jeudi, 26 janvier 2017
PHILIPPE MANOURY
Menus propos tombés de la bouche d'un professeur au Collège de France.
Philippe Manoury est un compositeur de musique contemporaine. Je ne connais pas le monsieur. Je ne connais de lui, en dehors de quelques œuvres entendues en concert (oui, oui, c'est arrivé), que les sons sortis de ma chaîne audio quand, étourdi par les sirènes de la "modernité", j'avais commis la bévue de me procurer et de poser dans l'appareil idoine les galettes circulaires portant, gravés dans leurs sillons numériques, les bruits sortis de Neptune ou En Echo (label Accord, avec l'inévitable Donatienne Michel-Dansac dans le rôle de l'appât féminin), l'opéra 60è parallèle (label Naxos, direction David Robertson), La Partition du ciel et de l'enfer ou Jupiter (label IRCAM, sous la direction du commissaire du peuple Pierre Boulez, le délégué du soviet musical suprême). Assez peu en fin de compte. J'avoue que je ne les ai pas réécoutés pour l'occasion. Mais c'est juste pour que personne ne vienne me dire que je parle en totale ignorance de cause. J'ajoute qu'il m'est arrivé de trouver ici ou là de la musique dans ce que j'entendais. Pour dire que je ne suis pas complètement hermétique à ce qui se fait aujourd'hui en matière de musique : il m'arrive même de ne pas tourner le bouton les soirs, en général malheureux, où le programme est réservé aux "musiques d'aujourd'hui" (mais franchement, les œuvres diffusées hier soir par M. Franz Musik, de Gilbert Amy et Philippe Hurel, offrent une musique chétive, aride, squelettique : des vieux rapiats, des Harpagons de la musique ; les adeptes diront qu'ils n'ont gardé que l'essentiel, mais je n'ai pas envie de ronger les os).
Il se trouve que monsieur Manoury prononce aujourd'hui même la "leçon inaugurale" des cours qu'il va donner pendant un an dans le collège le plus ancien de France (c'était sous François premier). A ce titre, il était invité hier à la table d'une antenne franzkulturelle pour expliquer tant que faire se peut comment il envisageait sa tâche. Il a profité de la tribune ainsi offerte pour asséner quelques-unes des sottises admises et véhiculées dans les milieux de la branchouille musico-moderniste.
Soit dit pour commencer, le monsieur n'a rien contre les musiques de divertissement (merci pour elles), mais il ajoute dans la foulée que son domaine, c'est la "musique savante", qu'on se le dise. Je rétorquerai au monsieur que ce que j'attends, dans les musiques "savantes", ce n'est justement pas ce qu'elles contiennent de savant, mais un assemblage de sons musicaux qui me touche (je peux aussi être irrité ou indifférent). C'est parce qu'elles provoquent chez moi des résonances, des mouvements intérieurs divers et diversement puissants. Ce que les "spécialistes" de l'âme humaine appellent "affects" ou "émotions".
Je n'ai pas recopié mot à mot les convictions que Philippe Manoury a exprimées lors de l'entretien, et je citerai ses propos, comme on dit, "en substance". Le premier truisme formulé est un lieu commun : « Tous les compositeurs de l'histoire ont été des "contemporains" : il n'y a jamais eu d'autre musique que contemporaine ». Rien à dire de cette vérité d'évidence, sauf à préciser que les techniques d'enregistrement ont rendu "contemporaines" presque toutes les musiques produites par l'humanité depuis les origines, et que la musique dite contemporaine n'est plus qu'une modalité parmi l'infinité des autres. On est sur un marché où l'offre est pléthorique. Il y a du gavage et de la saturation dans la production musicale d'aujourd'hui. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la demande ne suit pas. A moins que ça veuille dire autre chose (genre formatage, mise au pas des individus en passant par l'oreille, ...).
