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dimanche, 30 octobre 2011

L'ENFANT ÜBER ALLES (3)

EPISODE 3 : le « Monde » de l’ « Enfance »

 

 

Deuxième petite parenthèse (coruscante).

 

 

La grande HANNAH ARENDT dit, dans La Crise de la culture (chapitre V), que « l’enfance n’est qu’une phase transitoire ». Or, constate-t-elle, « ce qui précisément devrait préparer l’enfant au monde des adultes, l’habitude acquise peu à peu de travailler au lieu de jouer est supprimée au profit de l’autonomie du monde de l’enfance » (p. 236).

 

 

« L’autonomie du monde de l’enfance », ça veut dire qu’on fait de l’enfance un monde à part, qui a son existence propre, en dehors de la vie ordinaire, un peu comme une icône. En quelque sorte, on fait comme si l’enfant existait, non comme une future personne en construction, un être inachevé, comme une maison qui attend l’intervention du maçon et du plâtrier-peintre pour devenir habitable, mais comme un « en-soi » déjà abouti, immuable, distinct, définitif. HANNAH ARENDT dit même qu’on « tend à faire du monde de l’enfance un absolu ». Etant entendu qu’il s’agit de l’absolu du jeu.

 

 

Mais bande de malheureux, il n’y a pas de « monde de l’enfance » ! C’est l’invention d’adultes mal mûris, nostalgiques d’un temps qui ne leur paraît désirable que parce qu’ils l’ont oublié, comme ils ont oublié tout ce qu’ils vécurent alors  au quotidien. La frustration ou l’excès d’ « amour ». L’angoisse qui en découle. Le sentiment d’injustice, d’incompréhension. Le désir d’être « grand » tout de suite, pour avoir l’air aussi sûr de soi qu’ont l’air de l’être les « grands ».

 

 

Ou au contraire de ne pas grandir et de retourner là d’où on vient, quand on jouissait de l’évidence du bonheur sans savoir que c’était ça, le bonheur. Mais que même ça, et surtout ça, c’est une illusion et un mensonge, puisque après, ce n’est plus vrai, et que c’est fini à jamais.   

 

 

« Vivre son enfance », pour l’enfant, c’est le dernier de ses soucis. Il ne se préoccupe de rien d’autre que de vivre, de faire face, de jour en jour,  comme tout le monde, aux épreuves à son échelle qui l’attendent. L’enfant, il ne saurait pas qu’il est un enfant, si on ne le lui serinait pas. Il ne se vit pas comme tel, mais comme simple être vivant. « Enfant », pour lui, c’est un mot abstrait. Quasiment vide de sens.

 

 

C’est pour ça qu’il serait bon de gifler ou, au moins, de torturer à mort tous ceux qui, face à un bébé, à un enfant, se mettent à faire les niais, à bêtifier et faire des grimaces. Dans leur esprit, c’est ainsi qu’on « se met à la portée » : en devenant le singe et la caricature. Je pense à ces deux pages de GOTLIB, dans les Dingodossiers, où le tonton fait l’imbécile en train de fondre devant le berceau du poupon et dit : « Qu’il est mignon ! ». Le poupon en question se redresse, hilare, en pointant le pouce : « Qu’il est bête ! ».  

 

 

Fin de la parenthèse coruscante.

 

 

Cela donne lieu à des manifestations comiques. Je pense en particulier aux pages locales de la P. Q. R. (Presse Quotidienne Régionale), toujours très attentive à ce que les « grands » font pour les « petits ». Vous avez vu, ça se bouscule, c’est tous les jours, dans les pages locales. On les sensibilise à TOUT. AUCUNE des graves préoccupations  de l’âge adulte ne doit échapper à l’entreprise de sensibilisation. Parce qu’il se dit, l’adulte, dans sa candeur, que l’enfant ne le deviendra jamais assez tôt, adulte. Pourquoi, alors, lui épargnerait-on les questions graves ? 

 

 

Alors, pour « sensibiliser », comme ils disent, voilà de quoi on leur cause, aux petits : pollution,  tri des déchets (« sélectif » pour réviser la définition du pléonasme), souffrance animale, justice, tabagisme (et autres problèmes de santé publique), comment bien se nourrir (juste avant la faim dans le monde), gestion des affaires publiques (c’est le « conseil municipal des enfants », et il y eut même une opération « Sénat des enfants »), et j’en passe. Ici, on les fait courir en solidarité avec les enfants du Burkina Faso. Là, on leur fait « vendre-de-charité » des babioles contre le paludisme. Ça n’arrête pas.  

 

 

Vous trouvez que c'est des questions pour les enfants, vous ?

 

 

Le fin du fin ? « Monsieur le Maire, quelles actions envisagez-vous en direction des enfants pour les sensibiliser aux risques encourus au contact de pervers pédophiles ? » Ce n’était pas exactement formulé comme ça, mais il s’agissait quand même, dans cette information,  d’inciter les enfants (de primaire, il me semble) à la prudence face aux adultes dans le domaine sexuel. Je ne sais pas si vous « mordez le topo, les aminches » (San Antonio).  

 

 

On leur expliquait ce qu’ils risquaient si un adulte se montrait un peu trop « attentionné » envers eux. Vous avez vu la bombe que dissimule le joli mot de « pédophile ». C’est le mot à la mode. C’est parce qu’il est à la mode qu’il en impose, qu’il intimide, qu’il cloue le bec. En réalité, « pédophile », ça veut dire « qui aime les enfants ». Φιλία (philia), ça veut dire « affection », par exemple entre deux vieux époux. Quand il y a du sexe, on parle d’ερως (érôs), qui a donné « érotisme ». Que serait un instituteur qui ne serait pas « pédophile » ?

