lundi, 21 janvier 2013
ELIAS CANETTI ET LA GUERRE DE 14
Pensée du jour :
C'EST LE JOUR D'OUVRIR LE KIL DE ROUGE ET D'ENTAMER LE SAUCISSON (DE LYON)
« Un professeur, d’une façon générale, ne devrait épouser que ses meilleurs élèves. Après le bachot ; et non avant. Pour créer une émulation ».
ALEXANDRE VIALATTE
Je viens de lire un passage, à propos, encore et toujours, je n'y peux rien, de la guerre de 1914-1918, passage qu’il faut absolument que je partage séance tenante. Il se trouve que je suis plongé dans les Ecrits autobiographiques d’un monsieur qui a reçu le prix Nobel. L’auteur s’appelle ELIAS CANETTI. Le livre est publié à la « Pochothèque ».
En l’ouvrant, je m’attendais à trouver quelqu’un qui raconte sa vie du haut du piédestal où a été édifiée sa statue de son vivant, parce que je garde en mémoire ELIE WIESEL, autre prix Nobel (de la Paix), qui parle sur un ton qui me l’a rendu antipathique. Jusqu’au son de sa voix, son timbre et son élocution m’agacent dès que je l’entends. Le ton de quelqu’un qui s’écoute lui-même quand il parle, et qui s’adresse à lui-même des congratulations pour l’effet qu’il se produit. On dirait qu'il n'arrête pas de se prendre pour un "Prix Nobel".
Eh bien, ELIAS CANETTI, pas du tout ! Selon toute vraisemblance, ELIAS CANETTI ne s’appelle pas ELIE WIESEL, ce qui est heureux. Il faut se féliciter de ce hasard et remercier le sort qui, finalement, fait bien les choses. Et je pense que l'oeuvre écrite d'ELIAS CANETTI consiste davantage que celle d'ELIE WIESEL.
Je ne sais pas vous, mais moi, je ne supporte pas le ton de ce personnage qui se donne un tel air de sérieux quand il ouvre la bouche, puis qui parle sur le ton pontifiant de la componction propre au personnage de Tartufe dans la pièce de Molière, quand celui-ci se met à admonester et à faire la leçon autour de lui. ELIE WIESEL (ci-contre, avec sa façon de pencher la tête), a su intelligemment faire fructifier le petit capital offert par son statut de rescapé des camps de la mort. Je suis sûrement très injuste avec quelqu'un qui est devenu un icône unanimement célébrée.
J’ai lu La Nuit. C’est son témoignage sur ce qu’il a vécu en déportation. Le malheur veut que je l’aie lu après d’autres ouvrages sur le même sujet. A commencer, évidemment, par Si c’est un homme, de PRIMO LEVI, que j’ai reçu comme un coup à l’estomac. De lui, on connaît moins La Trêve. Eh bien on a tort. Toujours est-il que Si c’est un homme impose le respect. Alors que La Nuit me touche un peu, et m’agace davantage, sans que je sache bien pourquoi. Peut-être à cause de la façon - immodeste selon moi - d'apparaître dans les médias.
ELIE WIESEL, tout le monde lui doit le respect dû à ceux que le nazisme a voulu faire disparaître de la surface de la planète. Mais personne n’est obligé de se soumettre au magistère du haut duquel il distribue les bons et les mauvais points d’un humanisme révisé par l’Holocauste.
Parce que, sur les camps de la mort, j’ai aussi lu CHARLOTTE DELBO. Franchement, si j’avais un choix à faire, c’est devant le souvenir de cette femme admirable que je m’inclinerais, et devant les trois petits livres publiés aux éditions de Minuit sous le titre Auschwitz et après.
Quand on a refermé le dernier, même Si c’est un homme apparaît un peu « littéraire », c’est vous dire. Je ne peux lire cinq pages d’affilée sans être parcouru de secousses violentes. Il faut lire CHARLOTTE DELBO (1913-1985, collaboratrice de LOUIS JOUVET, avant et après la guerre), dont on fête le centenaire de la naissance.
Mais j’en reviens à ELIAS CANETTI, né dans une famille juive sépharade espagnole émigrée en Bulgarie. En fait, j’avais l’intention d’écrire la présente note en réaction à un passage de La Langue sauvée, lu ce matin et, comme d’habitude, je me suis laissé distraire en route.
