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samedi, 26 mars 2022

PAS DE "GRAND REMPLACEMENT", MAIS ...

... MAIS UN ISLAM CONQUÉRANT, PATIENT, RAMPANT, OBSTINÉ.

1 - Un remplacement a déjà eu lieu.

Je le dis d'entrée de jeu : les gens qui affirment, de façon sincère ou non, redouter le grand remplacement de la population française "de souche" par des hordes venues du Maghreb, d'Afrique noire ou du Proche ou Moyen Orient, se laissent leurrer par des fantasmes ou des mensonges. De toute façon, ma conviction est faite depuis longtemps : la seconde moitié du XXème siècle a déjà vu l'ancienne population française se laisser remplacer, année après année, par ses libérateurs de 1945.

Régis Debray, dans son livre Civilisation (Gallimard, 2017), raconte de façon lumineuse et probante « comment nous sommes devenus américains » (le sous-titre, c'est moi qui souligne). De son côté, Jean-Pierre Le Goff, en racontant dans le détail le quotidien de la France qu'il a connue de 1950 à 1968 (La France d'hier, Stock, 2018), dessine les traits d'un pays que la plupart des Français d'aujourd'hui qualifieraient d'épouvantablement ringarde, obsolète, rétrograde, presque archéologique.

Moyennant quoi, ils refusent d'admettre que la France, si elle garde malgré tout des traces de ce qu'elle fut en d'autres temps, a laissé plus ou moins joyeusement, plus ou moins consciemment, remplacer ses décors, son habitat, sa culture, ses traditions, ses façons d'être et de faire, sa psychologie et jusqu'à son âme, par les innombrables biens matériels et culturels venus des Etats-Unis. La France est devenue une cliente. Certains disent même un protectorat (mais ils exagèrent sûrement). Les Français sont quasiment gallo-américains, diraient Goscinny et Uderzo dans Le Combat des chefs.

Au point que, dès qu'une innovation plus ou moins innovante (je ricane), plus ou moins "historique" (je pouffe), plus ou moins "révolutionnaire" (je me gausse) pointe le bout de l'oreille sur le sol américain, nos chers journalistes, toujours prêts à gober la moindre "nouveauté", saluent avec enthousiasme son prochain débarquement en Normandie, je veux dire sur notre sol, allant même parfois jusqu'à préciser que la France, toujours à la remorque du navire amiral d'outre-Atlantique, n'est-ce pas, est en retard de dix ans sur les Etats-Unis. Au point que personne n'a oublié le cri du cœur de Jean-Marie Colombani paru en éditorial de "une" du journal Le Monde au lendemain du 11 septembre 2001 : « Nous sommes tous Américains ».

Remarquez qu'en 2003, le refus radical de Jacques Chirac et Dominique de Villepin d'entrer dans la coalition américaine (illégale) pour démolir le régime de Saddam Hussein, tend à prouver que nous n'étions pas si américains que ça. Et les journaux et médias américains ont alors si abondamment craché sur la France que cela a pu réconforter ceux qui avaient un reste de fierté nationale, sans forcément leur ouvrir les yeux sur la réalité ou la profondeur de l' "amitié" que nous portent les Américains.

Malheureusement, c'était juste un sursaut de fierté de la part de quelques attardés du gaullisme. La France vassale a vite repris ses droits. Nicolas Sarkozy (aah, ses footings avec les T-shirts floqués NYPD !) a même réintégré la France dans le commandement de l'OTAN (officine largement dominée par le suzerain américain), et sans contrepartie. En chemise et la corde au cou, pour ainsi dire.

Et tout aussi malheureusement, nous sommes devenus assez Américains pour que j'en veuille énormément à certains Français d'avoir importé des modes de pensée propres aux Etats-Uniens, à commencer par cette arrogance dans l'affirmation de l'identité (les "fiertés" qu'on fait défiler), qui fait d'une petite collection de "minorités" (raciales, sexuelles, religieuses, etc.) des prescripteurs de lois.

Ces minorités n'hésitent pas à calquer benoîtement sur la situation spécifiquement française (données historiques comprises) les problématiques particulières propres aux Américains. Ces minorités haïssent la liberté d'expression quand elle froisse si peu que ce soit l'épiderme de leur sensibilité, au prétexte qu'elles se sentent victimes de l' "oppression majoritaire" et des "stéréotypes" dominants, et ne pensent qu'à une chose : faire taire l'ennemi, et punir, punir, punir. Il faut ensuite être un mouton aveugle et sourd pour continuer à bêler sur le "vivre-ensemble" ou sur le "faire-société".

