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lundi, 01 juin 2015

QUAND LE SAGE MONTRE LA LUNE ...

... LAURENT JOFFRIN MONTRE SON ...

Je me demande finalement si je déteste autant que je le dis le nommé Laurent Mouchard, alias Joffrin : il publie une chronique des livres tous les samedis dans son journal (Libération). Chaque fois, il me donne l’occasion de me payer sa fiole, tant il multiplie les niaiseries découlant de son optimisme radical (attitude de rigueur dans la gauche molle, je veux dire la gauche morale) face au monde tel qu’il se présente de nos jours. Sur le plan des idées, Laurent Joffrin donne le plus souvent l'impression d'être heureux d'être comme la lune.

C’est à croire que Laurent Mouchard-alias-Joffrin adore se faire détester. Vous savez, cette histoire tortueuse du sadisme du masochiste. Ce qui est sûr, c’est que le monsieur est content d’être qui il est. En tout cas, il n’est habité pas aucun doute. C’est tout au moins la figure qu’il affiche. Je me garderai bien de sonder plus avant.

Ce que je préfère, dans cette affaire, c’est que ça ne l’empêche pas de proférer des âneries, quoique parfois de façon insidieuse. Ainsi peut-il énoncer, dans sa chronique du samedi 30 mai, la chose suivante (la phrase est complète) : « Dans une suite de chapitres limpides, avec une grande rigueur philosophique, le livre repousse progressivement le lecteur sceptique dans ses retranchements, jusqu’à l’enfermer dans une alternative simple : continuer comme avant et violer consciemment un principe moral démontré ou bien réformer, plus ou moins vite, son mode de vie ». En lisant une telle phrase, je me demande ce qui prend Daniel Schneidermann et Mathieu Lindon, tous deux journalistes dans le quotidien de Joffrin-Mouchard, quand ils tressent des couronnes au monsieur, chez Alain Finkielkraut, pour son attitude après le carnage du 7 janvier à Charlie Hebdo. 

Bon, à leur décharge, disons qu’ils commentaient l’attitude, non du journaliste, mais du patron de presse, pour saluer le courage qu’il fallait pour s’exposer en accueillant l’équipe décimée, en l’attente de ses nouveaux locaux. Soit. Reste que le journaliste montre assez studieusement et très régulièrement qu’il fait partie de la cohorte des thuriféraires extasiés d’un système dont les côtés haïssables montrent leur groin à tous les coins de rue. Philippe Muray appelait ce système « Empire du Bien ». Auquel adhère fiévreusement « la gauche de progrès et de gouvernement », comme elle a l’indécence de s’autocélébrer. Joffrin est en pole position, ou pas loin.

Quoi, il n’y a rien qui vous choque, dans la phrase que j’ai citée ? Qu’est-ce qu’il vous faut ? Vous pensez qu’on peut écrire sans que ce soit un mensonge : « … violer consciemment un principe moral démontré » ? D'abord, ça confirme l'appartenance du monsieur aux rangs de la gauche morale. Et l'insupportable de la chose.

Ensuite, vous devriez savoir, monsieur Joffrin, que la morale ne se démontre pas : vous avez déjà vu de la démonstration logique ou mathématique, en matière de morale, depuis que l’humanité a inventé la morale ? La morale est surtout affaire de consensus, d'adhésion unanime à une code organisant la vie commune. C’est à ce genre de tours de passe-passe sémantiques qu’on reconnaît les manipulateurs d’opinion : il fait semblant de considérer comme acquis le consensus. Au moment même où ce consensus est plus en miettes qu'il n'a jamais été.

De quoi s’agit-il, en l’occurrence ? D’une secte, comme l’affiche Joffrin dans son titre : « Une secte d’avenir ». Il commente le livre d’un certain Martin Gibert, Voir son Steak comme un animal mort, qui prend la défense des « Vegans ». Ce Gibert m'a tout l'air de donner dans la philosophie comme un navire donne de la bande. Cela veut dire qu’il a au moins l’ambition de donner l’impression de penser et de raisonner. C’est Joffrin qui le dit : « … avec une grande rigueur philosophique … ». Je veux bien. 

