samedi, 23 février 2013
NATACHA KUDRITSKAYA JOUE RAMEAU
JEAN-PHILIPPE RAMEAU, Gavotte et 6 doubles.
La radio a diffusé à plusieurs reprises, en quelques jours, la même Gavottede Rameau. Pas une obsession, mais presque. On se demande si quelqu’un supervise les programmes à France Musique. Mais cette répétition a suffi à faire tourner l’air en boucle dans ma tête, jour et nuit, comme si c’était une vulgaire rengaine, genre lambada, chansonnette au succès aussi massif qu’éphémère, sur laquelle tous les vautours publicitaires se sont jetés à l’époque, et que tout le monde a oubliée aujourd’hui.
La gavotte de Rameau a ceci de commun avec la lambada que sa mélodie de base est simple (encore que ...). La parenté s’arrête là, qu'on se rassure : c'est après que les choses se compliquent. La simplicité mélodique est une des conditions requises quand on veut composer des variations. Ce qu’il y a de fascinant dans la variation sur un air, c’est l’art avec lequel le compositeur modifie sans cesse le déguisement de son personnage principal, mais en faisant en sorte qu’on le reconnaisse à chaque nouvelle apparition.
Du moins en principe. Essayez donc de reconnaître l’Aria initiale dans chacune des trente verschiedenen Veränderungen, du grand Jean-Sébastien Bach (autrement dit les Goldberg). Mais la difficulté tient ici à la longueur et à la complexité de cette Aria : deux fois seize mesures, et au nombre important de variations. Même chose pour les trente-trois Diabelli de Beethoven : il faut s’appuyer sur une bonne analyse de la partition pour retrouver le thème enfoui par le compositeur dans le fouillis de ses procédés. Et pourtant on y arrive, en insistant un peu.
Mais Goldberg et Diabelli sont des monstres écrasants, des Everest quasiment inhumains. Rameau, avec sa Gavotte variée, reste à hauteur d’homme. Sept ou huit minutes (selon les interprètes) lui suffisent pour exposer son thème et le faire suivre de ses six « doubles ». En gros, une minute par séquence. Le thème, qui doit être joué sur un « tempo modéré », est donc une mélodie simple et chantante, facile à mémoriser. Dans les variations, il passe alternativement de la main gauche à la droite, pendant que l’autre main brode ses déguisements savants et diversement colorés.
J’arrête là mes velléités d’analyse musicale. J’ai découvert la Gavotte de Rameau sous les doigts d’Olivier Beaumont. Je viens de l’entendre sous ceux de Natacha Kudritskaya (son disque "Rameau" vient de paraître). Je suis allé écouter Blandine Rannou, Shura Cherkassky et quelques autres sur Youtube. Mon copain Fred m’a dit grand bien de la version de Marcelle Meyer. Mais je ne vais pas rejouer la « Tribune des critiques de disques » du regretté Armand Panigel.
Je comparerai juste les deux premières versions citées : je dirai que Beaumont, au clavecin, joue la carte de la solennité et de la noblesse, et que jusqu’à maintenant, c’est de cette façon que je voyais et aimais la pièce. Le problème du clavecin, c’est que les modernes moyens techniques d’enregistrement permettent de faire croire à l’auditeur que l’instrument possède la puissance d’un grand orgue.
Quand vous l’entendez au concert, s'il n'est pas amplifié, la salle doit être impérativement la plus petite possible : vous ne l’entendriez pas, comme je l'ai découvert il y a fort longtemps, au musée des Tissus lors d'un concert de Blandine Verlet, qui jouait sur le luxueux clavecin Donzelague. C’est un instrument de chambre. Pour le faire sonner comme on l'entend au disque, l'ingénieur du son ou directeur artistique doit, à mon avis, placer ses micros dans le clavecin. Il faut donc relativiser les impressions produites par le disque.
C’est la raison pour laquelle j’ai été saisi par l’interprétation de Natacha Kudritskaya au piano : contrairement à ce qu’on peut craindre, à cause du piano, elle joue cette Gavotte tout en grâce, sans jamais appuyer, comme si elle effleurait les touches. Du coup, la pièce devient lumineuse et d’une légèreté de papillon coloré. C’est cette évidence aérienne qui m’a fait suspendre toute activité durant les sept ou huit minutes de l’exécution. A la fin, j'ai dit merci.
Voilà ce que je dis, moi.