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vendredi, 30 septembre 2011

MUSIQUE : L'ARABE ET L'OCCIDENTALE (3)

J’en étais resté à la célébration de la plus grande diva du monde arabe, OUM KHALSOUM. Elle n’avait donc, à une exception près – l’Olympia en novembre 1967 – jamais chanté hors de ce monde. C’est très regrettable, car la musique arabe savante est très savante et d’une richesse inépuisable. Pour être honnête, je ne peux apprécier cette musique que de l’extérieur, car je n’ai pas accès, d’une part à la langue, et ça, évidemment, c’est un sacré obstacle, et d’autre part au code culturel qui sous-tend cette tradition : je l’ai dit, je ne suis pas musicalement bilingue, et mon oreille est irrémédiablement polyphonique.

 

 

Et pourtant, cette musique me touche. Si j’essaie de comprendre pourquoi, ça devient compliqué. Bon, je peux me dire que tout ce qui est musical ne s’adresse pas en priorité à la compréhension, mais aux sensations et aux émotions, mais ça ne m’avance pas beaucoup.

 

 

Si je voulais être un peu précis, intuitivement, je dirais d’abord que c’est une musique qui m’étonne par un aspect : que ce soit OUM KHALSOUM, MOHAMED ABDELWAHAB, MOUNIR BACHIR, ou même NUSRAT FATEH ALI KHAN, qui n’est pas arabe, quand ils jouent avec un orchestre, comme c’est la règle, l’orchestre assure un fond harmonique, comme un sol bien irrigué, au-dessus duquel la tige mélodique du soliste va pouvoir s’élever en toute liberté.

 

 

Cet orchestre-là se contente, si j’en crois mes oreilles, d’accompagner le soliste : il n’est pas fait pour briller, comme dans les concertos à l’européenne, il se contente d’être un bon socle. Cet orchestre-là n’a pas de « chef » dirigeant avec une baguette, si ce n’est le soliste. Dans le « concerto », mot italien signifiant « combat », tour à tour, le soliste et l’orchestre prennent le dessus. Il y a rivalité, plus ou moins prononcée.

 

 

C’est aussi que, dans l'orchestre arabe, tous les musiciens jouent la même mélodie : ça s’appelle monodie, par opposition à la polyphonie. Dans la 7ème symphonie de BEETHOVEN, la polyphonie se manifeste avec netteté dans l’Allegretto : un premier thème de nature rythmique (noire, deux croches, deux noires, et on recommence) dans les graves ; là-dessus se greffe un deuxième thème, purement mélodique, appelé « contre-chant », aux altos et violoncelles. C’est ça, la polyphonie : deux thèmes différents, qui se marient pour faire de l’harmonie. Jamais rien de tel dans la musique savante arabe.

 

 

Si je voulais être un peu plus précis, je dirais que la musique arabe, passant par un soliste, lui-même soutenu par la base harmonique de l’orchestre, est une musique d’ « inspiration », et non pas une musique d’ « événement » musical, comme si on racontait une histoire, tel qu’on l’entend, par exemple, dans les différentes modifications d'une mélodie à l’occidentale. Le soliste a pour mission, non de raconter une histoire mélodique, mais de s’élever au-dessus de lui-même, en même temps qu’il permet à l’auditoire de s’élever : c’est une musique de « communion ».

 

 

Ce qui touche, dans l’art du soliste, c’est la façon dont il conduit la ligne mélodique, dont il l’habille de quarts de ton, voire huitièmes de ton (chaque ton est divisible en neuf parties, ou commas, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on parle de gammes tempérées, faite de douze demi-tons arbitrairement égalisés), les inflexions qu’il lui fait subir, les mélismes dont il l’orne.

 

 

Le soliste lui-même ne cherche pas à briller pour briller. La virtuosité n’est pas un but en soi, mais un MOYEN d’accéder à un état supérieur. Je ne connais NUSRAT FATEH ALI KHAN que par le disque, mais par sa voix, cet extraordinaire artiste du chant Qawwali atteint des états spirituels qui nous sont étrangers, à nous autres Européens. Il y a quelque chose de religieux dans cette musique, ce que n’est plus la nôtre depuis belle lurette, si l’on n’y inclut pas les sinistres cantiques du dimanche à l’église.