Quoi qu'il en soit, le fait d'enregistrer les sons pour qu'on puisse les réécouter à volonté les rend en effet potentiellement (et exactement) contemporains. On peut même dire que toute la musique existant ou ayant existé (celle qui a eu soit la chance d'arriver après l'idée géniale qu'il était possible d'écrire les sons musicaux, soit le temps de se faire enregistrer dans la collection Ocora Radio France avant de disparaître) nous est contemporaine. Les compositeurs qui s'estiment honnis n'ont qu'à protester et accuser les moyens techniques modernes de leur gâcher le métier, au lieu de bêler en chœur que ce sont « de formidables outils de création ».
La concurrence règne en maîtresse impitoyable : que la contemporaine pâtisse de la chose, au fond, rien de plus normal. Le créneau est étroit et on ne devrait pas être surpris que ce genre de musique (produire du "jamais ouï") ne concerne en fin de compte qu'un "marché de niche". Mais c'est le corollaire du raisonnement qui est intéressant : « Les compositeurs de l'histoire ont été des expérimentateurs ». Alors ça, c'est évidemment faux.
Que l'évolution (je n'ai pas dit le "progrès") de la musique ait accompagné une évolution des sensibilités liée aux changements sociaux et, si l'on veut, à l'édification progressive d'une civilisation, cela ne signifie en aucune manière que les compositeurs aient été, par profession, des "expérimentateurs". L'idée me semble juste risible.
C'est plutôt l'aveu de toute une conception : le compositeur d'aujourd'hui travaille dans son laboratoire au milieu de ses cornues et athanors, conçoit des protocoles d'expérience sophistiqués, explore le possible, fait des calculs, des hypothèses, des mélanges, des précipités. Puis un jour il en sort pour apporter au public agenouillé la "bonne nouvelle" (mot à mot grec, ça donne "évangile") : ça s'appelle une "création mondiale". Moralité : le compositeur d'aujourd'hui est un asocial. Le paradoxe, c'est qu'il est en même temps un marchand qui veut placer son produit. Par-dessus le marché, il se veut un prescripteur doté de l'autorité qui l'autorise à se donner le grand rôle.
Ce qu'il produit, moi j'appelle ça, sur le modèle imposé dans le milieu des "artistes-plasticiens", de la musique conceptuelle, c'est-à-dire du genre où le public est invité à se gratter le crâne ou le menton d'un air pénétré pour donner l'impression qu'il est descendu dans ses propres profondeurs pour s'interroger gravement sur le sens de tout ça. Mélasse dont il sort en général en déclarant à qui veut l'entendre que, tout bien réfléchi, « cela est intéressant ». Sûr que personne ne lui demandera s'il trouve intéressants telle "Fricassée parisienne" ou tel des Octonaires de la vanité du monde (Paschal de l'Estocart). La musique est certes faite pour être ouïe, mais elle est d'abord faite pour être jouie (j'assume le barbarisme, à moins que ce ne soit un solécisme).
Autre sujet d'hilarité, c'est quand le professeur au Collège de France (en CDD, heureusement) compare la musique contemporaine à une langue étrangère qu'il faut apprendre pour la comprendre. Cela se passe en deux temps.
Premier temps, une apostrophe à l'intervieweuse : « Quand vous allez en Chine et que vous ne connaissez pas la langue, si vous voulez vous faire comprendre, il va bien falloir que vous appreniez le chinois ». Autrement dit, pour comprendre un langage que vous ignorez, il faut l'apprendre. Même chose, donc, pour la musique contemporaine. Pure et simple intimidation. Soit dit en passant, je note que Philippe Manoury reconnaît ici, peut-être sans s'en rendre compte, que la musique qu'il écrit est a priori, aux oreilles du public, une langue étrangère. Prenons cela comme un aveu : Philippe Manoury est un prof de langue étrangère, il est au-dessus, et ses élèves (son public) ne savent pas. Il faut donc qu'il leur inculque.
Deuxième temps : « Est-ce que vous pouvez me dire, quand vous écoutez du Mozart, ce qu'il y a à comprendre ? ». Autrement dit, quand vous écoutez de la musique, il n'y a rien à "comprendre". Donc rien à "apprendre". Prenons cela comme un autre aveu : face à la musique, Philippe Manoury est notre égal, notre semblable, notre frère.