Bon, tout ça pour dire que le "grand remplacement" est un fait accompli depuis lurette : les Américains, appuyés sur leur "soft power" (cinéma, musique, etc.), ont fait en sorte que la France change de peuple. C'est une chose acquise, il n'y a plus beaucoup d'âme française chez les Français. Le Français d'aujourd'hui se sent très bien dans les oripeaux que lui a vendus l'Amérique, et va même jusqu'à qualifier d' "anti-Américains" tous ceux qui "crachent" dans la soupe.

Ceux qui s'intitulent "français de souche" devraient y réfléchir, car dans le tas des idées importées des USA, il en est une qui pourrait au moins susciter des interrogations : c'est le melting pot, ce "brassage et assimilation d'éléments démographiques divers, en partic. aux Etats-Unis, au XIXème siècle" (Larousse P.L.I. 2002). Pourquoi la France n'aurait-elle pas aussi importé cette magnifique innovation ? Pourquoi la France ne deviendrait-elle pas à son tour un gros tas de chouettes peuplades juxtaposées ? Pourquoi n'adopterait-elle pas pour étendard le drapeau arc-en-ciel des fiertés mondialisées ?

2 - Pas de "Grand Remplacement", mais une offensive opiniâtre et tranquille.

Je ne sais donc pas trop si ces Français de souche, qui pestent parfois violemment et de façon indiscriminée contre l'immigration, ont tort ou raison quand ils hurlent au "grand remplacement". Ce dont je suis sûr, c'est qu'ils devraient prêter davantage d'attention à un phénomène si discret qu'il passe largement au-dessous des radars de la vigilance ordinaire : le combat culturel mené au quotidien par un certain nombre d'activistes musulmans, en particulier des imams, pour se concilier, puis s'approprier l'esprit de tout un tas d'individus peu instruits, peu méfiants ou peu regardants. Car ces activistes sont assez habiles pour éviter de mettre en avant le djihad, la violence ou la guerre aux "croisés" de la chrétienté. On a à faire à des imams souriants et bienveillants : nulle trace d'hostilité déclarée dans leurs paroles et leurs attitudes.

En témoigne un homme qui fut d'abord un réfugié syrien admis sur notre sol. Omar Youssef Souleimane est un poète et un écrivain. Il est né dans une famille rigoureusement salafiste, le père, surtout. Aujourd'hui, il est Français depuis trois mois, et il vient d'écrire Une Chambre en exil (Flammarion). Il était l'invité de Marc Weitzman dans son émission "Signes des temps", sur la chaîne France Culture, dimanche 20 mars, pour en parler un peu. 

Mon intention ici n'est pas de rapporter ses propos dans le détail. Je veux seulement relever quelques idées cruciales qui nous concernent, nous, qui nous sentons avant tout Français, Européens et de culture complexe à dominante chrétienne écrasante, quoique déclinante. Son aventure a commencé en 2012, lorsque, en compagnie d'une vingtaine d'autres "rêveurs" (c'est lui qui le dit), il a manifesté à Damas pour la liberté. Alors que six d'entre eux étaient arrêtés pour subir les traitements qu'on imagine, il a réussi à échapper aux sbires de Bachar al Assad. 

Il raconte qu'il a été sauvé par la poésie, en particulier celle de Paul Eluard, mais aussi par la "vieille" poésie arabe, qui lui inspire cette belle pensée que la langue arabe, qui date de bien avant l'islam (Vème siècle ?), recèle des richesses infiniment plus vastes que la langue du Coran qui, quant à elle, a été figée autour du XIème siècle (ça fait quand même 1.000 ans) en tant que langue sacrée et à ce titre intouchable. Le rigorisme qui s'est alors abattu sur la langue des Arabes a empêché celle-ci d'évoluer avec le temps.

L'interlocuteur de Weitzman se désole alors à l'idée que beaucoup de ceux qui veulent apprendre l'arabe aujourd'hui, ne le font que pour lire le Coran dans le texte. J'ajoute que si le programme des écoles coraniques consiste vraiment à faire apprendre par cœur le texte du Coran, il y a du mouron à se faire sur le niveau de la culture ainsi transmise et sur la future ouverture d'esprit des élèves.

