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lundi, 10 décembre 2012

EDWARD BERNAYS, HERAUT, ZERO OU HEROS ?

Pensée du jour : 

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PHOTOGRAPHIE DE GUILLAUME HERBAUT, ENVIRONS DE TCHERNOBYL

« "Il y a beaucoup de choses dans le grand chosier", écrit Littré au mot "chosier", qui n'a jamais été employé qu'une fois dans la littérature française. Précisément dans cette expression-là. Par Rabelais, si j'ai bonne mémoire. Et Littré reste vague dans sa définition. Mais il n'a pas besoin d'être précis. Tout le monde comprend que dans le grand chosier il ne saurait y avoir que beaucoup de choses ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

NB : la mémoire de VIALATTE (cf. Antiquité du grand chosier, éditions Julliard, tiens, à ce propos, coucou, J.) lui joue des tours, voici "in extenso" la notice de LITTRÉ : « chosier, s.m. Usité seulement dans cette locution proverbiale : va, va, quand tu seras grand, tu verras qu'il y a bien des choses dans un chosier. Cela se dit pour indiquer à un enfant et même à une grande personne qu'il y a bien des choses dont on ne peut rendre compte ».

 

 

Comme disait ma grand-mère, un peu de culture éloigne de l'absolu, beaucoup de culture en rapproche.

 

***

 

 

Résumé : je demandais ce qui faisait d’EDWARD BERNAYS (mort à 103 ans !!), le roi de la manipulation des foules et de l’opinion publique, un génie révolutionnaire du 20èmesiècle. Son rôle est loin d’être négligeable dans l’avènement du culte de la marchandise, promue au rang d’unique idole devant laquelle l’humanité est appelée à se prosterner.

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Ben voilà : il a pioché dans deux univers radicalement différents pour élaborer une théorie radicalement nouvelle. D’un côté, les analyses de GUSTAVE LE BON sur la psychologie des foules (soit dit en passant, cet homme mériterait aussi qu’on s’intéresse à lui). De l’autre, les motivations inconscientes qui font agir les individus, mises au jour par le tonton SIGMUND FREUD de BERNAYS, avec la psychanalyse.

 

 

Pour EDWARD BERNAYS, ce qui meut une foule n’a rien à voir avec ce qui peut mouvoir un individu, et d’autre part et surtout, en aucune manière, ce qui meut la foule n’est lié à ce qu’il y a en elle de rationnel, mais dépend du « ÇA ». Dans la théorie de FREUD, le « ça » est la partie la plus enfouie de l’individu, et partant la moins contrôlée par le « moi » et le « surmoi ».

 

 

Sans entrer dans les détails, comparons simplement le « ça » à une sorte de réservoir de pulsions et de motivations secrètes, méconnues de l'individu, qui n’attendent qu’un déclic pour se manifester. Ce qui fait bouger une foule, selon BERNAYS, est situé au-dessous du seuil de la conscience. FREUD appelait ça le « subconscient ».

 

 

Aujourd’hui, les agences de publicité maîtrisent parfaitement la chose et ont élaboré en conséquence des questionnaires susceptibles de renouveler le répertoire des arguments et des images susceptibles de déclencher l’acte d’achat en allant fouiller dans les motivations secrètes que les gens portent dans leur tête, sans le savoir. Cela porte le nom d’ « enquête de motivations ». 

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C'EST SÛR, CET EXEMPLAIRE A BEAUCOUP VECU (année de publication) !

 

L’excellent GEORGES PEREC les nomme (on est en 1965, dans Les Choses, prix Renaudot, me semble-t-il) « études de motivations ». Dans ce bouquin mémorable, Jérôme et Sylvie participent à l’installation balbutiante dans le paysage social de ces lointains ancêtres des sinistres et obsédants SONDAGES (qui a tiré de son chapeau que 61 % de Français sont favorables au mariage homosexuel ? L'IFOP de madame LAURENCE PARISOT).