 

 

Pourquoi n’a-t-on pas gardé « pédéraste », mot qui s’applique exactement à l’adulte qui aime particulièrement les enfants pour ce qui est de ses jeux sexuels ? Ah, on me dit que son apocope (désolé, c’est comme ça qu’on dit), « pédé », est désormais une injure ? Mais à ce moment-là, il suffit que le code pénal criminalise non la « pédophilie » mais la « pédérastie ».

 

 

Ah, monsieur Grand Robert me dit dans mon oreillette que le mot désigne, « par ext. toute pratique homosexuelle masculine » ? Et celle-ci n’est plus punissable ? Dans ce cas, la seule question qui se pose est de savoir comment désigner un adulte qui aime vraiment les enfants. « Pédagogue » est déjà pris, mais surtout, il désigne celui qui « fait avancer » l’enfant. Non, vraiment, je ne vois décidément que « pédophile » pour qualifier le métier d’instituteur : « Qui fait preuve d’affection envers les enfants ».

 

 

Qu’est-ce que c’est, un adulte trop « attentionné », dans la réalité ? Et surtout qu’est-ce que ce sera dans la tête de l’enfant, après une telle « sensibilisation » ? Le parent qui embrasse son gamin sur la bouche, comme l’habitude semble s’en être maintenant généralisée ? L’adulte qui le prend familièrement sur les genoux ? Et qu’est-ce qu’elle fait, exactement et précisément, la mère, devant la table à langer, quand le lardon sort du bain tout propre et tout parfumé, qu’il lui prend l’envie de le croquer ? Franchement, va-t-il falloir mettre un flic derrière tous les parents pour guetter le moindre geste un peu trop « attentionné » ?  

 

 

Honnêtement, je me demande quelle image peut se former dans la tête de ces gamins  après une séance de « sensibilisation », et sous quel jour leur apparaîtra leur éducateur préféré. Si l’on voulait lui enseigner la peur de l’adulte (aux activités assimilées à une sorte de pourriture infecte), la méfiance généralisée et, en fin de compte, le refus pur et simple d’apprendre quoi que ce soit ; si on voulait le dégoûter de manifester la moindre ébauche d’envie d'apprendre, par peur de risquer gros dans ses parties les plus vulnérables et les plus intimes, on ne s’y prendrait pas autrement.

 

 

J’arrêterai là sur les « actions publiques en direction des enfants ». Ce que ne disent jamais leurs promoteurs, c’est que les dites actions leur servent exclusivement à se donner un peu de lustre, accessoirement à fabriquer des souvenirs pour les albums de famille, et à donner un peu de travail aux photographes de la presse régionale. Car si quelqu’un attend de ces actions une quelconque valeur éducative et formative, c’est que quelqu’un se fout du monde. Appelez ça « opérations de propagande », « événements publicitaires », « animations récréatives », tout ce que vous voudrez.

 

 

A la rigueur, cela pourrait avoir une valeur éducative s’il y avait ne serait-ce qu’un atome de continuité et de structure dans ces actions. Autrement dit, s’il s’agissait d’une matière d’enseignement. Là je veux bien. Mais un tel saupoudrage ! Autant en emporte le vent. De toute façon, rien ne rentre dans le crâne si ce n’est pas rabâché, c’est bien connu.

 

 

Finalement, les propos de HANNAH ARENDT cités au début apparaissent complètement paradoxaux : d’un côté, on fétichise l’enfance, on la met sur un piédestal, on la célèbre, on lui écrit une « Déclaration des droits de l’... » (texte ultra-juridique de l’ONU affiché dans toutes les salles de classe et aussi compréhensible que la défunte « Constitution Européenne »). Bref, on  idéalise l’enfance en tissant un cocon protecteur autour de son « espace enchanté ».

 

 

Et en même temps, on jure dur comme fer qu’on veut la préparer à devenir adulte et, ce faisant, on lui fait entrevoir l’âge adulte comme un monde difficile, voire impossible, angoissant, etc. Et je ne parle pas de ce que les enfants peuvent voir à la télévision ou sur internet. De toute évidence, la paroi censée isoler l’enfance est de plus en plus poreuse.

 

 

Et c’est le temps où, chez les adultes, on assiste à des séances de promotion de ceux qui ont « su garder une âme d’enfant », qui « laissent vivre en eux la part d’enfance » qui ne les a jamais quittés. Cette tendance est rendue visible, là encore, par des modes qu’il est difficile de critiquer sans passer pour un vieux con. J’assume bien entendu le risque, en me plaçant sous l’autorité et le haut patronage de saint ROLAND TOPOR, qui écrivit naguère Les Mémoires d’un vieux con.

 

 

Je ne peux m’empêcher de m’amuser au spectacle de toutes les roulettes sur lesquelles se juchent les vivants d’aujourd’hui pour se déplacer dans les villes, si possible sur les trottoirs, pour bien faire sentir au piéton que c’est lui, l’anomalie. Mais je pense aussi aux jeunes parents qui, ne pouvant se résoudre à délaisser le temps heureux et insouciant où ils étaient étudiants, traînent leur bébé et / ou leur mouflet au café, ce lieu éminemment éducatif, comme chacun sait. Encore plus net, je pense à l’empire exercé par le JEU sur la vie d’un nombre de plus en plus effrayant d’individus supposés « sortis de l’enfance ».

 

 

A suivre ...