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samedi, 27 avril 2024

L'ISLAM ESCLAVAGISTE ...

... VU PAR "LE MONDE".

C'est rigolo, la façon dont les nouvelles vérités se sont installées dans le paysage des sciences humaines, et particulièrement des historiens. On le constate une fois de plus à la lecture de l'article rédigé, le 19 avril 2024, dans le supplément "Le Monde des livres" par Frédéric Bobin, probable journaliste au "Monde", et peut-être lui-même historien ou peu s'en faut. Normalement, quelqu'un qui sait de quoi il cause.

Mais l'historien n'est plus ce qu'il fut. Je veux dire que de nos jours, le spécialiste, quand il est issu des écoles occidentales d'études historiques, marche sur des œufs : il ose à peine avancer des hypothèses, il recule devant l'affirmation, il tremble à l'idée d'être qualifié de "péremptoire", ou pire d'"occidental", et la perspective d'être possiblement traité de "pas sérieux" le plonge dans des abîmes de panique professionnelle. Et pour peu que vous le taxiez d'"islamophobie", alors là, c'est l'arrêt cardiaque assuré !!! Le voilà scientifiquement disqualifié

C'est ainsi que Frédéric Bobin multiplie les précautions oratoires : le sujet est « inflammable ». « L'historiographie de l'esclavage est devenue radioactive au contact des enjeux contemporains ». La « concurrence mémorielle » nuit au « débat académique ». Les traites "atlantique" et "orientale" ne sont-elles pas égales en infamie ? Mon dieu, que de vaines circonlocutions pour éviter, dans un tel débat, de passer pour le méchant de service !!! L'historien européen est aujourd'hui hanté par le poids de tous les soupçons que le passé coupable fait peser sur son âme délicate et sensible.

Ce n'est pourtant pas si compliqué, me semble-t-il. J'en veux pour preuves deux éléments de l'article. Le premier, dans le texte de Frédéric Bobin, fait durer l'"esclavage musulman" du VII° au XX° siècle. Désolé, mais il suffit de s'informer au sujet du Niger ou de la Mauritanie pour découvrir qu'il subsiste dans quelques pays (Sahel ?) des formes d'esclavagisme "traditionnel" où le statut d'esclave se transmet de génération en génération. Oui, monsieur, l'esclavage existe toujours, et même parfois sous nos cieux tempérés et radieux (de loin en loin, les journaux évoquent un procès pour "esclavage moderne").

Mais sans monter en épingle une tradition peut-être en voie d'extinction (mais j'en doute), il suffit de regarder du côté de la péninsule arabique pour se rendre compte que, si l'esclavage n'y a pas été rétabli officiellement, on pourrait facilement s'y tromper, tant (je prends un exemple) la façon dont on y traite les travailleurs venus d'Inde ou des Philippines ne rend pas très enviable la façon dont ces pauvres gens sont exploités : passeports confisqués et autres et pires joyeusetés, cf. les conditions faites récemment par le Qatar à ses constructeurs de stades de foot. Et si vous croyez que le Qatar a reconnu ses fautes et s'est frappé la poitrine en signe de contrition ...

L'autre élément que je relève, c'est une énormité commise par la plupart des bonnes âmes qui abordent le sujet : oui, la traite atlantique a été une innommable saloperie commise par les pays occidentaux sur trois ou quatre siècles, mais il est scandaleux que les mêmes omettent presque systématiquement de rappeler que c'est bel et bien un occidental qui a lutté de toutes ses forces contre l'esclavage et a fini par obtenir son abolition dans les nations, disons ... "civilisées" (avec des retardataires du côté des Amériques). A propos des traites négrières, je ne saurais trop conseiller la lecture des Passagers du vent, un chef d'œuvre de la bande dessinée offert par François Bourgeon.

Cette omission dans un article "sérieux" de journal "sérieux" est choquante, voire inadmissible. Eh oui, Frédéric Bobin, des occidentaux ont fait dans le monde beaucoup de mal et de dégâts, mais d'autres occidentaux ont fait ce qu'ils pouvaient pour tenter d'y remédier. La neutralité de point de vue passe aussi par cette reconnaissance.

J'aimerais tant que les historiens européens cessent de se prendre pour Eustache de Saint-Pierre et ses cinq amis bourgeois de Calais, en 1347, qui, en signe de capitulation, se présentèrent "en chemise et la corde au cou" devant Edouard III d'Angleterre. Laissons le passé en finir avec le passé. Laissons les morts enterrer les morts. Quant à nous, nous sommes vivants, et l'avenir reste à construire.

dimanche, 04 décembre 2016

ÇA FAISAIT DES BULLES …

... C'ÉTAIT RIGOLO.