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IL FUMAIT BEAUCOUP TROP. IL EN EST MORT.

Mais à l’époque de BERNAYS (il publie Propaganda en 1928), comme je l’ai dit précédemment, la publicité balbutiait, se contentant de vanter les mérites pratiques, la fonctionnalité et l’adéquation du produit à l’usage auquel il était destiné. Elle parlait au côté rationnel des gens. Elle avait un côté terriblement objectif. Autrement dit : dépassé.

 

 

C’est en cela que le travail de BERNAYS est révolutionnaire : il a répondu à la grave question que tous les gouvernements du monde se posent : « Comment amener des masses de gens à se comporter comme le voudraient les dirigeants, sans transformer la société en caserne militaire ? ».

 

 

Son idée principale consiste à se fixer comme objectif de vendre à des masses de gens des masses de produits AVANT que les produits précédents aient cessé de fonctionner. Tiens c’est drôle : l’idée est à peu près contemporaine de l’invention du concept d’ « obsolescence programmée ». Comme dit quelqu’un : EDWARD BERNAYS a fait beaucoup pour que l’Amérique passe d’une « économie du besoin » à une « économie du désir ». Comme c’est bien dit.

 

 

Et pour donner envie aux gens d’acheter des choses dont ils n’ont aucun besoin (sinon dans un futur bien vague), il faut aller chercher en eux la source de leur envie. C’est ainsi que, selon GEORGES PEREC, toujours dans Les Choses, toujours en 1965, Jérôme et Sylvie sont déjà atteints de la maladie du désir, qui a désormais cancérisé la planète : « Dans le monde qui était le leur, il était presque de règle de désirer toujours plus qu’on ne pouvait acquérir ». Ah ! La maladie du désir ! Plus grave que la "maladie d'amour" que chante le désolant MICHEL SARDOU.

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Jérôme et Sylvie ont été contaminés (peut-être) par leur activité professionnelle. Il faut dire qu’ils passent leurs journées à poser des questions à des foules de gens : « Pourquoi les aspirateurs-balais se vendent-ils si mal ? Que pense-t-on, dans les milieux de modeste extraction, de la chicorée ? Aime-t-on la purée toute faite, et pourquoi ? Parce qu’elle est légère ? Parce qu’elle est onctueuse ? Parce qu’elle est si facile à faire : un geste et hop ? (…) ». La liste figure pages 29-30 (dans mon exemplaire, imprimé en 1965 !). Avouez qu’il y a de quoi se laisser gangrener.

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LE BOULOT DE JERÔME ET SYLVIE

GEORGES PEREC ADORE LA LISTE, L'ENUMERATION, L'ACCUMULATION, ... LA PARATAXE, QUOI

 

La maladie de tous les désirs qu’on n’a pas eu le temps de désirer. Voilà le monde qui nous a faits. Voilà le monde qui nous habite. Qui occupe indûment notre territoire intérieur, que nous le voulions ou non. Et nous en devons une bonne part au sinistre EDWARD BERNAYS.

 

 

Accessoirement, l'efficacité pratique des campagnes de propagande menées par EDWARD BERNAYS prouve l'effroyable justesse de sa théorie, exposée dès 1928 dans Propaganda. Et par voie de conséquence, l'incontestable VÉRITÉ manifestée dans la psychanalyse. La propagande comme preuve irréfutable que SIGMUND FREUD a tout vu juste, avouez que c'est drôle, comme retour de boomerang !

 

 

Et ça prouve aussi que tous ceux qui fouillent dans l'âme humaine (les sociologues, les psychologues, les ethnologues et tous les x...logues, je veux dire concernant les « Sciences » de l'Homme) ne se contentent pas d'établir de simples connaissances, qui s'avèreraient utiles, mais élaborent et fabriquent des instruments de domination dont tous les pouvoirs se servent allègrement pour s'établir et perdurer (= mentir et manipuler). En particulier un pouvoir que je n'ai pas cité ici : le « management » (faire adhérer tous les "collaborateurs" au "projet d'entreprise"), le fléau de la "gestion" des hommes selon le modèle envoyé par ... les Américains. 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 09 mai 2012

SARKOZY DANS SON BEAU MIROIR

Allez, une dernière sur SARKOZY, avant de tourner la page.

