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samedi, 21 juillet 2012

MESSALINE ? POURQUOI PAS MESSALOPE ?

Résumé : le poète ALFRED JARRY décide de s’attaquer à MESSALINE, la femme prostituée de CLAUDE, l’empereur romain. Et le personnage pornographique, passé par des alchimies peu plausibles, devient un personnage tragique.

 

 

C’est bien tout l’intérêt du personnage. Et ce n’est pas pour rien qu’ALFRED JARRY, à Messaline, fait correspondre Le Surmâle : elle est, en quelque sorte, une « super-femelle ». Ce sont deux êtres d’exception, la preuve, c’est que les deux meurent à la fin. Messaline, elle, c’est, dans une sorte d’hallucination : elle s’introduit dans le corps le glaive de l’homme envoyé pour la tuer, glaive dans lequel elle voit le phallus tant aimé. Dans le corps, ça veut dire « dans le cœur ».

 

 

Quand le soldat commence à sortir la lame de son fourreau : « O comme tu as froid ! dit-elle. Ne touche pas tout de suite le cœur de Messaline, il y fait si doux que tu t’y brûlerais au sortir d’un tel froid ». Au grand dam de l’exécuteur.

 

 

« Nec dum satiata recessit » (elle se retira sans être rassasiée) est beaucoup plus simple, et perpétue cette vision masculine : le plaisir féminin est un puits sans fond, la jouissance féminine est potentiellement infinie, et la femme serait, quoi qu’il arrive, par nature, sexuellement insatisfaite, puisqu'il ne saurait y avoir de limite de temps et d'intensité à sa jouissance sexuelle.

 

 

C’est une tradition qui remonte au mythe de Tirésias, que tout le monde connaît, mais que je peux rappeler ici. Comme le dit  Calamity Jane, dans l’album éponyme de MORRIS et GOSCINNY : « Je vais te raconter l’histoire de ma vie, Lucky Luke, c’est un passe-temps que j’affectionne » (p. 5).

 

 

Tirésias est un jeune homme. Un jour, se promenant, il assiste à l’accouplement de deux serpents, et paf, comme de juste en pareil cas, il est illico transformé en femme, et il passe sept ans sous cette forme avant, pour l’exacte même raison, de redevenir un homme.

 

 

Cette histoire a transpiré jusqu’à l’Olympe où, une fois de plus, Zeus et Héra se chamaillent sur un point crucial : de l’homme ou de la femme, lequel éprouve le plus de plaisir dans l’amour ? Tirésias, qui a joué sur les deux tableaux, et mangé aux deux râteliers (sur ce mot, voir ci-dessous) répond : si l’on divisait le plaisir amoureux en dix parties, la femme en aurait neuf et l’homme une seule.

 

 

Shazam ! Héra, en un éclair, rend le pauvre homme aveugle, elle est furieuse, faut la comprendre, un important secret qu’elle avait tant de mal à garder secret ! Zeus, pour le remercier, lui accorde en revanche le don de double vue : tu verras, non pas double, mais l’invisible. Alors, le féminin a-t-il un potentiel de jouissance à ce point supérieur au masculin qu'il faille empêcher coûte que coûte ce secret de transpirer ?

 

 

Aux dernières nouvelles, on n'en sait pas plus. N'est-ce pas SIGMUND FREUD qui, parlant de la femme, utilisait l'expression "continent noir" ?

Après cette « minute culturelle », revenons : nous n’en avons pas fini avec Messaline. Car ALFRED JARRY, quelques années avant le livre, a eu affaire à LA VIEILLE DAME, épisode célèbre parmi les jarrystes, relaté dans L’Amour en Visites (chapitre III).

 

 

BERTHE DE COURRIERE de son vrai nom, elle a « fait une fin » comme compagne (il fallait dire « cousine ») de REMY DE GOURMONT, après avoir été modèle du sculpteur CLESINGER et l’égérie du Général BOULANGER. Je vous passe les épisodes de l’histoire. Alfred la rencontre dans des circonstances croquignolettes : cette vieille dame s’est mis dans l’idée de se farcir ce jeune homme de 22 ans, et lui envoie un drôle de texte intitulé « Tua res agitur » (les latinistes comprendront : tua res, c’est, mot à mot « ta chose », on devine à quoi elle pense). Après un rentre-dedans pas possible, il se rend chez la Vieille Dame, où elle s’efforce de le provoquer à l’acte.

 

 

Allez, quelques bribes de ce dialogue, dont aucune raison ne permet de penser qu’il n’est pas rigoureusement authentique : « Ah ! si les jeunes gens ne connaissaient que moi, ils s’épargneraient bien des occasions de dépenses et des risques de maladies honteuses ! Je calmerai vos excitations sans ces dangers abominables. – Je ne suis pas excité du tout. Vieux dromadaire ! »

 

 

Et puis : « Ah çà ! Me prenez-vous pour Madame Putiphar ? Si j’avais vraiment envie de ces choses, je pourrais descendre dans la rue, vers le boucher du coin. Mais je ne suis pas une Messaline. » Nous y voilà. « J’ai eu l’univers à mes pieds, en la personne du Général MITRON. Si j’avais voulu, il aurait été dictateur et moi reine de France ». Elle se fait entreprenante : « Elle frotte son menton hérissé sur les genoux de Lucien ».

 

 

Oui, le héros du livre s’appelle Lucien. Et puis le bouquet, j’espère que ça ne vous coupera pas l’appétit : « Voulez-vous que je dépose dans un verre d’eau mon râtelier, pour prolonger dans tout mon palais la douceur de mes lèvres ? ». Retenez bien cette formule extraordinaire. Le chapitre finit sur cette notation : « la Vieille Dame range divers ustensiles qu’on ne peut pas dire et qui n’ont pas servi ».

 

 

Après avoir rompu avec BERTHE DE COURRIERE, et en corollaire, avec REMY DE GOURMONT, ce qui est plus embêtant quand on a des livres à publier, ALFRED JARRY écrit un petit poème vengeur, où revient, à la fin de chaque strophe LA phrase : « Mais je ne suis pas une Messaline », et qui finit ainsi : « Envoi respectueux à Berthe de Courrière. – Vieux dromadaire, afin d’encourager / La Jeunesse à t’offrir sa javeline, / Sache allonger la phynance adjugée / A l’overrier, qui vient pour vidanger. / L’overrier n’est pas une Messaline ».

 

 

L’overrier, qu’on se le dise, a sa fierté. Si on l’embête, aujourd’hui, il fait appel au syndicat. Autres temps, autres mœurs.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Là, chères lectrices, chers lecteurs (voilà que je me mets à parler comme un homme politique ordinaire, attention les yeux), je pars me mettre au vert, dans un endroit qui ressemble à ça. Je retourne à la (bonne, évidemment) mine à mon retour. Disons que ça va faire des vacances à quelques personnes.

 

 

 

CATHEDRALE STRASBOURG.jpg

REGARDEZ BIEN, JE SUIS JUSTE SOUS LE GROS BOURDON

(EH OUI, J'AIME BIEN LES GROSSES CLOCHES)

 

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