Les Vegans sont ces fanatiques, ces fondamentalistes qui s’abstiennent de faire appel, en quelque circonstance que ce soit, à tous les produits d’origine animale. On connaissait la différence entre végétariens (pas de viande) et végétaliens (ni viande, ni lait, ni œufs, …). Les Vegans dénoncent en plus les chaussures en cuir, les fourrures, évidemment la corrida et la chasse. J’imagine qu’ils détestent l’expérimentation animale en laboratoire. J’espère juste qu’aucun n’est prêt à tuer des humains pour imposer ses convictions. 

Tout ça part d’un sentiment louable : l’horreur légitime suscitée par la souffrance animale. Pas aussi insoutenable que la souffrance humaine, mais pas loin (j'ai lu L'Île du Docteur Moreau, de H. G. Wells, et puis je persiste à placer les valeurs sur une échelle). Mais face à ce déluge de bons sentiments qui voudrait bien culpabiliser tous les bouffeurs de viande, je ne peux m’empêcher de me tapoter aimablement le menton. Tout le monde connaît en effet l’histoire de l’imbécile qui regarde le doigt du sage quand celui-ci montre la lune. C’est le cas de Martin Gibert et, conséquemment, de Laurent Mouchard-alias-Joffrin. 

Ce qui est embêtant de la part d’un philosophe, surtout plein d’une « grande rigueur philosophique », c’est qu’il ne considère que l’effet de surface, et qu’il se garde bien de remonter aux causes profondes du sort misérable que l’époque réserve aux animaux de batterie. Il en reste à l’émotion ressentie au spectacle pitoyable du sort qui attend les bêtes à l’abattoir.

Il est tellement dégoûté qu'il appelle tout le monde à cesser de manger de la viande, autrement dit à changer de mode de vie, mais surtout sans remettre en question le système qui a produit la situation. C’est ce que j'appellerai « un apitoiement de téléspectateur ». L’auteur voudrait peut-être étendre au règne animal la grand-messe du téléthon. 

Car la chose à dénoncer ici, c’est avant tout la façon dont est organisée la production d’aliments à destination des humains. Ce qui est à dénoncer, c’est l’organisation industrielle de l’élevage et de l’agriculture, qui empoisonne impunément ce que nous mangeons. Ce qui est à dénoncer c'est la structure de l'économie qui découle d'une vision purement capitaliste du monde.

Vouloir transformer le monde en machine et le vivant en produit industriel (le plus rentable possible), voilà l'aspect hideux du monde contemporain, qu'il faudrait analyser et mettre en accusation. Ce dont se gardent bien Martin Gibert et son dévotieux commentateur. Ce que je reproche à ce monsieur Gibert, c'est de se laisser contaminer par la peste émotionnelle, et d'oublier le principal. Est-il sérieux, est-il cohérent de souffrir à ce point du sort fait aux animaux industriels et de ne pas haïr les gens et le système qui font tout pour l'aggraver ? 

Par exemple la dernière trouvaille en date des entrepreneurs avisés : la désormais célèbre "ferme des mille vaches". Les Allemands font d’ailleurs beaucoup plus fort depuis plus longtemps que les Français, éternels suiveurs et éternels « petits bras ». Accessoirement, ce qui serait à dénoncer, c’est aussi la réduction de l’étiquetage au rayon « Boucherie » des supermarchés à des appellations du genre « viande de catégorie 1 », pour déréaliser un peu plus l’origine cruelle de ce qui doit atterrir dans l’assiette. 

Martin Gibert, que je ne connais pas, n’est sans doute pas un imbécile, mais Laurent Mouchard-alias-Joffrin garde fièrement sur ses épaules sa belle tête-à-claque, et confirme dans sa chronique du 30 mai sa nature de flicaille de la gauche morale, pour tout ce qui concerne le registre sociétal.

Pour ce qui est de la façon dont va l’économie (ce que Marx appelait l'infrastructure), Laurent Mouchard-alias-Joffrin tient à nous rassurer en gardant un absolu silence sur la question : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Façon de dire (en latin s'il vous plaît) à l'industriel de l'agroalimentaire : « Ego te absolvo ». Allez en paix, mon fils : faites-nous de la bouffe de merde, mais, je vous en prie, montrez-vous un peu humain avec les animaux. 

Nos âmes (et nos estomacs) sont donc en de bonnes mains. 

Voilà ce que je dis, moi.