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vendredi, 05 août 2011

JAZZ : JAMAIS SANS MA DROGUE

Connaissez-vous MILTON MEZZROW, dit « MEZZ » MEZZROW, (ou « MEZZ » the prezz, pour « président ») ? Il a écrit La Rage de vivre, mauvaise traduction de Really the blues, qui est en fait un livre d’entretiens avec BERNARD WOLFE. Quand j’ai lu ce bouquin, pris au hasard sur un présentoir de la gare de Perrache, au début d’un été passé en Allemagne il y a bien longtemps, j’en suis resté marqué. « MEZZ » MEZZROW fut un clarinettiste de jazz américain, un blanc, à l’époque (il est né en 1899) où le jazz était une affaire presque exclusivement noire.

 

 

MEZZ MEZZROW fut, disons-le, un petit musicien de jazz. Sa clarinette a un son un peu étriqué, rien à voir avec JOHNNY DODDS, par exemple. Il a laissé quelques compositions agréables, dont "Really the blues". Je me souviens d'un bon morceau, construit dans les règles de l'art. Cela s'appelait "Swinging with Mezz". PANASSIÉ s'appuya sur lui pour lancer le New Orleans Revival dans les années 1940.

 

 

Si je suis devenu un vrai fondu de jazz, ne cherchez pas ailleurs que dans La Rage de vivre. L’auteur vous fait vivre dans tous les lieux de Chicago, puis de New York, où se faisait la musique, vous fait rencontrer tous les musiciens qui comptent, de BIX BEIDERBECKE à LOUIS ARMSTRONG (« Vache bagarre, Mezzie ! », ça, c’est après le dramatique contre-ut, à la fin de « Them there eyes »), en passant par JIMMY NOONE (qui jouait à l’Apex club) et l’impératrice du blues, BESSIE SMITH.

 

 

Il fut un temps lointain où je connaissais par cœur la composition de tel orchestre, où il me suffisait de trois secondes pour reconnaître TOMMY LADNIER ou SIDNEY DE PARIS. Bref, un vrai connaisseur. Cela a changé. C’est en passant devant un magasin de jouet que MEZZROW comprend ce qui sépare hermétiquement le jazz de la musique classique : il observe dans la vitrine un automate représentant un orchestre classique. Tous les musiciens bougent en cadence, sous la direction d’un petit personnage qui tient une baguette. Il y a là  quelque chose de militaire. C’est raide, c’est compassé. Rien à voir donc.

 

 

Pour dire combien le jazz forme une autre planète, il raconte l’arrivée de LOUIS ARMSTRONG dans l’orchestre de KING OLIVER, dans les années 1920. Avant d’attaquer le premier morceau, il demande au chef : « C’est dans quelle tonalité ? ». Réponse du vieux : « Tu écoutes et tu te débrouilles ! ». ARMSTRONG, c’est déjà une autre époque : la musique est quelque chose qui s’écrit. Les anciens jouaient A L’OREILLE. Pas besoin de solfège. Pas besoin de fixer la ligne du contre-chant. Le vrai jazz, c’est celui où les musiciens s’écoutent mutuellement, discutent les uns avec les autres, en musique, s’apostrophent, se répondent, se provoquent. Un bon musicien, ici, c’est celui qui est doué pour donner la réplique.

 

 

Je me souviens d’un concert donné il y a des années dans la salle de l’Opéra. Quelle idée bizarre d’ailleurs, d’autant que la salle avait été remplie, pour une bonne partie, par les invitations d’une banque à ses bons clients : ce n’est pas fait pour former un public de connaisseurs. Or, pour qu’un concert de jazz soit bon, le public de connaisseurs est absolument indispensable. Parce qu’il sait apprécier la moindre trouvaille, la moindre saillie, et que ses réactions incitent (ou non) les musiciens à insister dans les interactions.

 

 

Au programme, en première partie, DANIEL HUMAIR, dont la batterie écrasait le piano de RENÉ URTREGER et la contrebasse, je crois, de PIERRE MICHELOT. Mais moi, j’étais venu pour quelqu’un d’autre : MARTIAL SOLAL en personne, qui jouait en duo avec, il me semble, JOHNNY GRIFFIN. Et ce duo fut un vrai régal. Pas la peine de redire que SOLAL est un immense virtuose du piano. Et GRIFFIN est un cador du saxophone.

 

 

Mais ce qu’il faut retenir, c’est la malice du pianiste dans ses introductions, qui amenait souvent sur le visage du saxophoniste un rien de perplexité, parfois un rien d’angoisse. Visiblement, MARTIAL SOLAL s’amusait, il jouait avec les nerfs de son partenaire en changeant plusieurs fois de tonalité avant d’en venir au thème qui servait de base au morceau. Après chaque, il venait au micro pour récapituler la liste des titres qu’il avait cités en cours de route.

 

 

Parce qu’il faut dire que si, à la base, il part sur « I can’t give you anything but love », il est en mesure de faire apparaître successivement six ou sept autres thèmes, mais comme des sortes de fantômes. Inutile de dire que cette subtilité exige en face des oreilles habituées. Inutile de dire qu’elle passait, par rapport au public de ce soir-là, dans une stratosphère inaccessible. Plaisir d’initié, quoi !

 

 

Le problème du jazz, c'est qu'il a une histoire. Je ne vais pas la refaire. HUGUES PANASSIÉ, qui fonda la revue Jazz Hot, ne voulait pas démordre de la Nouvelle Orléans, incluant à la rigueur le style Chicago. THELONIOUS MONK, un génie musical du 20ème siècle, toutes musiques confondues, lui paraissait une monstruosité. Et je ne parle évidemment pas du Free Jazz.

 

 

Aujourd'hui, on est, comme pour tout le reste, sortis de l'histoire. Le jazz s'apprend dans les écoles de jazz, voire dans les conservatoires. Fini, l'aventure. C'est devenu un métier, si ce n'est même, comme pour tout le reste, un hypermarché, où chacun peut assembler à sa convenance les produits qu'il trouve tout prêts sur les rayons. Il y en a pour tous les goûts, on peut choisir son enclos, on peut même manger son herbe dans plusieurs enclos, à condition que ce soit successivement. Et même ça, ce n'est plus vrai.

 

 

Car on a même effacé les frontières, comme l'exige impérieusement notre époque de "métissage culturel" et de "créolisation du monde" : MICHEL PORTAL est capable de passer du concerto pour clarinette de MOZART à un groupe de jazz où il tient, par exemple, la clarinette basse. Et le célèbre KEITH JARRETT est capable d'enregistrer Le Clavier bien tempéré de JEAN-SEBASTIEN BACH, puis de produire une petite merveille de jazz comme Poinciana (dans l'album Whisper not), avec ses vieux complices GARY PEACOCK et JACK DE JOHNETTE. Et je vous parle des meilleurs. A qui se fier, désormais, mon pauvre monsieur ?

 

 

 

 

 

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