 

 

Et puis il y a autre chose : le soliste n’a pas sous les yeux une partition qu’il doit suivre scrupuleusement, et que des juges sourcilleux éplucheront au cours de l’audition pour décider si le « texte » est respecté « à la folie » ou « pas du tout ». OUM KHALSOUM chante dans un moment particulier. La même chanson, une autre fois, ne sera pas chantée de la même façon. C’est là que la musique arabe présente des accointances avec le jazz.

 

 

Le soliste arabe, lui aussi, improvise en permanence. La « grille » de départ ne change pas, c’est ce qui se passe « autour » qui se modifie de concert en concert. KHALED BEN YAHIA me l’a dit : il ne joue jamais un morceau deux fois de la même exacte façon. Dans le jazz aussi, l’intérêt principal, selon moi, dans la formation reine comprenant piano, contrebasse, batterie, c’est la capacité pour chacun de relancer l’autre, de le pousser dans ses retranchements, de l’obliger à réagir musicalement dans l’instant. Autrement dit la capacité d’improviser.

 

 

La grande différence entre la musique arabe et la musique européenne, c’est évidemment le rapport à la partition écrite. Dans la partition arabe, il est impossible de tout noter, surtout les subdivisions du demi-ton. KHALED BEN YAHIA m’avait fait lire un article très savant, où étaient décrites les conditions de numérisation des micro-intervalles. J’avais trouvé ça, d’une part, très compliqué, d’autre part et surtout, tout à fait vain et prétentieux (et tant soit peu effrayant), finalement, de vouloir enfermer dans un programme informatique les minuscules, multiples et constantes possibilités de variation d’une prestation à l’autre, d’un musicien à l’autre.

 

 

Dans la musique occidentale, le rapport à la partition a quelque chose de sacré, du fait d’une sorte de sacralisation de l’acte de composer : le musicien a pour devoir suprême de RESPECTER LE TEXTE. C’est comme une dictée de français : la moindre atteinte au texte est considérée comme une FAUTE d’orthographe. C’est ce que me disait régulièrement madame BARBIER-REDON (Dieu ait son âme !), professeur de piano au conservatoire, quand elle me parlait du texte musical qu’elle comparait aux virgules et autres signes de ponctuation. Dans ces conditions, il y a une sorte de tyrannie de la partition.

 

 

Bon, c’est vrai que la musique européenne savante est devenue ce qu’elle est aujourd’hui après des transformations constantes depuis le moyen âge. Les musiciens ont commencé à avoir l’idée de noter la musique par écrit autour du 9ème siècle. Dès lors, les innovations n’ont plus cessé. Il est d’ailleurs probable que la civilisation européenne se caractérise principalement par l’innovation, et dans tous les domaines de l’art et de la technique. C’est très normalement que la musique a suivi le mouvement. Et c’est très évidemment que le fossé s’est creusé avec les musiques qu’on ne peut guère appeler autrement que « traditionnelles ».

 

 

 Alors maintenant, se pose la question : est-ce que cette évolution constante, ces innovations permanentes qui ont façonné la musique européenne donnent à celle-ci une quelconque supériorité sur les musiques du monde ? Personnellement, pardon d’avance, je dirai – j’espère sans arrogance - que oui, qu’il y a quelque chose de plus dans la musique occidentale qu’il n’y a dans aucune autre musique, quelque chose, comment dire, sinon de supérieur, du moins d’englobant.

 

 

Je veux pour preuve de ce que j’avance le fait que les Occidentaux ont, plus que tout autre, fait preuve de curiosité pour d’autres musiques, même si c’était du haut de leur dédain et de leur supériorité affichée pour ces traditions « d’ailleurs ». J’en veux aussi pour témoignage le fait que deux des plus grands chefs d’orchestre qui dirigent aujourd’hui les grandes œuvres de la musique occidentale sont un Japonais et un Coréen : SEIJI OSAWA et MYUNG WUN CHUNG, et qu’on ne compte plus les asiatiques qui trustent les premières places dans les grands concours internationaux.