Omar Youssef Souleimane raconte comment, arrivé en tant que réfugié à Bobigny, il a fait la rencontre d'un imam redoutable, non parce qu'il portait un poignard, ni parce qu'il voulait exterminer les maudits "koufars", mais parce qu'il montrait un visage "doux, intelligent, sympathique, intellectuel" (ce sont ses mots). Cette stratégie enveloppante et insinuante lui fait dire que ce genre de personnage est beaucoup plus dangereux pour la France à long terme que n'importe quel djihadiste ou terroriste. Et surtout il sait que ce genre d'imam n'est pas un cas isolé, mais qu'il a tendance à pulluler dans les cités de Seine-Saint-Denis et d'ailleurs, là où les musulmans sont nombreux, et parfois ultra-majoritaires. Il ajoute que ces imams sont bien rémunérés (par l'Arabie saoudite ou la Turquie). Cool Raoul ! A l'aise, Blaise ! Facile Mimile !

Selon lui, ce qui se prépare dans ces "territoires perdus de la République" (titre d'un bouquin bien inspiré), c'est une "France séparée", n'en déplaise à une certaine extrême gauche, prompte à lancer ses glapissements antiracistes dès que quelqu'un tente d'alerter sur les dangers de l'offensive islamique tranquille à l'œuvre depuis quelques décennies. Une extrême-gauche qui sort à tout bout de champ ses refrains, du risque de "récupération par l'extrême droite" à la "discrimination". Selon Souleimane, le voile soi-disant islamique est avant tout un drapeau identitaire, car pour ces imams, aussi étonnant que cela puisse paraître, l'islam est moins une religion qu'une identité : l'identité d'une communauté. Et une communauté fermée sur elle-même.

Le plus terrible dans cette affaire, c'est l'incroyable complicité de certains politiciens français qui, pour de simples raisons électoralistes, se mettent cul et chemise avec ces responsables religieux. Certes des gens qui leur font peur, mais dont ils ont un besoin vital, pour une excellente raison : l'influence décisive que leur parole possède sur la communauté dont ils sont la voix. On voit, dit Souleimane, dans certaines municipalités (Bobigny ?), des imams assister à des réunions avec des édiles qui tiennent par-dessus tout à rester en bons termes avec eux et tremblent à l'idée de se les mettre à dos. Et, continue Omar Youssef Souleimane, la police laisse faire l'imam qui tolère le dealer de drogue, au motif qu'ainsi l'ordre règne. Et le maire se frotte les mains, parce qu'il pense que son mandat suivant est déjà dans la poche. Comprendre : "dans la poche de l'imam", bien sûr.

Bien entendu, quand il est dans son cercle de proches, l'imam ne cache rien de son véritable objectif final : instaurer la charia. Face au bon peuple, le discours malin, enjôleur et manipulateur ; face aux initiés, la vérité des intentions. 

Pour conclure, on ne peut évidemment pas effacer un demi-siècle de remplacement de ce qui fut autrefois les valeurs des Français par les "valeurs" spectaculaires et marchandes de nos "amis" américains, mais qu'on y réfléchisse bien : cette transformation a été obtenue en prenant son temps, par la douceur et sans violence, avec le consentement parfois enthousiaste des Français, à commencer par leurs élites. Pourquoi la même patience, la même douceur et la même non-violence n'obtiendraient-elles pas le même résultat, mais cette fois en faveur de l'islam ?

Pendant que toute l'opinion publique et toute la vigilance officielle et officieuse (D.G.S.I.) ont les yeux et les micros braqués sur les événements sanglants, d'autres activistes mènent une offensive d'autant plus subtile, discrète et silencieuse qu'elle est souriante et pacifique. Je dirais presque que les attentats, vus de cette manière, font office de diversions (que les victimes veuillent bien pardonner cette audace de langage) par rapport à l'objectif final.

Il faudrait que les hautes autorités politiques et les pouvoirs municipaux des communes concernées réfléchissent à leur lourde responsabilité dans les progrès accomplis par l'islam "normal" sur le territoire français. Oui, je sais : "il faudrait", ... Mais ne sont-ils pas trop lâches pour cela ? Que ne ferait-on pas pour garder son fauteuil ?

Je récuse quant à moi la différence que certaines bonnes âmes s'obstinent à faire en "islamique" et "islamiste". C'est une question de civilisation. 

