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dimanche, 04 décembre 2016

ÇA FAISAIT DES BULLES …

... C'ÉTAIT RIGOLO.

Aux cimaises de ma galerie BD.

Aujourd'hui, un virtuose ; à la fois graphiste hors-pair, excellent scénariste de roman et dialoguiste doué : François Bourgeon. Il est l'auteur des Compagnons du crépuscule et du Cycle de Cyann. Le premier se situe au moyen âge, au temps des chevaliers et de l'intrication du monde réel et du merveilleux, l'époque des appétits bestiaux et des fureurs religieuses (tiens donc !). Le Cycle de Cyann se situe quelque part dans un espace improbable et futur, un univers tout en "Ô" dont chaque détail a été soigneusement pensé et représenté. Une tentative audacieuse, presque téméraire, de rendre compte d'une humanité aux prises avec elle-même, avec la nature. Un être mystérieux (un Vêh) apprend à Cyann à se servir de "portes spatiales" pour passer d'un monde à l'autre. Bref, tout un folklore extraterrestre touffu, gentiment distrayant et soigné, que Bourgeon a eu, selon moi le tort de prolonger au-delà des trois volumes de base, qui constituent une unité à part entière.

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Mais son bâton de maréchal dans le genre de la B.D., François Bourgeon l'a gagné avec les cinq volumes des Passagers du vent (rien que le titre est en soi une trouvaille). Cinq tranches d'une aventure au long cours, cinq volumes qui forment un vrai tout. Là encore, il a eu le tort de vouloir prolonger (c'est mon humble avis) avec ces histoires de "Bois-Caïman" qui parlent de tout autre chose. Cela me fait penser à ce qui est devenu une ritournelle de la civilisation occidentale : la repentance, et son corollaire : le métissage, compris comme une revanche sur le colonisateur. Comme si les noirs d'Afrique avaient eu besoin d'apprendre des blancs comment on réduit ses semblables en esclavage. La repentance pointait déjà son nez dans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier.

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Le récit entier est fort complexe, et entremêle habilement des narrations à plusieurs étages. 

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La Marie-Caroline, navire négrier. Elle ne le sait pas au début, mais elle va en voir des vertes et des pas mûres. 

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Le lecteur ne remarque pas forcément que l'animal représenté en premier plan est un canard dit "Souchet" (à cause du bec en spatule, avec lequel il fouille la vase à la recherche d'animalcules et autres mets délectables). On croisera évidemment la route d'une foule d'oiseaux de mer, à commencer par le goéland argenté. On trouve un grand cormoran (phalacrocorax carbo) au début du deuxième épisode. Une remarquable chevêche (ou chevêchette, je n'ai pas l'échelle) en page 7. On en voit s'envoler une semblable en gros plan en page 20.

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Ça, c'est le sinistre "ponton" où les Anglais gardent leurs prisonniers, et dont Isa veut faire évader Tragan. Elle y parviendra grâce à l'aide de Mary, une rousse qui a le feu quelque part et qui est fiancée à un des officiers qui commandent la place. La vie des prisonniers à bord est tout sauf drôle. Le grand cormoran est juché sur un piquet en bas de l'image.

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Paysage d'Afrique le matin très tôt. La caravane avance.

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Tout commence avec l'embarquement clandestin de deux femmes sur la Marie-Caroline. Clandestin, il le serait resté sans l'œil de Hoël Tragan, qui veut en avoir le cœur net, mettant en route la chaîne des conséquences et des causes qui vont nous faire parcourir les mers, en cinq épisodes fourmillant de détails graphiques qui produisent un puissant effet de réel, en même temps qu'ils ouvrent toute grande la fenêtre à l'imagination. 

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Isa, c'est l'héroïne. C'est une "femme libérée" (elle sait comment prendre Agnès "par les sentiments"), elle a un tempérament ardent, sait manier le coutelas et mettre le bon silex (« Un blond ») au chien de son fusil, quand il lui faut montrer au roi Kpëngla la qualité supérieure de l'arme qu'elle lui destinait en cadeau (et elle tire juste, comme le constate à son détriment le pitoyable Viaroux). Son féminisme à fleur de peau, son antiracisme sont franchement surjoués et passablement anachroniques, mais c'était sans doute la condition pour rapprocher le personnage des "sensibilités" de notre époque. Rejetée par son père, qui ne l'a pas reconnue après qu'elle a échangé ses habits avec Agnès, la petite roturière qui lui tenait compagnie, elle jettera plus tard son dévolu sur Hoël (qu'elle appelle aussi Tragan à l'occasion), marin de Sa Majesté de son état, qui tue le commandant du navire au moment où il va tuer (« C'est que ... j'avais visé le bras, moi ! ») celle dont il vient d'apprendre qu'elle est sa sœur, de la bouche de celle qu'il croyait telle.

lundi, 17 février 2014

DELIRIUM, DE PHILIPPE DRUILLET (1/4)

Il n’y a pas que Balzac dans la vie. Il y a encore une vie après La Comédie humaine. La preuve, c’est que, tombé par hasard, dans une librairie de quartier, sur un drôle de livre, je n’ai fait ni une ni deux, je l’ai acheté. C’est 17€, aux éditions Les Arènes. Et ça vient de sortir.

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Entre parenthèses, une librairie de quartier, c’est formidable. Ce n’est pas comme l’ex-librairie Flammarion, rebaptisée Privat il y a quelques années, et qui vient de fermer ses portes (enfin, disons plutôt « rendre l’âme », et même de « passer l'arme à gauche ») sous le nom de Chapitre.com : un vrai crève-cœur. Le livre a déserté le centre-ville, si l'on excepte trois survivants et deux supermarchés.

