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vendredi, 03 mai 2019

FAILLITE DES SYNDICATS

Philippe Martinez, leader de la CGT, a donc reniflé  des lacrymogènes à cause de la stratégie des "Black blocks", qui ont été assez habiles pour obliger la police à ne plus faire de différence entre les manifestants traditionnels et légitimes (le 1er mai, c'est un peu le 14 juillet des travailleurs moins le pas cadencé et les avions de chasse en rase-mottes) et les bandits casseurs de tout qui profitent de l'aubaine. C'est vrai que le défilé du 1er mai, ça fait très "cérémonie officielle", c'est devenu quasi-obligatoire pour les organisations syndicales de marcher ce jour-là de Nation (ou Bastille) à République. D'abord parce que ça se fait, et puis aussi qu'est-ce qu'on dirait si on le faisait pas ? Bref, c'est jour de fête, qu'on se le dise.

Malheureusement, cette fois ça a mal tourné. Pensez, le cégétiste en chef obligé de quitter la tête du cortège (avant de réintégrer un peu plus tard). Je ne peux pas m'empêcher de penser que le fait n'est pas sans signification. Et de le rattacher à un phénomène plus général, je veux parler du fait que l'ensemble de ceux qui s'appelaient autrefois la "classe ouvrière", et qu'on a simplement regroupés sous le terme générique plus "actuel" de "travailleurs", tous ces gens n'ont plus personne pour les défendre contre les méfaits d'un capitalisme de plus en plus sauvage et débridé, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan syndical.

Politiquement ? Il suffit de regarder le champ de bataille : l'armée française après la Bérézina. Les prochaines élections européennes le montrent de façon aveuglante : des petits chefs brandissant les lambeaux de quelques drapeaux dans l'espoir de "rassembler les forces de gauche", mais à la condition expresse posée par chacun que ce soit derrière leur drapeau à eux, et pas un autre. Remarquez, le Parti "Socialiste" avait montré le chemin depuis très longtemps, plus exactement depuis 1983 et le "tournant de la rigueur" initié par Mitterrand.

Et le PS a bravement poursuivi dans cette voie, sous la houlette de ses nouveaux cadres à costumes trois-pièces et attaché-case, et de sa Fondation "Terra Nova", qui sont allés, il y a une dizaine d'années, jusqu'à proposer de laisser tomber la "classe ouvrière" pour se tourner vers les "classes moyennes" plus sensibles aux thèmes "modernes" d'une gauche sociétale qui a adhéré aux lois du marché et à la concurrence de tous contre tous, et qui a rejeté les luttes proprement sociales pour se tourner vers l'aberration de la conquête de droits individuels toujours nouveaux (les désirs de l'individu, quels qu'ils soient, devenant autant de droits). 

Quant au Parti Communiste, après s'être fait rouler dans la farine par Mitterrand, il n'a plus arrêté de dégringoler de marche en marche à chaque élection, au point de se retrouver en bas de l'escalier, en fauteuil roulant, en se demandant encore ce qui lui est arrivé pour être tombé si bas. Toujours est-il qu'une "insécurité sociale" s'est installée au sein de la classe ouvrière, évidemment aggravée par la désindustrialisation de la France quand son potentiel industriel a commencé à être vendu à la Chine et autres pays à "faible coût de main d'œuvre", sous la pression d'actionnaires de plus en plus gourmands.

Du côté syndical, certes, on parle toujours des "partenaires sociaux" et de la nécessité du "dialogue social", mais qu'en est-il en réalité ? D'abord, l'incroyable division des "forces syndicales", qui se livrent une lutte féroce pour capter les voix des rares travailleurs qui participent aux élections professionnelles. Face à cette division, un patronat de plus en plus compact et intransigeant : quand les troupes adverses tirent à hue et à dia, on ne va pas se fatiguer à faire des concessions, non ?

La chute du Mur, de l'Union soviétique et du communisme a encore aggravé le déséquilibre des forces. Et je ne parle pas du délitement des liens sociaux et de la montée irrésistible de l'individualisme, qui sont autant de freins au sentiment d'appartenir à la vaste collectivité des travailleurs. Un signe qui ne trompe pas : malgré le clairon qui sonne régulièrement l'alerte à propos d'une "France toujours en grève", le nombre de jours de grève depuis trente ans n'a cessé de diminuer : c'est un droit auquel les travailleurs ont de moins en moins recours.