ELIAS CANETTI EN 1919
La scène se passe à Zurich, en 1917. Les Français et les Allemands envoient en convalescence en Suisse des officiers plus ou moins gravement blessés, après les avoir échangés contre des prisonniers. Mme CANETTI et son fils marchent dans la rue, quand ils voient s’approcher un groupe d’officiers français, « dans leurs uniformes voyants ». Ils marchent lentement, calquant leur allure sur celle des plus lents. Beaucoup s’appuient sur des béquilles.
Soudain, un groupe d’officiers allemands, pareillement blessés et béquillants, avance à leur rencontre, tout le monde marche très lentement, se réglant sur les pas des moins valides. Le garçon s’affole et se demande ce qui va se passer. Il sait que la guerre fait rage, et que sa mère rejette passionnément jusqu’à l’idée que des hommes puissent s'entretuer pour des motifs incompréhensibles. Or, avec sa mère, il se trouve au milieu des deux groupes. Que va-t-il se passer ? Vont-ils en venir aux mains ?
Non, rien ne se passe, et l'adolescent reste stupéfait : « Ils n’étaient pas crispés de haine ou de colère comme je m’y attendais. Les hommes se regardaient tranquillement, amicalement, comme si de rien n’était ; certains se saluaient. Ils avançaient beaucoup plus lentement que les autres gens et le temps qu’ils mirent à se croiser me parut une éternité. L’un des Français se retourna, brandit sa béquille vers le ciel et s’écria : « Salut ! ». Un Allemand qui l’avait entendu l’imita ; il avait lui aussi une béquille qu’il remua au-dessus de sa tête, renvoyant à l’autre son salut en français ». Voilà. C’est tout. Cela aussi, c’est la guerre de 14.
Quand la scène se termine, le jeune ELIAS voit sa mère, face à la vitrine du magasin, qui tremble et qui pleure. Elle met du temps à se ressaisir, elle si soucieuse d'habitude de ne rien laisser paraître de ses états d’âme. C'est la seule occasion où le garçon verra sa mère verser des pleurs en public. La scène est racontée aux pages 198-199 du volume.
La grande hantise des chefs militaires des deux camps était de voir leurs hommes FRATERNISER avec l'ennemi. Tout simplement inacceptable. C’est la raison pour laquelle les unités stationnées par exemple au mont Linge (crêtes des Vosges) « tournaient » rapidement : comme les « ennemis » pouvaient quasiment se serrer la main, vu l’ahurissante proximité des deux tranchées, cigarettes et boîtes de conserves ne tardaient jamais à traverser la « ligne ». Très mauvais, dans un contexte belliqueux. Quand on a vu le visage d'un homme, quand on lui a serré la main, on n'a plus envie de lui tirer dessus.
LA FLEUR AU FUSIL
TROIS FRANÇAIS ONT FRATERNISÉ AVEC UN "BOCHE" : UN SCANDALE !
Je ne sais pas si l'excellent JACQUES TARDI (C’était la guerre des tranchées, Putain de guerre !, Varlot soldat, La Fleur au fusil, La Véritable histoire du soldat inconnu) connaît ce passage d’ELIAS CANETTI. Peut-être qu'il lui ferait plaisir autant qu'il m'a fait. J’imagine que ça ne calmerait pas sa rage, au moins égale à la mienne (voir mes notes dans la catégorie "monumorts"), devant l’indicible absurdité de la catastrophe qui a presque détruit l’Europe.
LA HONTE ! C'EST UN FRANÇAIS QUI PARLE !
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, alexandre vialatte, littérature, humour, guerre 1914-1918, grande guerre, première guerre mondiale, élias canetti, écrits autobiographiques, prix nobel littérature, prix nobel paix, élie wiesel, camps de la mort, camps d'extermination, extermination des juifs, juif, rescapé, nazisme, la nuit, si c'est un homme, primo levi, la trêve, holocauste, shoah, charlotte delbo, auschwitz et après, aucun de nous ne reviendra, deuxième guerre mondiale, la langue sauvée, france allemagne, fraternisation, jacques tardi, c'était la guerre des tranchées, putain de guerre, la fleur au fusil, soldat inconnu, patriotisme