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vendredi, 20 juillet 2012

LA FEMME EST-ELLE UNE MESSALINE ?

En 1902, ALFRED JARRY publie, comme je le disais il y a quelques jours, Le Surmâle (sous-titre « roman moderne »). L’année précédente, il a publié un autre roman « alimentaire » (lui qui est fauché comme les blés depuis qu’il a dilapidé l’héritage familial dans des « gestes artistiques » aussi splendides (la revue Perhindérion) que dispendieux). Ce « roman alimentaire », c’est Messaline.

 

 

Comme « alimentaire », nous pouvons assurer qu’il y a mieux. D’abord parce que l’époque (oui, déjà) est à la facilité, et que Messaline est, en termes éditoriaux, un « créneau porteur », à condition que l’écrivain « se mette à la portée de son public ». ALFRED JARRY n’est pas de cette engeance. On a son orgueil, que diable. Il va faire de l’alimentaire d’élite. Et l’alimentaire d’élite, ça ne nourrit pas tous les jours son homme.

 

 

Car JARRY passe beaucoup de temps à la bibliothèque (« Sainte Geneviève », si je me souviens bien). JARRY est un savant. Mais il se veut aussi poète, ce qui complique les choses. MESSALINE, la personne historique, est passée dans les manuels pour une débauchée, pour une salope et, disons-le carrément, une pute. Comment en faire un livre « qui se tienne », littérairement ?

 

 

La question se pose, car le thème est en général traité sur le mode pornographique, enfin, disons … « grand public ». ALFRED JARRY, il faut le savoir, et c’est un euphémisme de le dire, chie sur le « grand public ». C’est aussi net que ça. Personne n’a jusqu’à présent été en mesure de demander à sa mère de le refaire. Aussi injuste que soit cette vérité. Je devrais dire « ce fait ».

 

 

Il a donc composé une histoire sale sur le fond, éminemment esthétique dans la forme. C’est peut-être ce que les disciples de SIGMUND FREUD appellent « sublimation ». C’est comme le coq de basse-cour. Oui, vous savez, celui qui lance au lever du jour, les ergots dans le fumier, un « cocorico » triomphant (je signale qu’en allemand, le coq fait « kikeriki », en japonais, suivant les sources, « kukeleku », « kokekoko », « cicerici », et on pourrait continuer longtemps, les onomatopées, c’est encore de la convention linguistique, qu’on se le dise). Je reviens à Messaline.

 

 

La Messaline de l’histoire, il faut se la figurer très jeune : elle a vingt-trois ans (23) quand l’empereur Claude, son époux (celui des « Tables Claudiennes » des pentes de la Croix-Rousse, la « colline qui travaille », elles sont aujourd’hui au Musée Gallo-Romain, sur la « colline qui prie »), la fait assassiner.

 

 

L’existence de l’impératrice, enfin : de la femme de l’empereur, d’après la carte postale léguée par la tradition, est consacrée au sexe, au vice, aux perversions. Messaline ne sait plus où donner de la débauche, elle s’y perd, au point qu’elle a oublié un détail : si elle a le droit (oui, enfin, … quand je dis le droit …) d’avoir toute sorte d’amants, l’idée d’en épouser un, Caius Silius, est très mauvaise, elle est même si mauvaise que c’est un crime.

 

 

ALFRED JARRY, avant d’arriver à sa mort, part de quelques vers pas piqués des hannetons, des vers tirés, non pas du nez, mais des Satires du poète latin JUVENAL. Attention, c’est parti :

 

« Tamen ultima cellam Clausit,

adhuc ardens rigidae tentigine vulvae,

Et lassata viris nec dum satiata recessit. »

 

 

T’en fais pas, la traduction arrive, c’est du gratiné : « Cependant, elle clôt sa cellule la dernière, brûlant encore de la tension de sa vulve rigide, et fatiguée du mâle, mais non pas rassasiée ». Tu te dis qu’elle a passé toute la nuit à baiser, et c’est la vérité, mais de quelle « cellule » peut-elle bien sortir ?

 

 

Eh bien, la femme de l’empereur, comme n’importe quelle putain de base, est allée, la veille au soir, « faire le métier », soyons clair : faire la pute, et la cellule est celle d’un bordel du quartier de Suburre, mauvais quartier de la Rome antique. Toute la nuit, elle a reçu des hommes.

 

 

« C’était un soldat vêtu de cuir, et Messaline eut l’impression que s’épanchait en elle une outre en peau de bouc vivant. » « Et s’ils se fermèrent dans le plaisir, quand ses cuisses dures firent une ceinture au lutteur accroupi sur elle, plus éternels que les vrais yeux de la courtisane, les bouts dorés des seins veillèrent à leur tour de leur feu infatigable. » « Et il vint des hommes, des hommes et des hommes. »

 

 

Jarry écrit : « La dernière, après même sa suivante, elle ferma sa cellule, mais le désir la consumait encore » (voir la citation latine). La « suivante » en question est une prostituée professionnelle. Messaline aime la compétition, mais la professionnelle, dans la joute sexuelle, a été la plus forte : en vingt-quatre heures, elle a accueilli vingt-cinq mâles, un de plus que l’impératrice.

 

 

Le gris commentateur de bibliothèque est perplexe : « la tension de sa vulve rigide », mais ça ne veut rien dire, voyons ! Il ne sait plus : une vulve, enfin, d’après ce qu’on lui a raconté, c’est différent d’une verge. En gros, ça ne bande pas, quoi ! Seule la verge (enfin, c’est du ouï-dire) se dresse bien droite quand une femme appétissante passe dans le paysage. Même si, aujourd’hui, il y a des adjuvants pour les cas de laisser-aller (la citrine contenue dans la peau de la pastèque, qu’alliez-vous imaginer ?).

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

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