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jeudi, 08 mars 2012

PÊLE-MÊLE D'UN CARNET DE LECTURE (9)

L’Avenue, de PAUL GADENNE (1907-1956)

 

Livre acheté par hasard. Excellente surprise. Une longue et lente méditation sur le temps, l'art, soi. Des faiblesses de style au début (disons des "stridences", comme celles qui font mal aux oreilles). Mais des formules sublimes (j'ai la flemme de les rechercher maintenant). Le personnage, Antoine, est sculpteur. C'est un livre d'architecte, d'organisation de l'espace, sur le sens de la vie comme construction d'un espace.

 

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Sans doute quelques clés sur l'époque (Pétain ? Le juif ?). Mais une occultation du réel historique, qui ouvre sur la généralité. Une ville (Gabarrus), une maison avec son atelier, une avenue, une Construction, qui est parfois une Résidence, peut-être un chantier de démolition, peut-être des ruines.

 

 

On ne sait pas qui construit, ce qui est construit, détruit (le construit et le détruit ne sont-ils pas interchangeables ?). On ne sait pas si Antoine achèvera sa sculpture "Eve" qui doit être son chef d’œuvre, où il aura mis tout le sens de sa vie.

 

 

Impossibilité de saisir le sens de sa propre vie, et à plus forte raison le sens de la société (les dogmatiques autour de l'Instituteur). Tromperie de tous les projets nettement formulés. Pour le créateur, impossibilité de faire passer l'idéal dans le réel. On ne sait rien des distances, de la disposition des éléments de l'espace les uns par rapport aux autres. Qu'est-ce qui est une ruine ? Un bâtiment achevé ? Pourtant l'idéal existe. Que peut-on savoir de soi et du monde ?

 

 

Un livre de l'errance personnelle dans un réel qui échappe, des êtres qui, d'un coup révèlent leur profondeur (discours de l'agent d'assurances, lettres posthumes d'Irma) dans des passages d'une grande beauté poétique. Formidable.

 

 

Livret de famille, de PATRICK MODIANO

 

Passionnant. Par la virtuosité de l'auteur et la composition du livre. Par la façon dont parfois, il suffit à l'auteur de créer, derrière un instant, un personnage, un espace, une profondeur palpable, mais sur laquelle on ne peut rien dire.

 

 

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A cet égard, le séjour du jeune Patrick (15 ans) avec son père chez des aristos de la plus belle eau (manières, amoralisme...) pour une chasse à courre dont il n'a rien à cirer est intéressant. Tout ce qui précède la chasse (la signature d'un mystérieux document pour le père, la meute, le repas...) est raconté en détail. On ne saura rien de la chasse et de ce qu'en aura pensé le fils.

 

 

Dix-huit chapitres : ça tire dans toutes les directions (Biarritz, la Suisse (ah ! cet épisode !), Toulon, autour du centre de cette toile d'araignée : Paris). Aucun lien narratif entre l'ensemble des épisodes (ou si peu). Le seul lien, c'est le narrateur, qui se présente comme étant l'auteur. Le père, la mère, l'oncle Alex, l'ami Muzzli, la femme, etc... Le cinéma, la littérature. L'Histoire avec l'ancien nazi Gerbauld qu'il a envie de tuer, mais il renonce. Un ancien prince d'Egypte déchu, à Rome.

 

 

Nommer les lieux pour qu'ils évoquent, voilà un art. Tel café, tel immeuble, telle vue, pas grand-chose. Mais ça existe. Le jeu des lieux, de l'espace, des générations. Très fort. Et le temps ne compte pas : le narrateur se souvient au présent d'événements qu'il n'a pas pu matériellement vivre. Caractère d'évidence de tout ça. Très fort. Et prenant : le frisson à trois ou quatre reprises.

 

 

Au Château d’Argol, de JULIEN GRACQ

 

Un livre fort, par sa cohérence esthétique, par le parti-pris narratif, tant soit peu artificiel. L’étrange comme texture, hors du temps, hors d’un espace géographique défini, mais éminemment géométrique. Un château splendide et surhumain, une forêt profonde, la mer. La météorologie apportant son lot. Deux hommes, une femme.

 

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Le châtelain, Albert, voit deux êtres complices arriver. Entre les deux hommes, une ancienne amitié, mais, et c’est répété, fondée sur quelque chose d’inavouable. Entre Heide et Albert, une séduction mutuelle qui ne se conclut jamais. Un symbolisme surchargé, excessivement plein, comme si l’auteur avait voulu faire un roman cabalistique. Mais c’est alchimique pour la frime et pour l’esthétique. Une scène très curieuse, dans une salle du château dont les murs sont revêtus de plaques de cuivre, qui ont la particularité de faire ricocher les paroles, comme dans une partie de ping-pong qui irait en accélérant.

 

 

Ecriture affectée, fabriquée, donc. La phrase est longue, pas un mot de dialogue : c’est un récit chimiquement pur (sauf « Jamais plus »). Effort de recherche sur les adjectifs, jusqu’à l’agacement. Puissance pourtant évocatoire du langage, des images, des progressions de cette histoire entièrement livrée à l’imaginaire. Tout y est déréalisé et en même temps pleinement sensuel.

 

 

Les personnages sont toujours dans l’étude de soi, comme sur une scène de théâtre. Les règles de ce jeu mystérieux nous échappent. Paradoxe : grande présence réelle et grande abstraction. Argol, le cimetière, Heide, Herminien, le bain, chapelles des Abîmes, la forêt, l’allée, la chambre, la mort. Exercice de style surréaliste. Pour excuser l'auteur, c'est, me semble-t-il, son premier livre publié. Ce n'est qu'ensuite que viendront Un Balcon en forêt, Le Rivage des Syrtes, et tout le toutim.

 

 

Cent ans de solitude, de GABRIEL GARCIA MARQUEZ

 

La ville de Macondo. Des personnages baroques : José Arcadio Buendia : imaginatif, impulsif, entreprenant, il devient fou, vit sous un châtaignier, meurt dans son lit, parce que le temps s’est arrêté un lundi de mars. Ursula : vit à peu près 140 ans, pour elle le temps ne passe pas, mais tourne en rond. José Arcadio : a fait un enfant à Pilar Ternera, une fugue avec les gitans, vécu avec Rébecca, comme une bête de somme, meurt d’un épanchement de sang à l’oreille, dont la traînée traverse la ville jusqu’à sa mère.

 

 

Auréliano, le colonel, 32 guerres perdues, 17 fils tués par leur croix de cendre, fabrique des poissons d’or, meurt en pissant debout contre le châtaignier. Amaranta, amoureuse toute sa vie, elle meurt vierge à plus de 100 ans, après avoir tissé son linceul et tué ses amants. L’enfant né avec une queue d’animal, que le père tranchera un jour sur la table de cuisine. Bref, une pléiade bigarrée, exceptionnelle, de personnages improbables. Un livre-monde.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.