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lundi, 21 janvier 2019

HOUELLEBECQ

HOUELLEBECQ POÈTE

Pour illustrer la « platitude » que bien des gens reprochent au style de l'écrivain, je me penche aujourd'hui sur son écriture poétique qui fut son premier moyen d'expression littéraire. S'il y a "platitude", elle est réfléchie, voulue, intentionnelle, et plutôt deux fois qu'une. C'est une "platitude" clairement théorisée par Michel Houellebecq. Mais commençons par le poème censé expliquer le titre "La possibilité d'une île". 

 

« Ma vie, ma vie, ma très ancienne

Mon premier vœu mal refermé

Mon premier amour infirmé,

Il a fallu que tu reviennes.

 

Il a fallu que je connaisse

Ce que la vie a de meilleur,

Quand deux corps jouent de leur bonheur

Et sans fin s’unissent et renaissent.

 

Entré en dépendance entière,

Je sais le tremblement de l’être

L’hésitation à disparaître,

Le soleil qui frappe en lisière

 

Et l’amour, où tout est facile,

Où tout est donné dans l’instant ;

Il existe au milieu du temps

La possibilité d’une île ».

 

Il flotte encore dans ce texte, qui figure à la page 433 de La Possibilité d'une île, un arôme d'effusion personnelle et un zeste d'effluve de sentiment, certes teintés d'ironie, mais. A ce titre, il n'illustre guère, la "théorie du style" qui figure à la page 451 du même roman. Attention : « Dans la rédaction de leurs consignes, ils [les "Sept Fondateurs" de la néo-humanité] se reconnaissent d'ailleurs comme principale source d'inspiration stylistique, plus que toute autre production littéraire humaine, "le mode d'emploi des appareils électroménagers de taille et de complexité moyennes, en particulier celui du magnétoscope JVC HR-DV3S/MS" ». Attention, disais-je, on n'est pas dans Lamartine ou Musset. Pas de lyrisme, pas d'épanchement sentimental, pas de "musique avant toute chose" (Verlaine).

Ailleurs (Lettre à Lakis Proguidis, dans Interventions 2, où il faut bien dire que j'ai parfois l'impression qu'il se paie ma tête), Houellebecq dénonce : « Au contraire, de prime abord, la poésie paraît encore plus gravement contaminée par cette idée stupide que la littérature est un travail sur la langue ayant pour objet de produire une écriture ». De quoi décoiffer René Char, Paul Valéry, Louis Aragon, Guillaume Apollinaire, Paul Eluard et beaucoup d'autres. 

Bon, il est vrai que, toujours dans Interventions 2, on trouve de la musique dans "Opera Bianca", spectacle ("installation", ça fait tout de suite plus digne) très contemporain (1997 au Centre Pompidou). Mais pas n'importe quelle musique. Les sculptures de Gilles Touyard se mêlent au texte de Houellebecq, sur fond de "musique" du compositeur Brice Pauset. Or il faut savoir que Brice Pauset, dont je ne connais pas toutes les productions, applique scrupuleusement le principe énoncé dans La Possibilité d'une île, au moins dans une pièce où il place un micro à la sortie d'un aspirateur. Je ne suis pas encore tout à fait remis du traumatisme (bien que Pierre Schaeffer, Luigi Nono et Takemitsu Toru soient passés avant). On appelle ça "musique contemporaine". Verlaine ne s'attendait sans doute pas à de telles applications paradoxales de son vers célébrissime.

Rassurons-nous, les exemples ne manquent pas de textes de Houellebecq lui-même, écrits avec le souci de se conformer scrupuleusement à sa théorie de la page 451. Par exemple, un poème paru dans Configuration du dernier rivage (Flammarion, 2013).

 

« J'ai pour seul compagnon un compteur électrique,

Toutes les vingt minutes il émet des bruits secs

Et son fonctionnement précis et mécanique

Me console un p'tit peu de mes récents échecs.

 

Dans mes jeunes années j'avais un dictaphone

Et j'aimais répéter d'une voix ironique

Des poèmes touchants, sensibles et narcissiques

Dans le cœur rassurant de ses deux microphones.

 

Adolescent naïf, connaissant peu le monde,

J'aimais à m'entourer de machines parfaites

Dont le mode d'emploi, plein de phrases profondes,

Rendait mon cœur content, ma vie riche et complète.

 

Jamais la compagnie d'un être humanoïde

N'avait troublé mes nuits ; tout allait pour le mieux

Et je m'organisais la vie d'un petit vieux

Méditatif et doux, gentil mais très lucide.»

 

On voit que Houellebecq s'accroche aux alexandrins, même si plusieurs sont approximatifs. Et pour finir, un poème tiré de Le Sens du combat (1996), intitulé "Chômage".

 

« Je traverse la ville dont je n'attends plus rien

Au milieu d'êtres humains toujours renouvelés

Je le connais pas cœur, ce métro aérien ;

Il s'écoule des jours sans que je puisse parler.

 

Oh ! ces après-midi, revenant du chômage

Repensant au loyer, méditation morose,

On a beau ne pas vivre, on prend quand même de l'âge

Et rien ne change à rien, ni l'été, ni les choses.

 

Au bout de quelques mois on passe en fin de droits

Et l'automne revient, lent comme une gangrène ;

L'argent devient la seule idée, la seule loi,

On est vraiment tout seul. Et on traîne, et on traîne ...

 

Les autres continuent leur danse existentielle,

Vous êtes protégé par un mur transparent ;

L'hiver est revenu. Leur vie semble réelle.

Peut-être, quelque part, l'avenir vous attend. »

 

Voilà ce que c'est, le style de Michel Houellebecq, en poésie. J'espère qu'on admettra que le "style" de l'auteur, ou plutôt le refus d'un certain "style" en poésie (sous-entendu de clichés plus ou moins sentimentaux et lyriques), relève d'un choix stylistique absolument délibéré : une poésie du refus du "poétique" (peut-être ce qu'il entend par "travail sur la langue ayant pour objet de produire une écriture"). Tout au moins refus de ce que certaines conventions traditionnelles ont fait du poétique. Comme si la banalité volontaire de ces poèmes était faite pour décourager le lecteur, et qu'il n'ait aucune envie de les apprendre par cœur ou de se les réciter à mi-voix. C'est sans doute fait pour ça.

Dans la même Lettre à Lakis Proguidis, Houellebecq ajoute : « Pour tenir le coup, je me suis souvent répété cette phrase de Schopenhauer : "La première - et pratiquement la seule - condition d'un bon style, c'est d'avoir quelque chose à dire." Avec sa brutalité caractéristique, cette phrase peut aider. Par exemple, au cours d'une conversation littéraire, lorsque le mot d'"écriture" est prononcé, on sait que c'est le moment de se détendre un peu. De regarder autour de soi, de commander une nouvelle bière ». 

Je peux me tromper, mais si j'osais une hypothèse, ce serait d'imaginer que Houellebecq, pour parvenir à cette fin, a adopté, dans sa poésie et ses romans, une stratégie de la déception. Cela irait bien dans le sens d'une autre remarque qu'il glisse je ne sais plus où : le désir est mauvais (parce que l'homme sans désir ne souffre d'aucune frustration). Mais après tout, ce n'est peut-être pas une stratégie : on ne peut lui dénier une certaine constance dans l'attitude.

Voilà ce que je dis, moi.

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