 

 

« Miroir, mon beau miroir, qui est le plus beau du pays ? » Vous avez reconnu, j’espère, la question qu’a posée NICOLAS SARKOZY, presque tous les jours, au miroir du sondage du matin, tout frais éclos, tout chaud sorti du cul de la poule IFOP ou de la cane SOFRES. Il aurait aussi bien pu lui dire : « Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je suis plus grand que moi ».  

 

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"LE PAUVRE HOMME!" (MOLIERE, Tartuffe, I, 4)

 

 

 

C’est tout à fait curieux, cette hyperinflation de sondages, cette hyperinflation de conseillers ministériels (+ 21 % entre 2007 et 2009, selon un rapport de RENÉ DOSIÈRE) et de conseillers présidentiels. Le sondage d’opinion n’est en aucun cas le fouet permettant de dompter la réalité, parce qu’il permet tout juste – et encore, de manière éminemment fantaisiste et déformante – de refléter une certaine réalité : les sondages sont les sables mouvants de l’opinion publique. Belle formule, n'est-il pas ? 

 

 

« Dompter » et « refléter » : voyez la marge abyssale. Personne ne saurait dompter la réalité en se contentant de la refléter. Finablement, comme on dit chez moi, le cancer du sondage n’est le symptôme que d’une maladie tragique : l’angoisse à l’idée d’être incapable de gouverner quoi que ce soit, de changer en quoi que ce soit le cours des choses, puisqu’on n’agit que dans la perspective de tester l’effet de l’action – ou plutôt de son annonce médiatisée – sur l’opinion publique, en mesurant cet effet par le sondage. NICOLAS SARKOZY a remplacé l’action politique par le discours de l’action, puis la mesure de l'effet du discours. Quant à l'action sur la réalité, elle s'est perdue en route dans les dits sables mouvants.

 

 

Comment pourriez-vous agir sur le réel en ne vous servant que des sondages ? On en a fait sur tous les sujets (donc montrant tout et son contraire), et ce qu’ils révèlent – à condition de leur faire confiance – ce sont des tendances, elles-mêmes sujettes à variation. Comme si c'étaient les sondages qui avaient ordonné les incessants virages à 180° accomplis par le désormais ancien président.

 

 

GERARD COURTOIS, journaliste au Monde, dessine un des meilleurs portraits de NICOLAS SARKOZY et de ses cinq ans de présidence, où il réussit à synthétiser brillamment le personnage : « Les masques innombrables dont il s’est affublé depuis cinq ans, ses sincérités successives, ses convictions contradictoires, son volontarisme par trop narcissique, ses transgressions et ses rodomontades ont lassé ou exaspéré ». J’aime beaucoup « sincérités successives ».

 

 

Au sujet de l’action, je suis injuste : SARKOZY est un homme qui a su prendre des décisions. Passer à l’action. Le monde lui doit effectivement la disparition de MOUAMMAR KHADAFI, ce dictateur sans doute compromettant pour lui.

 

 

 

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C'EST TRES CURIEUX, SARKOZY A PRESQUE L'AIR NORMAL, A CÔTÉ

 

Grâce à lui, l’Islam a pu prendre en Lybie toute la dimension et l’envergure auxquelles il a droit. Grâce à lui, le Mali a pris son essor vers un destin éclatant, éclaté et islamique garanti grand teint. Un avenir sûrement radieux. Grâce à lui, les pays limitrophes (Algérie, Niger, Burkina) se sentent rassurés et consolidés sur leurs bases et leurs frontières. Grâce à lui, l'arsenal énorme accumulé au cours des ans par le despote a été libéré des prisons militaires où il était injustement retenu et peut désormais circuler librement dans toute l'Afrique saharo-sahélienne et se jeter dans les bras des terroristes islamistes d'AQMI.