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Pour ceux qui voudraient savoir un peu mieux à quel adversaire ils ont à faire, je conseille la lecture d'un livre tout à la fois délicieux à la lecture et redoutable à la réflexion, qui permet de pénétrer dans une certaine mesure dans ce qui fait l'esprit de la civilisation des Arabes. Ce livre, c'est Le Livre des Ruses, collection d'anecdotes plus ou moins conséquentes, mais toujours spirituelles, une collection qui aide à comprendre pourquoi les Arabes (les musulmans ?) ont longtemps été considérés en Occident comme des êtres fourbes et sans parole.

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J'ai longtemps tiré de la lecture de ce livre la conviction que si l'Occident médiéval se méfiait de la lettre, il accordait un grand prix à la parole donnée et que, inversement, les Arabes utilisaient les subtilités du verbe pour tromper l'ennemi, ce qui revient à prendre l'adversaire à son propre piège : ce n'est pas mentir que de prononcer des paroles subtiles qui bernent l'attention d'un autrui trop confiant dans une hypothétique similitude des façons de penser, pour mieux pouvoir lui renvoyer, s'il proteste contre la mauvaise foi de la personne, l'exactitude des paroles prononcées.

Et ce n'est qu'une des milles facettes de cet art du langage développé au fil des pages de cet ouvrage tout à fait étonnant. La différence des civilisations arabe et européenne me semble résider là, au creux de la parole : chez nous la ligne droite de la parole donnée (oui, je sais, "les écrits restent" etc., mais), qui fait apparaître comme une félonie la moindre infraction à la loyauté ; chez eux l'admiration qui s'adresse à celui qui, à force d'habileté et de subtilité langagière, a réussi à embrouiller la raison de l'homme à circonvenir.

***

Il faut les voir s'embrasser, se congratuler, sauter de joie, les moukères de Grenoble, à l'annonce de la décision qui autorise (en termes alambiqués) le burkini comme tenue pour les ébats aquatiques en territoire municipal. « ON A GAGNÉ !!! », ont-elles triomphé. Et maintenant qu'elles ont gagné à Grenoble, les associations d'activistes musulmans comptent bien ne pas s'arrêter là, et faire tout ce qui est en leur possible pour accrocher de plus gros gibiers à leur tableau de chasse. L'objectif ? Très simple : grignoter, mètre après mètre, le terrain occupé par l'adversaire en se servant des moyens mêmes offerts par ce dernier. Leur horizon ? Faire avancer, mètre après mètre, la cause de l'islam sur des terres qui ne sont presque plus chrétiennes jusqu'à occuper tout le terrain (ajouté le 19 mai).

dimanche, 21 avril 2019

CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE 2

SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE

L'incendie de Notre-Dame – tout le monde ignore s'il a une cause "technique", due à la maladresse d'un ouvrier, à l'incurie des responsables ou à des investissements insuffisants dans l'entretien, ou s'il est dû à un malveillant – n'est sans doute pas du même ordre que les attentats (car dépourvu de conséquences humaines ou géopolitiques), mais le résultat est le même : le monde entier a pleuré. Peut-être parce que, à chaque fois, l'événement a à voir avec quelque chose qui relève du sacré ?

J'ai entendu Alain Lamassoure dire que lorsque la nouvelle a été connue au Parlement européen, il a vu pleurer des vieux briscards de la politique (des Suédois, etc.). Je doute qu'en pays musulman, les réactions populaires soient les mêmes : les touristes saoudiens osent-ils seulement pénétrer dans nos églises ? Idem en pays bouddhiste, hindouiste ou autre (excepté pour les touristes). L'émotion universelle a peut-être, précisément, en dehors du côté spectaculaire de l'incendie, une composante touristique. Mais ce n'est ni la seule, ni, probablement, la principale.

Cette émotion a des causes plus profondes, je dirais même des racines. Et elle touche à ce que représente dans le monde l'histoire de la France. On peut se demander par exemple comment il se fait que la Marseillaise soit, à ce que je sache, le seul hymne national que la plupart des populations du monde connaissent (je me rappelle avoir entendu il y a longtemps une version pour le moins "originale" par un orchestre d'autochtones péruviens ou boliviens, c'était pour accueillir je ne sais plus quel président). Je dirais volontiers que les représentations que les peuples du monde se font de la France ont quelque chose d'unique, quelque chose qui touche, je crois, à l'universel. Il est indubitable que le rayonnement, disons culturel (pour faire simple et général), de la France est unique. 

