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vendredi, 18 novembre 2016

ÇA FAISAIT DES BULLES …

... C'ÉTAIT RIGOLO.

Aux cimaises de ma galerie BD.

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La trajectoire d'Enki Bilal dans la BD me fait penser à celle de Philippe Druillet, le père de Lone Sloane : comme lui, il a commencé bédéiste, et comme, lui, il a fini par se sentir à l'étroit dans la BD. Je veux dire que si l'on considère la bande dessinée comme la simple technique qui consiste à raconter des histoires graphiques en les découpant en planches et en vignettes, c'est-à-dire comme une variante fixe du cinématographe (la définition des plans est strictement la même, celle des séquences s'apparente au montage, ...), c'est un mode d'expression somme toute limité. C'est d'ailleurs pour ça que je persiste à ne pas considérer la BD comme un art majeur. De même, après tout, que le cinéma, très marqué par l'aspect industriel que revêt  sa fabrication et la foule des métiers qui y interviennent.

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Je laisserai de côté L'Appel des étoiles (autrement dit Le Bol maudit), galop d'essai à citer pour l'anecdote, dans le genre spatio-fantastique. Il n'en va pas de même du superbe Exterminateur 17 qui, sur un scénario de Jean-Pierre Dionnet, laisse l'imagination errer sur la frontière qui sépare le propre de l'homme du propre du robot : après 16 tentatives infructueuses, "le maître" fabrique une machine humanoïde où il a mis beaucoup de lui-même (en particulier dans la fabrication de la rétine), et dans laquelle il se projette corps et âme, acquérant une sorte d'immortalité. C'est du moins le souvenir que j'en ai gardé. Grande intelligence du scénario, grandiose art du dessin : un chef d'œuvre. 

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Bilal a longtemps marché en tandem avec Pierre Christin pour produire des histoires écologico-fantastiques. La Croisière des oubliés, Le Vaisseau de pierre, La Ville qui n'existait pas, portés par la vague des utopies de mai 68, inventent des "solutions" aux conflits mortifères entre la vie traditionnelle (paysans, puis marins, puis ouvriers) et la société matérialiste, capitaliste qui se met en place à l'époque (Reagan, Thatcher) et dont on voit aujourd'hui l'impasse dans laquelle elle a engagé l'humanité.  

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Partie de chasse : on voit que la couleur prend de l'importance par rapport au dessin.

Avec Les Phalanges de l'ordre noir, le tandem Christin-Bilal se penche sur l'histoire de l'Espagne franquiste, avec un commando d'anciens des Brigades internationales qui se reforme pour mettre fin aux méfaits d'un groupe de vieux franquistes. Il y aura un seul survivant qui, désabusé et exilé aux îles Feroë, se demande à quoi tout ça a servi.

Mais avec Partie de chasse (les trois vignettes ci-dessus), le tandem atteint ce qui est à mon avis le sommet absolu de leur collaboration. Il peint un groupe de hauts apparatchiks communistes européens (Pacte de Varsovie oblige) emmenés par le hiératique, muet, sombre et prestigieux Vassili Alexandrovitch Tchevtchenko (ci-dessus au premier plan) : comment des hommes sont réunis dans une "datcha" luxueuse pour, en éliminant lors d'une chasse à l'ours Sergueï Chavanidzé , redoutable communiste orthodoxe fanatique, « soulever le couvercle (...) que Sergueï Chavanidzé voulait maintenir hermétiquement clos au nom des intérêts russes ». Il y a du prémonitoire dans cet album de 1983 qui annonce la décomposition de l'empire soviétique.

Magnifique ! 

lundi, 17 février 2014

DELIRIUM, DE PHILIPPE DRUILLET (1/4)

Il n’y a pas que Balzac dans la vie. Il y a encore une vie après La Comédie humaine. La preuve, c’est que, tombé par hasard, dans une librairie de quartier, sur un drôle de livre, je n’ai fait ni une ni deux, je l’ai acheté. C’est 17€, aux éditions Les Arènes. Et ça vient de sortir.

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Entre parenthèses, une librairie de quartier, c’est formidable. Ce n’est pas comme l’ex-librairie Flammarion, rebaptisée Privat il y a quelques années, et qui vient de fermer ses portes (enfin, disons plutôt « rendre l’âme », et même de « passer l'arme à gauche ») sous le nom de Chapitre.com : un vrai crève-cœur. Le livre a déserté le centre-ville, si l'on excepte trois survivants et deux supermarchés.

 

C’est normal, me dira-t-on, un centre-ville conçu pour répondre à des critères de vraie modernité n’a pas besoin du livre, juste de parkings, de banques et de boutiques de sapes, avec des usines à mangeaille pour la pause entre deux magasins. Et suffisamment de points wifi pour que les passants n’aient pas à subir de déconnexion. Ce serait trop cruel de leur couper le cordon. Passons.

 

Philippe Druillet a donc écrit Délirium. Enfin, quand je dis « écrit », j’exagère. Si j’avais dit « craché », je serais plus près de la vérité. Qu’il l’ait fait dans l’oreille et devant le micro de David Alliot ne change rien à l’affaire : on ne peut pas dire que ce livre est « écrit ». Druillet semble avoir expulsé de lui tout ce qu’il raconte, un peu comme quand on vomit.