Conclusion et en résumé : un exemple lumineux de "double langage". Oh, Manoury, il faudrait savoir ce que tu veux. Dis-nous : il faut apprendre, ou il n'y a rien à apprendre ? Faut-il ou non éduquer le public ? La musique est-elle faite pour l'intellect ? Ou bien pour la sensibilité ? Tu ne peux pas vouloir le beurre et l'argent du beurre.
Cette idée de compréhension, ou plutôt cette grande plainte d'être un grand "incompris" poussée par tous les "innovateurs" (qui se disent "créateurs" et se plaignent que le public "ne suive pas"), est un refrain qui date de très longtemps : c'est aux destinataires des œuvres de s'adapter aux inventions de leurs auteurs. Le devoir premier des compositeurs n'est en aucune manière de chercher à plaire, ce qui serait bassement servile. Car la musique contemporaine nécessite une "éducation" spécifique : sans doute ce qu'on appelle "dresser" l'oreille. C'était donc ça ! Manoury et ses semblables se considèrent comme des dompteurs face à des fauves : il faut dresser les oreilles des contemporains pour les plier aux impératifs de la nouveauté. On appelle ça le cirque.
Monsieur Manoury, comme la plupart des gens qui "font" dans les arts contemporains, veut à toute force que son public retourne sur les bancs de l'école pour apprendre pour quelles raisons il doit aimer ses œuvres. Pour monsieur Manoury, le public est dans son tort, c'est lui qui devrait faire l'effort. Tout ça parce que, s'il n'aime pas ce qu'on lui donne, c'est qu' « il n'a pas assez l'habitude ». Moi je dis qu'on aura beau m'expliquer que je devrais me sentir coupable de mes refus d'admettre comme de la musique toutes les "new things" qui se présentent à mes oreilles endolories, quand ça veut pas, ça veut pas, et puis c'est tout.
Car cette histoire d'habitude, j'ai envie de dire : ben v'là aut'chose ! Je pose une question : est-ce seulement à cause de l'habitude que les gens du peuple qui dansaient sur les places dans les fêtes autrefois aimaient les sons qui sortaient de la flûte, du tambourin, de la cabrette ou de l'accordéon ? Ou bien ne serait-ce pas plutôt parce que ces sons sont organisés selon les lois d'une harmonie naturelle ? Le grand mot est lâché.
On me dira qu'il ne faut pas confondre musiques "savante" et "populaire". Je ne vois vraiment pas ce que ça change à la question de fond : on n'écoutait pas les mêmes choses dans les hautes et basses classes, c'est certain. Mais c'est justement là, et pas ailleurs, qu'il faut situer le problème des "habitudes" (traduit en Bourdieu, ça donne "habitus", au moins en gros), qui chiffonne monsieur Manoury.
Au fond, pourquoi le public, depuis le début du XX° siècle, tourne-t-il en masse le dos à la musique contemporaine ? N'est-ce pas précisément parce qu'elle a outrepassé les limites imposées aux sons musicaux par la nature ? Car en musique, comme en d'autres domaines, la question des limites ne se laisse pas évacuer facilement. Pourquoi les directeurs de salles et les chefs d'orchestre sont-ils obligés d'emboquer le public en insérant dans leurs programmes une tranche de contemporaine entre deux tranches de "classique" ? Espèrent-ils que le public, à la longue, lassé de résister, rendra les armes ?
Last but not least, Philippe Manoury déclare : « Je serais bien incapable de vous dire, quand je compose, ce qu'il faudrait faire pour que ma musique soit bien reçue ». Traduction en langage humain : « Quand je compose, j'ai autre chose à faire qu'à penser aux gens auxquels ma musique est destinée ! Pour moi, le destinataire n'existe pas ! ». En français mot à mot : rien à foutre que ma musique plaise ou non.