 

 

Je voudrais pour finir, citer quelques enregistrements de musique orientale qui me sont chers. D'abord et avant tout le monde, évidemment, les enregistrments publics de OUM KHALSOUM, édités (comme tous les autres, j'imagine) par la firme Sono. Je citerai ensuite le concert parisien de NUSRAT FATEH ALI KHAN, le Pakistanais, sous la marque Ocora (trois disques). On peut aller voir dans les disques pas trop tardifs de MOHAMED ABDELWAHAB, Egyptien comme la grande chanteuse citée ; de MUNIR BASHIR (ou MOUNIR BACHIR), l'Irakien ; de SAMIR TAHAR l'Algérien ; de KHALED BEN YAHIA le Tunisien (son disque Wissal) ; de SAMIR JOUBRAN, le Palestinien. Plus loin, du côté de l'Iran, on écoutera le Santour (genre de cymbalum) de MADJID KIANI et le luth sacré Tanbur de OSTAD ELAHI. Voilà déjà de quoi remplir la musette, comme on dit, pas vrai ?

 

 

 

 

 

 

lundi, 05 septembre 2011

TU VAS RANGER TES GENRES ?!

On n’en finit jamais avec les innovations. La première fois que j’ai assisté en spectateur à un débat sur le GENRE, c’était en salle fumeur. Deux estimables collègues, pas trop vieux (c’est-à-dire plus jeunes que moi) faisaient assaut de considérations « branchées » sur cette notion alors entièrement nouvelle (au moins pour moi, mais je suis long à la détente). Ça avait l’air intelligent, ça avait même l’air intellectuel, voire intello. Effectivement, c’était intello. Là, je suis infirme. Si si, je vous jure !

 

 

J’ai consacré un petit article, récemment et ici même, à l’introduction du « genre » dans des manuels de « Sciences et Vie de la Terre », en tant que notion à part entière. J’en ai dit tout le mal que j’en pense : en gros, la notion de genre est totalement inutile. L’enseigner en tant que telle n’est absolument pas innocent. Pour résumer, ma thèse est que le hasard de la conception dote chacun d’un sexe anatomique et que, ensuite, c’est à chacun de se débrouiller avec dans la vie, en fonction de ce que celle-ci lui présente comme expériences.

 

 

Ce n’est pas l’avis des promoteurs du « genre », évidemment, y compris du délicieux et suave RAPHAËL ENTHOVEN, qui sévit sur France Culture. Enseigner le genre à des adolescents, qu’on le veuille ou non, c’est leur présenter leur évolution sexuelle comme une croisée des chemins, où ils vont mettre en œuvre leur liberté et leur raison, pour décider en pleine conscience : moi, garçon, moi, fille, ai-je envie de vivre ma partie féminine ou ma partie masculine, puisqu’on m’a persuadé qu’il y a une part de masculin dans le féminin et inversement ? Ils ou elles choisiront donc délibérément, pour eux-mêmes, le yaourt masculin ou le yaourt féminin sur le rayon de l’hypermarché de la consommation sexuelle. Et pourquoi pas les deux ? La bisexualité comme avenir de l’humanité ?

 

 

La morale de tout ça, c’est qu’on présente l’homosexualité exactement à égalité avec l’hétérosexualité, et ce, au nom du combat contre la norme, obligatoirement mauvaise. Et surtout, il faut empêcher coûte que coûte le jeune d’éprouver le moindre sentiment de culpabilité si par hasard il n’entre pas dans le moule de cette effroyable norme. Il faut surtout que le jeune se sente libre, on se tue à vous le dire !

 

 

Conclusion : les mêmes éducateurs qui en appellent à grands cris à conforter et renforcer les « points de repère psychologiques » qui permettent aux jeunes de « se construire », ont entrepris de détruire ces « points de repère » en militant (ça aussi, c’est un problème) pour accroître la confusion dans les esprits.  Autrement dit, on voudrait faire de la propagande pour l’homosexualité, on voudrait y encourager, on voudrait faire du prosélytisme homosexuel, on ne s’y prendrait pas autrement.

