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vendredi, 09 décembre 2011

J'AI LU "DON QUICHOTTE", PARFAITEMENT !

Tout le monde connaît le nom de Don Quichotte. Qui a lu le livre de MIGUEL DE CERVANTES DE SAAVEDRA ? Tout le monde connaît les « moulins à vent », que le héros défie comme s’ils étaient des géants. Qui sait que l’épisode se situe tout à fait au début du livre, et qu’il n’en est absolument plus parlé ensuite ? Tout le monde a entendu parler de Sancho Pança. Qui sait que le grand reproche que lui adresse Don Quichotte, c’est de parler par proverbes ?

 

 

En fait, il y a deux livres : celui de 1605, et celui de 1615. Entre les deux, un épisode entièrement controuvé, écrit par un certain AVELLANEDA, natif de Tordesillas, qui essaie de se faire du gras sur le succès du livre de 1605. Celui de 1615 n’existe, apparemment, qu’à cause de l’épisode AVELLANEDA. Et j’ai eu l’impression que la seconde partie (de CERVANTES) ne parlait pas tout à fait du même bonhomme. Ou pas exactement de la même manière.

 

 

Oui, je ne vous ai pas dit, je viens de finir la lecture de L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche. Oui monsieur, « ce que j’ai fait, aucune bête au monde ne l’aurait fait » (GUILLAUMET, si je ne me trompe).  Dans la délicieuse traduction de JEAN CASSOU (Pléiade), qui fleure bon l’élégance et la subtilité de la langue classique (CESAR OUDIN et FRANÇOIS ROSSET, les premiers traducteurs). Il n’est jamais trop tard pour s’instruire, n’est-ce pas.

 

 

Mon pote ROLAND m’a dit, quand il a su ça : « Il y a des longueurs, non ? ». Bon, il faut être magnanime : quand on n’a pas lu ce livre célébrissime, une telle affirmation peut vous échapper. Ce qui est bien vrai, c’est que, une fois le livre refermé, je ressens du bonheur à ce que  j’y ai trouvé.

 

 

Pour dire les choses très rapidement, on trouve dans la première partie quelques aventures du héros à proprement parler, les plus connues et d’autres moins, mais aussi une sorte de roman picaresque (où il y a du voyou), mais aussi de longs dialogues entre Don Quichotte et Sancho Pança (c’est peut-être ça, les longueurs, mais c’est un sujet principal du livre), mais aussi, sur le versant descendant, un enchâssement de récits à la manière de ce qu’on trouve dans Gil Blas de Santillane et dans Manuscrit trouvé à Saragosse.

 

 

Le livre de LE SAGE, Gil Blas de Santillane, est pour moi d’une lecture fort ancienne, et j’avoue que j’en ai gardé fort peu de détails, sinon celui-ci, parmi quelques autres, qu’on dirait aujourd’hui de haute science psychologique : Gil Blas, le héros, est devenu le secrétaire d’un évêque fort renommé pour les sermons qu’il prononce du haut de la chaire de la cathédrale.

 

 

Et l’évêque, l’âge venant,  le prie instamment de lui dire franchement, dès qu’il sentira que son don d’orateur commencera à faiblir, qu’il est temps pour lui de s’arrêter. Ce jour vient, et Gil Blas ne manque pas de prévenir l’évêque, qui se met à tonitruer : « Comment, vaurien, sacripant, tu ne comprends rien, tu me dis ça le jour même où j’ai prononcé le plus beau sermon qui soit jamais sorti de ma bouche ! ». Sur ce, il le chasse ignominieusement. 

 

 

Il y a aussi le personnage du Docteur Sangrado, caricature, si c’est possible, du médecin chez MOLIÈRE, qui expédie ses malades au moyen de deux expédients et pas plus : la saignée et l’absorption d’eau chaude. Fort peu en réchappent, inutile de le dire. J’ai quand même gardé l’image d’un roman, non sur le milieu des gredins (picaros), mais sur l’ascension sociale d’un petit qui se hisse sur l’échelle.

 

 

Manuscrit trouvé à Saragosse, de JEAN POTOCKI, qui est aussi un fort  gros livre, a été écrit à la même époque, en français, s’il vous plaît, par ce seigneur polonais. Bien que ce ne soit pas du tout le même genre de littérature, j’ai gardé de ce livre un souvenir analogue à ce que j’avais ressenti à la lecture du Golem et de La Nuit de Walpurgis, de GUSTAV MEYRINCK, ou de Princesse Brambilla d’E. T. A. HOFFMANN.

 

 

L’impression unique, en refermant le livre, d’avoir un effort à faire pour reprendre contact avec la réalité. Une marche dans un tunnel, dans un état intermédiaire de vague narcose, en équilibre sur une arête entre la veille et le rêve. Impression que je n’ai nulle part ailleurs retrouvée. 