 

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JOLI CALIBRE, NON ?

 

 

Dans la réalité, essayons d’être juste, l’action de NICOLAS SARKOZY a produit tout et le contraire de tout. La seule continuité que je vois dans sa politique, c’est : « Il faut serrer le kiki à tout ce qui est service public ». C’est ce qu’il a appelé coquettement « Révision Générale des Politiques Publiques », ou RGPP. Pour, à l’arrivée, faire des économies de bout de chandelle, moyennant 160.000 fonctionnaires rayés de la carte, et autant de futures pensions de l’Etat financées par l’emprunt ainsi économisées.

 

 

NICOLAS SARKOZY sait peut-être tout ça. Auquel cas, je qualifierai son état de désespéré. Car c’est être misérable ou désespéré que de monter inlassablement à l’assaut d’une réalité qui, soit se dérobe, soit résiste dur comme fer. Il y a du désespoir dans la consommation absolument effrénée de sondages à laquelle s’est livré le président.

 

 

Quand on gouverne, il ne faut pas se demander « ce qu’attendent les Français », comme le disent la plupart des politiciens, la bouche démagogique en ♥, parce que, évidemment, les Français, ils attendent tout et le contraire de tout, suivant la place qu’ils occupent. Il ne faut même pas demander ce qu’attend le réel. Il faut y aller, tout simplement.

 

 

Oh, il y est allé, SARKOZY, et crânement, mais il y est allé précédé et suivi par le puissant service de sécurité d'une armée de sondages. Il a fait exactement comme les musiciens qui jouent de la guitare électrique sur scène : ils ont besoin d’un baffle de "retour", pour entendre le vrai son qu’ils produisent, et qui, au fond, s’écoutent jouer. NICOLAS SARKOZY s’est écouté jouer. Au moins pendant cinq ans. Peut-être depuis toujours, si j’en crois ce qu’on dit.

 

 

Dès l’âge de dix ans, paraît-il, il déclarait : « Je veux faire président ». On me dira que beaucoup d’enfants mâles le disent (mais c’est aussi souvent pompier, pour passer au feu rouge, ou pilote de ligne, pour tomber le maximum de filles). On aura raison, sauf que l’idée s’est enracinée en lui.

 

 

JACQUES ATTALI – vous savez, l’homme qui peut tout, même banquier ou chef d’orchestre, si, si – raconte quelque part que, lorsqu’il était secrétaire général de l’Elysée, sous MITTERRAND, il avait vu un jeune homme de 23 ans entrer dans son bureau pour lui demander des conseils sur ce qu’il fallait faire pour devenir président. Le jeune homme portait le doux nom de NICOLAS SARKOZY.

 

 

 

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"JE VOUS DIS QUE SAIS QUE JE NE SUIS PAS BEAU"

 

 

 

Cette fascination sidérante explique peut-être le rejet brutal de la politique, sitôt annoncée sa défaite : il a brutalement perdu la carotte qui l’avait fait avancer jusque-là (JACQUES LACAN avait appelé ça « l'objet petit a) ».

 

 

Il a perdu tout ce qui faisait le sens de sa vie. Moi je dis : « Requiescat In Pace » (RIP). C’est vrai ça : qu’il repose en paix. Je dis ça pour le cas où il serait tenté par le suicide. Ben oui, quoi, je le comprendrais. Qu’est-ce que vous feriez si toute votre raison de vivre avait été contenue dans cette carotte : devenir président ? Moi je sais bien ce qu’il me resterait à faire : 10 grammes de plomb dans la cervelle. J'en conclus que j'ai donc du temps devant moi.

 

 

 

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C'EST UNE BELLE PHOTO, NON ?

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.