Un autre facteur a pu jouer dans le fait que les forces syndicales se sont vidées de leur sang : leur compromission dans la gestion des institutions liées au partenariat social. Je me rappelle qu'un grand patron (était-ce Denis Kessler ? était-ce du temps du CNPF ou du MEDEF ?) avait parlé de la "nécessaire lubrification des relations sociales dans les entreprises", parlant d'étranges sommes en liquide qui avaient disparu dans on ne sait trop quelles tuyauteries. Et dans un domaine que je connais un peu mieux (Education Nationale), les syndicats d'enseignants ont acquis au fil du temps une influence telle qu'ils étaient d'une certaine manière associés à la gestion du ministère (et qu'ils sont à l'inspiration de quelques réformes, sur fond d'égalitarisme obtus et de pédagogisme militant, dont il est clair aujourd'hui qu'elles étaient catastrophiques).

Alors, c'est vrai, pour faire semblant de "pousser les luttes", le SNUIPP et le SNES-FSU lançaient de temps en temps un mot d'ordre de grève de 24 heures, qui n'avait pour effet que de mettre en vacances les élèves et de coûter une journée (1/30 du traitement mensuel) sur les fiches de paie de la fin du mois. Mais ça, c'était de plus en plus "pour de rire". Quelles que soient la force des luttes, la puissance des manifestations, la clameur des protestations et des colères, la nouvelle situation globale des travailleurs s'est progressivement imposée, défaisant les positions acquises, remettant en question tous les droits sociaux fièrement acquis.

Tout ça reste bien approximatif (je ne suis pas spécialiste et je ne fais pas l'histoire du processus, je suis juste un citoyen ordinaire qui s'intéresse à ce qui se passe et qui essaie de comprendre ce qui s'est passé pour que ça n'arrête pas de dégringoler), mais c'est pour dire que les syndicats français sont moralement impurs, et qu'ils se sont compromis dans de drôles de relations de double-jeu avec les puissants. Dans ces conditions, il devient pour le moins compliqué de proclamer qu'on défend les droits et les intérêts des travailleurs. La CGT a beau montrer ses gros bras et étaler ses drapeaux rouges, elle n'est plus grand-chose (FO, CFDT, etc. guère davantage), et la mésaventure du 1er mai arrivée à Martinez en est un signe.

Car dans ces conditions, on comprend aussi parfaitement qu'à peine 8 ou 10% des travailleurs français soient syndiqués. D'autant que dans le même temps, on a assisté à la libération de la circulation des capitaux et à la financiarisation de l'économie, qui a vu décroître sans cesse la part des revenus du travail dans la distribution des richesses produites et s'accroître avec une impudeur arrogante la part des revenus du capital (quitte à sacrifier l'investissement au passage, jetant aux orties la "règle" (?) des trois tiers : capital, travail, investissement).

Tout cela a fait que, malgré toutes les actions, malgré toutes les grèves, malgré toutes les manifestations, malgré tous les défilés du 1er mai, les salaires ont été "contenus", les conditions de travail sont devenues plus difficiles à supporter, le management à l'américaine ("lean management" et autres trouvailles) a usé les âmes, la vie est devenue plus dure, non seulement pour les ouvriers, mais aussi pour les employés, y compris les couches de populations de niveau de vie "correct" (les "classes moyennes" pas trop favorisées).

Résultat des courses : après la faillite programmée des partis politiques traditionnels de gauche, c'est au tour des syndicats de ne plus rien peser : insécurité sociale grandissante, précarisation, paupérisation, pas de raison de se gêner, il n'y a plus personne en face, on peut y aller carrément. 

C'est un point d'aboutissement logique : la "classe ouvrière" d'autrefois, les travailleurs d'aujourd'hui n'ont plus personne pour défendre leurs droits et leurs intérêts face à des entreprises et à des actionnaires de plus en plus voraces. Les travailleurs sont non seulement à poil, mais ils sont aussi pieds et poings liés. Et certains font encore semblant de se demander pourquoi les gilets jaunes.

