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vendredi, 19 avril 2013

IL JOUAIT DU PIANO-JOUET

 

L'HISTOIRE 1 D'UN CONTEUR ECLECTIQUE.jpg

L'OUVRAGE DE MARIE-ANGE GUILLAUME

Fred, le dessinateur et inventeur d’histoires, a-t-il rencontré John Cage, le massacreur de l’idée de musique, capable de rester les bras ballants devant son piano pendant 4′33″ devant une salle comble, juste pour montrer que, même quand il ne joue pas, il continue à y avoir de la « musique », produite par le public lui-même ? Enfin, disons plutôt des sons. Bref, des bruits, quoi. Leurs routes se sont-elles croisées ? Cela m’étonnerait. Et pourtant …

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EXECUTION PUBLIQUE DE 4'33"

 Dans la vie, il faudrait pouvoir prévoir l’imprévisible, s’attendre à l’inattendu et ne pas se laisser surprendre par les surprises de l’existence. Ce serait la meilleure manière de gérer nos existences « en bons pères de famille » (je signale que l’expression figure en toutes lettres dans le Code civil, et s’adresse par conséquent aussi aux femmes). 

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JOHN CAGE EN PERSONNE JOUE SA "SUITE FOR TOY PIANO"

Heureusement, il n’en est rien. Heureusement, tout le monde n’est pas comme Goethe, à ambitionner d’encadrer la vie des individus et des sociétés dans le carcan de la rationalité, jusqu’à étouffer l’envie de vivre. Heureusement, la vie est pleine d’imprévoyants, d’inattendants et de surprenants. A ce titre, Fred mérite à coup sûr de figurer parmi les émerveillements de l’existence. 

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WILHEM LATCHOUMIA PROUVE QU'ON PEUT LA JOUER AVEC SON CUL

(CERTAINS DIRONT, PEUT-ÊTRE A JUSTE TITRE, QU'ON PEUT S'ASSEOIR DESSUS)

En l’occurrence, il s’agit du télescopage – improbable mais authentique –  entre l’imagination débridée de notre génial dessinateur et le savoir-faire desséché d’un imposteur de la musique moderne. C’est la raison a priori bizarre qui m’a fait donner à ce billet ce titre bizarre : Fred et John Cage. Eh oui : ils ont travaillé sur les mêmes instruments : des pianos-jouets.

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CETTE FOIS, C'EST MARGARET LENG TAN QUI S'Y COLLE, AVEC UN SERIEUX OLYMPIEN

J’ai eu récemment l’honneur et l’avantage d’évoquer ici la Suite for toy piano, qui fait glorieusement pendant aux 4′33″ précédemment citées. Alors je ne sais absolument pas si Fred est allé pêcher son idée chez John Cage. En explorant la chose sur internet, je me suis rendu compte que le toy piano, cette chose inventée pour encombrer la chambre du petit dernier à Noël, et lui permettre de casser durablement les oreilles de papa et maman, faisait fureur dans les salles de concert dites sérieuses.

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ET PHYLLIS CHEN NE VA PAS TARDER A S'Y METTRE

Fred a, on le sait peu, travaillé pour le cinéma. Il a, entre autres, écrit quarante contes. Ces contes étaient conçus à partir de mots. Fred raffolait de ça : prendre une expression au pied de la lettre et lui faire cracher son potentiel imaginaire. Le Train où vont les choses (son dernier album) a été extrait de cette mine-là.

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LE TOY PIANO FAIT FUREUR, VOUS DIS-JE !

(ICI, YAN TIERSEN)

Il raconte, dans le livre de Marie-Ange Guillaume (L’Histoire d’un conteur éclectique, Dargaud, 2011), le tournage d’un film construit autour d’une harpiste. Sous les yeux des habitants de HLM de banlieue, intrigués, des « Hell’s Angels » sont payés pour écouter sa musique d’un air béat.  Et puis des flics (acteurs) ordonnent à la harpiste et aux motards de déguerpir. 

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ALLEZ, ENCORE UNE LOUCHE DE MARGARET LENG TAN DANS LA "SUITE" DE CAGE

Les gens penchés aux fenêtres des HLM où se déroulait la scène engueulent alors les « flics » en hurlant : « Laissez-la continuer ! C’est beau, cette musique ! ». Ceci pour dire que Fred est toujours prêt à emmagasiner les bonnes histoires qui se déroulent sous ses yeux. Je veux dire, à construire des histoires à partir de ce qui se passe en sa présence. 

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ET DES PRIX DE CONSERVATOIRE S'Y METTENT TRES SERIEUSEMENT

L’un des contes écrits par Fred est intitulé Musique de petite chambre. Comme d’habitude, Fred se sert d’une expression toute faite pour faire courir son imagination. Je me dis qu’il aurait pu trouver un autre titre, je ne sais pas, Musique de chambrette, tiens, pourquoi pas ?

 

Le pianiste du récit, en grande tenue sous son vieux manteau, fait du porte à porte et propose ses concerts. Après avoir essuyé une rebuffade, il est invité par une femme qui possède un piano. Mais c’est un tout petit : un piano-jouet. C’est tout ce qu’elle a, un cadeau de ses parents, qu’elle a conservé. Comme c’est un piano à queue, il accepte de rester. Il installe tout pendant que la dame se change derrière un paravent.

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ET PUIS VOILA LE TRAVAIL DE FRED !

Mais les préparatifs de la dame s’éternisent, et tout d’un coup, le pianiste éclate : « Comment ? Je ne supporte pas qu’on arrive en retard à mes concerts, surtout à domicile ! Enfin quoi, madame ? C’est la dernière impolitesse ! ». Il claque la porte. Désolée, elle sort de derrière le paravent en grande tenue de grande soirée, et exprime ses regrets, tout en tapotant le piano-jouet, qui rend des sons d’ « authentique piano de concert ». L’amertume et l’ironie de ce petit récit font partie de la signature de Fred.

 

L’enfantillage assumé du « conteur éclectique », on me dira ce qu’on voudra, est infiniment aimable. L’enfantillage de John Cage, qui se prend très-très au sérieux, et que les gogos gobent comme des mouches, est infiniment haïssable.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

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