On me rétorquera que Beethoven lançait à Schuppanzigh : « Eh ! Que m'importent vos boyaux de chat, quand l'inspiration me visite ! ». Je répondrai juste que tout le monde n'est pas Beethoven. Mieux : en face d'un Beethoven, combien de domestiques ? Combien de nos "innovateurs" ont du génie ? Je crois pouvoir répondre : faire de l'innovation sonore un critère de la composition musicale d'aujourd'hui est le meilleur moyen de nous épargner l'émergence d'un génie. Et d'établir durablement e règne des bidouilleurs de sons.
Le génie porte un monde, il ne se réduit pas à l'innovation, qui n'est au fond qu'un résidu. Le véhicule d'une intention, si vous voulez. Le génie, c'est juste une question d'altitude dans l'intention.
09:00 Publié dans MUSIQUE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique contemporaine, philippe manoury, ircam, pierre boulez, donatienne michel-dansac, david robertson, france musique, gilbert amy, philippe hurel, france culture, musique savante, collège de france, schuppanzigh, ludwig van beethoven, musique classique, musique
mercredi, 13 novembre 2013
QUE FAIRE DE L'ACTUALITE ?
MONUMENT AUX MORTS DE MORLAAS, PYRÉNÉES-ATLANTIQUES
SCULPTURE D'ERNEST GABARD
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Préambule : MONSIEUR L'ABBÉ EDWY PLENEL MONTE EN CHAIRE. L'ancien directeur du journal Le Monde (avec Alain Minc et Jean-Marie Colombani) s'est recyclé dans la presse internet (Mediapart). Accessoirement, le mercredi, France Culture lui ouvre un micro, autour de 7h20, pour qu'il y tienne une chronique.
Les thèmes d'Edwy Plenel : la tolérance, l'antiracisme, la solidarité et autres fables morales pour l'édification des foules. Ce matin, il a volé au secours du soldat Taubira, traîné dans la boue à la une du torchon Minute, après avoir été vilipendé et insulté par quelques gredins et autres brutes à front bas de la droite forte, décomplexée et, disons-le, d'extrême-droite. Ces insultes envers cette femme noire ne m'inspirent que du dégoût.
Mais comment se fait-il qu'entendre monsieur Plenel prendre la défense de la ministre m'horripile, au point que ce sont ses propos qui m'inspirent du dégoût ? Comment se fait-il que la chronique d'Edwy Plenel, chaque semaine, résonne à mes oreilles de façon insupportable ? Comment des propos censés faire honneur aux droits de l'homme produisent des échos à ce point répugnants ?
Après réflexion : Edwy Plenel a laissé à la patère du studio sa défroque de journaliste pour se vêtir tout soudain d'un uniforme qu'on croyait depuis une éternité jeté aux orties : une SOUTANE. Il faut entendre cette voix d'ancien séminariste (s'il ne le fut pas, il aurait dû) vous susurrer sur le ton de l'admonestation : « Ce n'est pas bien, ça, mon enfant. Vous direz trois Pater et dix Ave ». Je n'exagère qu'à peine (la pénitence est ici figurée par une invite à une manif en décembre). Voilà pourquoi, quand je l'entends, j'ai tout d'un coup envie de donner des gifles. Edwy Plenel : un curé moralisateur, un flic doublé d'un prophète. Triple figure de l'abjection.
Heureusement, je crois que les droits de l'homme sont plus grands que les petitesses du minuscule Edwy Plenel, sinon, il serait capable de m'en dégoûter. Mais je n'oublie pas que France Culture lui offre une tribune.
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Résumé : finalement, s'intéresser à l'actualité, c'est se condamner à mouliner du commentaire. Exemple le débat Karol Beffa/Philippe Manoury chez Alain Finkielkraut. Si les gens ne veulent pas de la « musique contemporaine » dont ses thuriféraires veulent les emboquer, ce n’est pas qu’ils n’ont pas compris, c’est juste qu’ils n’en veulent pas. On en était resté là.
Ensuite et de deux, je ne suis pas du tout sûr comme Manoury que les compositeurs actuels se soucient tant que ça de la réception de leur travail sur les sons par leurs destinataires putatifs. Ils sont en effet un certain nombre, dans la lignée et la descendance de Pierre Schaeffer, à composer encore des morceaux incluant divers bruits du monde, quand ils n’en sont pas exclusivement constitués.