Mais – car tout ce raisonnement est fait pour finir sur un "mais" – cette France est celle du passé : le monde entier a pleuré sur une France qui n'existe plus. La France ne rayonne plus que par son passé. Ce que je trouve curieux, de l'attentat contre Charlie Hebdo à Notre-Dame de Paris en passant par le Bataclan, c'est qu'il faut des catastrophes pour que les Français se souviennent qu'ils sont Français – et non pas des ersatz de produits américains, ayant abdiqué la dignité du citoyen pour adopter la défroque du consommateur – et manifestent de façon unanime (disons au moins une unanimité relative). Je veux dire qu'il faut qu'ils pleurent pour se retrouver ensemble. Et cette France-là se souvient alors de son passé – évidemment révolu. Il faut l'émotion et le drame pour réunir les Français (bougies, messages, fleurs, "marches blanches", ...).

Ce qui rassemble aujourd'hui les Français, ce sont les cimetières, les hôpitaux et les musées (aujourd'hui Notre-Dame est un monument historique avant d'être un édifice religieux). Pas de quoi se réjouir. Les Français sont très forts aujourd'hui pour compatir, pour se lamenter et pour se plaindre. Tout ce qui ressemble à une victime attire la sympathie et, dans certains cas, vous n'avez pas intérêt à ne pas pleurer avec les pleureuses. Dès qu'il s'agit de verser des larmes, tout le monde répond présent (enfin, pas tout à fait). Mais dès qu'un illuminé demande « Qu'est-ce qu'on pourrait bâtir ensemble ? », c'est la volée des moineaux qui s'éparpillent aux quatre coins de l'horizon.

Probablement parce que chacun dans son coin s'est fait une idée personnelle de l'édifice, une idée incompatible avec celles des autres. Il y a sans doute une responsabilité dans le fait qu'enseigner "l'Histoire de France" fait hurler beaucoup d'historiens et d'enseignants à l'hérésie "scientifique". Les enthousiastes de la modernité se félicitent de ce que la France soit aussi "multiple" et "diverse". Ils ne se rendent pas compte que cette France-là est trop tiraillée par des forces contradictoires pour espérer former une entité unifiée autour du panache de laquelle l'unanimité se ferait. Il faut être Henri IV pour proclamer : tous ensemble, derrière moi. Si chaque petit chef peut prétendre représenter l'unité ("tous ensemble, mais derrière moi"), devinez ce qu'elle devient, l'unité (regardez la gauche française).

Car je suis frappé par le fait qu'aussitôt qu'on parle de projets, de construction collective, dès qu'il s'agit de se projeter dans l'avenir, d'envisager un futur commun, c'est la foire d'empoigne, comme si c'était devenu impossible. La population semble prête à en venir aux mains, et les responsables considèrent le "sens de l'Etat" comme une vieillerie. Il n'y a plus de vision proprement politique d'une nation qui n'est finalement plus gouvernée par des hommes de stature authentiquement politique qui aient « une certaine idée de la France » (suivez mon regard), mais gérée par une armée d'administrateurs (impeccablement formés) et d'experts-comptables (puissance de Bercy sur les orientations budgétaires). Ce genre de chef est d'avance hors d'état de concevoir et de proposer un projet politique. Qui aujourd'hui s'est fait « une certaine idée de la France » ?

J'en conclus que ce qui unit encore les Français tient exclusivement à ce qu'a été – et n'est plus – la France, et qu'il est devenu rigoureusement impossible pour ceux qui vivent aujourd'hui sur le territoire de se concevoir comme un corps collectif doté d'une âme collective et tourné vers l'accomplissement d'une œuvre commune. A la moindre évocation des problèmes de l'éducation, de comment s'y prendre pour éduquer et de ce qu'il faut enseigner aux jeunes Français, tout le monde sort les poignards. Même chose dans bien des domaines. Le corps et l'âme de la France ressemblent à Osiris démembré et éparpillé aux quatre coins du monde, mais il n'y a aucune Isis assez aimante pour partir sur les chemins, rassembler les morceaux et redonner vie. La France n'est pas divisée : elle est éparpillée.

