vendredi, 06 juin 2014
L'AMERIQUE AIME L'EUROPE ! 1/2
Poutine est un grand méchant loup. Quasiment un dictateur. Certains le considèrent même comme un tsar. Bientôt la Russie sera devenue l'Empire du Mal. Un Grand Satan aux yeux des Américains. Ça remplacera l'Iran, peut-être. Un Satan qu'il s'agit de punir pour les manœuvres machiavéliques que Poutine mène sur les frontières orientales de l'Europe.
Barack Obama, lui, a été présenté par le parti démocrate des Etats-Unis pour être élu président (« Le Christ est redescendu sur Terre », titrait le journal El Pais à sa première élection). Curieusement, tout au moins en politique étrangère, il n’en suit pas moins, intrépidement,la trajectoire indiquée par son prédécesseur, un certain George Walker Bush, fieffé "républicain", fidèle et méthodique exécutant des vues des plus réactionnaires, voire fanatiques des Américains : diverses sectes de protestants qu'on regroupe sous l'appellation de néo-conservateurs (alias « néo-cons »), et dont beaucoup se sont réunis dans le « Tea party ».
Pour mémoire, Bush est celui qui, pour venger l'Amérique après l'affront aéroporté du WTC le 11/09/2001, a poursuivi (2002) Ben Laden en attaquant l’Afghanistan, et qui a laissé le mollah Omar lui échapper de justesse, à motocyclette. Dans la foulée, sur la base de « preuves » intégralement fabriquées par ses services secrets, il a attaqué (2003) l’Irak de Saddam Hussein et fait pendre celui-ci.
Avec les fiers résultats qu’on peut observer aujourd’hui : l’Afghanistan s’apprête à retomber dans l’escarcelle des talibans et des seigneurs de la guerre, genre Dostom ou Hekmatyar (on me dira que ça laisse le choix au peuple afghan : c'est ça ou la quintessence de la corruption avec le clan Karzaï) ; et le chaos de l’Irak démembré est devenu un terrain d’affrontement entre musulmans « majoritaires » (c’est paraît-il le sens de « sunnites ») et « minoritaires » (« chiites »). Faisons abstraction des Kurdes, c'est déjà assez compliqué comme ça.
Il y avait eu, quelques années auparavant, la guerre en Yougoslavie, où les Américains piétinèrent allègrement les liens immémoriaux et indissolubles que l’histoire a tissés entre les Serbes et les Russes (à commencer par l'écriture cyrillique). Et bombardèrent au passage l'ambassade de Chine. Regardez d’un peu près l’improbable puzzle géographique, ethnique et politique que sont devenus les Balkans. Pour vous amuser, examinez de près la carte politique de l'actuelle Bosnie, et admirez le talent des dentellières diplomatiques à l'ouvrage.
Accessoirement, je constate que nos Sarkozy et Hollande, comme des « mini-Bush », se lancent dans les mêmes aventures interventionnistes, en Libye, au Mali, en Centrafrique, avec des résultats calamiteux « copiés-collés » sur ceux des Américains.
Avec la prime et les lauriers de la compétition à Nicolas Sarkozy (soyons juste : aidé par un « Danube de la non-pensée », nommé Bernard-Henri Lévy), par l’intelligence géo-stratégique duquel toutes sortes d’armes, de la sarbacane à piston à la bombe atomique à pédales, je veux dire des plus légères aux plus lourdes, jusque-là accaparées et entassées par le tyran libyen, bénéficient enfin d’une totale liberté de circulation, de l’Atlantique à la mer Rouge, entre les mains de toutes sortes de gens animés des meilleures intentions du monde. Sûrement très pacifiques et très non-violents.
Laissons de côté le désir de vengeance de la superpuissance américaine après le 11 septembre. Gardons juste l’interventionnisme de tous ces acteurs occidentaux. Contre divers épouvantails et grands diables : Milosevic, Saddam Hussein, Kadhafi ...
Ce que je comprends de la chose, c’est que, quand on s’intronise gendarme ou justicier et que, dans son armure de Don Quichotte, on part à l'assaut des monstres, on a beau être animé des plus nobles motivations (le drapeau du respect des droits de l’homme et l'élimination d'un infâme), l’aveuglement face à la réalité géo-statégique produit des catastrophes internationales, en bouleversant à l’aveuglette les données de cette réalité.
Regardons maintenant du côté de la Russie et de l’Ukraine. Qu’est-ce qu’on a observé au fil du temps, en provenance du côté américain ? On n’a pas cessé de harceler, voire d’agresser l’ours russe, que l'on croyait épuisé et hors-course, pour l’affaiblir encore davantage après le démantèlement de l’URSS. L'Occident (pour dire vite), en prétendant peser sur le devenir démocratique de l'Ukraine, a accéléré le démembrement d'un pays situé à la frontière orientale immédiate de l'Europe. Au détriment de la paix en Europe. Ce faisant, les pays européens inféodés aux Etats-Unis prennent le risque de déclencher une guerre avec la Russie.