 

 

Je reviens à Don Quichotte. A côté de ce qui arrive au héros, on y trouve l’histoire de la belle Marcelle, la bergère qui est si cruelle avec la foule de ses soupirants, l’histoire de la folie de Cardénio, l’histoire du « curieux impertinent » et l’histoire du captif.

 

 

Le curieux impertinent s’appelle Anselme. Son histoire ressemble à un fabliau du moyen âge, mais qui finirait mal : Anselme et Lothaire sont amis plus qu’il n’est possible de le dire. Le premier épouse l’objet de son amour, la belle Camille, et passe les jours dans la béatitude conjugale face à la perfection et à la vertu de sa femme.

 

 

Jusqu’à ce qu’il lui prenne l’idée de mettre à l’épreuve cette perfection et cette vertu pour se convaincre qu’elles sont infrangibles. Il engage vivement son ami Lothaire à lui faire la cour, à chercher à la séduire pour obtenir ses faveurs. Et à lui tenir un compte scrupuleux de la conduite de Camille. Je laisse à découvrir ce qui arriva et les diverses péripéties de la nouvelle ainsi incluse dans le récit.

 

 

L’histoire du captif est le récit édifiant d’une belle Mauresque d’Alger, mais chrétienne d’âme, qui, en séduisant un beau prisonnier, parvient à s’échapper de la maison de son père et à gagner l’Espagne catholique.

 

 

Cardénio, j’en ai entendu parler sur les ondes de France Cul (ture-ture), par ROGER CHARTIER, si je me souviens bien, qui faisait un cours au Collège de France au sujet d’une « pièce perdue de Shakespeare » intitulée Cardénio, développant à ce propos une érudition absolument ébouriffante et, finalement, assez vaine.

 

 

Il y a dans cette histoire un entrecroisement d’histoires d’amour à  rebondissements multiples, à commencer par celui du ventre d’une des héroïnes qui, ayant cédé à un soupirant sur une promesse de mariage, se voit plongée dans la honte quand celui-ci enfreint la parole donnée. Grand dégoûtant, va ! Mais on verra qu’il ne l’emportera pas en paradis.  

 

 

Quant à Cardénio lui-même, c’est le héros de l’histoire de deux jeunes saisis par l’amour, mais où le père de la promise, cédant aux instances d’un fils de grand seigneur qui se croit tout permis, celui-là même qui a engrossé la jeune fille ci-dessus, où le père, donc, donne sa fille en mariage par pur intérêt, ce qui plonge l’amoureux dans la folie, et amènera la rencontre avec Don Quichotte dans la Sierra Morena. Tout finira bien. Ça fera deux mariages d’amour en perspective.

 

 

Les aventures de Don Quichotte, maintenant ? Elles sont ce qu’on en sait, plus ou moins. Pas la peine de revenir sur les moulins à vent. C’est même la première aventure, vite liquidée. On sait qu’il se fait armer « chevalier » par un tavernier véreux. Qu’il conquiert son « casque » aux dépens d’un barbier, dont le plat à barbe, en cuivre, est aussitôt élevé à la dignité d’ « armet de Mambrin ». C’est bien si on sait ce qu’est un « armet ». Qu’il se bat contre un Biscaïen. Qu’il passe une nuit terrifiante à proximité de ce qui se révèlera au matin, pour sa plus grande honte, être un moulin à foulon. Mais je ne vais pas résumer Don Quichotte. C’est déjà ennuyeux, non ?

 

 

On sait que Don Quichotte (Alonso Quixano pour l’état-civil) est un homme bon, cultivé, mais qui a la tête farcie d’histoires moyenâgeuses, de romans de chevalerie bourrés d’actions merveilleuses, de prouesses inégalées et d’épées qui tranchent des montagnes. Bien longtemps avant les jeux vidéos qu’on accuse souvent d’entraîner, dans l’esprit de ceux qui s’y livrent, une grave confusion entre le fictif et le réel, voilà donc un livre qui décrit la folie d’un homme qui croit à la réalité concrète de ses rêves.  

 

 

Mais sa folie est précisément de proclamer haut et fort à la face du monde qu’il n’est rien de plus noble que d’embrasser la profession de la chevalerie errante. Et Don Quichotte est capable de se mettre en grande colère quand ses interlocuteurs le mettent en doute. D’où un certain … « décalage » avec les gens ordinaires.

 

 

Il ne joue pas un rôle : il est vraiment lui-même, et à fond. Don Quichotte, dans le livre, est le seul personnage, avec Sancho Pança, qui ne mente jamais, et qui n’agisse jamais poussé par la haine, le mépris ou je ne sais quel sentiment mauvais. C’est authentiquement un héros au cœur pur. Et il « y va ».

 

 

Dans cette première partie, il est directement confronté à la réalité des coups de bâton, du mépris concret, des cailloux que les galériens qu’il vient de délivrer lui jettent, quand il leur ordonne d’aller en son nom manifester leurs respects à la dame Dulcinée du Toboso. Faut-il vivre dans un monde de chimères pour émettre de telles prétentions, je vous le demande ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Suite et fin demain.