 

 

Eh bien, pendant qu’on solde les cadres de ce qui structure l’humanité depuis la nuit des temps (j’ai nommé la DIFFERENCE DES SEXES), l’offensive continue. Et puisqu’il s’agit de détruire cet ennemi à la racine, elle continue en amont de l’adolescence, pour remonter jusqu’à l’âge le plus tendre. Et le champ qu’il s’agit de nettoyer de tous les miasmes de la différenciation sexuelle, c’est maintenant le champ du JOUET. Parfaitement messieurs-dames.

 

 

Parce qu’on ne le dira jamais assez : il y a quelque chose de totalitaire dans le fait de donner au petit garçon des petites voitures ou des soldats, et à la petite fille des poupées dans des poussettes. Les parents ne se rendent pas à quel point ils orientent abusivement l’esprit de leur progéniture : c’est du terrorisme parental !

 

 

C’est donc entendu : tu es un garçon, tu joueras à la guerre en miniature, et ça te préparera à donner ta vie pour ton pays quand tu auras l’âge ; tu es une fille, tu joueras à la maman, et ce faisant tu répéteras longtemps à l’avance les gestes qu’il faudra faire quand tu auras ton premier.

 

 

C’est donc entendu : tu subiras un horrible conditionnement, un ignoble lavage de cerveau. C’est ce que les féministes et adeptes de la théorie du genre (qui est bel et bien une théorie, malgré RAPHAEL ENTHOVEN) appellent un déterminisme, un surdéterminisme, un dressage ou je ne sais quoi. C’est ce qu’ils trouvent absolument insupportable.

 

 

D’abord, ces gens-là sont ignares, ou ils font semblant : ils ne savent pas qu’il existe des garçons qui n’aiment pas jouer au foot ?  Ils ignorent que certaines filles sont des « garçons manqués », comme il ne faut plus dire ? Les bras m’en tombent : les gamins n’ont pas attendu les savantasses intellos machins pour indiquer à leurs parents leurs préférences en matière de jeux et de jouets, quittes à ne pas respecter le « schéma dominant », quittes à tomber sur des becs qui les font plus ou moins souffrir.

 

 

Ensuite, il ne faut pas être passé par de grandes écoles de psychologie ou de psychanalyse pour se rendre compte que le schéma est exactement l’inverse de celui qu’avancent les adeptes du « genre ». Pourquoi offre-t-on, EN REGLE GENERALE, soldats et voitures au garçon ? Pourquoi offre-t-on, EN REGLE GENERALE, des poupées aux filles ?

 

 

Est-ce que par hasard ça ne serait pas parce que le petit garçon veut  ressembler à son père, et l’imiter ? Ecoutez deux garçons discuter dans la cour de récréation : « C’est mon père qui est le plus fort, le plus riche ! – Ouais, mais c’est mon père qui a la plus grosse voiture, la plus grosse … ! » ? Ou deux filles : « C’est ma mère qui est la mieux habillée ! – Ouais, mais c’est ma mère qui est la plus belle ! » ? Non, je ne vais pas prétendre que tout ça, c’est inné, évidemment. Mais je n’invente rien si je dis, après les plus hautes autorités en la matière, que le gamin a BESOIN de s’identifier au parent de même sexe (et accessoirement d’essayer de séduire le parent de l’autre sexe).

 

 

Quoi, vous me dites que ce serait déjà le résultat d’un conditionnement ? Mais moi, digne et sans faire de chichis, je rétorque : « ET ALORS ? ». Vous avez vraiment l’intention d’éradiquer jusqu’à la moindre trace de conditionnement dans l’éducation de l’être humain ? C’est la notion de conditionnement qui vous taraude à ce point la comprenette ? Mais, messieurs-dames, je regrette : c’est vous qui êtes totalitaires, et mine de rien – et  c’est d’ailleurs très drôle – vous rejoignez la bande de ces éducateurs post-soixante-huitards, qui s’interdisaient d’intervenir de façon autoritaire dans le « parcours éducatif » de l’enfant, comptant sur son développement spontané pour qu’il arrive par lui-même à s’éduquer et à s’instruire.

