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samedi, 05 janvier 2019

GILET JAUNE : QU'EST-CE QUE C'EST ?

ACTUALITÉ

Non, les gilets jaunes ne sont pas un "mouvement", comme se complaisent à le répéter les commentateurs routiniers. Si c'était un mouvement, il y aurait une espèce d'organisation, un semblant d'organigramme, une forme de hiérarchie. Les journalistes, les commentateurs, le gouvernement attendent de pouvoir discuter avec des délégués du "mouvement", des représentants représentatifs, de pouvoir les interviewer pour qu'ils expliquent leurs "revendications". Les commentateurs, avec les "gilets jaunes", sont devant un fait brut qu'aucune de leurs savantes grilles de lecture ne leur permet de comprendre.

Non, il n'y a pas de revendications, il n'y a pas de représentants, il n'y a pas de porte-parole. Tout simplement parce que, quand il y a un déluge de parole, il n'y a pas de parole. Il ne peut y avoir de "délégués", de "représentants", de "porte-parole" que des "auto-proclamés". On le constate quand on écoute ce qui se dit ici et là. Ici, on veut un "RIC" (référendum d'initiative citoyenne"), là, on veut le renversement du gouvernement, ailleurs, on peste contre les migrants, etc. Tout ça n'a aucun sens.

Tenez, j'étais ce matin rue de la "Ré" (c'est à Lyon), et j'ai vu passer la "manif" : une voiture "Police" devant, deux fourgons "Police" derrière, entre les deux une cinquantaine de "manifestants" précédés par le porteur d'un drapeau français de toute petite taille, lui-même précédé d'une dame un peu exaltée portant une petit drapeau breton. Le gars qui tenait le mégaphone s'égosillait. En particulier, je l'ai entendu vociférer : « Monsieur Macron est un dictateur » (texto). Ma foi, quand on en est là, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle, en espérant que celui qui tient le pinceau aura la force de s'y accrocher. [Ajouté dimanche soir : bon, il semblerait que la vraie manif "gilet jaune" a eu lieu l'après-midi, 1300 personnes : dont acte.]

Aborder le phénomène "gilet jaune" sous l'angle classique (j'allais dire "routinier") du "mouvement social" est le signe, selon moi, que l'on refuse de comprendre ce qui se passe. J'entendais hier soir Brice Couturier (vous savez, ce type de France Culture qui dégaine tous les jours ses "penseurs" et ses "think tanks" dans son "Tour du monde des idées"), asséner comme une vérité péremptoire sa thèse risible du "complot rouge-brun". C'est farcesque.

Que des fachos s'efforcent de récupérer à leur profit la négativité exprimée par les gilets jaunes, rien de plus évident. De l'autre côté, Mélanchon, "fasciné" par un pseudo-meneur jouant les martyrs, déploie la même énergie. Pour un complot rouge-brun, je le trouve un peu mou du croupion. Mais j'attends quand même de voir le score que fera le "rassemblement" national aux élections européennes.

Je vais vous dire comment je vois la chose : pour moi, le phénomène "gilet jaune" est le fait d'une "collection d'individus" (vous savez, l'expression de Thatcher, qui disait ainsi ignorer ce qu'est une "société"). Cette expression n'a pour moi rien de désobligeant : elle s'efforce de traduire une réalité sociale, où l'individu se rassemble avec d'autres individus qu'il ne connaît pas, et pour des raisons extrêmement variées. Le gilet jaune cristallise un sentiment intime à chacun, où il serait infiniment vain de chercher un "principe unificateur".

Une collection d'individus, ça dit bien ce que ça veut dire : ça n'a pas de forme, ça n'a qu'un contenu évanescent, virtuel, sans consistance. Une collection d'individus qui, faute de pouvoir analyser clairement et exactement leur propre situation, attribuent à leurs difficultés les origines les plus diverses, les plus fantaisistes, voire les plus injustes et les plus niaises. Il s'agit, je crois, d'une collection d'individus qui forment la base modeste de la société, individus dont le seul message unanime est :

« JE N'EN PEUX PLUS ».

Le gilet jaune est à l'origine la réaction de gens tout à fait ordinaires à une situation de plus en plus intenable, à l'évolution de plus en plus invivable d'un système dont ils subissent les conséquences. Quand on a de plus en plus de mal à finir le mois, on est face à une nécessité. C'est-à-dire qu'on est face à un mur : le mur des conditions matérielles d'existence, qui deviennent de plus en plus difficiles, sous l'impact d'un système aux fragrances totalitaires, qui voit dans la destruction du bien public (du bien commun, de tout ce qui fait précisément "société"), la seule solution pour "fluidifier" les échanges économiques. 

S'il y a autant d'abstentionnistes aux élections aujourd'hui, c'est que la base modeste de la société souffre de plus en plus des effets de l'ultralibéralisme. Si le gilet jaune est le signe de quelque chose, c'est le signe que la base modeste de la société souffre de plus en plus des effets de l'ultralibéralisme. Le pouvoir en place est pris au dépourvu. Il demande au gilet jaune : « Que voulez-vous ? », et le gilet jaune répond – quoique de façon parfois bien confuse : « Que vous cessiez de me rendre la vie difficile et compliquée ».

Le gestionnaire-comptable de l'Etat ne comprend pas cette réponse. Et pourtant c'est à cause de lui qu'on a évacué du paysage tout ce qui ressemble à un "service public" (hôpitaux, maternités, bureaux de poste, tribunaux, ....). Et c'est ainsi qu'on affaiblit l'Etat, que l'on promeut les ruineux PPP (partenariats public-privé), et que Lyon délègue à Vivendi la gestion de l'eau et à Suez le ramassage des ordures (délégations de services publics). 

Voilà ce que dit le gilet jaune : je n'en peux plus du système qui me rend la vie de plus en plus compliquée, de plus en plus étroite et serrée. Je n'en peux plus de l'élimination du paysage de tout ce qui éloigne et épuise le collectif, pour transférer le tout entre les griffes des rapaces. Je n'en peux plus de la montée des injustices.

On n'en peut plus de la Grande Privatisation de Tout. On n'en peut plus de la grande marchandisation de tout. On n'en peut plus de la grande rentabilisation de tout. 

Voilà ce que je dis, moi.