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 23 juin 2016

HOLLANDE ET LES « RÉFORMES »

Avant de parler de François Hollande, rappelons quelques souvenirs cuisants du passage de Nicolas Sarkozy (le George W. Bush français, surnommé "le binaire", son esprit étant hermétique à la complexité du monde) à l’Elysée. Dans le bilan de ce sinistre individu qui menace la France de revenir au pouvoir pour finir de la vider de son contenu ancien, on peut compter (j’en omets, car on n’en finirait pas) :

- côté police, la désastreuse élimination de la « police de proximité » mise en place sous Jospin (il était encore ministre de l’Intérieur), qui avait montré son indéniable efficacité, mais surtout la dévastatrice fusion de la DST (Défense et Sécurité du Territoire, le contre-espionnage) et des RG (Renseignements Généraux, le renseignement intérieur « de terrain »), deux maisons aux « cultures » radicalement hétérogènes. Mohamed Merah fut le premier bébé né de cette fusion, avant beaucoup d’autres.

- la dévastatrice réforme de la carte judiciaire, menée non pas tambour battant, mais carrément au canon (et avec les dents), par Rachida Dati, qui avait vu descendre dans la rue d’inédits et impressionnants cortèges de robes noires, et même de robes rouges.

- et ce qui est à l’origine de ces deux naufrages des institutions françaises : l’immortelle RGPP (Réforme Générale des Politiques Publiques), qui refusait d’avouer dans son appellation qu’elle était vouée au but exclusif de saigner la Fonction Publique, toutes Administrations confondues, en ne remplaçant pas un fonctionnaire sur deux au moment de son départ en retraite. On a pu vérifier dans les faits des quelques dernières années l’effet miraculeux de cette politique sur l’état économique, éducatif, politique et sécuritaire de la France. Ce qui n'a pas empêché les dépenses de l'Etat de croître et embellir.

Après le démolisseur est donc venu un César au petit pied, qui n’est entré à l’Elysée que parce qu’il s’était fabriqué pour l’occasion le masque d’un « Monsieur Tout-le-monde », qu’il n’a pas tardé à jeter, une fois refermées les portes du Palais sur la légalité irréfutable de cette confiscation pour cinq ans de presque tous les leviers du pouvoir.

Je ne retiendrai ici, dans le bilan de ce sinistre individu (la France est-elle maudite ?), que quelques « réformes », prises dans leur chronologie (j'en omets, car on n'en finirait pas) :

- la loi introduisant dans la société et dans les mairies françaises le mariage des homosexuels mâles avec leurs pareils, même chose pour les homosexuelles femelles, à égalité avec le mariage normal, je veux dire d’un homme et d’une femme, au mépris de l’avis d’une bonne moitié de la population normale, clairement exprimé dans les rues de nos villes (quels que soient les sondages et les calculs qu’on pouvait percevoir derrière certaines indignations).

- la loi instaurant le redécoupage des régions définies lors du vote sur l’ancienne loi Defferre, au mépris de l’avis de beaucoup d’élus et de l’incompréhension ou l’indifférence d’une majorité de la population devant tant de hâte et de précipitation à présenter une telle réforme, informe et impensée, comme cruciale, urgente et indispensable.

- dernière en date : la réforme du Code du travail, qui balaie d’un coup violent les digues qu’un lent processus avait, dans des relations conflictuelles, patiemment élevées pour protéger la faiblesse inhérente au statut de ceux qui ne possèdent que leur force de travail pour subvenir à leurs besoins.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais les modalités de ces trois réformes sont strictement identiques sur un point essentiel : il s’agit de trois coups de force. Trois putschs légaux. Notre président est un putschiste. François Hollande, on le savait bien avant 2012, n’est pas un Homme d’État, ce n’est même pas un petit boutiquier, c’est un arrière-boutiquier, qui n’a aucune prise sur les événements et qui, pour cette raison, en est réduit à se livrer à des petites ruses, à des calculs d’épicier pour voir quel avantage il pourra tirer ou quel désavantage il pourra éviter.