 

 

S’inspirant de Libres enfants de Summerhill, de ALEXANDER SUTER NEILL (éditions Maspero, 1971), des allumés de l’éducation sans contrainte avaient ouvert des « écoles », comme celle du « Tournesol », dans la région lyonnaise. Je me souviens de Journal d’un éducastreur (éditions Champ libre, 1971), d’un nommé JULES CELMA. Il est sorti de tout ça la certitude plus ou moins affirmée qu’une telle démission de l’autorité adulte, selon l’exigence de « libre épanouissement » de l’enfant, débouche sur quelque chose qui a à voir avec la violence, la tyrannie et l’homosexualité (dans le livre de CELMA). Et toutes ces « écoles nouvelles » ou presque, fondées sur les meilleures intentions du monde, ont lamentablement (et heureusement) fait naufrage.

 

 

Il existe quantité de définitions de ce qu’est, doit être ou devrait être un ADULTE (« avoir pardonné à ses parents » SAINT-EXUPERY, « être adulte, c’est être seul » JEAN ROSTAND, « un enfant gonflé d’âge », ça c’est de la détestable et confusionniste SIMONE DE BEAUVOIR, etc.). Je proposerais volontiers quant à moi celle-ci : un parent, un éducateur est adulte quand il exerce l’autorité que, en vertu de sa fonction, la société lui délègue. Il est adulte quand il accepte d’être celui qui conditionne celui dont il a la charge.

 

 

Eduquer, c’est vouloir donner une forme et une structure à un esprit, à une personne. Imagine-t-on qu’il puisse y avoir une formation sans aboutissement à une forme ? Mettez une boule d’argile sur un tour de potier, n’y mettez surtout pas les mains, et puis admirez le résultat. De toute façon, la liberté du gamin est forcément respectée, du fait du RATAGE plus ou moins grand des efforts de l’adulte. Toute éducation est, qu’on le veuille ou non, plus ou moins RATÉE. Je ne sais plus qui affirmait : « Il y a trois métiers impossibles : éduquer, enseigner, psychanalyser ».

 

 

Le GENRE, finalement, va tout à fait dans le sens de la doctrine d’enseignement actuellement en vigueur : faire en sorte que ce soit l’élève lui-même qui « construise son propre savoir ». Comme le disait excellemment JAIME SEMPRUN (L’Abîme se repeuple, éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 1997) :   

 

« Quand le citoyen écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?, il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : A quels enfants allons-nous laisser notre monde ? »

 

Oui : à quels enfants allons-nous laisser notre monde ? Ce n’est pas pour rien que JEAN-CLAUDE MICHÉA cite cette interrogation à la fin de son minuscule et lumineux livre L’Enseignement de l’ignorance (Editions Climats, 1999).

 

 

 

 

dimanche, 04 septembre 2011

PHILIPPE MURAY CHEZ MICHEL HOUELLEBECQ

Je reviens à La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq, dont j’ai parlé ici même du 17 au 20 août. Ben oui, je suis obligé. Je vous explique : j’ai retrouvé, dans un livre de Philippe Muray, l’emplacement où figure l’expression « la carte et le territoire ». 

 

C’est à la page 389 de Festivus festivus (Fayard, 2005) : « La fameuse distinction de la carte et du territoire était encore rassurante : c’était la distinction du réel et de l’imaginaire ; mais il n’y a plus de territoire, et c’est le peuple de la carte qui s’exprime. Sans drôlerie, comme de juste. Sans imagination. Ou qui ne s’exprime pas du tout, d’ailleurs ». C’est intéressant. Il me semble qu’on doit pouvoir retrouver d’autres références à la même expression. 