 

C’est normal, me dira-t-on, un centre-ville conçu pour répondre à des critères de vraie modernité n’a pas besoin du livre, juste de parkings, de banques et de boutiques de sapes, avec des usines à mangeaille pour la pause entre deux magasins. Et suffisamment de points wifi pour que les passants n’aient pas à subir de déconnexion. Ce serait trop cruel de leur couper le cordon. Passons.

 

Philippe Druillet a donc écrit Délirium. Enfin, quand je dis « écrit », j’exagère. Si j’avais dit « craché », je serais plus près de la vérité. Qu’il l’ait fait dans l’oreille et devant le micro de David Alliot ne change rien à l’affaire : on ne peut pas dire que ce livre est « écrit ». Druillet semble avoir expulsé de lui tout ce qu’il raconte, un peu comme quand on vomit.

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Mais qui c’est, Druillet, au fait ? J’ai découvert son travail dans l’hebdomadaire de BD Pilote, que j’achetais fidèlement depuis qu’on y voyait les planches de Cabu, Gébé et toute la bande. Pour vous dire si ça remonte. J’aimais beaucoup aussi l’ambiance des recherches graphiques auxquelles Goscinny ouvrait les pages. Par exemple, qu'est devenue l'histoire de Jean Cyriaque ?

 

Je me rappelle aussi avec plaisir l’aventure sans lendemain de La Saga de Délicielmiel, tombée dans d’insondables oubliettes. Qui s’en souvient ? Mais je crois me souvenir que l'auteur se souciait peu de raconter une histoire un peu construite, et se contentait de beaux dessins formels. Goscinny ne dédaignait pas, parfois, de laisser l'expérimental s'exprimer.

 

Druillet a donc commencé comme dessinateur de BD, et j’avoue que les histoires de Lone Sloane m’avaient beaucoup impressionné à l’époque, moi qui ne suis pas fan d’Héroïc fantasy ou de Space Opéra. J’ai lu quelques romans de Howard Phillips (HP pour les intimes, comme HG va avec Wells et EP avec Jacobs) Lovecraft, mais j’étais insensible à son univers de créatures monstrueuses ou de dieux terribles faisant irruption dans notre pauvre et si prosaïque réalité. J'avoue cependant que c'était une littérature de genre très honnête et très bien fabriquée.

 

Je considérais cette littérature comme régressive, car empreinte d’un grand infantilisme, où de grands enfants jouent à se faire peur en allant chercher leur inspiration dans leurs fantasmes les plus archaïques, et les ramènent au jour, peut-être pour mettre un peu de piment dans les plats de leur vie ordinaire, dans laquelle ils s'ennuient, en recréant à partir de réminiscences les cauchemars qui hantèrent leurs premières années. 

 

De même, je suis hermétique à Elric le nécromancien, le « grand œuvre », paraît-il, de Michael Moorcock, que Druillet a mis en images avec Demuth. Ces diverses "écoles" ont produit autant de sectes que je me refuse à appeler littéraires, qui ne produisent la plupart du temps que des objets « à consommer de suite ».

 

Ce fantastique-là me semble très inférieur à celui qu’on trouve chez Gustav Meyrink (je garde juste La Nuit de Walpurgis et Le Golem) ou ETA Hoffmann, où c’est la vision subjective des choses par les yeux du personnage qui transforme la réalité au gré de ses fantasmes. Il me semble qu’être obligé de faire intervenir des principes extérieurs à l’homme pour susciter la terreur (ou autre chose) est un aveu de faiblesse technique du romancier. Cela fait un peu « deus ex machina », recette aussi vieille que le théâtre.

 

Créer un univers romanesque en partant d’un élément tiré du réel, élément que l’auteur développera ensuite selon une logique exclusivement interne, me semble infiniment supérieur à toutes les extravagances délirantes sorties du cerveau d’auteurs qui se prennent plus ou moins pour Dieu créateur de monde, et qui demandent donc à être diagnostiqués du syndrome de Peter Pan.

 

Le Cycle de Cyann, où François Bourgeon fait proliférer mille inventions autour du « Monde d'Ilô », est sûrement admirable de science du dessin et de la narration, mais vraiment, non : trop c'est trop. Plus la logique vient de l'intérieur de l'intrigue, plus le roman a des chances d'atteindre la puissance d'évocation qui fera sa force. De cela, je ne démords pas.

 

C’est la raison pour laquelle j’ai laissé tomber la science-fiction. Et pourtant j’en ai croqué, de la SF. J’ai beaucoup fréquenté, en particulier la collection « J’ai lu ». J’ai dévoré AE Van Vogt, et ses élucubrations sur le monde des Ā (non-aristotéliciens) et son héros, Gosseyn me semble-t-il, où j'ai appris le mot « parsec » qui me fait bien rire aujourd'hui ; Isaac Asimov et ses histoires de robots ; Philip K. Dick, Daniel Keyes, pour citer les premiers qui se présentent.

 

Comme dit Günter Anders quelque part dans L'Obsolescence de l'homme, la science-fiction est là pour convertir les naïfs, les rétifs et les sceptiques à la religion de l'innovation technique à perpétuité et de l'amélioration continuelle des performances, quelles qu'en soient l'utilité ou les nuisances.

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Rares sont les écrivains de SF ou de fantastique qui savent nous parler  du monde qui est le nôtre à travers les fables qu’ils inventent. Je me souviens à la rigueur de Norman Spinrad (Jack Barron et l’éternité), de John Brunner (Tous à Zanzibar, Le Troupeau aveugle), de quelques autres, mais bon. Disons que j’ai peut-être eu besoin de nourritures plus consistantes que celle que nous fournit le pur divertissement. Les adeptes de Lovecraft vont sans doute hurler. A commencer par Philippe Druillet lui-même.

 

Voilà ce que je dis, moi.