samedi, 18 novembre 2023
L'HOMME DE VIALATTE 3
L'homme n'est que poussière. C'est dire l'importance du plumeau. (L'éléphant est irréfutable)
Quand on rencontre l'homme, on est tout de suite frappé par sa silhouette décidée : il porte un petit chapeau fendu par le milieu, il marche sur les pattes de derrière. Un litre sort parfois de sa poche, un croûton de pain, une saucisse de Toulouse roulée dans un papier journal ; et d'autres fois (s'il est du sexe féminin) il apparaît dans quelque music-hall, au sommet d'un escalier d'or, enveloppée d'une gaze vaporeuse qui lui fait un halo laiteux, et vêtu de bijoux scintillants complétés de quelques plumes d'autruche. (idem)
L'homme ne descend pas, il remonte. Il remonte au tarsier, une sorte de rat avec des mains prenantes et des oreilles pointues. Tel est le dernier état de la science.(idem)
Quand, pour la première fois du monde, l'homme se dressa sur ses pattes de derrière, encore tout chiffonné du plissement hercynien, et jeta un oeil hébété sur la nature environnante, il commença par bâtir ses villes à la campagne pour être plus près des lapins, des mammouths, des ours blancs et autres mammifères dont il était obligé de se nourrir. (Pas de H pour Natalie)
L'homme, au mois d'août, s'évade de ses logements cubiques pour retrouver à la campagne les maisons inconfortables du bonheur. (idem)
L'homme entre un jour dans la vieillesse comme dans un appartement vide à l'éclairage crépusculaire. Par la fenêtre, en bas, il voit passer la vie, grossie de ses souvenirs et de ses songes. Mais il ne la voit plus que par la fenêtre, improbable et fantomatique. Puis il s'efface lui-même et se déguise en souvenir. (idem)
Aux dernières nouvelles, l'homme s'ennuie. Surtout en Hollande et en Suisse. Où il a cependant toutes sortes de fromages. Qu'il ripoline le soir et qu'il lave le matin pour orner des vitrines brillantes. Mais enfin il s'ennuie parmi sa propreté. (idem)
L'homme n'est pas pareil à lui-même et ne cesse de s'en distinguer. (Dernières nouvelles de l'homme)
L'homme se prouve par le chapeau mou, qui le distingue des autres primates. Mais, même prouvé par le chapeau mou, l'homme a beau être réellement homme, l'Italien l'est encore plus que lui. D'abord parce qu'il ajoute des plumes au chapeau mou, des plumes vertes qui font lyrique. Rien n'est plus beau que de le voir se marier dans cette parure ornithologique. En chantant Sole mio. On dirait l'oiseau-lyre. (Chroniques des immenses possibilités)
L'homme date d'une si lointaine époque qu'il est affreusement fatigué. L'appendicite, les guerres mondiales, le souci d'une nombreuse famille lui ont fait les idées floues et le genou hésitant. (idem)
Que fait l'homme par ce froid sec en ce mois de février ? Il naît sous le signe du Verseau ... Et il a bien raison. C'est le vrai moment de le faire. Le délai expire aujourd'hui. (idem)
L'homme, autrefois, s'intéressait à l'homme. Il se passionnait pour son voisin. Il l'étudiait à fond, il connaissait ses vices, son casier judiciaire et son état de fortune. Il lui prêtait sde l'argent à 80 %. Il lui écrivait des lettres anonymes. Il l'y accusait d'avoir tué son vieux père pour lui voler un saucisson pur porc. Et d'être trompé par sa femme. Il lui accrochait dans le dos un poisson en papier : c'était la loi du 1er avril. Aujourd'hui, c'est l'indifférence : on laisse traîner un garagiste accidenté par une auto pendant huit heures dans un fossé plein d'escargots ; on n'accroche plus de poisson en papier peint aux basques de son chef de bureau. Bref, il semble que l'homme ait perdu tout esprit, tout altruisme et toute initiative. (Chroniques des grands micmacs)
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature française, littérature, alexandre vialatte, humour, chroniques de la montagne, éditions julliard, chroniques des immenses possibilités, dernières nouvelles de l'homme, pas de h pour natalie, l'éléphant est irréfutable
jeudi, 16 novembre 2023
L'HOMME DE VIALATTE 2
L'homme serait un roseau pensant. Disons plutôt un roseau pensif ... Ou même songeur ... Disons un salsifis songeur. Car la pensée paraît tout de même plus dense que les produits de la cervelle humaine, et le roseau est plus racé que l'homme. Soyons sincères : l'homme est un champignon rêveur ; un concombre qui a des visions ; un salsifis qui souffre de marottes.