 

Lorsque le peintre Jed Martin expose ses photographies de cartes Michelin « départements », les choses se présentent ainsi : « L’entrée de la salle était barrée par un grand panneau, laissant sur le côté des passages de deux mètres, où Jed avait affiché côte à côte une photo satellite prise aux alentours du ballon de Guebwiller et l’agrandissement d’une carte Michelin « Départements » de la même zone. Le contraste était frappant : alors que la photo satellite ne laissait apparaître qu’une soupe de verts plus ou moins uniformes parsemée de vagues taches bleues, la carte développait un fascinant lacis de départementales, de routes pittoresques, de points de vue, de forêts, de lacs et de cols. Au-dessus des deux agrandissements, en capitales noires, figurait le titre de l’exposition : « LA CARTE EST PLUS INTÉRESSANTE QUE LE TERRITOIRE ». ». Fin de citation. Je note qu'il ne parle à aucun moment, dans son énumération, de la moindre localité, ni de la moindre indication écrite. Cela devrait mettre la puce à l'oreille. 

 

J’ignore si Michel Houellebecq part des considérations de Philippe Muray (qui dit à peu près que le peuple est devenu virtuel, c’est-à-dire qu’il n’est plus réel, il est devenu « la transparence », comme il dit ailleurs), mais au cas où…, on ne sait jamais, ça voudrait dire que le personnage de Jed Martin ferait en quelque sorte la preuve de la chose, mais en faisant semblant de trouver cela positif. 

 

Et il faut savoir que Philippe Muray dit le plus grand mal de l’esprit de « positivité », dans une époque qui fait tout pour éliminer la moindre « négativité », c’est-à-dire qui pense pouvoir éradiquer totalement le Mal. (Rappelez-vous la « Croisade contre l’Axe du Mal », lancée par un certain Beorge W. Bush.) Ainsi, l’humanité devient-elle, en ce temps béni, définitivement et au sens propre, sage comme une image. 

 

Autrement dit, la seule fonction de l’art capable de dire vrai aujourd’hui, ce serait d’annoncer la disparition de l’homme. D’où, dans la dernière partie de la carrière de Jed Martin, le « point de vue végétal sur le monde », d’où les photos exposées à l’air libre, d’où les composants électroniques et les figurines aspergés d’acide. 

 

Si j’ai bien compris, Jed Martin est l’artiste qui projette dans ses représentations cette humanité, pour dire exactement, en train de disparaître du paysage. Et si j’ai bien compris, le tableau « Damien Hirst et Jeff Koons (ou l'inverse ?) se partageant le marché de l’art » est une métaphore de la dérision qui a envahi ce qu’on appela, pendant deux millénaires (et le pouce), des valeursS. C’est drôle, aujourd’hui, même un escroc comme Jacques Chirac peut affirmer : « J’ai mes valeurs ». Ce qui choque, ici, c’est l’adjectif possessif « mes ». Comme si l’on pouvait simplement imaginer qu’il y ait des « valeurs » individuelles ! 

 

Philippe Muray parle des Particules élémentaires,  de Michel Houellebecq, dans ses Essais (Editions Les Belles Lettres, 2010), de la page 1166 à la page 1173. L'article, paru en 1999, s'intitule "Et, en tout, apercevoir la fin ...". Si la critique littéraire consiste à s'efforcer de dégager le sens d'un roman, alors c'est de la critique littéraire. Je cite : « Le roman de Houellebecq est né du sentiment de la fin, et tous ses personnages se débrouillent, d'une façon ou d'une autre, avec ce sentiment. C'est lui qui donne à l'oeuvre son éclairage poignant, sa lumière sourde, son climat de catastrophe intarissable, insaisissable, irrattrapable ».  

 

N'oublions pas que la doctrine de l'obsolescence programmée de tous les objets de consommation a été élaborée dans les années 1920. Et ce qui valait au début pour les choses, il est somme toute normal que cela s'étende de plus en plus à tout ce qui est humain et, en bout de course, à l'humain en personne. C'est la logique de la machine. Les deux écrivains sont visiblement cousins en littérature, dans leur façon de voir le monde. Il faut que je lise ce livre car, selon Philippe Muray, « Beaucoup de bavardages sont mis en danger par Les Particules élémentaires ». Si c'est vrai, ça me convient. 