Quand on demande aux Français ce qu'ils veulent pour demain, il suffit d'écouter les revendications (leur seule raison de manifester au départ étant la difficulté à finir le mois, ce n'est qu'ensuite que les revendications les plus diverses sont venues se greffer) des gilets jaunes : ils veulent tout et son contraire, ça part dans tous les sens. Et je ne parle même pas des diverses parties de la société qui ne sont pas gilet jaune.

Et je ne parle surtout pas des revendications des différents groupes de pression et d'influence (ce qu'on appelle les "minorités"), qui réclament des mesures pour protéger et favoriser leur particularisme, et qui interdisent à quiconque de les critiquer ou de se moquer (certaines blagues impliquant les femmes ou les homosexuels il n'y a pas si longtemps sont carrément inimaginables, et je ne parle pas des couvertures du Charlie Hebdo de la grande époque - 1969-1982), sous peine de correctionnelle. Impossible aujourd'hui d'aboutir à un accord qui ressemble à un consensus majoritaire sur ce qu'il faut que la France devienne en tant qu'entité, identité, nation.

On a l'impression qu'un policier sommeille dans beaucoup de Français (juifs, femmes, musulmans, homosexuels, noirs – le CRAN a fait censurer une pièce d'Eschyle au prétexte que les acteurs portaient un masque qui signifiait leur origine africaine, étant entendu que les blancs, forcément néocolonialistes, n'ont pas le droit de parler de problèmes impliquant des noirs –, etc., la liste est interminable).

On a l'impression que la société française, comme aux Etats-Unis, est devenue une terrible société de surveillance réciproque des uns par les autres, avec des cahiers des charges détaillant les modalités des relations entre eux : vous n'avez pas le droit de ceci, je vous interdis cela, sinon je porte plainte.

On a l'impression que les Français n'ont plus aucune envie de vivre ensemble (je veux dire : tous ensemble), et qu'ils ne se reconnaissent les uns les autres (et encore : pas tous) que dans le malheur, quand il devient impensable de ne pas éprouver de la compassion pour les victimes (d'attentats) ou pour un édifice datant de huit siècles. Pour le reste, c'est "circulez, y a rien à voir".

J'ai bien peur que si l'on se demandait qui, parmi tous les Français, éprouve aujourd'hui, en dehors des drames qui touchent le pays et émeuvent le monde, quelque chose qui ressemble à un sentiment d'appartenance, voire un "sentiment national", le résultat ne manquerait pas de désoler ceux qui ressentent encore un sentiment de cet ordre.

Elle est loin, l'époque où Pierre Daninos, dans Le Jacassin (1962), pouvait évoquer un "oncle" qui, tous les 14 juillet, au défilé militaire sur les Champs-Elysées, se débrouillait pour se trouver derrière un monsieur qui gardait son chapeau au moment où le drapeau passait devant lui et, d'un geste de la main, faire voler le couvre-chef du mauvais patriote pour lui lancer d'une voix forte et courroucée : « On se découvre devant le drapeau, monsieur ! ». Et encore, Daninos se moquait gentiment de ce qui apparaissait déjà comme une lubie.

Non, la France est vraiment devenue une "collection d'individus" (conception, soit dit en passant, importée de l'Amérique protestante et individualiste et de l'Angleterre de Margaret Thatcher), et a perdu la mémoire de tout ce qui faisait d'elle une "société", et tout ça est pris dans le maelström de la compétition économique mondiale féroce qui ôte à tout le monde le temps et la possibilité de penser à autres chose qu'aux moyens de survivre. La France est devenue une collection d'individus plus ou moins américanisés (le plus souvent sans le savoir : quoi de plus naturel pour les jeunes Français que d'adopter tout ce qui s'invente de l'autre côté de l'eau – voir les files d'attente devant les boutiques Apple quand un nouveau produit est lancé ?), qui se sont en gros débarrassés de l'héritage proprement national, assimilé à des antiquités poussiéreuses, voire à des ruines (le mot n'est d'ailleurs pas faux).

L'entité qui a porté le beau nom de France a-t-elle encore la possibilité de s'envisager telle dans l'avenir ? J'en doute, tant le processus d'américanisation de nos vies semble définitif (et irréversible comme tout ce qui s'inscrit dans le temps de l'histoire). Il n'y a désormais plus de place pour un quelconque "Grand Récit National". Jérôme Fourquet, dans son ouvrage le plus récent (L'Archipel français, Seuil, 2019) a raison quand il parle de l' "archipellisation" de la France. Un processus qui ressemble de plus en plus à la structure de la société américaine (la différence, c'est l'importance du drapeau américain pour les citoyens d'outre-Atlantique). Et la recette du mortier qui ferait tenir ensemble tous les morceaux semble définitivement perdue.