Aux cimaises de ma galerie BD.

Aujourd'hui, un virtuose ; à la fois graphiste hors-pair, excellent scénariste de roman et dialoguiste doué : François Bourgeon. Il est l'auteur des Compagnons du crépuscule et du Cycle de Cyann. Le premier se situe au moyen âge, au temps des chevaliers et de l'intrication du monde réel et du merveilleux, l'époque des appétits bestiaux et des fureurs religieuses (tiens donc !). Le Cycle de Cyann se situe quelque part dans un espace improbable et futur, un univers tout en "Ô" dont chaque détail a été soigneusement pensé et représenté. Une tentative audacieuse, presque téméraire, de rendre compte d'une humanité aux prises avec elle-même, avec la nature. Un être mystérieux (un Vêh) apprend à Cyann à se servir de "portes spatiales" pour passer d'un monde à l'autre. Bref, tout un folklore extraterrestre touffu, gentiment distrayant et soigné, que Bourgeon a eu, selon moi le tort de prolonger au-delà des trois volumes de base, qui constituent une unité à part entière.

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Mais son bâton de maréchal dans le genre de la B.D., François Bourgeon l'a gagné avec les cinq volumes des Passagers du vent (rien que le titre est en soi une trouvaille). Cinq tranches d'une aventure au long cours, cinq volumes qui forment un vrai tout. Là encore, il a eu le tort de vouloir prolonger (c'est mon humble avis) avec ces histoires de "Bois-Caïman" qui parlent de tout autre chose. Cela me fait penser à ce qui est devenu une ritournelle de la civilisation occidentale : la repentance, et son corollaire : le métissage, compris comme une revanche sur le colonisateur. Comme si les noirs d'Afrique avaient eu besoin d'apprendre des blancs comment on réduit ses semblables en esclavage. La repentance pointait déjà son nez dans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier.

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Le récit entier est fort complexe, et entremêle habilement des narrations à plusieurs étages. 

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La Marie-Caroline, navire négrier. Elle ne le sait pas au début, mais elle va en voir des vertes et des pas mûres. 

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Le lecteur ne remarque pas forcément que l'animal représenté en premier plan est un canard dit "Souchet" (à cause du bec en spatule, avec lequel il fouille la vase à la recherche d'animalcules et autres mets délectables). On croisera évidemment la route d'une foule d'oiseaux de mer, à commencer par le goéland argenté. On trouve un grand cormoran (phalacrocorax carbo) au début du deuxième épisode. Une remarquable chevêche (ou chevêchette, je n'ai pas l'échelle) en page 7. On en voit s'envoler une semblable en gros plan en page 20.

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Ça, c'est le sinistre "ponton" où les Anglais gardent leurs prisonniers, et dont Isa veut faire évader Tragan. Elle y parviendra grâce à l'aide de Mary, une rousse qui a le feu quelque part et qui est fiancée à un des officiers qui commandent la place. La vie des prisonniers à bord est tout sauf drôle. Le grand cormoran est juché sur un piquet en bas de l'image.

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Paysage d'Afrique le matin très tôt. La caravane avance.

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Tout commence avec l'embarquement clandestin de deux femmes sur la Marie-Caroline. Clandestin, il le serait resté sans l'œil de Hoël Tragan, qui veut en avoir le cœur net, mettant en route la chaîne des conséquences et des causes qui vont nous faire parcourir les mers, en cinq épisodes fourmillant de détails graphiques qui produisent un puissant effet de réel, en même temps qu'ils ouvrent toute grande la fenêtre à l'imagination. 

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Isa, c'est l'héroïne. C'est une "femme libérée" (elle sait comment prendre Agnès "par les sentiments"), elle a un tempérament ardent, sait manier le coutelas et mettre le bon silex (« Un blond ») au chien de son fusil, quand il lui faut montrer au roi Kpëngla la qualité supérieure de l'arme qu'elle lui destinait en cadeau (et elle tire juste, comme le constate à son détriment le pitoyable Viaroux). Son féminisme à fleur de peau, son antiracisme sont franchement surjoués et passablement anachroniques, mais c'était sans doute la condition pour rapprocher le personnage des "sensibilités" de notre époque. Rejetée par son père, qui ne l'a pas reconnue après qu'elle a échangé ses habits avec Agnès, la petite roturière qui lui tenait compagnie, elle jettera plus tard son dévolu sur Hoël (qu'elle appelle aussi Tragan à l'occasion), marin de Sa Majesté de son état, qui tue le commandant du navire au moment où il va tuer (« C'est que ... j'avais visé le bras, moi ! ») celle dont il vient d'apprendre qu'elle est sa sœur, de la bouche de celle qu'il croyait telle.