ai approché, c'est avant tout comme poète, à une époque où je me croyais moi-même poète. Pour cette raison, j'avais rejoint la fine équipe de Poésie-Rencontres (Pierre Ceysson, Marc Porcu (†), Manuel van Thienen, Jean Perrin, Annick de Banville (†), André Martinat (†), Geneviève Vidal, il faudrait les nommer tous), et c'est dans ce cadre amical et bonhomme que François Montmaneix s'était prêté au jeu, précisément, de la "rencontre". C'est de sa bouche, à cette occasion, que j'ai appris l'existence des "Octonaires de la vanité du monde", de Paschal de l'Estocart. Il était un mélomane expert.
Cet homme d'une belle élégance morale et d'une courtoisie irréprochable, et qui avait une haute idée du "métier" de poète, a milité pour l'art chaque fois qu'il fut en position de le faire. Il initia les grandes expositions de peinture qui eurent lieu à l'Auditorium (Artrium, avec Evaristo (†), Salvatore Gurrieri (†)) et au "Rectangle" (place Bellecour : Ousmane Sow, Gérard Garouste, Ernest Pignon-Ernest, ...). Il obtint de la ville de Lyon de décerner chaque année un "prix de poésie" qui porte le nom de Roger Kowalski, autre poète lyonnais beaucoup trop tôt disparu (les manuscrits lauréats édités par l'Imprimerie de Cheyne). Colette Kowalski, l'épouse de celui-ci, après sa mort (à peine plus de 40 ans), avait repris et maintenu bien haut le flambeau de la Galerie d'art qu'il avait ouverte sur le quai de Bondy (la galerie K).
Il s'est trouvé que, dans une circonstance bien curieuse, à peine apprise la mort de François Montmaneix par le journal, je croise Isabelle, son épouse, qui venait dans la boutique de reprographie où j'ai moi-même des habitudes, quelque part à la Croix-Rousse. Elle venait récupérer des travaux sur lesquels la parution dans le Progrès du jour ne laissait guère de doute.
Voilà, adieu monsieur Montmaneix. Par bonheur, nous pouvons à loisir retourner sur les traces que vous laissez. Salut, François !
Tiré de "Visages de l'eau"
10:39 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, lyon, françois montmaneix, roger kowalski, poésie-rencontres, galerie k, evaristo, salvatore gurrieri, auditorium maurice ravel, imprimerie de cheyne, beethoven, quatuor auryn, musicades lyon, jean-frédéric schmitt, luthier, ousmane sow, gérard garouste, ernest pignon-ernest, croix-rousse, pierre ceysson, marc porcu, manuel van thienen, jean perrin, annick de banville, andré martinat, geneviève vidal