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jeudi, 19 mai 2016

BRASSENS ET MUSSET

À MON FRÈRE REVENANT D'ITALIE

Cette chanson ne figure pas sur les 33 tours publiés par Georges Brassens. Je ne l'ai découverte que tardivement, quand j'eus acquis, progrès technique aidant, les objets supportant les reports numériques des œuvres presque complètes de Tonton Georges : les disques compacts.

Je suis comme la France en matière de progrès sociétaux, je veux dire "en retard". Vous savez, ces farces qu'on veut à tout prix vous vendre pour le fin du fin du dernier cri. Tout juste sorti des urnes sondagières, vous savez, ces machins qui vous convainquent que vous votez pour un guignol à 50,01 %, alors que l'autre moitié de vous-même vote pour le concurrent à 49,99 %. Ensuite, c'est aux deux moitiés de se réconcilier.

D7 MOURIR POUR DES IDEES.jpg

Il semble que la chanson en question, non seulement est inconnue du grand public, mais reste un brin méconnue jusque dans les rangs des georgeomanes connaisseurs et autres brassensophiles diplômés. Quelle stupéfaction, quand j'avais entendu ce bijou, bien tardivement, au moment où j'avais remplacé mes vieux vinyles par des supports plus "modernes". On la trouve à la presque fin du CD "Mourir pour des idées" (avec la photo du chat au strabisme convergent carabiné). Dommage qu'une chanson-boutade vienne après ("Le roi boiteux", sur un poème de Gustave Nadaud), et rompe le charme. Enfin bon. 


 

Cette chanson magnifique (4'54 sur écran noir, moins de 5000 vues depuis août 2012, où elle fut installée, je n'ai rien trouvé d'autre) met en musique quelques strophes d'un magnifique poème d'Alfred de Musset : « A mon frère revenant d'Italie ». Du poème, Brassens ne retient que dix strophes sur trente-deux. Le goût poétique de Georges Brassens, inné et amoureusement cultivé, fait qu'il a indéniablement choisi les plus belles stances. Le poème s'en trouve miraculeusement allégé de ses impedimenta. 

Ainsi, mon cher, tu t'en reviens 
Du pays dont je me souviens, 
Comme d'un rêve, 

De ces beaux lieux où l'oranger 
Naquit pour nous dédommager 
Du péché d'Eve.

Tu l'as vu, ce fantôme altier
Qui jadis eut le monde entier
Sous son empire.
César dans sa pourpre est tombé ;
Dans un petit manteau d'abbé
Sa veuve expire.

Tu t'es bercé sur ce flot pur
Où Naples enchâsse dans l'azur
Sa mosaïque,
Oreiller des lazzaroni
Où sont nés le macaroni
Et la musique.

Qu'il soit rusé, simple ou moqueur,
N'est-ce pas qu'il nous laisse au cœur
Un charme étrange,
Ce peuple ami de la gaieté
Qui donnerait gloire et beauté
Pour une orange ?

Ischia ! c'est là qu'on a des yeux,
C'est là qu'un corsage amoureux
Serre la hanche.
Sur un bas rouge bien tiré
Brille, sous le jupon doré,
La mule blanche.

Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vu
Tes jeunes filles que pied nu
Dans la poussière.
On les endimanche à prix d'or ;
Mais ton pur soleil brille encor
Sur leur misère.

Quoi qu'il en soit, il est certain
Que l'on ne parle pas latin
Dans les Abruzzes,
Et que jamais un postillon
N'y sera l'enfant d'Apollon
Ni des neuf Muses.

Toits superbes ! froids monuments !
Linceul d'or sur des ossements !
Ci-gît Venise.
Là mon pauvre cœur est resté.
S'il doit m'en être rapporté,
Dieu le conduise !

Mais de quoi vais-je ici parler ?
Que ferait l'homme désolé,
Quand toi, cher frère,
Ces lieux où j'ai failli mourir,
Tu t'en viens de les parcourir
Pour te distraire?

Frère, ne t'en va plus si loin.
D'un peu d'aide j'ai grand besoin,
Quoi qu'il m'advienne.
Je ne sais où va mon chemin,
Mais je marche mieux quand ta main
Serre la mienne.

Les gens informés savent ce que Musset a subi d'avanies physiques et sentimentales en Italie, du temps des orages que connurent ses relations avec George Sand (« Ces lieux où j'ai failli mourir, Tu t'en viens de les parcourir Pour te distraire »). Paul de Musset a parcouru l'Italie de long en large et de haut en bas. Alfred et lui passent l'hiver 1843-1844 à échanger leurs souvenirs au cours de longues conversations. Au printemps, il compose "A mon frère revenant d'Italie".

Georges Brassens a élagué le poème de tous les clichés, chromos et autres stéréotypes devenus nos cartes postales, pour ne garder que les évanescences splendides d'une Italie de rêve, au service de laquelle se met la guitare de Joël Favreau, dont la seule introduction de la chanson constitue un petit miracle mélodique.

Il a eu raison d'évacuer tout le superfétatoire.

Voilà ce que je dis, moi.

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