Où va l'homme ? De plus en plus loin.
L'homme ne saurait avoir un fils sans lui acheter un abécédaire, bientôt un casque de Martien. Pour le payer, il faut que l'homme travaille, pour être correct il doit mettre une jaquette, pour y mieux voir un lorgnon à ruban. Résumons-nous : il se transforme en lui-même, tel que le présentent tous les manuels d'école primaire. Il attend l'autobus 28 en feutre mou.
"L'homme, dit la Bible, est en exil sur cette terre". Et l'opinion publique ajoute : "Surtout dans le XIIIè arrondissement".
Dernières nouvelles de l'homme (Julliard, 1978).
L'homme date des temps les plus anciens. Les manuscrits du Moyen Âge mentionnent déjà son existence. Sur des images à fond doré. Ils le représentent chassant le loup, le canard, ou même la sarcelle, en culotte rouge et un petit chapeau vert décoré d'une plume de poulet. Ou alors entouré de licornes. Et aussi mangé par des lions. Ou pliant le genou devant une dame. Ou attaquant des châteaux forts sur des lacs suisses, avec une petite culotte bouffante, des manches gigot, des piques très compliquées, des pertuisanes dont le fer a l'air d'ne lettre arabe, des canons, des boulets en pierre, sur des radeaux que les assiégés repoussent du pied en brandissant des couteaux de cuisine.
L'homme compte, assurent les zoologues, parmi les plus jolies productions de la nature. surtout quant il a un grand nez et qu'il fait un discours, juché sur un tonneau. Ou quand il se met des plumes sur la tête, comme le Peau-Rouge et le bersaglier. Et aussi quand il est chinois. Parce que alors il a des idées chinoises, et les idées chinoises sont tout à fait gracieuses. L'esprit chinois s'abandonne toujours à l'inspiration poétique.
Eloge du homard et autres insectes utiles (Julliard, 1987).
L'homme s'est, de tout temps, intéressé à l'homme. A ce qu'il dit, à ce qu'il fait, à ce qu'il voudrait qu'il fasse. Il lui écrit des lettres anonymes, Il le trapine en justice. Il "este" contre lui, comme disent les mots croisés. Il lui déclare des guerres mondiales, il le pend, il le brûle, il veut savoir ce qu'il fait, ce que mijote le voisin, ce qu'en a dit sa belle -soeur, pourquoi le mariage s'est fait, pourquoi il ne s'est pas fait, où le sous-préfet est allé en vacances, et pourquoi la chaisière a mis un chapeau neuf. Toutes ces choses le passionnent. Il cherche à les savoir. Telle est l'origine de la presse.
Que devient l'homme ? On le garde encore, disait notre dernière chronique. Provisoirement. Pour la bonne bouche. On vient même d'en retrouver un qui datait de la guerre de Cent Ans. Un Anglais. A Boissy-le-Roi. En cherchant de l'eau. Et la locomotive de l'express 414 a rapporté sur son tampon, en gare de Nîmes, la tête d'un octogénaire dont le corps était resté en travers de la voie, à dix kilomètres de là : à Vergez. C'était un retraité. Les gens du quai podes cris. Mais la tendance serait plutôt de supprimer l'homme. Ses besoins contrarient le progrès. C'est le dernier obstacle qui reste au bonheur de l'humanité. Comme un jardin peut se passer de fleurs, l'homme peut peut-être se passer de lui-même ? Toute la question est là. L'expérience est en cours.
L'homme descend de moins en moins du singe. Il s'y était pourtant habitué. On y était fait. Une fois le pli pris, on aimait bien descendre du singe. La nuit j'avais des rêves grandioses : mon grand-père me revenait dans le sang ; attaché par la queue au sommet des palmiers, je me balançais à des hauteurs vertigineuses et je traversais l'Afrique en sautant d'arbre en arbre. Je me cachais dans la forêt vierge et j'effrayais l'explorateur à la façon de l'orang-outan (ou du gorille ?) en me tapant sur les pectoraux, ce qui produit dans ces solitudes une espèce de roulement de tonnerre plus effrayant que le "hoquet du Pygmée". Je n'avais plus peur que du serpent à lunettes. Je me faisais des grimaces dans un miroir à barbe. Adieu beau rêve !
Profitons de l'ornithorynque (Julliard, 1991).