Est-ce Ondrej Adamek qui, dernièrement, a placé un micro à la sortie du moteur de son aspirateur pour en faire un « objet musical » (expression consacrée de Pierre Schaeffer, entérinant pour la musique la coupure entre "œuvre d'art" et "objet d'art") ? Je ne sais plus. Pour justifier le terme de « composition » musicale, est-il suffisant de monter ces bruits enregistrés dans un ordre précis et/ou de les retravailler avec l’électronique disponible ?
Je fais partie des réactionnaires qui se réjouissent de rester dans l’erreur et persistent à opérer une distinction entre des sons musicaux et des bruits de la nature ou de la société. Les uns sont produits par un instrument spécifique fabriqué exprès pour ça, et les autres se contentent d’être recueillis ou imités. D’un côté ils sont vraiment inventés (avec plus ou moins de bonheur et de maîtrise) par quelqu'un qui a appris tout ce qu'on peut savoir de ce langage, de l’autre ils sont enregistrés. Même si un technicien intervient ensuite pour les trafiquer, ça ne suffit pas pour appeler ça « musique ».
Je vais plus loin : le piano est fait pour qu’un individu assis devant appuie ses doigts sur les touches, il n’est pas fait pour, comme je l’ai souvent vu faire, que l’individu en frappe le bois ou en aille gratter les cordes en introduisant la main (et autres fantaisies savantes et/ou délirantes). Le souffle de l’instrumentiste dans la clarinette est émis non pas pour se faire entendre en tant que tel (le bruit d’un souffle traversant la colonne cylindrique de l’instrument), mais pour former les sons organisés en vue desquels Johann Christoph Denner l’a inventée au 18ème siècle.
Voir un violoniste fouetter son instrument à coups d’archet ne m’inspire que tristesse apitoyée. Et que dire quand les quatre instrumentistes, s’interrompant soudain, posent violons, alto et violoncelle pour saisir, sous le pupitre, des verres en cristal à moitié remplis d’eau et, du doigt tournant sur le bord, les font résonner comme nous faisions enfants ?
Dans le débat opposant Karol Beffa et Philippe Manoury, Finkielkraut, qui avouait ne pas être mélomane, reprochait à la musique contemporaine de donner l’impression au public qu’aujourd’hui tout est devenu possible (cf. le slogan qui a fait gagner Sarkozy en 2007 : « Ensemble tout devient possible »). J’ai le mauvais esprit de croire que, dans la bouche de Finkielkraut, le « Tout est possible » peut se traduire par : « On fait n’importe quoi », ou « N’importe qui est capable de tout ». Alors, est-ce qu’on a « tout » ou « n’importe quoi » ? Les deux, mon général, puisque c’est la même chose.
Je me rends compte tout à coup que me voilà à cent lieues de ce que je voulais dire au début. J’ai laissé la bride sur le cou à mon dada, et lui, bien sûr, il est parti à fond de train dans sa direction préférée. Ce n’est que partie remise. Je conclurai quand même sur un mystère : qu’est-ce qui fait que certaines œuvres musicales du 20ème siècle me touchent, me prennent, me bouleversent ? Je pense à Vingt regards sur l’enfant Jésus de Messiaen, aux quatuors à cordes d’Olivier Greif ou de Philip Glass, à Sinking of the Titanic de Gavin Bryars, et à bien d’autres. Qu’y a mis le compositeur pour provoquer cet effet ? Mystère.
Parmi les autres musiques, il y en a de deux sortes : beaucoup se contentent de me laisser aussi froid et dur qu’une bûche, mais beaucoup aussi me révulsent, me hérissent, me repoussent hors d’elles, pour la raison que j’y entends ricanements et sarcasmes, et que j’ai la très nette impression que leur compositeur se paie ma fiole, se fiche de moi, bref, qu’il y a là du foutage de gueule, et rien d’autre.