J'ai évoqué l'aventure militaire de la coalition qui, s'opposant à la volonté de Milosevic de créer une « Grande Serbie », lui a fait la guerre jusqu'à de que mort s'ensuive. Première humiliation pour les Russes, dont Milosevic était un protégé, et qui avaient envoyé sur place des commandos de « Spetznatz ». Il faut dire que Milosevic avait mis du cœur à l'ouvrage dans l'effort de provocation, en envoyant en 1991 ses bourreaux Mladic, Seselj et d'autres torturer, violer et semer la terreur à Vukovar, puis en Croatie, en Bosnie, au Kosovo ....
Prenez la Géorgie (2008), à laquelle on propose d’intégrer l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. L’Atlantique Nord pour un pays du Caucase ! On croit rêver ! Une agression en règle contre les Russes. Le résultat ? La Géorgie s'est vue amputée par la force de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie : c’est que les Russes ont un intérêt géo-stratégique à garder à tout prix ouverte une porte sur le sud et la mer Noire, au cas où la Crimée .... Et personne n'a osé moufter.
Prenez les Etats baltes, quelques années avant. Tout le monde a noté la vitesse à laquelle ils ont été intégrés dans l’Union Européenne, et même plus, puisqu’ils font partie de l'OTAN et de « l’espace Schengen ». Après l’attaque au sud, cap au nord : c’est la stratégie d’encerclement. Quant à la Pologne, son appartenance à l’Europe ne fait guère de doute, mais sans compter les avions de combats (F16, je crois, au détriment des solutions proprement européennes au problème de défense aérienne) que les Amerloques se sont pressés de leur vendre, qu’est-ce qui prend aux Américains de vouloir y implanter des missiles anti-missiles ?
Bien sûr, c’est pour prémunir l’Europe de toute agression balistique venant du pays des diables iraniens. Sérieusement, qui pouvait croire à cette fable ? Alors l’Ukraine, à présent. Bien sûr, Joe Biden s’est rendu sur la place Maïdan en brandissant le drapeau des droits de l’homme. Mais à bien y regarder, il y a une sacrée arrière-pensée là-derrière. Car la stratégie de « guerre-froide » n’a pas changé. Il s’agit toujours de terrasser l’ours russe en profitant de ce qu’il a l’air endormi d’un Hibernatus de compétition.
Quel que soit le président américain, la politique étasunienne à l'égard de la Russie n'a pas changé d'un iota. Et les journalistes et autres spécialistes « au courant » (j'ai entendu Zaki Laïdi là-dessus) colportent complaisamment la fable d'un Poutine englué dans la guerre froide et qui n'a rien compris au vingt et unième siècle ... S'il en est resté à la guerre froide, il n'est pas le seul.
L’Hibernatus, après avoir piqué du nez dans son assiette le temps de piquer un roupillon international, s’est décongelé. Poutine arrive au pouvoir en 1999. C'est un patriote. Peut-être un exalté. Cet ancien du KGB veut restaurer la grandeur de la « Sainte-Russie », tsars et bolcheviks mêlés. Par tous les moyens. En s'appuyant sur d’anciens apparatchiks devenus oligarques, il va, avec toute sa bande – qui le suit comme un seul homme, car il ne faut pas croire que Poutine fait anomalie aux yeux de la majorité des Russes, au contraire : pour eux il est l'homme de la situation, seul capable de rendre aux Russes la fierté de l'être –, tenter de restaurer la puissance perdue. Réaffirmer la présence de la Russie sur la scène internationale. Et apparemment, ça ne marche pas trop mal.
Car l’argent du pétrole et du gaz russes coule à flot (« économie de rente », disent dédaigneusement les fines bouches). La Russie engrange. Elle s’est réarmée, après le gros coup de mou de 1991. L’Amérique fait semblant de ne pas s’en rendre compte, et continue à pousser ses « avantages » de force face à l’ours apathique, en se foutant pas mal de mouiller les Européens jusqu'aux sourcils. Elle n’est pas directement impliquée dans la mort de Khadafi, car elle a délégué les pions français et anglais en Libye, se contentant d’assurer « l’appui-feu » (missiles de croisières), comme disent les militaires.
Exit Khadafi, mais au grand dam de Poutine et de quelques autres, humiliés, qui avaient quelques intérêts dans le coin. Nouveau coup de patte à l’ours endormi, dont on fait semblant de ne pas voir qu’il a peu à peu reconstitué ses forces. Et en outrepassant, soit dit en passant, la résolution de l’ONU autorisant l’intervention en Libye (la « nécessité de protéger les populations », comme c'est beau).
A force d’être gratté là où ça fait mal, l’ours russe s’est réveillé. Et de mauvaise humeur.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vladimir poutine, russie, barack obama, états-unis, amérique, américains, empire du mal, europe, george w bush, wtc, world trade center, ben laden, mollah omar, afghanistan, iraq, saddam hussein, yougoslavie, balkans, bosnie herzégovine, nicolas sarkozy, françois hollande, libye, mali, centrafrique, ukraine, urss, milosevic, khadafi, mladic, seselj, otan, géorgie, abkhazie