Ce tout petit homme, quand il n’est pas obligé de se retirer du jeu de quilles la queue basse parce qu’il s’est emmêlé les pinceaux dans une banale opération de communication (cf. le bazar autour de la « déchéance de la nationalité »), il est contraint, pour faire passer ses lois, de les parachuter d’en haut, en flattant ou intimidant ses godillots du Parti Socialiste, et quand ce n’est pas possible, il n’hésite pas à se passer de l’avis du Parlement : il tire au calibre 49,3 en disant à ses rebelles : « Même pas cap’ de voter une motion de censure ! ». Bien que ce ne soit pas passé loin la dernière fois, gageons qu'ils se montreront disciplinés : ils pensent à leur législative de 2017 et à la carotte de l'investiture que le bâton du parti leur met déjà sous le nez.

C’est ce tout petit homme qui s’était pourtant fait élire en promettant (« croix de bois-croix de fer-si je mens je vais en enfer ») de promouvoir en toute circonstance le « Dialogue », l’ « Echange » et la « Concertation ». Le résultat, on l’a vu : monsieur Hollande a vite versé dans l'autoritarisme des faibles, vous savez, ces petits tyrans domestiques qui se vengent le soir sur la maisonnée des avanies et humiliations que leur supérieur leur a fait subir dans la journée. Le débat ? Fi donc ! Hollande est un champion du débat par la méthode forte. Et même brutale.

Non, personne ne saurait vous prendre au sérieux, monsieur Hollande. Les nouvelles régions, par exemple, le gouvernement aurait pu lancer dès 2012 une vaste concertation programmée, je ne sais pas, disons sur deux ans, délai qui aurait permis à tous les acteurs de terrain de s’entendre et, pourquoi pas de faire des propositions, de déplacer des limites de territoire. Trop compliqué. Et puis ça aurait eu le fâcheux inconvénient de laisser l’initiative à la population. Même chose pour le mariage homosexuel. Même chose pour la « loi Travail ». Non, il vaut mieux trancher, sinon on va encore se faire taxer de passivité, se dit-il. 

L’improvisation à laquelle a donné lieu la « réforme territoriale » et le grotesque dans lequel ont plongé les sordides discussions de marchands de tapis au sujet de leurs contours et de leur nombre illustrent à merveille l’incompétence d’un homme dépourvu de toute vision de l’avenir, et dont toute l’action « politique » consiste à caboter sans trop s’éloigner des côtes et à opérer « à vue » de savantes et retorses petites manœuvres pour esquiver au dernier moment la menace du rocher à fleur d'eau, qu'il n'avait pas aperçu. 

L'improvisation fait rage : acte I : Valls-Hollande menace de « prendre ses responsabilités » si la CGT appelle de nouveau à manifester malgré la présence de « casseurs » (question : quelles consignes ont été vraiment données aux forces de l'ordre, qui identifient en quelques heures des hooligans russes, et qui mettent les violences sur le compte des syndicalistes eux-mêmes) ; acte II : Valls-Hollande déconseille à la CGT (sept syndicats signent l'appel) d'organiser une nouvelle manifestation ; acte III : les syndicats persistent dans leur intention de manifester ; acte IV : la sentence tombe, la manifestation est purement et simplement interdite par le préfet (le plus libre de tous les hauts fonctionnaires, comme chacun sait) ; acte V (coup de théâtre, qui a pris de court le journal Le Monde, ça s'appelle "deus ex machina") : une heure à peine après l'interdiction : la manif est autorisée, sur un parcours court. C'est la panique à bord, il n'y a plus de pilote. Le bateau qui prend l'eau file sur son erre, hors de contôle.

Embrassons-nous Folleville : c'était donc une FARCE. Déconsidérés, couverts de crotte et de ridicule, Hollande et Valls devaient encore avoir un œil sur les sondages : le sondage électronique quotidien du Progrès indiquait, mardi 21 juin, 80% d'opposants à toute interdiction de manifester. Je ne veux rien dire, mais je me demande si le titre d'un vieux feuilleton radiophonique ne devient pas de la plus urgente actualité. Cela s'appelait "Ça va bouillir". Je crains, hélas, que le pays ne s'approche irrésistiblement d'un tel seuil de température. Que va-t-il rester de vous, monsieur Hollande ?

Non, décidément, monsieur Hollande, ce n’est pas ça, un Homme d’État. 

Voilà ce que je dis, moi.