 

Conclusion : il y a chez Michel Houellebecq, non seulement un « regard sur le monde », mais en plus, il y a de la « pensée ». Ça, c’est un roman.

samedi, 03 septembre 2011

LISEZ "LA BÊTE" de PIERRE BEARN

La Bête, de PIERRE BEARN est un petit récit très osé d’un auteur par ailleurs tout à fait estimable (poète, essayiste, romancier), récit supposé fait directement à l'auteur par la vieille femme que Sandrine est devenue au moment où il la rencontre. Ma foi, pourquoi pas ? Supposons donc que c'est vrai. Sandrine a donc 12 ans. Tout le monde la considère comme une vraie gourde. Sa mère est domestique, et cherche toujours à se placer, car elle est dans la précarité. Il s’avèrera que la gourde, c’est elle en définitive, car elle n’a aucune idée, et encore moins de pratique du monde dans lequel l’imaginaire de Sandrine évolue. Ici, le fossé des générations, c'est le fossé du sexuel. La mère bosse, la fille réfléchit, et pense à la vraie vie.

 

 

 

Il y a une cabane WC au fond du jardin. Elle est fascinée par Grand-Paul, qui bêche torse nu son propre jardin de l’autre côté de la clôture. Elle s’enferme dans la cabane, jusqu’à ce que l’autre s’approche et lui demande ce qu’elle attend de lui. Il se déboutonne, montrant sa « bête » en pleine glorieuse érection. Il ne tarde pas à se masturber sous ses yeux en prenant bien soin qu’elle ne perde pas une miette du spectacle, excepté la "crise" finale.

 

 

Il lui raconte ensuite le manège de sa voisine ; puis ses ébats avec une paysanne qui régulièrement se frottait le bas du ventre contre le manche de sa bêche ; une cueillette de cerises avec la dite voisine, en haut d’une échelle, en compagnie de deux fillettes : elle prend plaisir à cueillir vêtue de son seul jupon, les fesses et le sexe à l'air presque libre, provocatrice, en toute impudeur. Grand-Paul est au supplice ; il monte ; elle en profite alors pour se saisir de « la bête » et la manier sous les yeux des fillettes stupéfaites, puis ordonne à une des fillettes de monter en face de l’homme et lui fait empoigner la "bête" pour finir la besogne. Il raconte ça en même temps qu'il se finit.

        

 

Puis elle doit suivre sa mère, embauchée chez un banquier. Elle va à la plage avec deux garçons et une fille déjà déniaisés qui se livrent à quelques petits jeux dans une cabine (cunnilingus de Robert à Simone). Il y aura un jeu entre elle et le banquier, sur la base, tout d’abord, du « bain de monsieur », où il s’aperçoit qu’elle l’observe par la fente du rideau, puis dans son bureau, où elle s’accroupit sous le meuble, pour une séance de travaux manuels. "Et bientôt, tout le corps de l'homme éclata dans mes doigts gantés de miel". Est-ce que ce n'est pas bien dit ?

 

 

Puis on assiste au jeu avec le « frère de monsieur », obligé de coucher dans le même lit qu’elle et qui se couche nu. Il glisse sa « bête » entre les cuisses de Sandrine et se satisfait, éjaculant sur la cuisse. Elle retrouvera Grand-Paul, car la situation devient compromettante pour le banquier, qui congédie la mère. Un soir, elle passe de l’autre côté pour lui faire une branlette en direct. Il y aura encore un conducteur de charrette un jour de pluie. Assise entre sa mère et lui, elle tend la main, à l’abri de la bâche caoutchoutée, vers sa « bête », qu’elle va faire à son tour dégorger.

 

 

Bref, une fillette avertie en vaut deux, pourrait-on dire. En tout cas, elle peut à présent passer son brevet de pilote, parce qu'elle n'ignore rien du maniement du manche à balai. Pardon pour la facétie, un peu vulgaire, je le reconnais volontiers.

 

 

Bref, un récit d'initiation à la vie fort élégamment conduit et écrit. Je persiste à appeler cela de la littérature, tant c'est écrit dans une belle langue. J'imagine que Sandrine, si elle a existé, a raconté à l'auteur la suite de ses aventures. Mais si c'est le cas, il a gardé cette suite pour lui. Dommage que le texte soit un peu salopé par des négligences parfois grossières de l'éditeur (Editions Blanche, 2001).