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 20 avril 2019

CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE 1

SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE

Avant l'incendie de la cathédrale de Paris, il y avait eu l'attentat contre l'équipe de Charlie Hebdo, puis le massacre du Bataclan et des terrasses de café. Mais il m'a fait penser aussi à ce qui est arrivé aux "Twin Towers" le 11 septembre 2001. Le lien n'est pas évident (contrairement aux attentats, l'incendie de Notre-Dame n'aura aucune conséquence sur la marche du monde), c'est le moins qu'on puisse dire, puisque, en l'état actuel des choses, c'est plutôt la thèse accidentelle qui est privilégiée, mais l'événement m'a inspiré quelques réflexions qui m'incitent à le contextualiser autrement que bien des commentateurs.

Ben Laden avait apporté au monde la preuve que, même quand on est l'acteur le plus puissant de la mondialisation marchande, il faut s'attendre à recevoir le boomerang de son action dans la figure. « Nous sommes tous américains », s'était hâté de s'exclamer Jean-Marie Colombani dans le journal Le Monde, dans un éditorial mémorable. Je suis obligé d'avouer que, pour ma part, quand j'ai entendu la nouvelle à la radio, j'avais sauté de joie : enfin, m'étais-je dit, voilà l'arrogance américaine justement châtiée.

Michel Sardou a eu beau chanter : « Si les Ricains n'étaient pas là », je persiste à penser que si l'Amérique a reconstruit l'Europe après la guerre, c'est qu'elle avait de bonnes raisons pour ça : la guerre froide qui n'allait pas tarder à se déclarer contre l'U.R.S.S. Pour contrer le nouvel ennemi, l'Amérique a donc acheté l'Europe (le fameux "plan Marshall", du nom d'un général de l'armée américaine) pour des raisons militaires, mais aussi commerciales. Elle y a carrément mis le paquet (173 milliards en dollars 2019).

Au passage, je fais remarquer que les prêts aux pays européens étaient conditionnés à des achats aux Etats-Unis par les mêmes pays, et pour un montant équivalent, de toutes les fournitures nécessaires à cette reconstruction (source : encyclopédie en ligne). L'Amérique protestante ne fait rien pour rien : elle attend toujours quelque chose en échange, et n'oublie jamais où se trouve son intérêt. S'en est suivie une situation nouvelle : l'Europe est devenue une province américaine.

Le suzerain se trouvait de l'autre côté de l'Atlantique, et le vassal était européen. L'Europe est devenue une sorte de franchise de la marque "Amérique", et le client privilégié, presque forcé, de tout ce que ce fournisseur exclusif pouvait produire en termes de marchandises, de divertissement, de représentations du monde et même de mode de vie. Il faut avouer que tous ces biens et manières de voir et de se divertir étaient accueillis le plus souvent avec enthousiasme. L'acculturation des vieux peuples européens s'est produite dans la joie et la bonne humeur : tout ce qui était tradition est devenu ringard, archaïque, obsolète.

Et l'Europe, malgré toutes les déclarations d'indépendance et les affirmations d'autonomie (et malgré la résistance de De Gaulle, bien solitaire il est vrai), est toujours aujourd'hui, dans presque tous les domaines, en état de vassalité, soumise à son suzerain (son "allié") d'outre-Atlantique. Et parmi les nombreux facteurs qui empêchent l'Union Européenne de s'édifier en entité politique unifiée et autonome, il faut compter avec le fait que ce projet hérisse l'Amérique, qui ne veut à aucun prix d'une puissance autonome qui pourrait rivaliser avec elle. Et ce ne sont pas les coups de force récents de Donald Trump qui convaincront du contraire. 