Qu’en concevant son « travail », il s’est posé une seule question : « Qu’est-ce que je pourrais bien faire pour faire parler de moi ? ». La réponse est : « De la provocation », que je traduis : « N’importe quoi pourvu que ça fasse de la mousse ». C’est le cas de toute œuvre d’art « conceptuelle », c’est-à-dire qui ait besoin d’être soutenue par un discours savant, construit, compliqué et théorique pour justifier son existence. C’est le cas de beaucoup de mises en scène d’opéra : ah, les mitraillettes dans Le Chevalier à la rose ! La Sunbeam poussée sur scène dans Cosi Fan Tutte !
SUNBEAM TIGER (1966)
C’est le cas, j’en ai déjà parlé ici, de 4’33’’ de John Cage, où le pianiste, en restant les bras croisés, veut prouver au public que, même quand le piano ne sonne pas, il y a encore de la « musique » : celle faite par les spectateurs réunis dans la salle de concert : fauteuils qui grincent et autres nuisances. La belle affaire, vraiment !
La même histoire que les mangeurs de bonbons et les enrhumés des concerts classiques (ah, l’adagio de l’opus 18 n°1 sur fond de catarrhe tubaire !), sauf qu’avec Cage, ces nuisances sortent de la poubelle et, promues en plat principal, sont servies dans la vaisselle de prestige. Quelle subtilité dans le message ! Quel art dans la démonstration !
Comme si l’on érigeait le déchet en œuvre d’art, ce dont ne se privent pas, au demeurant, bien des artistes plasticiens. Sans doute en signe d’adhésion à la « société de consommation » (sachant que « consommer, c’est détruire »).
Les Sequenze de Luciano Berio ne sont sûrement pas du « foutage de gueule », mais à quoi bon, cher Maître, vouloir à tout prix pousser les instruments (voix comprise, ah, la belle Cathy Berberian !) jusque dans leurs ultimes potentialités ? Franchement, chercher à en épuiser les possibilités d’expression, est-ce encore de l’art ? N’est-ce pas plutôt de la performance sportive ? A l’écoute de ces pièces solistes, non seulement je n’éprouve ni émotion ni plaisir esthétique, mais je pense à Cassius Clay, après sa victoire sur Sonny Liston en 1964, faisant le tour du ring en criant : « I am the king of the world ! I am the king of the world ! ».
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : monuments aux morts, grande guerre, guerre des tranchées, guerre 14-18, edwy plenel, france culture, musique contemporaine, karol beffa, philippe manoury, alain finkielkraut, pierre schaeffer, ondrej adamek, nicolas sarkozy, olivier messiaen, olivier greif, gavin bryars, vingt regards sur l'enfant jésus, le chevalier à la rose, cosi fan tutte
mardi, 12 novembre 2013
QUE FAIRE DE L'ACTUALITE ?
MONUMENT AUX MORTS DE JOYEUSE, ARDÈCHE
SCULPTURE DE GASTON DINTRAT
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Ce n’est pas que je me pose plus de questions qu’il n’est convenable pour vivre heureux, mais je me dis que les lecteurs qui me font l’amabilité, et pour quelques-uns l’amitié de rendre visite à ce blog se demandent peut-être pourquoi, depuis quelque temps (ça va finir par se compter en mois), j’ai quasiment cessé de découper ici le fruit de quelques réflexions qui me viennent au sujet – disons-le crânement sans nous dissimuler l’ampleur démesurée de l’ambition et peut-être de la prétention –, de la marche du monde, du sens de l’existence ou de l’état moral et intellectuel de la société (en toute simplicité, n’est-ce pas) dans laquelle nous vivons.
Ne nous voilons pas la face : je faisais ici mon petit « Café du Commerce ». Autrement dit je passais bien du temps à refaire le monde, un peu comme tout un chacun le fait à un moment ou à un autre, au comptoir ou à la terrasse, en charriant, désinvolte, des mots trop gros pour passer au tamis des intelligences moyennes comme sont la plupart des nôtres. Pour être honnête, je dois dire (à ma décharge ?) que mes propos se muaient de plus en plus souvent en incursions de plus en plus insistantes dans la chose littéraire (Philippe Muray, Montaigne, Hermann Broch et surtout, depuis cet été, Henri Bosco, dont j’ai maintenant presque achevé le tour du monde de l’œuvre).