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Mais qui c’est, Druillet, au fait ? J’ai découvert son travail dans l’hebdomadaire de BD Pilote, que j’achetais fidèlement depuis qu’on y voyait les planches de Cabu, Gébé et toute la bande. Pour vous dire si ça remonte. J’aimais beaucoup aussi l’ambiance des recherches graphiques auxquelles Goscinny ouvrait les pages. Par exemple, qu'est devenue l'histoire de Jean Cyriaque ?

 

Je me rappelle aussi avec plaisir l’aventure sans lendemain de La Saga de Délicielmiel, tombée dans d’insondables oubliettes. Qui s’en souvient ? Mais je crois me souvenir que l'auteur se souciait peu de raconter une histoire un peu construite, et se contentait de beaux dessins formels. Goscinny ne dédaignait pas, parfois, de laisser l'expérimental s'exprimer.

 

Druillet a donc commencé comme dessinateur de BD, et j’avoue que les histoires de Lone Sloane m’avaient beaucoup impressionné à l’époque, moi qui ne suis pas fan d’Héroïc fantasy ou de Space Opéra. J’ai lu quelques romans de Howard Phillips (HP pour les intimes, comme HG va avec Wells et EP avec Jacobs) Lovecraft, mais j’étais insensible à son univers de créatures monstrueuses ou de dieux terribles faisant irruption dans notre pauvre et si prosaïque réalité. J'avoue cependant que c'était une littérature de genre très honnête et très bien fabriquée.

 

Je considérais cette littérature comme régressive, car empreinte d’un grand infantilisme, où de grands enfants jouent à se faire peur en allant chercher leur inspiration dans leurs fantasmes les plus archaïques, et les ramènent au jour, peut-être pour mettre un peu de piment dans les plats de leur vie ordinaire, dans laquelle ils s'ennuient, en recréant à partir de réminiscences les cauchemars qui hantèrent leurs premières années. 

 

De même, je suis hermétique à Elric le nécromancien, le « grand œuvre », paraît-il, de Michael Moorcock, que Druillet a mis en images avec Demuth. Ces diverses "écoles" ont produit autant de sectes que je me refuse à appeler littéraires, qui ne produisent la plupart du temps que des objets « à consommer de suite ».

 

Ce fantastique-là me semble très inférieur à celui qu’on trouve chez Gustav Meyrink (je garde juste La Nuit de Walpurgis et Le Golem) ou ETA Hoffmann, où c’est la vision subjective des choses par les yeux du personnage qui transforme la réalité au gré de ses fantasmes. Il me semble qu’être obligé de faire intervenir des principes extérieurs à l’homme pour susciter la terreur (ou autre chose) est un aveu de faiblesse technique du romancier. Cela fait un peu « deus ex machina », recette aussi vieille que le théâtre.

 

Créer un univers romanesque en partant d’un élément tiré du réel, élément que l’auteur développera ensuite selon une logique exclusivement interne, me semble infiniment supérieur à toutes les extravagances délirantes sorties du cerveau d’auteurs qui se prennent plus ou moins pour Dieu créateur de monde, et qui demandent donc à être diagnostiqués du syndrome de Peter Pan.

 

Le Cycle de Cyann, où François Bourgeon fait proliférer mille inventions autour du « Monde d'Ilô », est sûrement admirable de science du dessin et de la narration, mais vraiment, non : trop c'est trop. Plus la logique vient de l'intérieur de l'intrigue, plus le roman a des chances d'atteindre la puissance d'évocation qui fera sa force. De cela, je ne démords pas.

 

C’est la raison pour laquelle j’ai laissé tomber la science-fiction. Et pourtant j’en ai croqué, de la SF. J’ai beaucoup fréquenté, en particulier la collection « J’ai lu ». J’ai dévoré AE Van Vogt, et ses élucubrations sur le monde des Ā (non-aristotéliciens) et son héros, Gosseyn me semble-t-il, où j'ai appris le mot « parsec » qui me fait bien rire aujourd'hui ; Isaac Asimov et ses histoires de robots ; Philip K. Dick, Daniel Keyes, pour citer les premiers qui se présentent.

 

Comme dit Günter Anders quelque part dans L'Obsolescence de l'homme, la science-fiction est là pour convertir les naïfs, les rétifs et les sceptiques à la religion de l'innovation technique à perpétuité et de l'amélioration continuelle des performances, quelles qu'en soient l'utilité ou les nuisances.

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Rares sont les écrivains de SF ou de fantastique qui savent nous parler  du monde qui est le nôtre à travers les fables qu’ils inventent. Je me souviens à la rigueur de Norman Spinrad (Jack Barron et l’éternité), de John Brunner (Tous à Zanzibar, Le Troupeau aveugle), de quelques autres, mais bon. Disons que j’ai peut-être eu besoin de nourritures plus consistantes que celle que nous fournit le pur divertissement. Les adeptes de Lovecraft vont sans doute hurler. A commencer par Philippe Druillet lui-même.

 

Voilà ce que je dis, moi.