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vendredi, 31 août 2012

CELINE LE MAUDIT

Pensée du jour : « On a tout essayé pour trouver du nouveau : le roman sans histoire, le roman sans personnages, le roman ennuyeux, le roman sans talent, peut-être même le roman sans texte. La bonne volonté a fait rage. Peine perdue, on n'est parvenu qu'à créer le roman sans lecteur ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Je viens de finir le dernier roman d’HENRI GODARD, intitulé Céline. Eh bien je crache le morceau : le héros meurt à la fin. J’espère qu’on ne m’en voudra pas. Un 1er juillet 1961. La « Céline » du titre n’a rien à voir avec celle d’HUGUES AUFRAY (« Dis-moi, Céline, qu’est-il donc devenu, ce joli fiancé qu’on n’a jamais revu ? »). La Céline dont je parle, c’est la grand-mère de DESTOUCHES. Car ce « Céline » s’appelle DESTOUCHES, prénom LOUIS-FERDINAND. Né un 27 mai 1894. Nom de plume : CÉLINE. Monsieur a écrit des livres. Et quels livres, nom de Dieu !

 

 

Oui, ce « roman » est une biographie. Même si ça mériterait l’appellation « roman », à cause du bonhomme. Mais HENRI GODARD est un savant, pas un romancier. Pour preuve que c’est un savant, il lui faut quarante pages en tout petits caractères à la fin pour loger les notes, vous savez, ce qui prouve qu’il n’a rien inventé. Attention, 1449 notes, pas une de plus, pas une de moins. J’ai compté. Pour indiquer que rien de ce qu’il avance n’a échappé à la vérification. Tout est sourcé, qu’on se le dise. On se dit qu'il connaît son bonhomme jusqu'au fond des poches.

 

CELINE 1 LOUIS-FERDINAND.jpg

PROFITEZ-EN, C'EST PAS TOUS LES JOURS QUE QUELQU'UN LE FAIT RIGOLER 

 

Quand Gallimard a pris la décision de publier CÉLINE  dans la Pléiade (le © du premier volume date de 1962), ses éditeurs claquaient des miches et faisaient dans leur froc (en chœur, si ça se trouve, imaginez la scène des miches qui claquent des mains en cadence) à propos de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit : le Parti Communiste était à 22 %.

 

 

C’était encore le printemps de la « guerre froide ». Et le PCF, qui était alors à son zénith, n’aimait pas CÉLINE, mais alors, on peut dire, pas du tout. Même que ROGER VAILLAND raconte qu’il avait empêché ses camarades de cellule, en 43 ou 44, de l’assassiner purement et simplement. Et qu'il regrettait (plusieurs années après) de les avoir empêchés. Le groupe se réunissait dans l’appartement juste en dessous de chez lui. Et CÉLINE se targuera du fait qu’il aurait  facilement pu les dénoncer. Ce qu’il n’a pas fait. C’est sans doute vrai.

 

 

Il faut dire que CÉLINE n’a jamais fait grand-chose pour se faire aimer, que ce soit des communistes, des gens en général, et même de ses lecteurs : adopter l’exclamation et la suspension comme style est un bon répulsif pour des lecteurs, même bienveillants. Se faire haïr du lecteur qu’on espère avoir, avouez quand même qu’il faut oser. Même aujourd’hui, pour lire CÉLINE, il faut au moins l’avoir décidé. GODARD se penche sur le paradoxe.

 

 

C’est sûr, CÉLINE n’est pas le premier client venu. Auteur sulfureux. Au point qu'on n’a pas oublié l’action sournoise qui l'a fait désinscrire, en 2011, de la liste des célébrations nationales celle de LOUIS-FERDINAND CÉLINE, à la satisfaction de CLAUDE LANZMANN, ARNO KLARSFELD et quelques autres, mais au grand dam de son promoteur, HENRI GODARD. Que l’on avait sollicité officiellement. Mais ce savant n’est pas un homme politique. Et puis ça lui servira de leçon. Il n’avait qu’à s’occuper de Sainte THERESE DE LISIEUX, ou  alors, à la rigueur, de PIERRE DE BERULLE.

 

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Car choisir CÉLINE, c’est au moins prendre des risques. Pensez : un auteur antisémite. Aujourd’hui, regardez les faits divers. MOHAMED MERAH tue trois militaires français d’origine maghrébine ou exotique, on en parle et l’événement fait sensation, c’est certain. Mais qu’il tue, quelques jours après, quatre juifs devant une école confessionnelle, alors là, vous pouvez être sûr que la machine médiatique s’emballe et que, dans le vacarme, on n’entend plus hurler qu’à l’antisémitisme. Alors pensez, un auteur qui a écrit des pamphlets antisémites !

 

 

Remarquez, le cas d’HENRI BÉRAUD n’est pas très éloigné de celui de CÉLINE. Demandez à ROLAND THÉVENET, qui a fouillé l’animal jusqu'à la racine du poil, depuis le temps qu’il le fréquente. Il a même publié Béraud de Lyon. Que lui ont reproché les épurateurs, à la Libération ? De ne pas avoir été membre du « parti des fusillés », le parti communiste qui, jusqu'au 22 juin 1941 (rupture par HITLER du pacte germano-soviétique, et entrée en guerre contre l'URSS), prêchait l’entente cordiale avec les Allemands, avant de virer de bord à 180° le 23 juin ? De quoi se méfier des cocos, non ? A la place de BÉRAUD, j'en aurais fait autant.

 

BERAUD DE LYON THEVENET.jpg 

 

Il ne les aimait certes pas, les cocos. Mais a-t-il pour autant aimé les nazis ? Franchement ? Bon, c'est vrai, il écrit dans Gringoire, le 23 janvier 1941 : « Il faut être antisémite ». Bien des comptes (beaucoup de mauvais : 8775 exécutions sommaires, selon une source plausible) se sont réglés lors de l’ « épuration ». BÉRAUD a payé une facture beaucoup trop salée pour lui. On s'est hâté de lui tailler un costar beaucoup trop large pour ses épaules. Victime de la mythologie gaulliste de « la France résistante ». Il faut se méfier des justiciers en général, et en particulier des justiciers de circonstance (ceux qui sont d'autant plus féroces qu'ils ont quelque chose à se reprocher). Les improvisés « résistants » du dernier moment. BERAUD 1 HENRI.jpg

 

 

Alors, c'est certain, HENRI BÉRAUD n'a pas la dimension littéraire de CÉLINE. Il a dû gagner sa vie comme journaliste, et sa prose s'en ressent. Mais franchement, quoique moins spectaculaire, il n'en est pas moins un écrivain très estimable. C'est même mieux que « mérite un détour » : c'est « vaut le voyage ». Mais chut ! Cela ne doit pas être dit. Alors ne le répétez pas. Il n'est pas encore sorti du purgatoire.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.