Ce n’est pourtant pas que j’ai cessé de réagir aux fantaisies, désordres et monstruosités offertes « en temps réel » par l’actualité de la vie du monde. Tiens, pas plus tard que ce matin, dans l’émission d’Alain Finkielkraut, j’ai bondi sur ma chaise en entendant les propos de Philippe Manoury, tout en abondant dans le sens de son interlocuteur Karol Beffa. Les duettistes se disputaient (très courtoisement) au sujet de la « musique contemporaine ».
La question était de savoir pourquoi le public met la marche arrière quand il s’agit d’acheter des billets d’entrée aux concerts des « musiques savantes d’aujourd’hui », au point que les programmateurs « modernistes » ou même « avant-gardistes » sont obligés d’entrelarder dans des proportions variables leurs programmes classiques d’œuvres en « création mondiale ».
La dose de « musique innovante » doit être savamment calculée, pour donner au plus grand nombre l’impression d’être cultivé, mais ouvert à ce qui s’invente au présent. Une façon confortable d’être tout à la fois « conservateur » et « progressiste », si tant est qu’on puisse parler de progrès dans les formes esthétiques. A la fin du concert, les payeurs de leur place ont à cœur de faire un triomphe à tout le monde, histoire de rentabiliser psychologiquement le prix payé et d’éviter de se dire qu’on a gaspillé son argent.
Plus les applaudissements sont nourris, plus le retour sur investissement social était justifié, en quelque sorte. Je dis "social" parce que je crois qu'il y a beaucoup de souci de paraître (et de paraître branché) chez ceux qui courent aux concerts contemporains.
Karol Beffa a bien raison de dire qu’après le sérialisme intégral et la dictature dodécaphonique, les compositeurs n’ont plus osé écrire de la musique que l’auditeur aurait eu plaisir à chanter si elle avait comporté cette chose désuète qu’on appelait, avant les progrès de la modernité, la MELODIE.
Et Philippe Manoury a bien tort de répliquer qu’il met n’importe qui au défi de chanter une seule mélodie de Charlie Parker au saxophone : Mimi Perrin et les Double Six sont là pour prouver qu’il est même possible de placer en virtuose des mots sur des mélodies virtuoses. Quand je parle de la mélodie, je pense à cette part de la musique que monsieur tout le monde n'a aucun mal à s'approprier. Les duettistes ne parlent donc pas de la même chose.
Philippe Manoury a ensuite cette déclaration qui sonne comme un aveu : « Les compositeurs d’aujourd’hui se préoccupent de nouveau de la réception de leur musique ». D’abord et d’une, c’est bien de reconnaître qu’auparavant (disons depuis la révolution Schönberg) les compositeurs se fichaient éperdument de ce que pouvait ressentir l’auditeur en entendant leur musique.
Appelons cela « musique de laboratoire » ou « musique expérimentale », où le laborantin laborieux considère l’auditeur comme un simple cobaye. Le problème de la « musique contemporaine » est que la majorité des cobayes persistent à se rebiffer et à refuser d’entrer dans les éprouvettes. Et qu’on n’aille pas me soutenir que les dits cobayes ont tous tort au motif qu’ils ne montent pas dans le train royal du « Progrès » de la culture.
Quand ils forment l’immense majorité, il n’est pas sûr qu’on puisse en conclure que « la musique contemporaine souffre d’un déficit de communication » (vous pouvez remplacer la musique par l’Europe ou la réforme des retraites, car l’argument est souvent utilisé en politique par les gens au pouvoir) : quand les gens rejettent en masse quelque chose qu’on veut leur faire avaler, il y a fort à parier que ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas compris. C’est précisément parce qu’ils ont fort bien compris qu’ils n’en veulent pas.
Voilà ce que je dis, moi !
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