De toute façon, si les Français se montrent sourcilleux sur la question de l'autonomie, tout en faisant semblant de ne pas s'apercevoir que tout ce qui est américain sera prochainement "français" (produits, pensée, mode de vie, idéologie – par exemple la façon de considérer les "minorités", à commencer par les noirs, qui, en Amérique, avaient de vraies raisons, eux, de se révolter, puis sont venus les homosexuels, etc. –, ..., voir à ce sujet l'excellent livre de Régis Debray, Civilisation, Gallimard, 2017), les autres Européens, à commencer par les anciens pays satellites de la puissance communiste (mais aussi Allemands, Italiens, Anglais, pays scandinaves, ...), ne veulent à aucun prix d'une Europe comme entité unifiée et réellement indépendante. En attendant, un tas de groupes d'influence et de pression se dépêchent d'importer les trouvailles sociétales faites dans les officines minoritaires des Etats-Unis pour faire valoir de nouveaux "droits".

Pour ce qui est des Etats européens, l'état de vassalité ne pose aucun problème et leur convient à merveille, tant qu'ils peuvent faire des affaires et consommer à leur guise (j'ai vu rouler sur les routes scandinaves surtout des voitures de marque Chrysler ou Chevrolet, et des Volvo de temps en temps, c'était il n'y a pas tout à fait vingt ans). Une majorité des nations européennes sont d'accord pour ne rien faire qui puisse déplaire au parrain américain (la Pologne s'est bien gardée d'acheter pour son aviation militaire des avions de conception et de fabrication européenne). Et au sujet des "Trente Glorieuses", dont les Européens se souviennent avec un rien de nostalgie, qui ont vu croître formidablement la prospérité sur tout la partie occidentale du continent, et dont on nous rebat les oreilles à répétition pour s'extasier sur les "beautés de la construction européenne", elles sont pour une large part dues à la "générosité" sans pareille (soigneusement rétribuée) de "l'ami américain" après la Libération.

Tout cela pour arriver à Notre-Dame de Paris et à l'incendie qui l'a ravagée, catastrophe qui a bouleversé le monde entier (enfin, je voudrais savoir à quelle température est montée l'émotion populaire au Malawi). Mais quel est le rapport avec ce qui précède, se demande le lecteur ? Je vais essayer de m'expliquer. Si le 11 septembre a produit un tel choc à l'époque, c'est qu'il manifestait le surgissement totalement imprévu d'un ennemi venu d'ailleurs, quasiment de nulle part. C'est ce qui fait le lien entre cet événement au retentissement mondial et les deux attentats de 2015 en France : un ennemi venu d'ailleurs, à nous qui ne sommes en guerre contre personne (enfin, il ne faudrait pas chercher la petite bête).

Charlie Hebdo et le Bataclan ont eu un retentissement analogue à celui des "Twin towers", mais à un degré ahurissant si on le rapporte aux dimensions mondiales des deux Etats : la France, sur le ring, est une lilliputienne face au champion toutes catégories que sont les USA. La sidération qui a saisi le monde a quelque chose d'incompréhensible pour moi quand je pense à la différence de taille et de puissance. Ce qui me frappe, c'est la disproportion flagrante entre les deux pays, à laquelle s'oppose l'intensité à peu près comparable de l'émotion provoquée par les événements.

De toute évidence, la France a quelque chose de très spécial à dire à la face du monde, quelque chose qui dépasse de loin son importance dans le "concert des nations". Quand des habitants d'Oulan Bator, capitale de la Mongolie, allument des bougies pour dire "Je suis Charlie", j'en reste sur le cul ! Même stupeur au moment du Bataclan, cet attentat indiscriminé dont les victimes ne sont pas tuées à cause de ce qu'elles font ou de ce qu'elles sont (d'origine française, européenne ou arabe, tout le monde a pu constater que peu importait : c'était un attentat "en gros" et pas "en détail") : elles ont eu le tort de se distraire de façon "impure" (haram).

Ce qui m'a secoué en 2015, c'est la réaction du monde entier au malheur qui frappait la France. Le retentissement mondial des événements m'a appris que la France occupait dans le monde une place éminente, que je crois mal analysée. Quand on parle du rayonnement universel de la culture européenne, beaucoup se gaussent, et quelques-uns se dressent sur leurs ergots anticolonialistes. La vérité, c'est que l'Europe a dominé le monde, mais aussi façonné l'Amérique, qui a ensuite façonné le monde en le dominant de toute la hauteur de sa puissance économique. L'Europe est à l'origine de la civilisation actuelle du monde entier, l'Amérique en est l'excroissance marchande et fanatique (voir l'action de multiples sectes protestantes partout dans le monde). Cela explique que les événements qui se produisent en France résonnent à l'échelle planétaire. Et la place de la France dans cet ensemble est tout à fait particulière.

A suivre demain.