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samedi, 19 janvier 2013

ODE A ANDRE FRANQUIN

Pensée du jour : 

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MAHONGWE, GABON

« Les villes remontent à la plus haute antiquité. Il n'y a qu'à voir la rue Broca ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

 

DEMES V 3.jpgL’art de la bande dessinée ne consiste pas seulement à donner au lecteur l’impression d’être en face d’une réalité, mais d’y être transporté. Tout simplement : d’y être. L'impression de réel par l'expressivité du dessin. Un peu comme au cinéma (pas toujours, il faut bien dire). C’est d’ailleurs en cela qu’on peut dire que la bande dessinée est un art.

 

 

Regardez les BD japonaises, que dévorent au kilomètre les jeunesDEMES V 4.jpg générations. Mangas, on appelle ça. Je veux bien qu’on appelle ça des produits, mais pas plus. C’est fabriqué comme l’œuf dur destiné aux cantines scolaires : à la chaîne, vous savez, ces tubes où le jaune est introduit en continu dans un habitacle de blanc, pour être, au bout, découpé en tranches où jaune et blanc sont uniformément répartis sur les tranches. En continu. Avec une armée de gens spécialisés, chacun dans son secteur : les décors, les personnages, les trames de gris ou de couleurs, etc.

 

 

DEMES V 8.jpgD’accord, il y a un metteur en scène. Mais je comparerais ça à l’opposition traditionnelle littérature / cinéma. D’un côté la solitude du romancier. De l’autre, l’entreprise industrielle. En BD, c’est exactement pareil. A mes yeux, comme on dit au Japon : « Yapafoto »).

 

 

Personnellement, je suis resté fidèle à l’artisanat d’art et à quelques-unsDEMES V 10.jpg de ses éminents représentants. Au premier rang, je ne citerai que des « grands anciens » : GIR (alias GIRAUD, alias MOEBIUS), JACQUES TARDI, HERMANN, BILAL, pour ne parler que de ceux qui créent encore.

 

 

DEMES V 12.jpgPour JEAN GIRAUD, je sais que j’ai tort, puisqu’il est mort très récemment (10 mars 2012), mais sa dernière série (Monsieur Blueberry) mérite qu’on rende hommage à son art du flash-back, à sa virtuosité dans la superposition des trames narratives et à la profondeur qui caractérise les personnages secondaires (alors que le dernier épisode de la prometteuse trilogie Marshall Blueberry a été carrément bâclé : visiblement, il voulait s’en débarrasser). 

 

 

Et puis il y a FRANQUIN. J’avais un collègue qui portait aux nues lesDEMES V 15.jpg aventures de Chevalier Ardent, le guerrier de petite noblesse, amoureux de Gwendoline, la fille du grand roi Arthus qui le lui rendait bien, mais dont le papa avait pour elle d’autres ambitions matrimoniales que de la marier avec cet obscur nobliau.

 

 

DEMES V 22.jpgC’est sûr, il y a dans Chevalier Ardent de nobles sentiments, un "besoin de grandeur" (titre d’un ouvrage curieux de CHARLES-FERDINAND RAMUZ, où l’auteur explique les raisons de son enracinement définitif dans son canton de Vaud, en Suisse). Mais l’héroïsme a déserté depuis lurette la bande dessinée, comme il l’avait fait bien avant dans les  œuvres des romanciers.

 

 

Ce qui frappe, chez FRANQUIN, c’est donc la virtuosité bluffante deDEMES V 19.jpg son trait, qui lui permet de donner à tout ce qu’il dessine un effet magistral, une expressivité qu’on ne trouve nulle part ailleurs. La faculté inouïe de donner une vraie forme identifiable à l’idée qui lui vient, dans le moindre détail. Prenez Monsieur De Mesmaeker, dont le portrait écumant de rage (sauf en une occasion, où il signe un contrat, mais c’est avec Gaston) parsème cette note.

 

 

DEMES V 2.jpgLa marque du grand dessinateur, c’est, entre autres, sa capacité à camper un personnage immédiatement reconnaissable (silhouette, détail vestimentaire, forme de la tête, etc.). Et ce, quels que soient son geste, son attitude, sa position dans l’image. Pour qu’il reste sans cesse lui-même, il faut l’imaginer en trois dimensions, mais aussi en dessiner de multiples études. On pense au Lucky Luke de MORRIS.

 

 

Monsieur de Mesmaeker est de ceux-là. Mais aussi, évidemment,DEMES V 14.jpg Spirou (uniforme rouge du groom), Fantasio (tête ronde à huit cheveux absolument rebelles), Gaston (pull vert et silhouette incurvée en S), etc. Gaston est le plus grand ennemi de monsieur de Mesmaeker, l’empêcheur de signer en rond. Ce n’est pas qu’il lui veut du mal, bien au contraire.

 

 

DEMES V 7.jpgLe génie de FRANQUIN est aussi d’avoir défini des forces antagonistes, résolument irréconciliables, comme source inépuisable de situations  : Gaston et la vie de bureau, Gaston et l’ordre établi (Longtarin), Gaston et le monde des affaires, (...). Entre  Gaston et Moiselle Jeanne, ce n’est évidemment pas de l’antagonisme. J’ai même eu sous les yeux une planche où FRANQUIN se lâchait, et où le garçon et la secrétaire folle de lui passent enfin à l’acte « dans les positions les plus pornographiques » (BRASSENS, Trompettes de la renommée). Pas dans Spirou, bien sûr.

DEMES 2.jpg 

 

Bref, ce n’est que de la bande dessinée ! Mais dans le genre, ANDRÉ FRANQUIN, on peut dire qu’il a du génie.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

PS : pour les amateurs, je joins un extrait de pastiche de Gaston par l'excellent ROGER BRUNEL, où les contrats avec De Mesmaeker se trouvent perforés par l'ardeur déployée par notre héros pour Moiselle Jeanne.

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Ce n'est ni du français, ni du pataouète, mais s'il n'y a pas le sous-titrage, il y a au moins l'image. Ceci étant dit pour annoncer la note de demain. « Enfants voici les boeufs qui passent, cachez vos rouges tabliers ». Attention les yeux !